Rapport
Séance du 27 juin 2006

06-10 Méthodes de mesure de la densité minérale osseuse (DMO) et examens biologiques dans la prise en charge de l’ostéoporose

MOTS-CLÉS : absorptiometrie photonique. facteur risque.. ostéoporose. remodelage osseux
Bone density measures and biochemical investigations in the management of osteoporosis
KEY-WORDS : absorptiometry, photon. bone remodeling. osteoporosis. risk factors.

Claude Dreux et Charles-Joël Menkès, au nom d’un groupe de travail et de la Commission II (thérapeutique, médicament et pharmacologietoxicologie)

Résumé

L’ostéoporose constitue à l’heure actuelle un problème de santé publique considé- rable tant par la proportion croissante de femmes qui en est atteinte, du fait du vieillissement de la population, que par ses conséquences sur la qualité de vie. On dispose aujourd’hui de traitements efficaces, pour prévenir ou traiter les fractures, d’où l’importance de reconnaître la maladie par la mesure de la densité minérale osseuse. L’ostéodensitométrie ou absorptiométrie biphotonique aux rayons X (DXA) est la technique la plus sensible, la plus rapide et la plus précise pour une irradiation très faible. Depuis 2005, un contrôle technique annuel du bon réglage des appareils est obligatoire. Les examens biologiques visent, en premier lieu, à éliminer une ostéoporose secondaire. Les marqueurs du remodelage osseux (ostéocalcine, CTX…) n’ont pas d’utilité pour le diagnostic mais ils permettent de mieux choisir un traitement dans les cas difficiles et de mieux suivre son efficacité. La DXA est indiquée chez la femme ménopausée, s’il existe un facteur de risque majeur (antécédents de fracture, ménopause précoce, aménorrhée secondaire prolongée, antécédents familiaux d’ostéoporose, corticothérapie, faible indice de masse corporelle, hyperthyroïdie, hyperparathyroïdisme, notamment). Pour généraliser le dépistage, après 65 ans, il faut attendre la confirmation de l’utilité et la connaissance du ratio coût-efficacité.

Summary

Osteoporosis is actually one of the main national health problems due to the prolonged life expectancy of women and to the poor quality of life linked to the fractures. Bone mineral density is measured by dual X rays aborptiometry (DXA). It is the more sensible, precise and rapid method of measure with a very weak irradiation. Since the year 2005, an annual, regular, technical control is requested for the adjustment of the machines. Biochemical investigations are specially aimed to discard a secondary osteoporosis. The bone turnover markers (osteocalcin, CTX…) are not useful for the diagnosis, but they may be useful for the choice of a treatment and for the follow-up. DXA is indicated in menopausal women with a major risk factor (past history of fractures, early menopause, prolonged amenorrhea, family history of fractures, low body mass index, corticosteroid treatment, hyperthyroidism, hyperparathyroidism, for instance). Before extending the DXA measure to all the women over 65 years we should wait for a confirmation of the utility and for the knowledge of the ratio cost-efficacy.

L’ostéoporose est une « affection généralisée du squelette caractérisée par une masse osseuse basse et une altération de la microarchitecture du tissu osseux responsable d’une augmentation de la fragilité de l’os et, par consé- quent, du risque de fracture » (définition agréée par l’OMS en 1992).

« L’ostéoporose constitue, à l’heure actuelle, un problème de santé publique considérable tant par la proportion croissante de femmes qui en est atteinte que par ses répercussions sur la qualité de vie des patients » (avant-propos de l’expertise collective de l’INSERM réalisée en 1996) [1].

Tous les os du squelette peuvent être l’objet d’une fracture par fragilité, à l’exception du crâne, du rachis cervical, de la main et des orteils. Les fractures les plus caractéristiques de l’ostéoporose sont celles de l’extrémité supérieure du fémur (ESF), des vertèbres (improprement appelées tassement, terme qui prête à confusion et doit être supprimé) et de l’extrémité inférieure du radius.

On compte en France environ 150 000 cas par an de fracture vertébrale, qui est de ce fait la fracture la plus fréquente, et 72 000 fractures de l’ESF ont été dénombrées en 2001.

Les fractures ostéoporotiques entraînent une sur-mortalité, démontrée pour les fractures vertébrales cliniques et la fracture de ESF. Cette sur-mortalité est de l’ordre de 20 %. Elle se produit essentiellement au cours de la première année suivant l’événement fracturaire, mais elle s’observe aussi pour les fractures vertébrales plusieurs années après la fracture. On estime à un tiers environ le nombre de fractures vertébrales diagnostiquées en raison de rachialgie ; ces fractures exposent alors à un excès de morbidité (douleurs chroniques, cyphose, perte de taille, altération de la qualité de vie). Tout événement fracturaire est enfin un facteur de risque important de survenue d’autres fractures. En 1990, l’équivalent de un milliard d’euros a été consacré au traitement des fractures dues à l’ostéoporose, chez la femme surtout mais également chez l’homme (20 % des cas environ).

En 2001 un rapport de C. Dreux et P.D. Delmas [2] avait mis en évidence l’intérêt majeur de la détermination de la densité minérale osseuse par absorptiométrie biphotonique à Rayons X pour le diagnostic de l’ostéoporose.

Dans les cas difficiles, et pour l’aide à la décision thérapeutique, les marqueurs du remodelage osseux pouvaient être indiqués mais ils ne constituaient pas à eux seuls une méthode de diagnostic précoce de la maladie.

L’Académie nationale de médecine a souhaité mettre à jour le rapport de 2001 compte tenu de l’évolution des méthodes de diagnostic et du contrôle de qualité des appareils préconisé par l’AFSSAPS. En outre, on dispose aujourd’hui de traitements efficaces contre l’ostéoporose et les recommandations de l’Académie en 2001, au sujet de la prise en charge de l’ostéodensitométrie par les organismes sociaux, deviennent de plus en plus nécessaires. Il convenait donc de s’interroger, à nouveau, sur les catégories de personnes à risque d’ostéoporose pour lesquels un dépistage précoce suivi d’un traitement s’avérait utile dans un but de prévention des fractures, surtout chez la femme, mais aussi chez l’homme. C’est l’objet du présent rapport.

MÉTHODES D’ÉVALUATION DE LA MASSE OSSEUSE

D’après l’expertise collective de l’INSERM (1996) précédemment citée, le rapport établi par le Groupe de Recherche et d’Information sur les Ostéoporoses (GRIO) publié en 2000 [3] et les indications fournies par l’ANAES en 2001 [4], il apparaît que l’absorptiométrie biphotonique utilisant les Rayons X (Dual Energy X-ray Absorptiometry, DEXA ) est la technique la plus sensible, la plus rapide et la plus précise permettant d’évaluer la masse osseuse, pour une irradiation très faible.

Ostéodensitométrie ou absorptiométrie biphotonique (DEXA ou DXA)

Principe de la méthode

La mesure de l’ostéodensitométrie est basée sur l’atténuation d’un faisceau de photons par l’os selon la formule :

I = I e-(µ/ρ)m 0 I : Intensité du faisceau incident 0 I : Intensité du faisceau transmis m : masse du milieu traversée par un faisceau X de section 1 cm2 µ/ρ : coefficient d’atténuation massique, ρ densité du milieu En utilisant deux faisceaux de photons d’énergies différentes calculées en fonction des coefficients µ/ρ correspondant respectivement au tissu osseux calcifié (hydroxyapatite) et aux tissus « mous », on peut évaluer pour chacun d’eux m qui pour l’os est appelé la densité minérale (DMO) exprimée en g/ cm2.

Selon les appareils et le site de mesure, l’examen est plus ou moins rapide (5 à 15 minutes) et le résultat plus ou moins reproductible (1 à 2 %).

Sites de mesure de la DMO

Généralement, la mesure de la DMO est réalisée à l’extrémité supérieure du fémur (ESF) et à la colonne vertébrale (vertèbres lombaires). C’est à l’ESF que la composante corticale de l’os est la plus importante, alors qu’au corps vertébral, la composante trabéculaire domine. C’est pourquoi il est nécessaire d’étudier au moins les deux sites. On peut aussi mesurer les deux os de l’extrémité inférieure de l’avant-bras au site proximal (composante corticale) ou distal (composante trabéculaire).

Fiabilité des mesures

Exactitude : elle s’exprime par rapport à une valeur de référence théorique et permet de comparer les résultats obtenus avec des appareillages diffé- rents. Compte tenu de la difficulté d’apprécier ce critère, il est recommandé d’utiliser le même type d’appareil pour suivre un patient.

Reproductibilité : l’incertitude est représentée par l’écart-type calculé à partir d’un certain nombre de mesures successives effectuées avec le même appareil. Le coefficient de variation des mesures in vivo est généralement de 1 à 2 %, meilleur au niveau lombaire qu’au niveau de l’ESF.

La fiabilité des mesures dépend de deux paramètres :

— la qualité métrologique de l’appareil. Un contrôle de qualité est désormais obligatoire en France, régi par une décision de l’AFSSAPS de juin 2005, qui a pour objet de vérifier l’exactitude et la reproductibilité des appareils d’absorptiométrie biphotonique à rayons-X.

— la réalisation de l’examen, le respect des recommandations du constructeur, et la formation de l’utilisateur ; toutes les études montrent que c’est de ces facteurs opérateur-dépendants que proviennent la plupart des erreurs de mesure. Cela souligne la nécessité d’une formation reconnue des utilisateurs.

Évaluation de l’irradiation

Elle varie d’un appareil à l’autre et en fonction du site de mesure. La dose efficace se situe entre 0,5 et 4 millisieverts (mSv). Cette dose peut être comparée à l’irradiation naturelle qui varie en France entre 2,5 et 5,5 mSv, mais avec un débit de dose beaucoup plus faible. Les doses en radiodiagnostic (délivrées avec des débits de dose plus élevés que les examens de mesure de la DMO) s’échelonnent entre 0,5 mSv (radiographie thoracique) et 30 mSv (scanographie). Il s’agit donc d’une irradiation minime et localisée.

État du patient

Il n’est pas prévu de préparation particulière du patient avant l’examen mais certaines conditions doivent être remplies :

aucun examen nécessitant l’administration d’un produit de contraste ne doit avoir lieu avant la mesure de DMO. Si un tel examen a été pratiqué, un délai de deux à trois jours doit être observé ; pour la scintigraphie, le délai nécessaire à l’élimination du marqueur est de même de deux à trois jours , mais peut être plus long pour certains radiopharmaceutiques ;

• l’existence de certaines maladies, en particulier du squelette, ou interventions orthopédiques peut perturber l’examen : maladie de Paget, arthrose lombaire, scolioses importantes, calcifications aortiques, arthrodèses, prothèses.

L’opérateur doit être parfaitement informé de ces conditions indispensables pour une bonne interprétation des résultats.

La réalisation de l’examen est à éviter au cours de la grossesse.

Analyse et interprétation des résultats

Chaque fabricant d’appareil doit établir des valeurs de référence « normales » correspondant au site analysé (ESF, vertèbres…), à l’âge, au sexe, aux caractères ethniques du sujet.

Pour tenter de standardiser l’expression des résultats donnés par différents appareils on exprime les résultats en fonction des écarts à la moyenne des valeurs de référence correspondant aux caractéristiques du sujet indiquées ci-dessus.

On définit ainsi le Z score et le T score.

Z score : Il s’agit de l’écart entre la mesure correspondant au patient mp et à la valeur moyenne mr rapportée à l’écart-type σ de la distribution de la population de référence, la distribution étant « normale », c’est-à-dire gaussienne.

Z score : mp — mr σ

La valeur de référence mr est donnée en fonction de l’âge du sujet. La distribution de la population de référence est supposée identique à tous les âges, ce qui est approximativement exact.

Le Z score est utile pour l’interprétation des résultats chez les femmes non ménopausées, et chez les enfants. Dans les autres populations, le Z score n’est pas utilisé.

T score : il diffère du Z score par la définition de la population de référence.

Celle-ci est constituée d’adultes jeunes (20-30 ans), de même sexe, présentant un maximum de masse osseuse. Cet indice apprécie donc la diminution de la densité osseuse.

L’OMS a proposé de classer l’échelle des diminutions de la densité osseuse en quatre niveaux :

Niveau 1 : densité osseuse « normale », la DMO diffère de moins d’un écart-type de la moyenne de référence (T score supérieur à -1) Niveau 2 : ostéopénie T score compris entre -1 et -2,5

Niveau 3 : ostéoporose, T score inférieur à -2,5.

Niveau 4 : ostéoporose sévère : ostéoporose avec fracture.

La définition de ces seuils repose sur des bases théoriques et épidémiologiques. En effet, la probabilité pour une femme non ménopausée d’avoir une densité abaissée de plus de 2,5 écart-types par rapport à la moyenne est de 0,7 % ; par ailleurs, en utilisant un seuil de -2,5, indépendant de l’âge, on retrouve environ 40 % des femmes ménopausées, ce qui correspond à la réalité de l’épidémiologie de la maladie.

L’ostéopénie n’est pas une maladie osseuse ; cependant chaque diminution d’un écart-type multiplie par deux le risque ultérieur de fracture.

Il faut souligner que ces valeurs diagnostiques ne sont pas des seuils de décision thérapeutique, mais que la découverte d’une densité osseuse basse doit obligatoirement conduire à une enquête étiologique.

Autres méthodes d’appréciation de la densité minérale osseuse

Tomodensitométrie quantitative (quantitative computerized tomodensimetry ou QCT)

Elle consiste en l’utilisation d’un tomodensitomètre (scanner) classique équipé d’un organe d’étalonnage. Les mesures s’effectuent généralement au niveau vertébral par rapport à des valeurs de référence calculées en fonction de l’âge du sujet.

Il apparaît que le QCT est plus sensible que l’absorptiométrie biphotonique pour la détection de l’ostéoporose. De plus, cette mesure est la seule capable de fournir une véritable densité, exprimée en unité de volume.

Cependant, la reproductibilité est plus faible (appareillages non automatisés) et le résultat est très influencé par certains paramètres indépendants de l’ostéoporose tels que l’évolution graisseuse de la moelle osseuse vertébrale constatée lors du vieillissement. On peut pallier ce défaut par l’utilisation d’appareils à double énergie.

D’autre part, le coût des examens par QCT est beaucoup plus élevé que ceux réalisés par absorptiométrie biphotonique et la dose d’irradiation est nettement supérieure bien qu’encore tolérable. Enfin, les courbes de référence ne sont pas validées, et la définition de l’ostéoporose basée sur les T et Z scores ne peut en toute rigueur s’appliquer.

Pour toutes ces raisons, la mesure de la DMO par QCT ne doit pas être utilisée en dehors des centres de recherche.

Des tomodensitomètres dédiés aux os périphériques (radius, tibia) sont en cours de développement, et présentent un certain nombre d’avantages techniques : mesure possible des compartiments trabéculaires et corticaux, mesure de paramètres d’architecture, simplicité des mesures. Ces techniques sont en cours de validation.

Techniques utilisant les ultrasons

Des mesures osseuses par ultrasons ont été développées en raison de la capacité de cette technique d’explorer des paramètres non quantitatifs osseux.

En effet, l’ébranlement de la structure provoquée par l’onde mécanique ultrasonore permet d’approcher certains paramètres tels que l’élasticité. De nombreux appareils ont été développés, mesurant essentiellement l’atténuation de l’onde, et la vitesse de propagation. Ces techniques ont l’avantage de leur simplicité, les appareils sont transportables, et il n’y a pas de radiation ionisante. Toutefois, il faut souligner l’absence de contrôle de qualité standardisé, et la grande hétérogénéïté des technologies utilisées, rendant non comparables les résultats obtenus par les différents appareils. Les principales mesures validées sont celles du calcaneum. Des études prospectives ont montré qu’il existe une augmentation du risque fracturaire chez les patientes ayant une diminution des valeurs ultrasonores mesurées au talon. L’estimation du risque est comparable à celle obtenue par les mesures du rachis et de l’extrémité supérieure du fémur par absorptiométrie biphotonique à rayons-X.

Il n’existe pas de seuil diagnostique de l’ostéoporose par les méthodes ultrasonores, et la définition du T score ne peut s’appliquer à ces mesures. De plus, la sensibilité aux changements est faible, et le suivi des maladies déminéralisantes, et de leur traitement, n’est pas possible.

Deux développements sont envisageables pour ces méthodes :

— un développement expérimental, poursuivant la recherche scientifique sur des paramètres osseux non quantitatifs accessibles par cette méthode, par exemple la porosité corticale, — des études épidémiologiques cherchant à montrer qu’un dépistage préalable par ultrasons permettrait de sélectionner des patientes pour les mesures densitométriques. Cette stratégie, qui pourrait augmenter le coût de la prise en charge, n’est pas validée à ce jour.

PLACE DE LA BIOLOGIE DANS L’ÉVALUATION ET LE SUIVI DES OSTÉOPOROSES

Si la biologie ne participe pas au diagnostic d’ostéoporose, elle peut, en revanche, aider le clinicien pour :

— la recherche et/ou l’élimination d’une cause d’ostéoporose secondaire, — la décision thérapeutique dans certaines situations, — la surveillance de l’efficacité (et de l’observance) d’un traitement.

Recherche d’une cause d’ostéoporose secondaire

L’incidence des causes d’ostéoporose secondaire restées non diagnostiquées varie suivant la population. Elle est importante dans l’ostéoporose masculine, chez la femme ostéopénique en période de « peri-ménopause » et surtout chez la femme ménopausée ostéoporotique sans facteurs de risque évidents. Un bilan biologique minimal devrait être pratiqué devant toute ostéoporose.

Bilan systématique à faire devant toute ostéoporose

Le bilan biologique pour éliminer une ostéoporose secondaire peut être défini comme suit. Il a pour but :

— d’éliminer un processus tumoral ou infiltratif et en particulier un myélome (NFS-plaquettes, VS, électrophorèse des protéines et protéinurie des 24 heures) ;

— d’éliminer une anomalie du métabolisme phospho-calcique (calcémie, phosphatémie et calciurie des 24 heures). Afin d’éviter les fausses hyperou hypocalcémies, il est fortement conseillé d’effectuer une correction de la calcémie par la protidémie ou mieux par l’albuminémie. Il est également conseillé d’ajouter la mesure de la créatinine urinaire (pour documenter la validité du recueil des 24 heures) et du sodium urinaire (une hypernatriurie pouvant expliquer une hypercalciurie) ;

— d’évaluer la fonction rénale (créatinine) ;

— de rechercher une élévation des phosphatases alcalines qui permettrait de suspecter une ostéomalacie, et également d’éliminer une maladie de Paget contre-indiquant certains traitements de l’ostéoporose ;

— d’éliminer une insuffisance en vitamine D (dosage de la 25 hydroxy vitamine D) Il faut insister sur le fait qu’une anomalie du bilan de base, et principalement du bilan phospho-calcique, doit obligatoirement induire des explorations complé- mentaires. En particulier, le dosage de la PTH sera fondamental dès qu’on constatera une anomalie de ces paramètres de base, et très recommandé si on envisage un traitement par teriparatide.

Bilan à n’effectuer que s’il existe des symptômes ou signes évocateurs — recherche d’une maladie coeliaque (anticorps anti-endomysium ou antitransglutaminase) ;

— recherche d’un hypercorticisme (cortisolurie des 24 heures) ;

— recherche d’une hyperthyroïdie (TSH) chez les patientes ayant des signes cliniques évocateurs, mais aussi chez celles recevant une thérapeutique substitutive par les hormones thyroïdiennes et chez les femmes âgées de plus de 70 ans (pour ces dernières, par exception, même en l’absence de symptômes).

Cas particulier de l’ostéoporose masculine

En plus des examens cités plus haut, il convient d’éliminer un hypogonadisme (testostéronémie, FSH, LH, mais la stratégie diagnostique varie d’une école à une autre) et une hémochromatose (ferritine).

Utilisation des marqueurs du remodelage osseux

L’os est en perpétuel renouvellement et ce « remodelage osseux » résulte de l’action opposée mais couplée des ostéoclastes (résorption) et des ostéoblastes (formation). La perte osseuse associée à la ménopause, au vieillissement et à certaines pathologies est due à une prédominance de l’activité de résorption sur celle de formation.

On a donc cherché à mesurer l’intensité des deux phénomènes par la mesure dans le sang ou l’urine, de composés résultant de la formation ou de la dégradation de l’os, ou par la mesure d’activités enzymatiques impliquées dans les deux phénomènes.

Les marqueurs « biochimiques » actuellement les plus intéressants sont indiqués sur le Tableau 1.

Tableau 1. — Marqueurs biochimiques du remodelage osseux FORMATION

RÉSORPTION

Plasma/sérum

Sérum

Ostéocalcine

Phosphatase acide résistante à l’acide tartrique Phosphatase alcaline totale et osseuse

Télopeptides

C-terminaux (CTX) du

Propeptides C et N terminaux du collagène de type I

Collagène de type I (PICP et

PINP )

Urine

Pyridinoline et desoxypyridinoline libres Télopeptides N (NTX) et C-terminaux (CTX) du collagène de type I

Calciurie En gras sont indiqués les marqueurs les plus performants dans l’ostéoporose.

Globalement, l’imprécision analytique de ces dosages biochimiques est le plus souvent inférieure à 10 %. Il en est à peu près de même pour les variations intra-individuelles, plus faible pour les marqueurs sériques (5-10 %) que pour les marqueurs urinaires (15-20 %). On doit tenir compte de ces données pour l’appréciation des variations significatives entre deux dosages successifs.

Comme dans le cas des méthodes d’absorptiométrie biphotonique ou de celles utilisant les ultrasons, il est recommandé de pratiquer les dosages dans le même laboratoire. Il faut aussi s’assurer que celui-ci met en pratique les recommandations du « Guide de Bonne Exécution des Analyses » (GBEA) et adhère à un système d’assurance qualité efficace.

Application clinique des marqueurs osseux dans l’ostéoporose postménopausique

On doit d’abord s’assurer qu’il n’existe pas de risque d’ostéoporose secondaire (due par exemple à un traitement prolongé par des corticoïdes ou à une endocrinopathie).

Il faut insister sur l’impossibilité de poser un diagnostic d’ostéoporose en se basant seulement sur la valeur d’un ou de plusieurs marqueurs. La mesure de la DMO constitue actuellement le meilleur élément de diagnostic mais les marqueurs peuvent fournir des arguments complémentaires. Par exemple
lorsque la DMO permet de suspecter une ostéopénie, l’existence d’une augmentation nette de certains marqueurs de la résorption osseuse peut aider à prendre une décision thérapeutique. En effet, dans ce cas, le risque de perte osseuse rapide est de deux à six fois plus important que si les marqueurs sont normaux. D’autre part, indépendamment de la DMO, l’élévation des marqueurs biochimiques témoigne d’une augmentation du risque de fracture ce qui pourrait s’expliquer par une détérioration de la microarchitecture de l’os résultant de l’augmentation d’activité des ostéoclastes. Enfin, des travaux récents suggèrent que l’efficacité anti-fracturaire de certains traitements, comme l’alendronate, est supérieure chez les femmes qui, avant traitement, ont une élévation de certains marqueurs osseux. Il n’existe cependant pas encore de données suffisantes pour utiliser les marqueurs osseux pour choisir le traitement à utiliser.

Actuellement, l’utilité des marqueurs est également de suivre l’efficacité de certains traitements de l’ostéoporose, principalement les bisphosphonates, les traitements hormonaux de la ménopause (THM) et le teriparatide. Un aspect également intéressant de ces mesures biochimiques est de contrôler l’observance du traitement et de motiver les patients soumis à des thérapeutiques à long terme.

Dans le cadre de ce rapport synthétique, il est impossible de détailler les études nombreuses qui justifient l’intérêt des marqueurs biochimiques du remodelage osseux dans la prise en charge des patients ostéoporotiques. Nous rapportons seulement (annexe 1) les recommandations de « l’International Osteoporosis Foundation » (IOF) publiées en 2000.

Nous résumons également dans le Tableau 2 l’intérêt respectif de la DMO et des marqueurs osseux dans l’exploration des ostéoporoses [5].

En résumé, ces deux examens sont complémentaires. Schématiquement, la DMO donne des renseignements sur la masse osseuse (quantité d’os) à un instant donné alors que les marqueurs osseux fournissent plutôt une information dynamique, mais peut-être aussi des renseignements sur la ‘‘ qualité osseuse ’’[6].

Dans la prise en charge des patientes, la décision thérapeutique peut être prise dans la majorité des cas sur la base de l’analyse du résultat de la densité minérale osseuse, et des facteurs associés de risque de fractures, (âge, faible poids, troubles orthopédiques ou neurologiques des membres inférieurs, corticothérapie prolongée…). Dans les cas de décision difficile, l’usage des marqueurs biologiques est utile.

TABLEAU 2. — Indications potentielles de la DMO et des marqueurs biologiques du remodelage osseux dans l’exploration des ostéoporoses DMO

Marqueurs osseux

Diagnostic de l’ostéoporose Oui Non Prédiction de la perte osseuse oui (imparfaitement) nécessité oui sur un dosage (mais future de pratiquer 2 examens imparfaitement) distants d’au moins 2 ans Évaluation du risque fracturaire oui (chaque diminution d’une oui (d’une part en prédisant la DS double le risque fracturaire) perte osseuse mais aussi indé- pendamment de la DMO) Évaluation de l’efficacité d’un pas à court terme oui après 3 à 6 mois de traitetraitement ment (principalement pour les (sauf pour le ranélate de bisphosphonates, les THM et la strontium et le tériparatide) PTH, mais inutile avec le rané- late de strontium) LES INDICATIONS DE L’OSTÉODENSITOMÉTRIE

L’intérêt des mesures de la DMO et des marqueurs biochimiques du remaniement osseux a fait l’objet de nombreuses études en France et à l’étranger.

Aucun rapport ne préconise le dépistage systématique de l’ostéoporose sur la population générale et seulement un quart des rapports le recommande sur les femmes ménopausées. En revanche, un dépistage ciblé sur les femmes ménopausées présentant un ou plusieurs facteurs de risque de fracture est favorablement apprécié. Cette opinion rejoint les recommandations de l’OMS, de la Communauté européenne, du GRIO et de l’ANAES.

Dans son rapport de janvier 2006 sur le traitement de l’ostéoporose postménopausique, l’AFSSAPS [7] indique que la mesure de la densité osseuse du rachis et du fémur par absorptiométrie biphotonique à rayons X, avec respect des critères d’assurance- qualité (selon le texte du Journal Officiel du 7 juin 2005) est l’un des éléments principaux mais non exclusif, de la décision thérapeutique.

Selon l’ANAES (2004) [8], quel que soit le contexte, une ostéo-densitométrie ne doit-être conseillée que si le résultat de l’examen peut a priori conduire à une modification de la prise en charge du patient.

Chez la femme ménopausée, il est recommandé de faire une ostéodensitométrie devant :

— la découverte radiologique d’une fracture vertébrale sans caractère traumatique ni tumoral évident ;

— un antécédent personnel de fracture périphérique survenue sans traumatisme majeur (à l’exclusion des fractures du crâne, des orteils, des doigts et du rachis cervical) ;

— des antécédents confirmés de pathologies potentiellement inductrices d’ostéoporose, en particulier : hypo-gonadisme prolongé, hyperthyroïdie évolutive non traitée, hyper-corticisme et hyper-parathyroïdie primitive.

L’ostéo-densitométrie peut-être proposée chez la femme ménopausée, en présence d’un ou de plusieurs des facteurs de risques suivants :

— les antécédents de fracture vertébrale ou du col fémoral sans traumatisme majeur chez un parent au premier degré ;

— un indice de masse corporelle < 19 kg/m2 ;

— ménopause avant 40 ans quelle qu’en soit la cause ou ménopause iatrogénique ;

— antécédent de corticothérapie prolongée (> trois mois) à la dose de corticoïde équivalent prednisone de 7,5 mg/jour.

Lorsque le résultat de la mesure de la densité osseuse est normal, et en l’absence de traitement, une deuxième ostéo-densitométrie peut-être proposée 2 à 5 ans après la première et ce en fonction de l’ancienneté de la ménopause, du résultat de la première mesure et de la persistance ou de l’apparition de facteurs de risques.

Lors de la mise en route d’une corticothérapie prolongée de plus de trois mois, à une dose J 7,5 mg/j d’équivalent prednisone, il est recommandé de faire une ostéo-densitométrie.

L’estimation du risque individuel de fracture nécessite d’associer le résultat de la mesure de la densité minérale osseuse à d’autres facteurs de risque de fractures , précisés par l’ANAES et repris dans le rapport de l’AFSSAPS de janvier 2006 :

— Facteurs de risque indépendants de la densité minérale osseuse :âge, antécédent personnel de fracture, corticothérapie ancienne ou actuelle, antécédent de fracture de l’extrémité supérieure du fémur chez les parents du 1er degré, diminution de l’acuité visuelle, insuffisance de masse corporelle (<19kg/m2), troubles neuro-musculaires ou orthopédiques, tabagisme, mauvais état de santé (plus de trois maladies chroniques), hyperthyroïdie, polyarthrite rhumatoïde, cancer du sein (traitement par inhibiteurs des aromatases), augmentation du remodelage osseux (élévation des marqueurs de résorption osseuse).

— Facteurs de risque liés à la densité minérale osseuse : ménopause précoce, aménorrhée primaire ou secondaire, immobilisation prolongée, carence vitamino-calcique.

Des index de risque fracturaire, combinant les différents facteurs de risque, sont proposés pour tenter de calculer le risque individuel de fracture, mais ils ne sont pas encore validés.

CONCLUSION

Un certain nombre de données positives résultent de l’analyse des travaux portant sur l’expertise des méthodes de dépistage précoce de l’ostéoporose :

• la meilleure méthode actuelle consiste à mesurer la densité minérale osseuse (DMO) par absorptiométrie biphotonique aux rayons X (DXA).

Cependant l’intérêt clinique de cette détermination dépend de la fiabilité des mesures. Celle-ci nécessite l’application du système d’assurance de qualité, la formation satisfaisante des spécialistes effectuant les mesures et l’interprétation des résultats ;

• les marqueurs du remodelage osseux évalués actuellement ne permettent pas d’affirmer un diagnostic d’ostéoporose. Leur intérêt est surtout marqué dans le suivi des traitements et les situations de décision thérapeutique difficile.

• La mesure de la DMO par absorptiométrie biphotonique aux rayons X (DXA) est indiquée chez les personnes ayant un facteur de risque :

— Antécédents de fracture (vertébrale ou périphérique) provoquée par un traumatisme minime, — Ménopause précoce (avant 40 ans), — Aménorrhée secondaire prolongée, — Antécédents d’ostéoporose ou de fracture chez un parent au premier degré.

— Hypogonadisme, — Hyperthyroïdie ou traitement frénateur par les hormones thyroïdiennes ou leurs dérivés, — Hyperparathyroïdie primitive, — Hypercorticisme ou corticothérapie prolongée (supérieure à trois mois), — Indice de masse corporelle inférieur à 19 kg/m2, — Maladie inflammatoire chronique de l’intestin, — Rhumatisme inflammatoire chronique et sévère, — Traitements de certains cancers (sein, prostate).

• La mise en place du dépistage de l’ostéoporose chez l’homme nécessite des études supplémentaires.

• En outre, l’ostéodensitométrie est utile chez l’enfant dans certaines pathologies de la croissance [9], les traitements freinateurs de la puberté précoce et dans certaines maladies génétiques (ostéogenèse imparfaite, syndrome de Turner, trisomie 21…)

Enfin il est indispensable que les organismes de recherche publics et privés incitent plus largement les recherches fondamentales et cliniques sur l’ostéoporose et les risques fracturaires. La poursuite des recherches est particuliè- rement souhaitable au sujet de :

• la place du dépistage systématique dans la population générale ;

• l’étude de la microarchitecture osseuse trabéculaire, et application à la mise au point de méthodes d’exploration non invasives pour compléter la mesure de la DMO ;

• la valeur relative des facteurs de risque fracturaire ;

• le rôle des facteurs nutritionnels dans l’apparition de l’ostéoporose ;

• l’ostéoporose masculine : fréquence, facteurs de risque, opportunité d’un dépistage et dans quelles populations ;

• les traitements préventifs de l’ostéoporose.

BIBLIOGRAPHIE [1] Ostéoporose. — Stratégies de prévention et de traitement. Expertise collective de l’INSERM. Éditions INSERM 1996.

[2] DREUX C. et DELMAS P.D. — Les méthodes de mesure de la densité minérale osseuse (DMO) et des marqueurs du remodelage osseux dans le dépistage de l’ostéoporose. Bull.

Acad. Nale Méd. , 2001, 185(8) , 1561-1580.

[3] — Ostéoporoses. GRIO. Coordination C.L. BENHAMOU. Collection Conduites — Paris, Doin Editeur., 2000.

[4] ANAES. — Service évaluation technologique et Service des Recommandations et références professionnelles. Documents de travail, avril et mai 2001.

[5] GARNERO P., SOUBERBIELLE J.C. — Marqueurs du remodelage osseux : intérêt et limites dans l’ostéoporose post-ménopausique. Fiche technique éditée par le Comité d’Éducation Sanitaire et Sociale de la Pharmacie Française (Lettre des Nouvelles pharmaceutiques no 217 — 8 juin 2001).

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[7] AFSSAPS. — Traitement de l’ostéoporose post ménopausique. Janvier 2006.

http : //agmed.sante.gouv.fr/pdf/5/rbp/ostemrec.pdf [8] ANAES. — Diagnostic de l’ostéoporose chez les femmes ménopausées. Mis en ligne le 7 décembre 2004. http : //www.anaes.fr.

[9] BARRAT P., BARTHE N., BATTIN J. — Intérêt de l’absorptiométrie biphotonique chez les enfants déficients traités par hormone de croissance. Ann. Pédiat . (Paris), 1999, 46 , suppl.

1, 56-60.

RECOMMANDATIONS

L’Académie nationale de médecine recommande la recherche de l’ostéoporose par ostéodensitométrie biphotonique aux rayons X (DXA) dans les indications précédemment citées.

Il importe d’attendre la confirmation de l’utilité et la connaissance du ratio coût-efficacité d’une mesure systématique chez la femme après 65 ans pour généraliser le dépistage.

L’ostéodensitométrie doit être effectuée par un opérateur spécialement formé à cette technique (formation initiale et/ou formation continue certifiée). Le maté- riel doit être validé régulièrement par les procédures de contrôle de qualité actuellement réglementaires.

Le remboursement de l’ostéodensitométrie (DXA), après inscription à la nomenclature des actes médicaux, est souhaitable dans les conditions suivantes :

— prescription de l’examen par un médecin sur indications définies précé- demment ;

— réalisation par une personne qualifiée dans les conditions fixées plus haut.

L’estimation du risque individuel de fracture nécessite d’associer le résultat de la mesure de la densité minérale osseuse à d’autres facteurs de risque de fracture.

Les recherches sur la prévention et sur les méthodes de diagnostic et de dépistage précoce de l’ostéoporose devraient être plus largement prises en charge par les pouvoirs publics et les organismes de recherche et de soutien de la recherche, publics ou privés.

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L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 27 juin 2006, a adopté le texte de ce rapport à l’unanimité.

* Membre de l’Académie nationale de médecine ** Constitué de : MM. MENKÈS (Président), DREUX (Secrétaire), BONTOUX (Rédacteur), AUQUIER, PICARD, QUENEAU. Membres invités : Mme CORMIER, MM FARDELLONE, ROUX, SOUBERBIELLE.

Bull. Acad. Natle Méd., 2006, 190, no 6, 1275-1290, séance du 27 juin 2006