Communication scientifique
Séance du 5 avril 2005

Cellules souches adultes : qui sont-elles et que font-elles ?

MOTS-CLÉS : cœur. cellule souche. différenciation cellulaire. moelle osseuse. muscles.
Adult stem cells : who are they, what do they do ?
KEY-WORDS : bone marrow. cell differenciation. heart. muscles.. stem cells

Laure Coulombel

Résumé

Nos connaissances sur les cellules souches se sont considérablement enrichies au cours de ces dernières années, parfois de manière inattendue. On sait depuis longtemps que des cellules souches assurent le renouvellement permanent des lignées hématopoiétiques, de l’intestin ou de la peau. Mais la pléïade de cellules souches et de progéniteurs récemment identifiée dans le cœur, le rein, le cerveau, et le muscle est donc une surprise. Quant à la participation des cellules hématopoïétiques à la réparation d’autres tissus, elle est remise en cause. Reste l’espoir qu’a suscité l’identification dans la moelle osseuse de cellules dites mésenchymateuses dont certaines pourraient avoir un potentiel très vaste, et qu’il faut confirmer. Les chercheurs sont donc devant un double défi : mettre un peu d’ordre dans toutes ces données enthousiasmantes, et surtout déterminer comment conférer à ces cellules souches ou progé- niteur un rôle thérapeutique dans des maladies actuellement sans solution.

Summary

Fascinating and provocative findings have shaken the stem cell research field in recent years. One unexpected discovery is the identification of stem/progenitor-like cells in many tissues with slow cellular turnover, such as heart, kidney, muscle and brain. Cells with high proliferative capacity and multilineage differentiation potential have also been described in bone marrow, although their existence needs to be confirmed. Both cell types may prove to have therapeutic potential, but research on their use for tissue repair has been rather disappointing. In addition, serious doubts have been raised concerning the transdifferentiation potential of hematopoietic stem cells, underlining the need for care when interpreting findings that question long-established concepts.

INTRODUCTION

En 1999-2000, des publications retentissantes menaçaient de bouleverser notre façon d’appréhender la biologie cellulaire : les données expérimentales étaient fondées sur un protocole très simple de transplantation médullaire syngénique chez la souris irradiée, et l’analyse quelques semaines plus tard, par des techniques essentiellement histologiques, des tissus du receveur à la recherche de cellules provenant du donneur ; l’origine donneur ou receveur des cellules était établie par la présence du chromosome Y en cas de transplantation de cellules mâles à un receveur femelle, ou l’expression d’une protéine-étiquette, βGal ou GFP (green fluorescent protein) dans les cellules du donneur, ou l’association des deux. Sur ces critères, la constatation dans de multiples tissus du receveur de cellules provenant de la moelle osseuse greffée a déclenché une explosion médiatique bien imprudente, malgré la réticence de certains [1] à admettre que des cellules isolées de la moelle osseuse, et encore plus ayant un phénotype de cellules souches hématopoïétiques, puissent se différencier aussi facilement en hépatocytes [2], ou encore en neurones, ce qui n’avait jamais été décrit, ni même envisagé [3]. Hépatocytes, neurones et CSH (cellule souche hématopoïétique) dérivent de feuillets embryonnaires différents, et les embryologistes étaient chagrinés que le dogme selon lequel des cellules dérivées d’un feuillet embryonnaire ne pouvaient pas, à l’âge adulte, adopter le destin de cellules dérivées d’un autre feuillet, soit remis en cause. Dans l’enthousiasme ambiant, d’autres données montraient que des cellules isolées du muscle [4], ou de la peau [5], voire du cerveau [6], exprimaient un potentiel hématopoïétique, ou neural. Enfin, un groupe américain identifiait dans la moelle osseuse, mais aussi dans d’autres tissus, une population de cellules souches très indifférenciées, capables de prolifération sans sénescence, et douées d’un potentiel « multi-tissulaire » finalement assez proche de celui qui est décrit pour les cellules souches embryonnaires [7]. La simultanéité de tous ces résultats suscita une révision des vieux concepts, et de grands espoirs thérapeutiques, la possibilité d’une réparation tissulaire dans des maladies dégénératives jusqu’alors incurables ou pour lesquelles seule une transplantation d’organe, dont on connaît les restrictions d’application, pouvait être proposée, semblant à portée de main. Avec deux avantages, celui d’une approche systémique, seule envisageable dans des pathologies touchant plus d’un territoire, et qui plus est en situation autologue, le patient étant son propre pourvoyeur de cellules réparatrices.

Cinq ans après, la situation s’est beaucoup clarifiée, et finalement la révolution conceptuelle ne s’est pas confirmée. Beaucoup parmi les observations initiales étaient justes, mais leur interprétation erronée, quelques-unes étaient malgré tout artéfactuelles ; outre la pression médiatique qui pousse aujourd’hui à ériger en vérité définitive des observations préliminaires peu documentées, l’absence de prise en compte de « réalités biologiques » a pu aussi expliquer la confusion. Deux sont particulièrement intéressantes à souligner : — l’hétérogénéité tissulaire ; comme nous le détaillons ci-dessous pour trois organes, plusieurs populations coexistent
dans un tissu, qui ont un phénotype et une origine divers, dont un contingent de cellules circulantes, puisqu’il est impossible de se débarrasser du compartiment vasculaire irriguant un tissu, sauf à travailler à l’échelon clonal, une seule fibre musculaire par exemple ou une seule CSH. On peut donc trouver dans un muscle des cellules souches hématopoïétiques voisinant avec des cellules satellites, et, dans la moelle osseuse le terme « cellule souche médullaire » n’a aucun sens puisque la moelle osseuse contient des CSH mais aussi des cellules souches mésenchymateuses.

— L’utilisation de critères purement phénotypiques, établis par des techniques immunohistochimiques, est insuffisante pour caractériser une cellule et en déduire son potentiel. La répétition des expériences avec des techniques génétiques indiscutables ( système cre-lox ) permettant de suivre le destin cellulaire in vivo a infirmé les conclusions initiales prêtant aux CSH un potentiel (hépatocytaire, neural) qu’elles n’ont pas [8], confirmé la fréquence des artéfacts (superposition cellulaire, anticorps non-spécifiques), et identifié le mécanisme de fusion cellulaire ; même si elle est réelle, la seule expression de marqueurs phénotypiques ne signe donc pas l’existence du potentiel biologique correspondant, et ne doit pas remplacer l’analyse de la fonction cellulaire in vivo , aussi difficile soit-elle. — Corollaire de ces rectifications, les termes de plasticité, et de transdifférenciation, dont l’utilisation a toujours hérissé certains, n’ont pas de justification : toute cellule souche est par définition plastique ; quant à la transdifférenciation, si ce terme désigne un processus très précis et démontré expérimentalement chez la drosophile [9], ce n’est pas le cas jusqu’à maintenant chez l’homme.

Néanmoins, ce bouillonnement scientifique a produit des observations très importantes, et élargi hors du système hématopoïétique, qui en avait presque l’exclusivité, notre réflexion sur le fonctionnement des cellules souches, même si (mal)heureusement elles ne nous laissent aucun espoir d’immortalité. Plusieurs faits demeurent :

— l’identification dans beaucoup de tissus adultes de plusieurs catégories de cellules souches-progéniteurs participant à la régénération de l’organe, et se distribuant probablement selon une hiérarchie ontogénique, et dont la fonction commence seulement à être abordée ; — la mise en évidence d’un processus de fusion cellulaire aboutissant à une reprogrammation nucléaire somatique ; — les interrogations sur l’existence de cellules souches multi-tissulaires proches par l’étendue de leur potentiel de cellules souches embryonnaires ; — le bien-fondé des approches nouvelles de thérapie cellulaire utilisant notamment des cellules souches mésenchymateuses en pathologie osseuse, des progéniteurs endothéliaux et musculaires en pathologie vasculaire [10, 11, 12].

QUE SONT-ELLES ET QUE FONT-ELLES ?

Critères de définition

Il y a maintenant consensus sur ce sujet : une cellule souche ne peut se définir que fonctionnellement, par sa capacité à produire, de façon prolongée, des cellules
différenciées fonctionnelles. Autorenouvellement et multipotence sont généralement présents, mais le premier terme est un peu « théorique », car il est impossible de démontrer l’identité moléculaire de la cellule mère et de la cellule fille, et souvent confondu avec la capacité de prolifération qu’on lui préférera [13]. Une difficulté est de savoir si l’on considère suffisant pour identifier une cellule souche de démontrer son potentiel de différenciation in vitro , ou s’il faut y associer une confirmation fonctionnelle in vivo . Il n’y a pas toujours de parallélisme : pas tant pour les cellules souches hématopoïétiques, dont le comportement in vitro et in vivo est très similaire, mais il n’en est pas du tout de même pour les cellules souches et les progéniteurs du SNC, qui in vitro prolifèrent sous la forme de neurosphères qui n’ont aucun équivalent in vivo [14] ; ou encore pour les cellules mésenchymateuses, très bien caractérisées in vitro mais dont le statut de cellule souche est flou et la fonction in vivo très mal connue [15]. Soulignons aussi que dans le cas de cellules souches neurales, il faut distinguer une multipotence « cellulaire », production par des cellules de neurosphères des trois types oligodendrocytes, astrocytes, et neurones, d’une multipotence fonctionnelle qui assurerait la diversité de circuits neuronaux in vivo . La distinction est importante dès que l’on envisage une application thérapeutique.

Surtout, on ne peut conclure sur le caractère cellule souche que si l’analyse est faite à l’échelon clonal sur cellules uniques, ce qui est une contrainte parfois insurmontable expérimentalement [16]. En l’absence d’analyse clonale, et compte tenu de l’impossibilité de purifier à homogénéité des cellules souches, on ne peut pas en effet juger du potentiel multiple ou restreint des cellules isolées sur des critères uniquement phénotypiques. Cette grande hétérogénéité cellulaire explique aussi le peu d’informations émanant des analyses de transcriptome, et l’absence de signature moléculaire spécifique de ce type de cellules, qui ne se distinguent de leur descendance plus mature que par l’activation de certaines familles de gènes [17, 18].

Communauté de marqueurs phénotypiques et fonctionnels.

La rareté des populations de cellules souches/progéniteurs impose un enrichissement préalable de ces populations. Une première étape facile est leur séparation de précurseurs plus matures exprimant des marqueurs de différenciation (ce que signifie l’appellation « lineage-negative », ou Lin-) ; leur sélection « positive » est facilitée pas leur partage de certains antigènes de surface, même si ceux-ci ne sont pas spécifiques à proprement parler des cellules souches. C’est le cas de Sca-1, c-kit, CD133, ou CD34 chez la souris [19, 20]. Mais la variabilité d’expression de ces antigènes avec l’état d’activation des cellules les rend d’utilisation aléatoire [12].

L’expulsion du colorant vital de l’ADN Hoechst, qui définit une petite population (SP pour side population ) lorsque les cellules sont analysées dans deux longueurs d’onde d’émission de fluorescence, semble également caractéristique [21]. Elle est corrélée à l’expression de transporteurs ABC ( ATP binding cassette), en particulier

Abcg2/bcrp1. Dans certains organes (peau, intestin) cependant, aucun marqueur ne permet d’isoler des populations de cellules souches/progéniteurs, ou ils sont trop peu
spécifiques (c’est le cas des intégrines dans l’épiderme) [22]. Dans ce cas, on tire parti de leur relative quiescence (ou du ralentissement de leur cycle cellulaire) que traduit la rétention du BrdU qui s’incorpore dans l’ADN ( label-retaining cells , LRC) en phase de réplication. Ces analyses du cycle ont également permis de décrire plusieurs populations de progéniteurs dans l’épiderme [23] et au fond des cryptes intestinales.

Que font-elles ?

La réponse à cette question est aujourd’hui un problème difficile, car elle requiert des modèles expérimentaux adéquats, que ce soit in vitro ou in vivo ; leur objectif est d’offrir aux cellules présumées « souches » tout l’environnement nécessaire à leur prolifération et à l’expression de tous les potentiels de différenciation qu’elles sont susceptibles d’exprimer. Cette exigence n’est que très rarement satisfaite in vitro , essentiellement parce que nous sommes incapables de recréer au laboratoire la complexité des interactions cellulaires et moléculaires qui prévalent in vivo . Avec ce risque aussi dans ces situations de culture très artéfactuelles, d’induire l’expression « aberrante » de marqueurs de différenciation sur une cellule qui n’a pas le potentiel fonctionnel correspondant. C’est particulièrement vrai de marqueurs des cellules neurales. Par exemple, les équipes de M. Dubois-Dalcq et d’A. Cumano ont démontré l’acquisition in vitro de marqueurs astrocytaires (GFAP, glial fibrillar acidic protein ) et neuronaux (βIIItubuline) par les cellules hématopoïétiques de l’AGM ( aorta gonad mesonephros ) d’embryons de souris, ces cellules étant incapables in vivo d’exercer les programmes fonctionnels correspondants [24]. On sait également que des transcrits musculaires ou neuraux ont été décrits dans des CSH, qui n’ont aucune valeur fonctionnelle, et peuvent tenir à l’extrême sensibilité des techniques actuelles.

Les modèles in vivo sont certainement plus convaincants pour juger d’un potentiel fonctionnel, mais plus contraignants ; encore faut-il qu’ils existent : la greffe de moelle osseuse chez la souris, voire dans un modèle chimérique homme-souris, offre depuis longtemps un outil incomparable aux hématologistes par sa similitude avec la reconstitution hématologique telle qu’elle fonctionne physiologiquement chez l’homme, mais il est unique, et les modèles permettant de tester le potentiel de réparation cardiaque, hépatique ou musculaire sont encore imparfaits. Il est inté- ressant de souligner deux paramètres importants : la voie d’injection de cellules à tester, par voie intraveineuse ou par voie intratissulaire directe, la première faisant intervenir les propriétés de migration ; la seconde a trait au processus d’« organogenèse » et à l’importance des biomatériaux utilisés comme substrats facilitant l’arrimage et la croissance de ces cellules et qui en eux-mêmes peuvent influencer la différenciation des cellules souches. C’est certainement une voie de recherche essentielle de ces prochaines années.

UN FOISONNEMENT DE CELLULES SOUCHES TISSULAIRES

L’exemple de la moelle osseuse, du muscle et du cœur

Dans la moelle osseuse, il y a deux lignées (au moins) de cellules souches/ progéniteurs, hématopoïétiques et mésenchymateuses [25], ayant des destinées très différentes, et organisées en une hiérarchie de cellules aux potentiels variés (figure 1).

Il y a plus de vingt ans que les progéniteurs hématopoïétiques ont été « classés » selon une hiérarchie tenant compte de la restriction progressive de leur potentiel, depuis les cellules souches multipotentes ancestrales capables de reconstituer à long-terme l’ensemble des lignées hématopoïétiques d’un animal irradié, jusqu’aux précurseurs monopotents. Une organisation identique semble se dessiner pour les cellules souches mésenchymateuses, sur la base de leur capacité de prolifération qui est en effet très hétérogène : si certaines sont capables de 150 doublements de population (DP) sans perte de potentiel, d’autres entreront en sénescence au bout de deux passages [26]. Leur potentiel de différenciation en ostéoblastes et chondroblastes ne fait aucun doute, et est même exploité en thérapeutique, mais leur participation à d’autres lignées, musculaire en particulier, et surtout neurale, est controversée.

Se pose aussi la question de leur filiation avec une catégorie de cellules souches récemment décrites dans la moelle osseuse ou le sang de cordon sous diverses appellations (MAPC multipotent adult progenitor cell, USSC unrestricted somatic stem cell , …..) [7, 27, 28], et auxquelles certaines études récentes prêtent un potentiel quasi-illimité ; il est important de donner rapidement une réponse claire à cette question, car l’existence même de ces cellules « multi-tissulaires » de type MAPC est incertaine, seule une équipe au monde étant capable de les cultiver [7] ; il serait essentiel que les différentes populations isolées soient comparées dans une même étude.

Dans le foie, le muscle, le cœur, et le pancréas, plusieurs populations de progéniteurs ont été isolées indépendamment, et sont capables à des degrés divers de produire les cellules différenciées du tissu correspondant. Dans le cas du cœur ou du muscle, ces populations ont été purifiées sur l’expression (ou l’absence) de multiples antigènes de surface, ou encore sur la propriété d’exclusion du colorant Hoechst (voir ci-dessus). Cette multiplicité a été une source de confusion importante et de controverses et ce pour plusieurs raisons : — les différents laboratoires confrontant rarement leurs données, il existe peut-être un certain recouvrement entre ces populations ; — il est difficile de déterminer l’origine exacte des cellules, intrinsèque aux tissus, ou migrant, via la vascularisation, à partir d’un autre organe. Résoudre cette question nécessite de pouvoir distinguer les deux sources, d’où l’importance de l’utilisation de gènes rapporteurs contrôlés par des promoteurs spécifiques de tissus, ce que permet aujourd’hui le système cre-lox. — L’absence, dans les expériences initiales, d’analyse à l’échelon unicellulaire des populations isolées, et/ou de promoteurs spécifiques a pu conférer à tort un potentiel musculaire ou de cardiomyocyte, par exemple, à des cellules hématopoïétiques qui en sont dépourvues. — Enfin,

FIG. 1 — Populations de cellules souches et progéniteurs présents dans la moelle osseuse adulte.

MAPC : multipotent adult progenitor cell (ref [7]) ; CS : cellule souche.

comme il a été souligné ci-dessus, l’utilisation de tests robustes et spécifiques, in vivo , est essentielle à la caractérisation du potentiel.

Dans le muscle par exemple (figure 2), on distingue les cellules purement myogéniques, les cellules satellites, correspondant plutôt à des progéniteurs qu’à des cellules souches : leur potentiel décroît avec l’âge, et elles n’ont pas d’autre potentiel que musculaire, mais elles assurent l’essentiel de la réparation musculaire [29, 30].

D’autres populations cellulaires de localisation interstitielle ou associée aux fibres, sont également présentes : elles ont une origine médullaire et aurait un potentiel myogénique très restreint, ne contribuant que pour une part infime à une régénération musculaire et uniquement en réponse à des stimulus post-lésionnels [31] ; Enfin, on trouve aussi dans les préparations musculaires, des cellules souches et des précurseurs hématopoïétiques, monocytes par exemple, provenant de la circulation et qu’il est difficile d’exclure lors de la purification [20]. Dans le cœur, une telle hétérogénéité a aussi été décrite, associant « cardioblastes » dont le destin est restreint à la production de cardiomyocytes, et cellules de potentiel plus large et de phénotype différent [19] (figure 3). Peut-être certaines populations se superposentelles, mais chacune ayant été identifiée par un laboratoire différent, et aucun laboratoire ne prenant la peine de comparer sa population à celle décrite par une autre équipe, souvent concurrente, la filiation est difficile à établir.

FIG. 2 — Populations cellulaires isolées à partir d’un muscle squelettique. À gauche de la figure, la voie principale de réparation musculaire (flèches épaisses) constituée par les cellules satellites, qui prolifèrent sous forme de myoblastes mononucléés et refusionnent en fibres musculaires. À droite, diverses populations ayant pour origine la moelle oseuse, ayant migré via la vascularisation dans le muscle, et dont certaines peuvent occuper les niches le long des fibres, et participer à la réparation musculaire mais de façon minime (flèche fine), et uniquement si elles sont stimulées par une lésion musculaire (d’après les données de la ref [20]). Beaucoup de populations n’ont aucun potentiel musculaire (flèches barrées par une croix).

FUSION CELLULAIRE

Certaines observations initialement mises au crédit du potentiel insoupçonné de cellules souches hématopoïétiques résultent en fait de la survenue d’une fusion cytoplasmique et parfois nucléaire entre des cellules de type myélo-monocytaire [32, 33], donc d’origine hématopoïétique, et des cellules résidant dans le tissu concerné.

Ce processus (figure 4) explique la correction du déficit hépatique des souris tyrosinémiques après greffe de cellules souches hématopoïétiques, et l’observation de cellules de Purkinje, de cardiomyocytes, ou encore de cellules épithéliales [34] exprimant des marqueurs de la moelle osseuse transplantée [35]. La survenue d’une fusion cellulaire n’est pas facile à identifier, car il peut y avoir une mitose réductionnelle après la fusion, ce qui masque le caractère tétraploïde des cellules. Cette polyploïdie était passée initialement inaperçue à l’examen histologique, et c’est l’utilisation du système cre-lox, ou l’expression de la recombinase cre qui était sous le contrôle d’un promoteur hématopoïétique, et le gène rapporteur flanqué de sites lox,

FIG. 3 — Diverses populations cellulaires isolées du cœur. Les populations ont été isolées sur la présence de marqueurs phénotypiques et/ou d’exclusion du Hoechst, et leur potentiel de différenciation analysé in vitro et parfois in vivo (d’après les données de la ref [19]).

qui a permis d’identifier avec certitude des hépatocytes « bleu » ou « vert » (selon la nature du gène rapporteur, lacz ou GFP ). Dans ces cas de fusion, il y a de fait une reprogrammation de la cellule monocytaire par l’environnement de la cellule hôte, qui, dans le cas des souris FAH-/- corrigeait le déficit ; mais cette reprogrammation est souvent incomplète, et dans le cas par exemple des cardiomyocytes de souris déficitaires en sarcoglycane greffées avec des cellules médullaires, la fusion n’entraîne pas la synthèse de cette protéine [36]. Sans préjuger d’une utilisation thérapeutique, peut-être dangereuse en raison de l’instabilité génétique de ces hybrides, ce processus est un outil intéressant pour analyser le processus de reprogrammation.

CE QUE CACHENT LES MOTS : À PROPOS DE PLASTICITÉ ET DE TRANSDIFFÉRENCIATION

Le terme de plasticité appliqué aux cellules souches est un pléonasme, puisqu’une de leurs caractéristiques principales est d’avoir encore de multiples choix de différenciation, induits puis exécutés en fonction des signaux de l’environnement.

Quant à la transdifférenciation, stricto sensu , elle désigne la possibilité qu’aurait une cellule déjà engagée dans une voie de différenciation de changer de cap et

FIG. 4 — Illustration schématique du processus de fusion cellulaire aboutissant à la correction du déficit des souris tyrosinémiques.

d’emprunter une autre route ; il y a plusieurs exemples de ce processus chez la drosophile, ou la salamandre [37]. Dans ces deux espèces, il peut y avoir un processus de dédifférenciation des cellules précédant leur engagement dans une nouvelle voie.

Ce terme est proche de celui de « transdétermination » qui est utilisé pour désigner ce processus dans le disque imaginal de la drosophile [9]. Mais il n’y a pas d’équivalent démontré avec certitude chez l’homme. Peut-être la formation en culture sous l’action de puissantes cytokines de neurosphères traduit-elle une certaine forme de dédifférenciation (figure 5) [14].

Le terme « transdifférenciation », dans son sens médiatique, sous-entend la possibilité, évoquée au vu des expériences initiales, pour une cellule souche hématopoïé- tique de participer à la production de cellules tissulaires non hématopoïétiques ;

l’analyse de la distribution de la descendance de cellules souches hématopoïétiques greffées individuellement à des souris receveuses irradiés, ou après des expériences de parabiose transitoire, montre que c’est en fait très peu probable ; un consensus existe maintenant sur le fait qu’à l’état d’équilibre, les cellules souches hématopoïé- tiques ne produisent que des cellules myéloïdes et lymphoïdes, mais pas de cellules musculaires ni de cardiomyocytes, et encore moins de neurones. Cela n’exclut pas que certains transcrits moléculaires, facteurs de transcription par exemple, de tissus non hématopoïétiques, puissent être détectés « à bas bruit » dans ces cellules ; les

FIG. 5 — Illustration schématique des procesus de plasticité, transdétermination et transdifférenciation. La plasticité est intrinsèque à la définition d’une cellule souche multipotente ; les processus de transdétermination et transdifférenciation ont été décrits prouvés expérimentalement lors de la régénération du disque imaginal de la drosophile (ref [9]), et la dédifférenciation suivie de re-différenciation lors de la régénération du membre de salamandre (ref [37]).

CSH peuvent aussi résider dans d’autres tissus que la moelle osseuse, et y acquérir probablement certains marqueurs phénotypiques caractéristiques de ces tissus si l’environnement tissulaire (cytokines, chimiokines, molécules de contact) est approprié [38] ; la survenue par exemple d’une lésion, musculaire ou hépatique, serait particulièrement propice à une telle induction. Par exemple, in vitro , de rares CSH cultivées au contact de fragments de foie lésé acquièrent un phénotype hépatocytaire [38]. Mais cette expression ne signifie pas que le programme de différenciation hépatocytaire complet, tel qu’il est requis pour une fonction normale du tissu, puisse être réalisé.

PERSPECTIVES

Peu d’applications thérapeutiques immédiates émergent aujourd’hui de ces recherches ; même si l’intérêt théorique reste évident, et que ces dernières années ont été d’une richesse expérimentale exceptionnelle, il faudra beaucoup de travail « à la paillasse » avant les cellules souches médicaments. Clarifier le rôle des multiples cellules souches/progéniteurs récemment identifiées dans les tissus, confirmer ou
infirmer l’existence de cellules mésenchymateuses « pluripotentes » (dans le sens embryologique du terme), affiner les modèles in vitro de différenciation, imaginer des modèles in vivo à long terme sont parmi les questions importantes à aborder. Il est possible qu’on s’aperçoive que dans certaines indications, il est plus efficace de stimuler in situ la fonction de ces cellules que de vouloir les isoler et les amplifier ex vivo au laboratoire. Dans cette optique, deux autres voies de recherche moins médiatiques, sont tout aussi importantes : l’une consiste à décrypter la complexité des signaux de la niche tissulaire [39] qui contrôlent leur prolifération et leur engagement dans une lignée de différenciation, l’autre à comprendre pourquoi les cellules souches vieillissent, ce qui nous donne des cheveux blancs [40], et si, comme le suggère un article récent [41], elles pourraient retrouver l’allant de leur jeunesse.

Cette tâche peut nous être facilitée par l’étude de très lointains cousins, comme la drosophile, la salamandre ou l’hydre d’eau douce, qui, eux, régénèrent leurs tissus par des processus de dé-différenciation et de trans-différenciation [42].

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DISCUSSION

M. Jacques BATTIN

Que sait-on sur les télomères des cellules souches et de l’activité télomérase, sachant leurs rapports avec la division cellulaire ?

Il est très difficile de mesurer la longueur des télomères de cellules souches puisqu’il est impossible de purifier ces cellules à homogénéité et que si l’on peut les enrichir, leur nombre est très faible. Cela dit, IL. Weismman a publié une telle étude et montré que chez la souris, les télomères des cellules souches chez le fœtus sont plus longs que ceux des cellules souches d’animaux adultes.

M. Georges DAVID

Ma question a trait à la distinction entre les deux processus obligatoires pour envisager une utilisation thérapeutique : multiplication et différenciation. Dans le cas des cellules souches embryonnaires, ces deux processus sont bien chronologiquement distincts : la phase de multiplication exige un environnement particulier obtenu à partir de cellules nourricières ou de cytokines, puis la phase de différenciation exige d’autres cytokines. En est-il de même pour les cellules souches adultes ?

Il faut distinguer deux types de comportement parmi les cellules souches adultes : les cellules souches hématopoïétiques (CSH) pour lesquelles prolifération et différenciation sont deux propriétés très étroitement couplées. Une CSH qui se divise, sous l’effet de
cytokines, va automatiquement se différencier. Il n’est donc pas possible d’amplifier le nombre de CSH, comme on peut le faire pour les cellules embryonnaires ES. En revanche, de ce point de vue, une cellule souche mésenchymateuse, issue de la moelle osseuse également, va se comporter comme une cellule ES : sous l’effet de facteurs de croissance, elle se multiplie sans se différencier ; l’expérimentateur peut décider d’engager la différenciation de ces cellules dans une voie ostéoblastique par exemple, en changeant le milieu de culture. Les cellules vont alors perdre leur caractère indifférencié et s’engager vers la voie ostéoblastique. Un troisième exemple est celui des cellules souches neurales qui forment des neurosphères, et ont un comportement très proche de celui des cellules ES, avec deux étapes bien distinctes, prolifération, puis différenciation.

M. Jacques-Louis BINET

Je voudrais être sûr que ma question soit différente de celle de Georges David : pour la cellule souche « canonique » hématopoïétique, la multiplication s’accompagne-t-elle toujours d’une différenciation ? Peut-on cultiver ces cellules souches sans les différencier ?

Comme je le disais en réponse à Monsieur David, la réponse est non ; les CSH qui se multiplient perdent progressivement leur potentiel.On ne peut pas multiplier à l’infini les CSH en culture. On peut même dire que si des CSH prolifèrent sans se différencier, c’est un tableau « leucémique ». Cela dit, il faut souligner le risque potentiel d’utilisation thérapeutique de cellules, qui proliféreraient de façon incontrôlée : on sait que les cellules ES donnent des tératomes lorsqu’elles sont greffées en sous cutané à des receveurs, et il faudrait sûrement être prudent dans l’utilisation de certaines cellules mésenchymateuses, ou cellules de neurosphères si leur utilisation était envisagée M. Jean-Daniel SRAER

Dans les hépatites graves, existe-t-il des preuves de la présence de cellules souches dans le foie régénéré ? Si oui, pourquoi ne pas les traiter par greffe de moelle ?

Le problème du foie est très particulier : les hépatocytes sont eux-mêmes capables de régénérer l’organe et ce d’une façon extrêmement efficace. En quelque sorte on pourrait les qualifier de « cellules souches » car ils répondent à la définition fonctionnelle de cellules souches (capacité à régénérer les cellules différenciées d’un organe). Si les hépatocytes ne sont pas fonctionnels, le relais peut être pris par d’autres cellules, les cellules ovales, que certains considèrent comme les cellules souches hépatiques, et qui sont bipotentes (cholangiocytes et hépatocytes). En revanche, il n’y a pas d’arguments solides pour penser que des cellules souches issues de la moelle osseuse (qu’elles soient hématopoiétiques ou mésenchymateuses) participent de façon efficace à la régénération hépatique in vivo hormis par un processus de fusion. La greffe de moelle n’est sûrement pas une approche thérapeutique envisageable.

M. Christian NEZELOF

Comment peut-on expliquer que des cellules souches embryonnaires maintenues en lignées cellulaires permanentes (N.I.H.) échappent à la différenciation ?

Dans le cas des cellules souches embryonnaires, comme dans celui des cellules souches mésenchymateuses, l’état indifférencié est maintenu tant que des facteurs de croissance sont présents dans le milieu de culture : LIF pour les cellules ES murines, EGF et FGF pour les cellules de neurosphères, PDGF pour les cellules mésenchymateuses par exemple. Ces facteurs et les signaux de transduction qu’ils déclenchent en aval permettent l’expression de gènes, identifiés ces dernières années, et qui sont impliqués dans cet état d’« autorenouvellement », parfois en réprimant des gènes de différenciation (c’est le cas de la voie Notch par exemple).


* Inserm U421 — Faculté de médecine, 8 rue du général Sarrail — 94010 Créteil. Tirés-à-part : Docteur Laure COULOMBEL, même adresse. Article reçu et accepté le 21 mars 2005.

Bull. Acad. Natle Méd., 2005, 189, no 4, 589-604, séance du 5 avril 2005