Communication scientifique
Séance du 6 février 2007

Conclusion

René Mornex *

Conclusion

René MORNEX *

Depuis toujours, les médecins ont été attentifs dans la prise en charge de leurs malades à comparer les bénéfices souhaités de leurs actions, par rapport aux effets secondaires contraignants ou dangereux de celles-ci. Bien avant que le terme de stratégie ait été appliqué à cette démarche, intuitivement les médecins recherchaient le ratio optimum entre ces deux éléments. Ils visaient à prolonger la vie, soit en guérissant, soit en soulageant. Dans cette dernière éventualité, depuis environ un quart de siècle, on ajoute la notion de qualité de la vie : liberté de mouvements, de raisonnement mais aussi satisfaction d’envies culturelles, affectives, sexuelles ou simplement hédonistes.

Pendant longtemps, la tradition orale, puis écrite, a transmis des impressions formulées par les maîtres successifs. Ce n’est que depuis peu que le besoin de preuves est apparu. L’épidémiologie s’appuyant sur des méthodes statistiques de plus en plus raffinées a permis de mener des essais avec toutes les protections méthodologiques imaginables. Sans aller à l’extrême dogmatisme de l’Evidence Based Medicine, il faut retenir l’importance de cette démarche pour guider le choix des stratégies surtout thérapeutiques. Cela a débouché sur des recommandations, des guides de bonnes pratiques et des références médicales.

Une profonde évolution s’est faite assez récemment dans l’esprit des malades aussi bien que des médecins. L’efficacité médicale a fait reculer l’âge moyen de mortalité (dit espérance de vie) d’une population de trois mois tous les ans. Bien plus, pendant la deuxième moitié de la vie, en raison de la compression de la morbidité, la qualité générale de la santé s’est améliorée de façon spectaculaire, accordant ainsi une embellie physique et psychique exceptionnelle aux populations entre 65 et 75 ans.

On peut dire qu’ainsi, les personnes de cette catégorie ont bénéficié de la durée et de la qualité.

Cela a entraîné une transformation psychologique des médecins qui deviennent des thérapeutes très actifs, voire jusqu’auboutistes. Ceci est approuvé par les malades qui souhaitent ‘‘ se battre jusqu’au bout ’’ Malgré tout, l’échéance fatale reste inéluctable même si beaucoup de veulent plus y faire référence. Les tableaux des assurances montrent que l’espérance de survie
moyenne après 80 ans s’expriment par un nombre parfois à un chiffre ce qui doit faire réfléchir sur les actions menées dans cette période d’âge.

Le contexte médical enfin est marqué par la complexité de plus en plus grande des activités et des moyens et par la spécialisation de la prise en charge.

La complexité des méthodes d’exploration est dominée par leur nombre et par leur caractère additif qui, non sans contraintes si ce n’est sans risques, se succèdent à la recherche d’une vérité toujours fuyante. De même, les traitements contraignants sont de plus en plus iatrogènes, notamment lorsqu’ils sont au long cours.

Cette complexité entraîne une spécialisation et même une surspécialisation des acteurs de soins et, comme avec l’âge, les pathologies s’additionnent, ce sont parfois trois ou quatre praticiens qui opèrent chacun sur une fonction sans toujours coordonner leurs efforts.

Le médecin référent, même de bonne volonté et de bonne formation est débordé par les prises de position des conseillers dont le niveau hiérarchique est parfois pesant.

Peut-être un jour le gériatre remplira t’il cette fonction.

Problématique des sujets âgés

Elle est d’abord liée à l’augmentation quantitative de leur nombre.

D’autre part, une grande ignorance règne sur l’histoire naturelle des pathologies apparues tardivement, notamment le rythme de croissance des micros cancers.

Enfin, sur l’absence de cohortes précisément étudiées (thérapeutiques et prévention) dans ces tranches d’âge. Toutes les stratégies dépendent d’extrapolation.

Notre intention n’était pas de donner des recettes mais d’ouvrir le dossier en pointant les éléments les plus importants et les plus significatifs sous les trois propositions qui figurent dans le titre.

— La chirurgie cardiaque qui guérit sans séquelles des maladies mortelles, à court terme, doit effectivement être proposée sans aucune réserve, quel que soit l’âge.

— Le traitement médicamenteux chez les sujets âgés est éminemment complexe, multipolaire, avec des effets secondaires non négligeables. Il implique beaucoup de subtilité et de vigilance et il mériterait d’être mieux aidé en ne perturbant pas le vieillard par une variation galénique fréquente (introduction des médicaments génériques). Enfin, des déprescriptions doivent et peuvent se faire avec succès. A signaler, outre les excès médicamenteux, les abus de prescriptions diététiques avec des visées préventives fondées sur des valeurs biologiques peu modifiées.

De même, on peut mieux prescrire un traitement indispensable en n’en aggravant pas la lourdeur, comme on a le droit de le faire pour prévenir des complications à l’échéance de vingt ans (insulinothérapie).

— Le dépistage systématique d’un cancer latent est règlementé dans de nombreux pays avec une limite d’âge à 75 ans. Malgré certaines positions contradictoires, les études poursuivies avec du recul, de l’ordre de quatorze ans, le permettent.

Par contre, rien ne justifie de prolonger, au-delà de cette date, les approches systématiques et moins encore, les actions individuelles. En effet, dans ce cas, l’attitude devant une minime anomalie n’étant pas codifiée, on risque d’ouvrir une série d’examens qui s’enchaînent et qui débouchent très souvent sur des techniques agressives, chirurgicales, radiothérapies, chimiothérapies, porteuses elles-mêmes d’effets secondaires négatifs (surtout dans le domaine de la prostate) ou psychologiques (le sein).

Les recommandations ne portent pas sur tel ou tel point mais sur la méthode de prise de décisions et sur le comportement du praticien à ce stade. En effet, depuis la loi de 2005, le praticien n’est plus seul, il doit s’appuyer sur la position du malade , clairement exprimé et ceci nous amène à insister sur deux exigences .

— L’éthique de l’information impose au médecin de ne pas engager des options personnelles mais de garder une froide neutralité d’expression. Bien entendu, aucun biais dans l’annonce des données de la littérature scientifique n’est acceptable. Il faut éviter les expressions statistiques compliquées, les pourcentages de pourcentages et bien décrire la valeur réelle sur le court terme des données biologiques et minimiser l’importance de leur déviation.

Enfin et surtout dans cette phase, il faut rejeter les oukases : ‘‘ si vous ne faites pas cela, vous mourrez de votre cancer ’’, ‘‘ si vous ne m’écoutez pas, je renonce à vous soigner ’’.

— L’éthique de l’évaluation des souhaits du malade, de ses raisons de vivre et de son plaisir de vivre est essentielle et, à ce stade, doit être le reflet de l’humanisme du médecin.

Il convient de prendre du temps pour rechercher avec empathie les projets qui persistent et sont souvent la cause de la volonté de vivre et qui peuvent amener à souhaiter à n’importe quel prix, prolonger la vie. L’attente d’un évènement :

naissance, achèvement d’un ouvrage, voire même élection, peut aussi faire accepter un prix lourd pour quelques jours, voire semaines de survie.

L’angoisse du ‘‘ passage ’’, le souci de faire bénéficier un être proche de sa protection (souvent un animal), sont des motivations parfois difficiles à exprimer.

L’idée que l’on devient l’objet des attentions ou, tout simplement, ne pas attendre la mort sans rien faire, justifie parfois de supporter bien des contraintes.

De manière plus terre à terre, ce peut être la prolongation des petits plaisir qui mettent un peu de soleil dans la vie : à partir d’un certain moment, le purisme diététique devient intolérable : ’’un verre de vin, grand-père, vous n’y pensez pas, vous avez cent ans ! ’’ Au total, c’est bien dans l’ajustement des stratégies médicales au grand âge, des malades que l’on peut mesurer la grandeur et l’humanité du médecin de bon sens et de bon cœur, car la médecine n’est pas seulement maintenir en vie mais c’est aussi donné du bonheur.

* Membre de l’Académie nationale de médecine

Bull. Acad. Natle Méd., 2007, 191, no 2, 301-303, séance du 6 février 2007