Communication scientifique
Séance du 15 juin 2004

Ciments orthopédiques aux antibiotiques : du laboratoire à la validation clinique

MOTS-CLÉS : agents antibactériens. ciment a os. materiaux biocompatibles.. prothèses et implants
Antibiotic-loaded bone cements : from laboratory studies clinical evaluation
KEY-WORDS : antibacterial agents. biocompatible materials.. bone cements. protheses and implants

Frantz Langlais *

Résumé

Les ciments orthopédiques aux antibiotiques ont été proposés pour l’antibioprophylaxie des prothèses articulaires et le traitement curatif des infections déclarées. Il nous a semblé indispensable de faire précéder les évaluations cliniques par une triple démarche : nous avons d’abord mesuré l’élution de Gentamicine à partir du ciment, à l’aide d’automates, permettant de mimer le comportement d’un biomatériau implanté ; puis nous avons réalisé, chez près de 100 brebis, des implantations fémorales de ciment aux antibiotiques, selon des techniques proches de celles de la mise en place des prothèses de hanche : elles nous ont permis de constater des concentrations osseuses d’antibiotiques dépassant 4 fois la CMI jusqu’à 6 mois après l’implantation. Enfin, nous avons réalisé des études de pharmacociné- tique en clinique humaine, chez 50 patients, opérés d’arthroplasties totales de hanche. La concentration dans les liquides de drainage périprothétiques dépassait 20 fois la CMI, mais il n’y avait pas de risque de toxicité lié à l’antibiotique, celui-ci n’étant détectable dans le sang que dans les 24 heures post opératoires. La biodisponibilité de l’antibiotique étant démontrée, on pouvait alors étudier l’efficacité clinique de ce ciment. Nous avons notamment participé à une étude de 349 échanges de prothèses totales de hanche infectées, et constaté qu’avec le ciment aux antibiotiques on pouvait obtenir un taux de contrôle de l’infection d’environ 85 % dans les infections très sévères (germes résistants, ostéolyse, etc.), traitées par échange en deux temps. Dans les infections modérées le ciment aux antibiotiques permettait de ne recourir à une chirurgie qu’en un seul temps opératoire, comportant moins de complications, et des résultats fonctionnels plus durables que la chirurgie en deux temps, tout en réduisant la durée d’hospitalisation et le coût des soins… Les méthodes expérimentales que nous avons élaborées nous ont aussi permis la mise au point d’un ciment à la Vancomycine, réservé à la chirurgie de recours. Nous les avons également utilisées pour l’évaluation de substituts osseux aux antibiotiques, tels que les phosphates ou les carbonates de calcium.

Summary

Antibiotic-loaded bone cements (ALBC) were initially used empirically, both for the treatment of infected prostheses and for antibioprophylaxis. We conducted in vitro and animal studies as a prerequisite for proper clinical evaluation. We measured gentamicin diffusion from methacrylate bone cement, and found that the concentration in surrounding fluid was significantly above the minimal inhibitory concentration (MIC). We then implanted ALBC in the proximal femora of 100 ewes, in conditions close to those of total hip replacement (THR). Antibiotic concentrations in bone were above 4xMIC for more than 6 months. We subsequently measured antibiotic concentrations in drainage fluid, blood and urine samples from 50 patients undergoing THR. Concentrations were over 20xMIC in periprosthetic fluid, but were below the detection limit in blood after 24 hours and in urine after one week. The blood concentration was less than 1 mg/l — far below the ototoxic and nephrotoxic threshold (8 mg/l). Having established antibiotic bioavailability, we then examined the clinical efficacy of ALBC. We participated in several studies, including a French multicentric review of 342 THR procedures (direct and two-stage exchanges). ALBC was beneficial in both settings, with an 85 % infection control rate. This included patients with very severe infections (multiresistant strains, severe osteolysis) treated with two-stage exchanges ; and moderate infections treated by direct exchange. (This latter procedure offers fewer complications, more durable functional results, a shorter hospital stay and lower treatment costs.) We also used ALBC for antibioprophylaxis in over 2000 THR procedures, and noted no complications. This method is now being assessed in more than 200 000 cases contained in the Swedish THR Register. The experimental methods that we developed (laboratory studies, animal implantation, clinical pharmacokinetics) set the groundwork for clinical studies of gentamicin ABLC, and also allowed us to develop other ALBC formats, containing vancomycin, for example (restricted to salvage therapy). We also used these methods to evaluate antibiotic-loaded bone substitutes (calcium and carbon phosphates), designed not only to control infectious osteitis but also to replace osteolytic bone.

INTRODUCTION

Les ciments orthopédiques aux antibiotiques ont été mis au point pour le traitement, préventif et curatif, des infections sur prothèses articulaires. L’infection est en effet la complication la plus grave de ces implantations, aboutissant à leur descellement par l’ostéolyse microbienne. Ces infections sont préoccupantes par leur relative fréquence, et par leur gravité. En effet, près de 150 000 prothèses totales d’articulations (hanche, genou, épaule, etc.) sont implantées annuellement en France. Le taux d’infection, de 1 à 2 % pour les hanches, est près de deux fois plus important pour les genoux [1, 2]. Lorsque l’infection n’a pas été guérie dans les toutes premières semaines, la durée des soins chirurgicaux est de l’ordre de 6 mois [3], et le coût médical de cette complication estimé à 50 000 euros par patient. La difficulté du traitement de ces infections est notamment liée à la concentration
d’antibiotiques dans le tissu osseux, souvent basse, lorsque ce produit est administré par voie systémique. En effet, du fait de la faible vascularisation osseuse, la concentration d’un antibiotique dans l’os normal n’est parfois que de 30 % de celle obtenue dans le sang. Mais avec les phénomènes cicatriciels autour de l’implant, les thromboses péri-osseuses liées à l’infection, l’apport sanguin d’antibiotiques est encore plus limité [4]. Pour obtenir une concentration efficace dans l’os, il faut utiliser des biomatériaux implantés au contact même de l’os, à partir desquels l’antibiotique diffuse passivement. La présence du corps étranger prothétique rend la lutte contre l’infection osseuse encore plus difficile, car s’il n’y a pas précocement un taux élevé d’antibiotique in situ , un biofilm peut se développer qui diminue l’accessibilité des germes aux antibiotiques. Le traitement « classique » des infections sur prothèses associe une antibiothérapie systémique à un geste chirurgical d’excision des tissus infectés et nécrosés. Ce programme chirurgical peut être effectué en un ou deux temps opératoires. Dans l’échange en un temps la prothèse est retirée, permettant l’excision des tissus infectés, puis une nouvelle prothèse est immédiatement mise en place, souvent fixée par du ciment aux antibiotiques. Dans l’échange en deux temps, la prothèse initiale est ôtée, les tissus excisés, mais on ne refixe pas immédiatement de prothèse définitive : un espaceur, volontiers de ciment aux antibiotiques, maintient l’espace entre fémur et bassin, et un traitement antibiotique systémique est administré pendant environ 3 mois. Lorsque les constantes biologiques sont normalisées, le deuxième temps opératoire réalise, si nécessaire, un complément d’excision, et met en place la prothèse définitive, là-aussi souvent fixée par un ciment aux antibiotiques. La chirurgie en deux temps apporte un pourcentage plus élevé de contrôle de l’infection, mais peut comporter également des inconvénients : plus de complications mécaniques, des résultats fonctionnels diminués, une longévité prothétique peut être réduite. Le développement du ciment aux antibiotiques a deux objectifs :

d’une part, augmenter le pourcentage de contrôle de l’infection dans les cas sévères et d’autre part, dans les cas de sévérité modérée, essayer d’obtenir un bon contrôle de l’infection tout en ayant le meilleur résultat fonctionnel possible, en évitant de recourir à la chirurgie en deux temps.

Les ciments aux antibiotiques peuvent également jouer un rôle important en antibioprophylaxie. Lorsque les prothèses totales de hanche de première intention étaient réalisées en salle conventionnelle sans antibioprophylaxie, le taux d’infection dépassait 10 %. Ce taux a été ramené progressivement à environ 2 % lorsque les chirurgiens se sont mis à opérer en salle à flux laminaire et éventuellement sous scaphandre, et ont associé une antibioprophylaxie intraveineuse systématique. Mais des infections qui se révèlent pendant la première année persistent, et sont dues aux contaminations per-opératoires, ou à des contaminations secondaires par bactérié- mie : ces dernières sont notamment à redouter dans les mois post-opératoires, où la prothèse est entourée d’une réaction inflammatoire qui « capte » les bactériémies.

Celles-ci peuvent survenir à partir d’infections pulmonaires sur encombrement bronchique, urinaires chez des patients en décubitus, cutanées, dentaires, etc. Une antibioprophylaxie par ciment aux antibiotiques a donc été proposée, d’une part
pour avoir un taux d’antibiotiques élevé dans l’os dès les heures post-opératoires, et d’autre part en espérant avoir une élution de l’antibiotique à partir du ciment prolongée pendant plusieurs semaines, protégeant la région opératoire des bactérié- mies à la période où elles sont le plus fréquentes.

Nous n’envisageons ici que l’utilisation des ciments dans les prothèses de hanches, plus nombreuses donc plus documentées que les autres arthroplasties, mais les principes évoqués sont valables pour toutes les prothèses.

C’est il y a près de 20 ans qu’a été utilisée en Allemagne [5] de façon empirique l’addition de Gentamicine au ciment orthopédique pour le traitement des prothèses infectées, et des résultats encourageants ont été rapportés. Mais ces travaux furent très fortement critiqués, en raison de l’absence d’études expérimentales préalables aux études cliniques, et d’une méthodologie clinique discutable, ne comportant pas de groupes témoins permettant une évaluation de ces infections plurifactorielles. Il nous a semblé que le développement de ciments aux antibiotiques nécessitait la mise au point d’une méthodologie reproductible comportant au moins 4 étapes :

— des études en laboratoire, permettant de caractériser l’élution des antibiotiques, et les caractéristiques mécaniques du ciment ;

— des études de pharmacocinétique, notamment osseuses, sur le gros animal ;

— des études de pharmacocinétique humaine, lors de l’implantation de ciments aux antibiotiques, — l’étape finale étant la mise en évidence de l’efficacité de ces ciments chez l’homme en antibioprophylaxie, et en traitement curatif.

NOS TRAVAUX peuvent donc être schématisés en 4 étapes :

Optimisation du biomatériau au laboratoire

Nous avons commencé par travailler sur le ciment orthopédique additionné de Gentamicine, qui avait été l’objet des premiers essais cliniques empiriques. Il est constitué d’un mélange de 20g de monomère liquide de methyl metacrylate avec 40g de poudre de ce monomère, associée à 1g de sulfate de Gentamicine. Il était indispensable de s’assurer qu’un tel ciment conservait les propriétés de biodisponibilité de l’antibiotique, celui-ci n’étant pas neutralisé par l’élévation thermique liée à la polymérisation du ciment, et diffusant à partir des pores présents dans ce biomatériau. Nous avons donc mis au point un automate[6] qui permet de déplacer des cubes de ciment dans différents bains successifs, maintenus à température constante, ceci mimant le « lavage » du ciment implanté par le flux sanguin et le liquide intersticiel. Nos études ont montré que l’élution d’antibiotique se réalisait à 90 % dans les jours suivant le début de l’expérimentation, mais qu’elle se poursuivait cependant pendant plus d’un mois, permettant d’obtenir dans le liquide des concentrations nettement supérieures à la concentration minimum inhibitrice (CMI).

Simultanément, des études mécaniques étaient réalisées : il fallait en effet d’une part
que l’addition d’antibiotique ne diminue pas les caractéristiques de résistance mécanique du ciment. D’autre part, il était intéressant de mettre au point des ciments relativement fluides, à basse viscosité [7], ceci permettant au metacrylate de venir en contact intime avec les irrégularités de l’os infecté, favorisant son ancrage mécanique et augmentant la surface d’échange pour l’antibiotique. Nous avons obtenu un ciment dont la résistance en compression est de l’ordre de 100 mPa, donc équivalente à celle de beaucoup de ciments sans antibiotique, et nettement supé- rieure à la norme ISO (International Standard Organisation) requise pour le ciment (70 mPa). Ces pré-requis mécaniques et d’élution étant obtenus, on pouvait passer à la deuxième étape.

La mise en place de ciment chez le gros animal de laboratoire pour étude pharmacocinétique a été réalisée chez la brebis. Celle-ci a été choisie en raison de son poids voisin de celui de l’homme, et de la dimension de son fût diaphysaire dont le diamètre est également voisin de celui d’un fémur humain. L’épiphyse proximale du fémur a été remplie de ciment aux antibiotiques selon une technique proche de celle de l’implantation d’une prothèse fémorale [8]. 32 brebis ont été opérées, leurs taux sanguins et urinaires de Gentamicine mesurés. Des sous groupes ont été sacrifiés régulièrement jusqu’à un an. La concentration a été mesurée par méthode immunologique dans les tissus osseux à proximité du ciment aux antibiotiques (figure. 1) et a montré que, après une élévation très importante, cette concentration restait à environ 4 fois la CMI à 6 mois, pour disparaître à 1 an. Il n’y avait pas histologiquement de signes d’intolérance au biomatériau. De plus, il n’y avait pas de Gentamicine décelable dans le sang au-delà du premier jour, et donc de risques d’oto ou de néphrotoxicité.

Ces résultats ont permis de passer à l’étude de pharmacocinétique humaine.

L’étude pharmacocinétique chez l’homme avait pour objectif essentiel de s’assurer que le relargage de l’antibiotique par le ciment se faisait de façon reproductible, avec des concentrations efficaces au niveau de la région opératoire, mais surtout avec une concentration sanguine évitant les risques de toxicité [9]. Pour travailler dans des conditions stéréotypées, les ciments ont été utilisés en antibioprophylaxie, chez 26 patients opérés d’une prothèse totale de hanche standard, et chez lesquels la concentration en Gentamicine a été mesurée dans les drains aspiratifs au contact de la prothèse, ainsi que dans le sang et les urines jusqu’au 10ème jour post-opératoire.

Tous ces patients ont de surcroît été suivis cliniquement pendant 5 ans. Dans le liquide de drainage péri prothétique, la concentration d’antibiotique était 20 fois la CMI, la concentration sanguine était maximum dans les 6 heures suivant l’implantation prothétique, mais restait très basse, à la limite de la détection de la méthode (1 mg/l) alors que le taux de néphro ou d’ototoxicité de la Gentamicine est de 8 mg/l.

Enfin, la Gentamicine était retrouvée dans les urines à dose modérée, mais y devenait indétectable au-delà de la première semaine. Aucune complication allergique n’était observée, aucune complication mécanique liée à l’utilisation de ciment aux antibiotiques n’était relevée chez les malades suivis 5 ans. Ainsi, nous avons pu

FIG. 1. —

Implantation de ciment à la Vancomycine dans le fémur de brebis . La concentration dans l’os cortical de l’antibiotique et les gradients d’élution à partir de la cavité médullaire sont mesurés dans 4 zones différentes du fémur (in : International Orthopaedics, 1998).

montrer que l’antibiothérapie locale par ciment aux antibiotiques permet d’aboutir à un taux élevé et efficace d’antibiotique in situ , dans le liquide péri prothétique (drain aspiratif), dans l’os (et ceci à un taux dépassant la CMI jusqu’au 6ème mois dans le fémur de brebis), mais sans s’accompagner de diffusion générale et donc de risques de toxicité ou d’intolérance.

Tandis que se précisaient les modalités d’action du ciment à la Gentamicine, les limites bactériologiques de cet antibiotique étaient mieux connues : environ un tiers des staphylocoques rencontrés en infection prothétique sont résistants à la Gentamicine, et il s’agit souvent de staphylocoques méthi résistants pour lesquels l’utilisation de Vancomycine reste le recours. Ces résistancess sont mises en évidence par la ponction pré-opératoire systématique de la hanche infectée. Il était donc intéressant de réaliser la mise au point d’un ciment à la Vancomycine [10], plus délicate car la Vancomycine est thermosensible (des incidents d’intolérance ont été décrits avec cet antibiotique), et qu’il y a un risque d’amoindrir les qualités mécaniques du ciment (car pour obtenir une élution suffisante, la quantité de Vancomycine dans le ciment doit être deux fois plus importante que celle de la Gentamicine). Les protocoles, que nous avions mis au point pour la Gentamicine, ont été utilisés, et nous avons pu obtenir un ciment à la Vancomycine dont la résistance mécanique en compression est de 95 mPa (norme à 70) et montré lors de l’implantation chez 30 brebis que la pharmacocinétique de la Vancomycine était voisine de celle de la Gentamicine, avec des taux osseux efficaces jusqu’au 6ème mois. Des études de pharmacocinétique humaine, réalisées lors de la mise en place de 27 prothèses
totales de hanche (10 cas d’antibioprophylaxie et 17 cas de traitement curatif) ont montré là-aussi l’absence de toxicité générale, d’intolérance, et l’obtention d’une concentration élevée de Vancomycine dans les liquides de drainage péri prothétiques.

Les validations cliniques

Nous avions donc pu démontrer, chez l’animal et chez l’homme, que l’antibiotique qui diffuse à partir du ciment ne fait pas courir de risques généraux, tout en étant disponible au niveau de la zone osseuse à protéger ou à traiter, mais il n’était pas acquis que cette biodisponibilité était suffisante pour aboutir à une efficacité clinique. En antibioprophylaxie , nous avons utilisé le ciment à la Gentamicine sur plus de 2000 prothèses totales de hanche sans observer aucun incident d’oto ou de néphrotoxicité, d’intolérance, ni de complications mécaniques apparaissant dans les 12 mois et liées à l’utilisation de ce ciment.

Sur le plan curatif , nous avons participé et rapporté une étude de 349 échanges de prothèses totales de hanches infectées dans 14 centres spécialisés en France, présentée dans le cadre du symposium de la SOFCOT de 2001 par C. Vielpeau et A.

Lortat-Jacob [1]. Nous avons pu y analyser l’influence sur le pourcentage de contrôle de l’infection, de la chirurgie d’échange en un temps ou deux temps d’une part, et de l’utilisation ou non de ciment aux antibiotiques d’autre part. Nous avons ainsi pu constater que, lorsque l’infection est peu sévère (germe peu résistant, faible ostéolyse), environ 85 % de guérisons peuvent être obtenus par la chirurgie en un temps, et ceci même sans antibiotiques locaux. Mais par contre, s’il s’agit d’une infection sévère (staphylocoque multirésistant, malade pluri opéré avec fistule, ostéolyse majeure nécessitant le recours à des greffons), il est nécessaire d’apporter un élément de plus pour arriver au même taux de guérison : soit (si on ne veut pas utiliser d’antibiotiques locaux) de faire appel à une chirurgie en deux temps, soit de rester à la chirurgie en un temps mais d’utiliser des antibiotiques locaux. Cependant si ces deux dernières méthodes aboutissent à un contrôle équivalent de l’infection, elles ne sont pas indifférentes sur le plan fonctionnel et social. En effet, la chirurgie en un temps, avec ciment aux antibiotiques, ne comporte qu’une seule intervention suivie d’une quinzaine de jours d’hospitalisation et de trois mois d’antibiothérapie.

Mais la chirurgie en deux temps comporte deux interventions importantes, séparées d’environ 3 mois et suivies d’antibiothérapie. Il y a deux fois plus de complications mécaniques lorsqu’on réalise deux gestes chirurgicaux, avec un taux de réopération pour raisons mécaniques qui passe de 9 à 20 %, et le résultat fonctionnel de ces patients multi opérés est également moins bon. Ainsi, l’utilisation de ciment aux antibiotiques pour des infections de sévérité moyenne permet d’obtenir avec une seule opération d’aussi bons résultats infectieux que la chirurgie en deux temps, mais avec des résultats fonctionnels meilleurs et des coûts sociaux (réduction de la durée d’hospitalisation) et financiers nettement moindres.

DISCUSSION

Les résultats expérimentaux, que nous avons réalisés en laboratoire (sur automate et en essais mécaniques), en chirurgie animale chez la brebis, en pharmacocinétique, en clinique humaine, sont peu discutés, et ont pu être reproduits par d’autres équipes.

Mais l’efficacité clinique des ciments aux antibiotiques a été contestée en France où l’on évoquait son inefficacité et le risque de sélection de souches résistantes. Ce n’est que, depuis quelques années, que l’efficacité des ciments aux antibiotiques en antibioprophylaxie est maintenant admise par tous, et que sa forte présomption d’efficacité en traitement curatif, en fait la technique la plus utilisée pour des infections déclarées.

— Les études d’antibioprophylaxie permettent des validations statistiques puisqu’elles concernent des interventions comparables, réalisées sur un très grand nombre d’opérés, et peuvent être prospectives et randomisées.

Une étude suédoise prospective [11] concernant 1 688 prothèses, revues à 5 ans, et réparties en deux groupes, comportant ou non une antibioprophylaxie par ciment aux antibiotiques, a montré une réduction de moitié du taux d’infections, puisqu’elle est passée de 1.9 % sans antibiotiques locaux à 0.9 % avec ciment aux antibiotiques.

Des études rétrospectives ont également été réalisées dans les pays scandinaves où existent des registres exhaustifs des prothèses implantées permettant d’éviter qu’un patient soit perdu de vue. Ainsi, une étude norvégienne [12] publiée en 2003 portant sur 22 170 cas de prothèses, a montré une diminution du taux des infections prothétiques lors de l’utilisation de ciment aux antibiotiques, ce taux passant de 0.7 % à 0.4 % (p = 0.01).

Enfin, le registre suédois[13] des prothèses de hanche, qui portait en 2003 sur plus de 216 000 cas opérés, a montré également une différence significative du taux d’infection lorsque la prothèse était fixée soit par un ciment sans antibiotique, soit par le même ciment auquel était additionnée de la Gentamicine.

On ne doute donc plus maintenant de l’efficacité d’une antibioprophylaxie par ciment aux antibiotiques. Celle-ci ne s’est pas associée à des complications de toxicité, d’intolérance, d’allergie, ou mécaniques ; de surcroît, on a constaté également une diminution du taux de descellements présumés aseptiques, dont on pense maintenant que beaucoup sont en fait des descellements pauciseptiques où le germe n’a pu être mis en évidence : la diffusion de l’antibiotique par le ciment limiterait ces descellements pauciseptiques [14]. Il a été également observé que l’utilisation systé- matique de l’antibioprophylaxie locale ne s’accompagnait pas de l’émergence de germes multirésistants dans les infections qui n’avaient pu être évitées ; de même, il n’est pas apparu de modifications écologiques liées à cette prophylaxie : on constate en effet que malgré l’utilisation intensive du ciment à la Gentamicine, le taux de souches de staphylocoques résistants à la Gentamicine est resté stable avec les
années, voire légèrement décroissant puisqu’il était en France de 47 % en 1995, et de 33 % en 1999 [15].

— Mais, un ciment aux antibiotiques est-il également capable d’un rôle curatif ? Il est acquis que ces biomatériaux ne sont qu’un traitement adjuvant, qui réalise un triptyque thérapeutique avec le parage chirurgical du foyer infecté et l’antibiothérapie systémique. Le rôle du ciment aux antibiotiques est d’augmenter le pourcentage de guérison infectieuse dans les infections les plus sévères, et de diminuer l’importance de l’excision osseuse dans les infections modérées.

Ceci est confirmé par l’analyse de la littérature internationale, et notamment la revue que nous avons réalisée[16] d’une série continue de 21 articles consacrés aux échanges pour prothèses infectées. Il montre que sur un groupe de 1 628 prothèses les résultats les moins favorables sur l’infection sont après la chirurgie en un temps sans ciment aux antibiotiques (59 %), puis qu’ils montent à 86 % soit en échangeant en un temps mais en utilisant un ciment aux antibiotiques, soit en pratiquant la chirurgie en deux temps. L’association ciment aux antibiotiques plus chirurgie en deux temps aboutit à 93 % de guérison sur le groupe global qui associe des infections de sévérité variable (figure 2).

— Ainsi, les travaux expérimentaux que nous avons réalisés ont permis de valider l’authenticité de la diffusion d’antibiotiques à partir de ciment et de montrer l’inocuité de ce principe thérapeutique. Bien entendu, ces méthodes expérimentales peuvent être utilisées pour l’étude d’autres biomatériaux tels que les substituts osseux pour les pertes de substance osseuse par ostéïte. L’objectif est de remplacer les tissus nécrotiques excisés par un biomatériau qui, non seulement va éluer un antibiotique, mais aussi être colonisé par l’os vivant périphérique. Le comblement des espaces morts, la stabilité accrue du foyer d’infection participent aussi à cette action du biomatériau. Nous avons pu ainsi étudier le devenir de biomatériaux déjà couramment utilisés en clinique humaine pour le comblement des pertes de substance aseptiques, tels que les phosphates de calcium biphasiques ou les carbonates de calcium, notamment synthétiques [17, 18, 19, 20, 21, 22]. Nous avons également mis au point un modèle d’infection osseuse chez la brebis, chez laquelle nous pouvons, maintenant, réaliser des ostéïtes suffisamment chroniques pour ne pas entraîner de risques septicémiques, mais suffisamment évolutives pour ne pas évoluer vers la guérison spontanée. Ces modèles d’infection osseuse, sur la brebis, se sont substitués aux modèles expérimentaux sur le lapin, certes intéressants pour l’étude de l’antibiothérapie systémique, mais non fiables pour l’étude des biomaté- riaux implantés [23, 24].

CONCLUSIONS

Les ciments aux antibiotiques de fixation des prothèses articulaires ont été utilisés depuis longtemps, de façon empirique, pour le traitement des infections sur prothè- ses. Il nous a semblé indispensable de développer une méthodologie expérimentale,

FIG. 2. — Contrôle de l’infection dans les prothèses totales de hanche infectées (revue de 1 641 cas de la littérature).

Le pourcentage de contrôle est étudié en fonction de 2 critères : échange direct — ou 1 temps —, ou 2 temps chirurgicaux, et utilisation ou non de ciment aux antibiotiques. Le contrôle est de 59 % en échange direct (DE) sans antibiotique dans le ciment (without), de 86 % soit avec échange en 2 temps (2 SE) sans antibiotique, soit avec échange en 1 temps (DE) avec antibiotique (with). Enfin, il est de 93 % avec échange en 2 temps et utilisation de ciment aux antibiotiques (in : J. Bone Joint Surg., 2003).

pour étudier les qualités mécaniques de ces biomatériaux (viscosité, résistance) mais surtout la cinétique d’élution des antibiotiques et leur biodisponibilité. Nous avons ainsi mis au point des automates pour évaluer la cinétique d’élution, et des méthodes de chirurgie expérimentale sur le gros animal de laboratoire, permettant d’étudier la concentration de l’antibiotique dans l’os jusqu’à 1 an. Les études de pharmacocinétique humaine ont été réalisées, permettant de mesurer la concentration d’antibiotiques dans les liquides péri prothétiques (drains aspiratifs), le sang et les urines, lors de l’utilisation prophylactique de ciment à la Gentamicine pour prothè- ses totales de hanche. Nous avons également mis au point un modèle d’ostéïte expérimentale, chez le gros animal de laboratoire, l’utilisation de petits animaux permettant difficilement d’extrapoler l’influence de la chirurgie, et de l’implantation de biomatériaux. Ces différentes techniques nous ont permis de confirmer la biodisponibilité de l’antibiotique dans les tissus péri prothétiques. Mais l’efficacité clinique et l’inocuité de ces ciments aux antibiotiques restaient à démontrer. Nous avons participé à des études montrant l’inocuité de l’antibioprophylaxie par cette méthode (toxicité, intolérance, sélection des germes résistants, complications mécaniques) et nous avons participé à des études multicentriques sur le rôle curatif du ciment aux antibiotiques. Son utilisation permet d’augmenter le pourcentage de contrôle de l’infection, lorsque celle-ci est très sévère (germe résistant, ostéolyse majeure, etc) et, dans les infections moins sévères de contrôler l’infection par des gestes chirurgicaux moins lourds (échange en un temps), réduisant les complications mécaniques, la durée d’hospitalisation et les coûts des traitements. L’antibioprophylaxie par ciment aux antibiotiques est ainsi devenue très utilisée en France, et la règle (95 % des implantations ou plus) dans les pays scandinaves, qui disposent d’un registre
exhaustif des implantations prothétiques permettant de connaître de façon approfondie l’efficacité des mesures de prophylaxie infectieuse. L’utilisation de ciments aux antibiotiques est devenue, en matière de traitement curatif des prothèses infectées, le protocole le plus usuellement rencontré dans les études consacrées à ce sujet [25, 26].

Les méthodes expérimentales que nous avons mises au point, notamment sur plus de 100 brebis, peuvent bien entendu être utilisées pour d’autres matériaux que les ciments « passifs », et nous les avons utilisées notamment pour l’étude des substituts osseux dans les ostéolyses infectieuses, où ils ont pour objectif non seulement de stériliser l’infection mais de reconstruire la perte de substance osseuse.

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DISCUSSION

M. Patrice QUENEAU

Vous avez fait référence à deux antibiotiques (gentamycine et vancomycine). D’autres antibiotiques ont-ils été utilisés chez l’animal et chez l’homme dans les ciments orthopédiques ? Et ce notamment dans la mesure où, les germes en cause peuvent être multiples.

Quelle est la durée d’action de ces antibiotiques in situ , d’après les données expérimentales chez l’animal et d’autre part chez l’homme ?

Plusieurs types d’antibiotiques peuvent être utilisés dans les ciments orthopédiques mais il faut bien différencier les ciments réalisés de façon industrielle et ceux confectionnés extemporanément par le chirurgien en salle d’opération, car ils n’ont pas les mêmes caractéristiques et donc les mêmes indications. Pour la réalisation d’espaceurs dont le rôle essentiel est d’être un vecteur d’antibiotiques, il est possible de réaliser un mélange ‘‘ artisanal ’’ au bloc opératoire : le ciment obtenu aura une longévité médiocre, mais ceci ne sera pas sanctionné car il ne sera habituellement pas laissé en place au-delà de trois mois. A l’inverse, lorsque l’on veut utiliser un ciment doué de caractéristiques mécaniques permettant de fixer une prothèse de façon définitive, il faut utiliser des ciments préparés selon les bonnes pratiques industrielles. Actuellement seules la Gentamicine, la Vancomycine et la Fucidine sont utilisées de façon habituelle dans ces ciments industriels.

Quant à la durée d’action de ces ciments chez l’homme, elle n’est pas parfaitement connue mais il est vraisemblable qu’elle n’est pas très différente de celle observée chez la brebis, dont les dimensions et la vascularisation osseuses sont voisines de celles de l’homme. On sait cependant que des ciments aux antibiotiques retirés par fragmentation au bout de plusieurs années d’implantation humaine sont encore productifs d’antibiotiques par leur tranche de section, mais il est vraisemblable que leur périphérie, au contact des tissus depuis l’implantation, a épuisé toutes ses possibilités de relargage.

M. Pierre DELAVEAU

Quelle est la nature chimique du ciment ? Quelle est sa structure physico-chimique permettant la libération progressive de l’antibiotique ? Quelle est la situation administrative de ces ciments dispensateurs d’ATB et à quelle autorité de tutelle vous adressez-vous ?

Le Métacrylate de méthyle n’est en fait que du plexiglass, qui n’est plus transparent car il contient de nombreuses petites bulles. Cette porosité joue un rôle favorable en interrompant la propagation des fissures, et aussi en réalisant des interconnections dans lesquelles le ciment va être stocké, puis diffuser. Sur le plan réglementaire, les ciments à la Gentamicine sont disponibles sur ordonnance et la plupart des caisses de Sécurité Sociale remboursent cette prescription tant il est maintenant acquis que ce type d’antibioprophylaxie représente un rapport efficacité — coût très favorable. Par contre en ce qui concerne le ciment à la Vancomycine nous avons insisté auprès des autorités compétentes pour qu’il ne soit disponible que lorsqu’il a été mis en évidence par les prélèvements pré-opératoires que le germe est sensible à la Vancomycine et résistant aux autres antibiotiques : il importe en effet d’éviter une utilisation trop large de cet antibiotique de recours. Quant à la réalisation extemporanée de mélange ciment et antibiotiques en per-opératoire, elle est placée sous la responsabilité individuelle du chirurgien.

M. Michel BOUREL

Quels sont les critères utilisés pour juger de l’arrêt d’une évolutivité lésionnelle ? Quels moyens pour évaluer le confort fonctionnel ? Quels commentaires sur le « French paradox » ?

Il n’existe malheureusement pas de critères de certitude permettant d’affirmer qu’une infection est éteinte et que l’on peut alors pratiquer le deuxième temps d’une reprise de
prothèse infectée. Le chirurgien se fonde sur un faisceau d’arguments radiologiques, cliniques mais surtout biologiques (VS, CRP). La scintigraphie aux polynucléaires marqués est peu contributive dans ces infections à bas bruit. Le deuxième temps opératoire est réalisé habituellement au bout de trois mois. Il paraît acquis que, si au bout de 6 mois les constantes biologiques ne sont pas normalisées, c’est que l’excision initiale a été insuffisante et, plutôt que de continuer l’antibiothérapie, il faut réintervenir pour exciser les tissus infectés résiduels. Le résultat fonctionnel en matière de prothèse de hanche est volontiers apprécié par la cotation de Merle d’Aubigné (douleur, mobilité, marche) qui est utilisée internationalement. L’indice fonctionnel de Lequesne est également très utilisé pour connaître les performances du patient, ainsi que d’autres indices de qualité de vie. L’appellation ‘‘ French paradox ’’ témoigne de l’étonnement des Anglosaxons devant la longévité des prothèses articulaires cimentées, publiée par certaines Ecoles d’Orthopédie françaises qui ont totalement transgressé les règles proposées par les Anglo-saxons. En effet ces derniers conseillent fortement l’utilisation d’une couche de ciment épaisse (2 à 6 mm) et continue, pour répartir uniformément les forces sur le ciment et éviter des contraintes localisées dangereuses. A l’inverse, plusieurs Ecoles françaises pensent que pour moins solliciter le ciment il vaut mieux répartir les charges entre le ciment et l’os : elles utilisent donc des prothèses très remplissantes, qui s’appuient sur l’os, et sont mécaniquement stables avant même l’utilisation du ciment, qui ne joue qu’un rôle de complément. Cette fixation ‘‘ French paradox ’’ aboutit à plus de 90 % de tiges prothétiques stables 20 ans après leur implantation.

M. Philippe VICHARD

Toutes les infections osseuses n’étant pas sensibles à la gentamycine, antibiotique largué par le ciment dans la plupart des cas, quelle technique utilise-t-il lorsque, chez un sepsis opéré, le germe responsable n’est pas identifié, est-ce la ponction systématique ? Les pertes de substances osseuses sur os infecté résultent en grande partie des gestes réalisés par le chirurgien à chaque intervention (ablation de la prothèse et de son ciment), le rôle du ciment est donc majeur dans le développement de ces pertes de substances. Dans ces conditions y a-t-il vraiment des avantages à utiliser le ciment pour fixer une prothèse itérative en cas d’infection ? D’autres gestes curatifs ne sont-ils pas suffisants ?

Il est clair que l’individualisation du germe est un élément essentiel de la stratégie opératoire et qu’il faut donc s’acharner à essayer de le retrouver par une ponction pré-opératoire, éventuellement associée à une biopsie à l’aiguille des parties molles. Vous avez raison d’évoquer les détériorations du stock osseux qui peuvent résulter de l’ablation de la précédente prothèse infectée. Ces dégâts risquent cependant d’être plus importants avec une prothèse sans ciment qu’une prothèse cimentée. Lorsque la prothèse est cimentée, on peut en effet l’extraire du ciment, et assez souvent retirer ce dernier par l’intérieur de la cavité médullaire. A l’inverse, lorsqu’une prothèse sans ciment est enchassée dans l’os, il n’y a pas d’autres solutions que d’ouvrir le fémur en bivalve, ce volet fémoral représentant une technique utile mais vulnérante. En présence d’une prothèse infectée, l’utilisation d’un ciment n’est pas indispensable s’il s’agit d’une infection peu sévère, le changement de prothèse associé à l’antibiothérapie générale permettant d’aboutir à la guérison. Mais dans les infections sévères le ciment aux antibiotiques joue un rôle adjuvant tout à fait intéressant.

M. Jean CIVATTE

N y a-t-il pas un risque de voir apparaître à terme une allergie à l’antibiotique utilisé ? Si oui, comment pourra-t-on éliminer l’agent responsable ?

Avec le ciment à la Gentamicine, il n’y a pas eu d’observation publiée d’allergie, malgré des centaines de milliers d’implantations de cet aminoside. Des intolérances ont été observées avec d’autres antibiotiques actuellement abandonnés (Néomycine, Bacitracine), amenant parfois à l’ablation des ciments. En ce qui concerne la Vancomycine, nous faisons toujours précéder son utilisation d’un test de tolérance à une dose de charge administrée par voie intra-veineuse : la moindre intolérance fait renoncer à cette utilisation.

M. Claude KENESI

Au stade de la reconstruction osseuse où l’on doit utiliser un substitut osseux, le sulfate de calcium a la réputation d’être bien toléré, même en milieu septique. Qu’en pensez-vous ?

Le sulfate de calcium est un bon vecteur de Gentamycine, mais sa résorbtion est très rapide et aboutit à peu de régénération osseuse. C’est pourquoi nous étudions depuis près d’une décennie l’association d’antibiotiques aux phosphates et aux carbonates de calcium. Nous avons pour cela dû mettre au point un modèle animal d’infection osseuse chronique. Chez l’animal, le curetage de la cavité ostéïtique et son comblement par un substitut osseux effacant l’espace mort favorisent la guérison. Dans les substituts osseux avec antibiotiques, il existe une certaine interférence entre substitut et antibiotiques, et les résultats que nous avons obtenus ne sont pas encore suffisants probants pour envisager une application clinique.

M. Jean DUBOUSSET

Lorsqu’un malade a eu la malchance d’avoir une infection sur sa prothèse, opérée, changée, nettoyée, peut-on dire qu’elle sera un jour (et quand) réellement guérie ?

Effectivement il est difficile en matière d’infection osseuse de parler de guérison et on est plutôt en présence de rémission : il n’y a plus de signe infectieux, la fonction est bonne, il n’y a pas d’ostéolyse, mais on sait que quelques germes restent en place et qu’il n’est pas impossible que l’infection redémarre au bout de plusieurs années, notamment si survient une inflammation locale par descellement mécanique. Les travaux concernant l’infection osseuse nécessitent donc un recul minimum de deux ans et souhaité de 5 ans. On sait cependant que des germes peuvent se révéler au bout de plusieurs décennies. Ceci a été notamment observé lorsque, 20 ans après des arthrites septiques de la hanche du nourrisson, on a voulu mettre en place des prothèses totales de hanche sans associer un traitement antibiotique : celles-ci se sont souvent compliquées d’infection aiguë, à un germe qu’on croyait depuis longtemps contrôlé…


* Fédération de Chirurgie Orthopédique et Traumatologique. CHU de Rennes 35056 Rennes, France. Tirés-à-part : Professeur F. LANGLAIS. Article reçu le 3 février 2004, accepté le 15 mars 2004.

Bull. Acad. Natle Méd., 2004, 188, no 6, 1011-1025, séance du 15 juin 2004