Communication scientifique
Séance du 27 juin 2006

Cardiomyopathies dilatées d’origine rythmique

MOTS-CLÉS : cardiomyopathie dilatee. insuffisance cardiaque. tachycardie.. troubles du rythme cardiaque
Arrhythmia-induced dilated cardiomyopathies
KEY-WORDS : arrhythmia. cardiomyopathy, dilated. heart failure, congestive. tachycardia.

Jean-Paul Bounhoure, Serge Boveda, Jean-Paul Albenque

Résumé

Les cardiomyopathies rythmiques se définissent comme des dysfonctions ventriculaires secondaires à une tachycardie prolongée ou chronique donnant un tableau d’insuffisance cardiaque totalement réversible après traitement de la tachycardie et la restauration du rythme sinusal. Depuis la première description du modèle expérimental par Whipple, plusieurs laboratoires ont montré qu’une stimulation auriculaire ou ventriculaire à une fréquence supérieure à 220 par minute réduit la performance ventriculaire et induit des anomalies métaboliques, électrophysiologiques et anatomiques du myocarde. La régression de l’insuffisance cardiaque débute dès les premiers jours après la correction de l’arythmie mais peut demander en clinique plusieurs semaines ou mois. Toutes les tachycardies prolongées peuvent entraîner l’apparition d’une insuffisance cardiaque mais la charge fréquentielle et la durée de l’arythmie causale sont plus importants que son type. Les mécanismes physiopathologiques sont complexes et encore discutés. Le diagnostic d’une authentique cardiomyopathie rythmique est essentiellement rétrospectif, fondé sur la récupération de la fonction ventriculaire. L’ablation sélective par radiofréquence du substrat arythmogène et ou pour les fibrillations auriculaires la modification par radiofréquence de la conduction auriculoventriculaire sont les traitements de choix.

Summary

Arrhythmic cardiomyopathies are due to ventricular dysfunction following prolonged or chronic tachycardia ; the clinical picture s one of congestive heart failure, which is totally reversible after the treatment of tachycardia and the restoration of sinus rhythm. Since Whipple’s first description of this model of heart failure, several teams have shown that ventricular or atrial pacing at rates exceeding 220 beats per minute produces a profound and largely reversible depression of ventricular function, and a constellation of neuroendocrine abnormalities and metabolic, electrophysiological and anatomic alterations of the myocardium. The associated heart failure generally starts to improve within days of achieving ventricular rhythm control, but clinical recovery may take several weeks or months. All forms of chronic tachycardia may induce heart failure, but the onset of cardiomyopathy depends more on the heart rate and the duration of the arrhythmia than on its type. The pathophysiological mechanisms are multiple and complex, and include abnormalities in the structure and function of cardiomyocytes and disturbances in excitation-contraction coupling. Treatment consists of restoring and maintaining sinus rhythm, or at least of controlling the ventricular rate. Because of its curative effect, selective radiofrequency ablation is the treatment of choice when the arrhythmogenic substrate is localized. Control of the ventricular rate by radiofrequency modification of atrioventricular conduction is the treatment of choice for chronic atrial fibrillation.

Les cardiologues portent actuellement beaucoup d’intérêt aux dysfonctions ventriculaires réversibles induites par les tachycardies prolongées ou chroniques. Ces cardiomyopathies rythmiques ont été étudiées dans des modèles expérimentaux et décrites chez l’homme au cours des tachycardies supraventriculaires incessantes, des fibrillations auriculaires rapides et plus rarement au cours des tachycardies ventriculaires. Décrites au début du siècle par Gossange, puis mieux analysées par Philips et Levine, leurs conséquences hémodynamiques et électrophysiologiques furent bien précisées avec la mise au point d’un modèle expérimental par Whipple et son équipe [1-3]. Le diagnostic différentiel avec une arythmie compliquant une cardiomyopathie primitive est toujours difficile, seulement fondé sur le caractère régressif de la dysfonction ventriculaire et l’absence de tout antécédent cardiaque avant l’installation de la tachycardie. La récupération de la fonction ventriculaire gauche après la réduction de l’arythmie demeure finalement la base du diagnostic et permet d’authentifier l’étiologie purement rythmique de la cardiomyopathie. Les études expérimentales fondées sur la stimulation cardiaque rapide et prolongée ont précisé le rôle délétère de la tachycardie sur les réserves énergétiques myocardiques, le débit coronaire, les mouvements calciques et la fonction ventriculaire gauche [4, 5]. Mais les altérations myocardiques sont-elles purement fonctionnelles, totalement réversibles ou laissent-elles des séquelles ? Le plus souvent l’exploration électrophysiologique permet d’identifier avec précision le trouble rythmique et de réaliser dans le même temps l’ablation par radiofréquence du substrat arythmogène. Malgré de nombreuses études expérimentales, les mécanismes en cause dans l’origine de ces cardiomyopathies sont complexes et demeurent controversés.

Définition

Les cardiomyopathies rythmiques peuvent se définir comme l’ensemble des altérations hémodynamiques, électrophysiologiques, métaboliques et anatomiques induites par une tachycardie chronique. Trois critères son exigés pour le diagnostic :

l’absence d’anomalie cardiaque avant la survenue du trouble rythmique, l’altération progressive de la fonction ventriculaire après le début de l’arythmie, la régression de la dysfonction après contrôle du rythme.

Fenelon et coll. proposent de les classer en deux groupes : les formes pures, lorsque l’arythmie survient sur un cœur considéré comme parfaitement normal, le recul permettant d’affirmer l’origine rythmique de la dysfonction ventriculaire et les formes impures, frontières, la tachycardie ou l’arythmie décompensant rapidement une cardiomyopathie latente, méconnue [6]. Plus rapide est le rythme ventriculaire, plus précoce et grave sera la dysfonction cardiaque. La récupération après traitement spécifique peut être totale, rapide ou différée, en fonction de la durée de la tachycardie et de l’état myocardique antérieur. Seul le recul et un bilan échographique ou hémodynamique permettront d’authentifier l’étiologie purement rythmique de l’insuffisance cardiaque.

Physiopathologie

Études expérimentales

Dès 1960 Whipple et coll . ont proposé plusieurs modèles expérimentaux. Le chien est l’animal de choix et après implantation d’un stimulateur, on a évalué les effets sur la fonction cardiaque d’une stimulation ventriculaire rapide selon le mode VVI à 240- 280 /min maintenue pendant deux à quatre semaines [3-6]. Les auteurs ont aussi étudié les conséquences de la stimulation rapide et prolongée des oreillettes, mais la conduction décrémentielle du nœud auriculo-ventriculaire limite un entraînement ventriculaire à haute fréquence et une réponse ventriculaire 1/1. Une stimulation prolongée à fréquence élevée altère la fonction ventriculaire aussi bien systolique que diastolique. Lorsque la stimulation ventriculaire même très rapide est intermittente elle s’avère moins délétère qu’une stimulation prolongée. La tachycardie induit en quelques jours une dilatation ventriculaire avec amincissement pariétal, des anomalies de la géométrie ventriculaire avec dilatation annulaire, et une insuffisance mitrale fonctionnelle par désalignement des piliers. Le tableau hémodynamique associe à la diminution du débit cardiaque, une élévation des pressions de remplissage, des pressions pulmonaires et des anomalies de la relaxation. On constate une diminution de la contractilité avec réduction de 50 % du pic dp/dt, une diminution de la réserve contractile jugée sur la réponse aux agents inotropes positifs [7-9]. Les propriétés élastiques du ventricule sont altérées augmentant la dépense d’énergie et affectant la fonction diastolique et l’influx mitral. Dès qu’apparaissent les altérations hémodynamiques les concentrations plasmatiques de catécholamines de facteur natriurétique auriculaire s’élèvent, l’activation du système rénine angiotensine aldostérone et l’augmentation des taux d’endothéline ET-1 étant plus tardives [10].

Aux perturbations hémodynamiques s’associent des modifications électrophysiologiques : les cellules myocardiques des animaux présentant une insuffisance cardiaque d’origine rythmique ont un potentiel de repos moins négatif, une pente de dépolarisation rapide (phase 0) moins marquée, une durée du potentiel d’action plus

TABLEAU I Patients Age Cl NYHA Arythmie Ancienneté FE avant FE après T.R mois % % 28 II T.J.

6-8 37 52 1 2 32 II-III T.J.

12 38 47 3 38 II-III TA ?

34 48 4 35 II TJ 12-16 36 50 5 27 II-III TJ ?

37 52 6 44 III FA/FL 6 35 44 7 24 TV 1 36 45 8 38 II TJ 48 40 55 Abréviations TR : trouble du rythme. F.E. : fraction d’éjection. TJ : tachycardie jonctionnelle. TA : tachycardie atriale. FA : fribrillation auriculaire. TV : Tachycardie ventriculaire.

longue que celles des myocytes des animaux témoins. L’hétérogénéité électrique qui survient au sein de ce myocarde hypertrophié est associée à des anomalies de la repolarisation, à une prolongation de l’intervalle QTc, une réduction de la dispersion spatiale de la repolarisation. Etudiant un modèle canin de cardiomyopathie tachycardique pour analyser les facteurs prédisposants à une mort subite, Pak souligne l’importance de la désynchronisation de la repolarisation [11]. Sur le plan anatomique Mukherjee et col . ont décrit les lésions histologiques crées par une tachycardie prolongée [12]. Comme dans les cardiomyopathies dilatées humaines on note un remodelage ventriculaire probablement favorisé par l’activation du système rénine angiotensine tissulaire. Il apparaît des altérations architecturales au niveau des myofibrilles et de la matrice collagène, des altérations du cytosquelette myocytaire, avec morcellement et perte d’alignement des myofibrilles, des modifications mitochondriales. Des zones de fibrose interstitielle sont associées aux anomalies de structure et de distribution des protéines du cytosquelette [12-15].

Mécanismes physiopathologiques proposés

Altération de la régulation adrénergique

Les anomalies de la régulation adrénergique sont précoces au cours de la stimulation ventriculaire prolongée. L’activation sympathique et une downrégulation des béta récepteurs, une activité de l’adenylate cyclase diminuée contribuent à la dysfonction ventriculaire. Les altérations de la voie de transduction du signal bétaadrénergique ont été mises en évidence chez les différents modèles animaux à des phases plus ou moins précoces de la stimulation. La diminution de la production
d’acide monophosphorique cyclique (AMPc)est associée à une diminution de la densité des récepteurs béta 1 et de leur acide ribo nucléique messager. Ces anomalies résultent du découplage des récepteurs de leur unité effectrice associé à une diminution de l’expression du gène du récepteur béta1. On a constaté des anomalies des sous unités de la protéine G avec une réduction de la densité de la fraction Gs et une augmentation de la sous unité Gi inhibitrice [15-16].

Altérations de la réserve énergétique .

La déplétion intracellulaire en métabolites énergétiques (phosphocréatine, adénosine triphosphate) et les anomalies mitochondriales ont été mises en cause mais ces altérations métaboliques semblent plutôt la conséquence de la stimulation rapide et prolongée que la cause directe de l’insuffisance cardiaque. Une ischémie fonctionnelle liée a la réduction du remplissage coronaire et à l’élévation de la contrainte pariétale a été évoquée mais ce mécanisme n’a pas été confirmé paraissant insuffisant pour créer une insuffisance cardiaque sur un myocarde normal. Toutefois les anomalies de la microcirculation sont constantes avec une augmentation de la distance capillaire — myocyte, susceptible de limiter l’apport en oxygène. La réversibilité de la dysfonction ventriculaire évoque un processus d’hibernation myocardique après une tachycardie prolongée à une fréquence supérieure à 200/min.

Anomalies du couplage excitation contraction

Des altérations électrophysiologiques accompagnent les altérations structurales myocytaires sont constantes. Une diminution et une dysfonction des canaux calciques de type L apparaissent précocement et sont bien corrélées au degré de la dysfonction ventriculaire. Les anomalies de la transduction du signal béta adrénergique et les réductions de concentration de la protéine GS participent pour Spinale à la réduction de ce type de canaux calciques de type L [5]. De plus les cardiomyocytes de ces cœurs insuffisants présentent des altérations, des irrégularités et une réduction des tubules T des protéines du sarcolemme. On a rapporté une réduction de l’expression du gène codant le phospholamban qui régule la pompe à calcium du réticulum sarcoplasmique [17].

Aspects cliniques

Les cardiomyopathies rythmiques chez l’homme prennent l’aspect d’une insuffisance cardiaque congestive à bas débit. Le diagnostic implique beaucoup de prudence, une analyse minutieuse des antécédents des patients, et une enquête minutieuse à la recherche d’une étiologie autre que l’arythmie prolongée. Ces cardiomyopathies compliquent tous les types d’arythmies, atriales, jonctionnelles ou ventriculaires. Si on exige les critères de diagnostic déjà décrits, leur prévalence est faible allant de 0,2 à 6 % suivant l’arythmie le mode de sélection retenu, et l’âge des patients. On rencontre :

— une forme congestive se traduisant par le tableau clinique d’une cardiomyopathie dilatée primitive : réduction de l’aptitude à l’effort, dyspnée croissante, syndrome congestif avec œdèmes, stase pulmonaire, élévation de la pression veineuse. L’examen radiologique montre une cardiomégalie prédominant sur les cavités gauches. Dans notre expérience, sur huii cas d’authentiques cardiomyopathies rythmiques, sept patients présentaient cette forme congestive.

— une forme circulatoire avec lipothymies, hypotension prolongée, signes de choc associés à un œdème ou subœdème pulmonaire, altération de la perfusion rénale.

Cette forme plus rare se rencontre surtout au cours des tachycardies ventriculaires ou sur les fibrillations auriculaires très rapides sur un cœur préalablement et insidieusement altéré.

Les examens hémodynamiques ou échographiques montrent une dilatation ventriculaire, une diminution de la fraction d’éjection, des anomalies du remplissage et une élévation constante de la pression télédiastolique ventriculaire gauche. L’échocardiographie doppler est l’examen clé pour faire un bilan lésionnel, éliminer une atteinte valvulaire causale et méconnue, apprécier le degré de la dilatation ventriculaire et surtout la réversibilité de l’altération de la fraction d’éjection après réduction de la tachycardie. La disparition de l’insuffisance cardiaque et de la symptomatologie clinique, la normalisation de l’index cardiaque sont associés dans un délai de cinq à six mois à la normalisation des données échographiques.

Le caractère régressif plus ou moins rapide des anomalies cliniques et hémodynamiques est un des critères d’un diagnostic qui est donc le plus souvent rétrospectif.

L’amélioration de l’état clinique est rapide, dès la première semaine qui suit la restauration du rythme sinusal et va s’étaler sur plusieurs mois. La rapidité de la récupération clinique va de pair avec l’amélioration des données échographiques. La disparition de l’insuffisance cardiaque, de la gêne fonctionnelle à l’effort, la normalisation de l’index cardiaque radiologique surviennent lentement, et dans notre expérience ont demandé quatre à cinq mois. On observe une amélioration progressive de la fraction d’éjection qui peut gagner 10 à 15 %, une régression de la dilatation ventriculaire, une récupération de la contractilité. Dans certains cas, quand l’arythmie a été très prolongée, la récupération peut être longue et n’apparaître qu’au bout d’un an. Contrairement à ce qui a été observé dans l’expérimentation animale la fonction diastolique n’est pas altérée après récupération. La durée prolongée de l’arythmie causale semble un facteur délétère plus important que l’âge du patient ou le type de l’arythmie [18]. Un des problèmes en suspens est de savoir si l’atteinte myocardique a été totalement réversible, si elle ne laisse pas de séquelles avec des risques de récidive. Un recul conséquent est nécessaire pour authentifier une cardiomyopathie purement rythmique. Henrard a publié un cas de cardiomyopathie récidivante au cours d’une tachycardie ventriculaire infundibulaire traitée en premier et réduite par perfusions d’amiodarone, puis récidivant quatre ans après au cours d’une nouvelle tachycardie. Une ablation par radiofréquence paraît avoir restauré le rythme sinusal et permis une bonne récupération [19].

Troubles du rythme en cause

Tachycardies atriales

La prévalence des cardiomyopathies rythmiques chez les patients adressés pour ablation de tachycardie est plus élevée chez les enfants que chez les adultes, le nœud auriculoventriculaire étant plus perméable chez l’enfant [20]. Le diagnostic exact du trouble rythmique est quelquefois difficile et peut imposer une étude electrophysiologique endocavitaire avec cartographie d’activation. L’ablation par radio fré- quence constitue actuellement un traitement radical.

Tachycardies jonctionnelles

C’est au cours des tachycardies jonctionnelles orthodromiques sur faisceaux accessoires qu’ont été décrites les cardiomyopathies rythmiques. Il s’agit dans 40 % des cas de tachycardies jonctionnelles incessantes paroxystiques décrites par Coumel et col . qui empruntent par voie rétrograde une voie accessoire à conduction décrémentielle [21]. Pour cinq de nos observations ce type d’arythmie était en cause.

Flutter auriculaire

Le Flutter auriculaire peut être l’arythmie causale mais il survient plutôt sur des cœurs anormaux. Toutefois on a rapporté des observations de dysfonction ventriculaire après flutter idiopathique sur cœur apparemment sain avec récupération de la fonction ventriculaire après traitement radical. Un de nos patients avait un flutter commun, alternant avec des fibrillations auriculaires récurrentes, une dysfonction ventriculaire à l’échocardiographie totalement réversible, quatre mois après la réduction de l’arythmie. Une hyperthyroidie semble avoir favorisé la très haute fréquence de la fibrillation auriculaire.

Fibrillation auriculaire

Cette arythmie engendre la fibrillation et crée un cercle vicieux, si la fréquence ventriculaire n’est pas contrôlée, altérant le remplissage, réduisant le débit cardiaque par l’irrégularité des cycles ventriculaires. Il se produit une tachycardie incessante créant une cardiomyopathie auriculaire avec dilatation et dysfonction contractile de cette cavité. L’extrusion exagérée du CA2+ via l’échangeur NA/CA2+ réduit la contractilité de l’oreillette dilatée et remodelée. La prévalence d’authentiques cardiomyopathies rythmiques est ici difficile à évaluer, et varie beaucoup en fonction de la population étudiée. Dans l’étude multicentrique française, huit des soixantequatorze patients ayant une cardiomyopathie dilatée ont eu une amélioration significative de leur fonction ventriculaire après restauration et maintien du rythme sinusal [22]. La disparition de la systole auriculaire, la désynchronisation auriculoventriculaire et quelquefois intraventriculaire, s’il y a un bloc gauche associé, favorisent l’apparition plus ou moins rapide de l’insuffisance cardiaque. L’irrégula-
rité des cycles réduitle débit cardiaque particulièrement sur les cœurs dilatés. En fait pour relier l’insuffisance cardiaque au seul trouble rythmique il faut éliminer les causes toxiques, ischémiques, hypertensives et les formes primitives ou post virales des cardiomyopathies dilatées. Il est très difficile d’éliminer une forme fruste ou héréditaire de cardiomyopathie primitive pour rattacher à la seule fibrillation la dysfonction ventriculaire. Une fibrillation auriculaire rapide par son retentissement sur la fonction ventriculaire peut être le facteur déclenchant de l’insuffisance cardiaque mais non sa cause principale sur un cœur préalablement et insidieusement atteint.

Dans ce cas on parle de forme impure selon la description de Fenelon [6].

Les thyréotoxicoses et quelquefois des hyperthyroidies frustes dites infra cliniques peuvent favoriser des fibrillations auriculaires très rapides, causes de dysfonctions ventriculaires réversibles après traitement spécifique et correction de l’arythmie [23].

Tachycardies ventriculaires

Les tachycardies ventriculaires sont rapidement mal tolérées et induisent sur un cœur lésé une baisse de la fraction d’éjection et une élévation des pressions de remplissage. Les tachycardies ventriculaires idiopathiques, dites bénignes, infundibulaires droites ou fasciculaires, prolongées, incessantes ou récidivantes à court terme, sont des causes connues de cardiomyopathies rythmiques. On a décrit aussi chez des patients ayant des extrasystoles ventriculaires, répétées de manière chronique et incessantes, des dysfonctions ventriculaires [24].

Traitement

Le traitement radical de la cardiomyopathie rythmique est la restauration rapide et durable du rythme sinusal lorsque cela est possible. Dans ce domaine les méthodes ablatives endocavitaires ont été un progrès considérable quand le substrat anatomique est localisé et limité. La technique des méthodes ablatives est actuellement bien codifiée et le courant de radiofréquence peut être appliqué sur le substrat, (foyer ectopique)ou sur une partie du circuit responsable de l’arythmie : faisceau de Kent pour une tachycardie par rythme réciproque, la voie lente pour une tachycardie par réentrée intranodale ou l’isthme cavo-tricuspidien pour un flutter auriculaire [25].

Ce mode de traitement est donc possible pour les tachycardies atriales, les tachycardies sur voies accessoires ou par réentrée nodale, pour les tachycardies ventriculaires. Lorsqu’on suspecte une cardiomyopathie rythmique compliquant une fibrillation auriculaire il est licite de tenter une cardioversion pour améliorer la fonction ventriculaire et faire régresser les signes d’insuffisance cardiaque. Si on ne peut restaurer définitivement le rythme sinusal on peut proposer la modification ou l’ablation complète de la jonction auriculo ventriculaire pour limiter la fréquence ventriculaire au repos et à l’effort. L’ablation de la conduction auriculoventriculaire assure un contrôle permanent du rythme mais impose l’implantation d’un stimula-
teur cardiaque. La modification de la jonction réduit les possibilités de conduction nodale mais ses effets hémodynamiques sont limités par l’irrégularité du cycle ventriculaire et on ignore le devenir à long terme de la conduction chez ces patients.

Edner et al. cherchant à objectiver l’évolution de la fonction ventriculaire gauche après une ablation de la jonction et implantation d’un stimulateur ont constaté des résultats bénéfiques modérés, tardifs et d’autant plus importants que la fonction ventriculaire était altérée[26]. Après ablation de la voie nodo-hisienne, la stimulation ventriculaire droite peut en effet entraîner un asynchronisme mécanique limitant en fin de compte le bénéfice de la réduction de la tachycardie.

La cardiomyopathie rythmique reste une cause rare d’insuffisance cardiaque. Alors que les cardiomyopathies dilatées primitives ont une évolution irréversible et un pronostic médiocre, les cardiomyopathies rythmiques sont accessibles à un traitement approprié et sont une cause réversible de dysfonction ventriculaire. On ignore toutefois si elles altèrent le myocarde et laissent des séquelles latentes qui risquent de favoriser à long terme de nouvelles poussées d’insuffisance cardiaque. Leur traitement a connu un progrès considérable avec l’essor des techniques permettant l’ablation par radiofréquence du substrat ou du circuit responsable de l’arythmie, traitement à l’origine de succès spectaculaires. Ce progrès thérapeutique incite à évoquer l’existence d’une cardiomyopathie secondaire devant une tachy-arythmie prolongée ou chronique. La régression de la dysfonction ventriculaire et l’amélioration clinique obtenues par le traitement radical de l’arythmie sont finalement les meilleurs critères du diagnostic de cette forme rare, dans son aspect typique, de cardiomyopathie. Quand l’arythmie en cause est une fibrillation auriculaire rapide, sans étiologie décelable, il est souvent difficile d’évaluer le rôle exact de l’arythmie dans la genèse de la dysfonction ventriculaire, de confirmer le diagnostic d’authentique cardiomyopathie rythmique et les résultats des traitements proposés sont souvent plus aléatoires.

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DISCUSSION

M. André VACHERON

A côté des cardiomyopathies dilatées dues souvent à un rythme réciproque, il y a des insuffisances cardiaques provoquées par des flutters auriculaires 2/I, évoluant depuis plusieurs semaines. L’insuffisance cardiaque disparaît quand le flutter est supprimé. La réapparition d’un rythme réciproque, et donc de l’insuffisance cardiaque est-elle possible après le traitement par radiofréquence ?

Le traitement électrique ne suffit pas toujours pour supprimer définitivement le foyer arythmogène. Quelques observations de récidives d’arythmie et d’insuffisance cardiaque ont été publiées. Personnellement, nous avons récemment vêcu cette situation, et un nouveau traitement par radiofréquence a rétabli le rythme sinusal et a permis l’amélioration de la fonction cardiaque, chez un de nos patients.

M. Louis GUIZE

De simples extrasystoles ventriculaires monomorphes sur cœur apparemment sain, mais très fréquentes, bigéminées ou en courtes salves, peuvent entraîner une altération franche de la fonction cardiaque. Parfois résistantes aux médicaments, ces arythmies justifient alors leur ablation par radiofréquence qui rétablit une fonction ventriculaire normale. Avez-vous constaté plusieurs observations de ce type ?

Nous avons observé chez deux patients l’apparition d’une dysfonction ventriculaire au cours d’extrasystolies ventriculaires monomorphes, en salves ou bigéminées. Nous n’avons jamais eu de restauration de la fonction ventriculaire par le seul traitement médical. Un patient a subi une ablation par radiofréquence avec succès. Depuis peu, dans la presse cardiologique américaine, le JACC en particulier, des observations de ce type ont été publiées soulignant l’intérêt d’un traitement électrique.

M. Pierre GODEAU

Vous avez signalé qu’il y avait une stimulation adrénergique dans ces cardiomyopathies.

Peut-on faire un rapprochement avec les cardiomyopathies observés au cours des phéochromocytomes ?

La stimulation adrénergique est délétère parce qu’elle augmente la consommation myocardique en oxygène et le travail ventriculaire. On peut rapprocher les manifestations cliniques et les altérations hémodynamiques des cardiomyopathies d’origine rythmique, des manifestations cardiaques observées au cours des phéochromocytomes. Je pense que le susbstrat pathogénique est le même.

M. Jean-Etienne TOUZE

Pensez-vous qu’il soit judicieux de : — proposer des critères prédictifs de guérison ? Ils seraient échocardiographiques avec une normalisation impérative de la fonction diastolique et histologiques avec une disparition des anomalies structurales étudiées sur une biopsie endomyocardique faite à distance de l’épisode. — D’éviter les bêta bloquants dans le traitement des troubles rythmiques et de la dysfonction ventriculaire gauche ?

Les critères prédictifs de guérison sont essentiellement une récupération de la fonction systolique et de la fonction dyastolique du ventricule avec la disparition de l’arythmie.

Pour affirmer la guérison, il faut donc observer un certain recul et c’est ainsi que nous avons exigé un suivi supérieur à cinq ans. En effet une cardiomyopathie primitive latente aurait pu être démasquée par l’arythmie. Il ne me paraît pas souhaitable d’exiger des critères histologiques vus les risques d’une biopsie endomyocardique chez un patient théoriquement guéri. D’autre part, il n’est pas souhaitable d’éviter les bêta bloquants puisqu’à l’heure actuelle leur efficacité est démontrée dans le traitement des cardiomyopathies primitives et des dysfonctions ventriculaires gauches. Dans deux de nos observations, leur prescription nous paraît avoir facilité la récupération de la fonction cardiaque.


* Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine. ** Clinique Pasteur Unité de Rythmologie, Avenue de Lombez, Toulouse 31076. Tirés à part : Professeur Jean-Paul BOUNHOURE, 9, rue Deville, 31000 Toulouse. Article reçu le 2 janvier 2006, accepté le 30 janvier 2006.

Bull. Acad. Natle Méd., 2006, 190, no 6, 1225-1236, séance du 27 juin 2006