Résumé
La loi Evin contre le tabagisme a constitué un progrès important mais nécessite quelques précisions et modifications. En ce qui concerne la lutte contre la publicité, il faut une définition plus précise des actes de promotion, une aggravation des peines, une mobilisation des parquets. Il faudrait parallèlement renforcer la protection des non-fumeurs (en particulier les enfants et les femmes enceintes) sur tous les lieux publics et privés ce qui nécessite la mobilisation de tous les fonctionnaires concernés.
Summary
The Evin law was a major landmark in the fight against smoking, but further clarifications and changes are needed. A more precise definition of what types of promotion constitute indirect advertising is necessary, fines must be increased, and prosecutors mobilized. Furthermore, the protection of non-smokers (in particular children and pregnant women) must be reinforced in all public areas and the workplace, which will require the active participation of law enforcement officers and all civil servants.
La loi Evin a dix ans d’application et des évolutions s’avèrent nécessaires pour accroître l’efficacité de la prévention du tabagisme en France. Le groupe de travail propose quelques mesures :
L’INTERDICTION DE LA PUBLICITÉ
Le tabac provoque le décès de 66000 Français chaque année. La loi Veil (1976) en avait limité la publicité et mis en place les avertissements sanitaires sur les paquets de cigarettes. Les contournements par l’industrie du tabac ont conduit à la loi Evin (1991) qui interdit toute publicité, directe ou indirecte.
L’industrie contourne les lois gênant ses intérêts financiers par exemple par des promotions illégales notamment sur les lieux de vente, dans les soirées étudiantes et les boîtes de nuit. Les moyens financiers de cette industrie sont gigantesques et le niveau actuel des amendes n’est à la mesure ni des fautes ni de ces moyens.
De plus, la loi Evin prévoit une peine accessoire, l’interdiction temporaire de vente qui n’a jamais pu être appliquée à cause de sa définition restrictive.
Il est à remarquer que seules des associations (et principalement le Comité National Contre le Tabagisme) sont à l’origine des centaines de poursuites judiciaires qui ont permis de limiter grandement les publicités. Par contre, le Parquet n’a été à l’origine d’aucune d’entre elles malgré les sollicitations et demandes répétées des associations.
Propositions
Le groupe de travail recommande que soient considérées comme propagande ou une publicité interdite au sens de l’article 3511-3 :
— Toute parution ou diffusion ou utilisation d’un emblème publicitaire ou d’un signe distinctif d’une marque de tabac ou qui rappelle un produit du tabac ;
— Toute forme de promotion des ventes à destination du public à l’occasion de la distribution de tabac ou de produits du tabac ;
— Toute opération de mécénat ou de partenariat faisant apparaître le nom, la marque, le logo ou l’emblème publicitaire d’un produit du tabac, d’un fabricant, d’un producteur ou d’un distributeur de tabac ;
— Toute forme d’incitation à la consommation sur ou dans l’emballage des produits du tabac ;
— Toute forme de communication visant à tourner les interdictions de propa- gande, de publicité ou de parrainage en faveur du tabac ou des produits du tabac.
Le groupe de travail approuve le principe de l’aggravation des amendes à un niveau dissuasif (1 million d’euros au lieu de 100000 prévus dans la nouvelle version du texte).
Le groupe de travail approuve le principe d’une interdiction de vente d’un an applicable dès la première infraction.
Le groupe de travail préconise l’opportunité pour le ministère de la Justice de demander aux Parquets, par voie de circulaire, de prendre l’initiative d’actions judiciaires et d’aider les associations car on ne peut être draconien dans les peines et s’abstenir en règle générale de toute action publique.
Il serait opportun que, sollicité par une association, le Procureur de la République puisse mandater les services de police ou de gendarmerie pour constater les infractions ; en effet, actuellement, les associations ont seulement à leur disposition la désignation d’un huissier pour constater de telles infractions ce qui est pour elles source de difficultés, de lenteur et de frais.
LA PROTECTION DES NON-FUMEURS
L’exposition à la fumée de tabac gêne 75 % des non-fumeurs et 50 % des fumeurs. Elle aggrave des pathologies existantes comme l’asthme et cause 150 à 200 cancers du poumon en France chaque année et environ 2500 infarctus du myocarde mortels. C’est aussi une cause de mort subite du nourrisson.
S’ajoutent à cela des pathologies respiratoires chroniques et des otites de l’enfant. La société se doit de respecter le droit des non-fumeurs à ne pas être exposés à la fumée de tabac où que se soit, en quelque circonstance que ce soit. Ce sont 80 à 90 % des Français qui demandent à être efficacement protégés. C’est pourtant le domaine où la France est internationalement reconnue comme étant défaillante de manière visible alors même que ses progrès sont aujourd’hui reconnus en ce qui concerne l’interdiction de la publicité et l’augmentation des prix.
Le ministère du travail s’est abstenu, dans ce domaine, de toute mesure, d’application efficace de la loi Evin, allant même jusqu’à interdire illégalement par voie de circulaire qu’une entreprise puisse devenir entièrement non-fumeur par la voie du règlement intérieur. Cette position s’explique essentiellement par le peu de soutien des partenaires sociaux, voire l’hostilité de certains syndicats. Pour les mêmes raisons, sans doute, l’Education Nationale n’a publié la circulaire d’application de la loi Evin qu’après un délai de dix ans.
Les bars et restaurants sont les lieux où la loi est la plus mal appliquée ce qui nuit à la santé de leurs clients ainsi qu’à l’image de la France : plusieurs pays européens notamment mettent en place une réglementation qui interdit totalement de fumer dans les entreprises, les bars, les restaurants (Irlande, PaysBas, Suède). En France, il n’est pas rare qu’il faille traverser la zone fumeur pour atteindre la zone non-fumeur quand elle existe.
Il faut remarquer que l’Organisation Internationale du Travail a évolué sur le sujet et qu’en 2003, la Commission Internationale sur la Santé au Travail a pris une position nette en faveur de la protection des non-fumeurs.
Depuis des années, les avis divergent sur la façon d’introduire la loi Evin dans le Code du Travail même si, dès 2000, Mr. M. Long avait estimé que cela n’était pas nécessaire. L’arrêt de la Cour d’Appel de Rennes du 16 mars 2004 pourrait faire évoluer favorablement les choses sans recours législatif, puisqu’il a jugé que « la loi Evin sur le tabagisme est incluse dans le Code du Travail, dans les dispositions… du Code de la Santé Publique. » En cas de pourvoi en Cassation, il faudra environ 18 mois pour connaître la position définitive de la Cour.
En attendant, il est évident que les lois de la République doivent être appliquées en tout lieu et qu’aucune administration ne peut s’exempter de ce devoir.
Propositions
Le groupe de travail propose qu’une circulaire du ministère du travail et du ministère de la santé sur la protection des non-fumeurs préconise que soit interdite la présence des mineurs de moins de 16 ans dans les zones fumeurs et que celle des femmes enceintes y soit déconseillée. Un affichage des concentrations de polluants aériens d’origine tabagique devrait être préconisé.
Le groupe de travail estime qu’il y aurait intérêt à considérer que la loi Evin est incluse dans le Code du Travail. Il rappelle qu’au nom du devoir de protection des plus vulnérables (enfants, femmes enceintes, malades, travailleurs) la protection des travailleurs de la pollution par la fumée de tabac ne peut être étrangère à la mission de l’Inspection du Travail.
Le principe de la loi Evin est que les lieux affectés à l’usage collectif, notamment scolaires, sont non-fumeurs sauf dans les emplacements expressément aux fumeurs. L’application de la loi doit maintenir cet objectif, en particulier dans les établissements scolaires et universitaires et, en cas d’impossibilité de créer des zones physiquement séparées, les lieux doivent être non-fumeurs.
Une circulaire dans chaque ministère doit rappeler que dans tous les lieux sous sa responsabilité (hôpital, établissements scolaires, établissements des bâtiments judiciaires…) le directeur a le devoir de veiller à l’application de la loi Evin et d’en fixer des modalités d’application qui permettent la protection effective des non-fumeurs et des mineurs.
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L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 15 juin 2004, a adopté le texte de ce rapport à l’unanimité.
Bull. Acad. Natle Méd., 2004, 188, no 6, 1075-1078, séance du 15 juin 2004