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Séance du 20 juin 2006

Compte rendu de l’activité du Comité Consultatif National d’Ethique, d’avril 2005 à avril 2006

MOTS-CLÉS : autonomie. éthique médicale. famille. prison/éthique. refus du traitement par le patient. traitement automatique des données.
Activity report of the French national ethical consultative committee
KEY-WORDS : automatic data processing.. ethics, medical. family. personal autonomy. prison/ethics. treatment refusal

Claude Sureau

Résumé

Parmi les nombreux thèmes abordés par le CCNE durant cette année, cinq ont paru mériter leur présentation à l’Académie nationale de médecine : — les difficultés, les contraintes et les avantages liés à l’informatisation de la prescription médicale, — l’analyse des problèmes soulevés par le refus de soins, dans le cadre de l’application de la Loi du 4 mars 2002, — les conséquences des avis médicaux en matière de détention d’individus se réclamant d’un statut de mineur, — le respect des obligations réglementaires vis-à-vis des corps de fœtus morts, — le dilemme de la connaissance des origines confronté au respect de la vie privée, qu’il s’agisse des accouchements secrets, de l’accueil d’embryons, de la maternité de substitution ou surtout du don de gamètes.

Summary

Among the many subjects debated by the national ethical consultative committee during the past year, five are particularly worthy of being presented to the National Academy of Medicine : — the difficulties, constraints and advantages of computerizing medical prescriptions ; — issues raised by treatment refusals, within the context of the law dated 4 March 2002 ; — the consequences of medical opinions on the detention of persons claiming to be minors ; — legal obligations pertaining to the remains of dead fetuses ; — and the dilemma opposing the right to know one’s origins and the right to privacy, in the context of ‘‘ secret ’’ deliveries, embryo donation, surrogate motherhood and, above all, sperm and egg donation. J’ai été désigné pour faire partie du CCNE par vote du Conseil d’Administration de l’Académie en octobre 2004. Cette nomination n’est devenue effective que plus tardivement par l’arrêté du 1er mars 2005 ; en avril j’ai été élu membre du Comité Technique du CCNE et co-rapporteur de l’avis 90. Pendant cette année le CCNE a été amené à exprimer des opinions dans un grand nombre de circonstances, mais il me paraît particulièrement opportun de tenir l’académie informée de cinq « avis » qui ont concerné les thèmes suivants :

AVIS No 87 : REFUS DE TRAITEMENT ET AUTONOMIE DE LA PERSONNE (avis daté du 14 avril 2005, rendu public lors d’une conférence de presse le 9 juin 2005)

Cet avis est centré d’abord sur la reconnaissance de l’autonomie du patient, adulte « compétent » ; celui-ci doit devenir « acteur » de ses soins, et non seulement sujet, voire objet, passif. Une divergence peut apparaître entre son opinion et celle du praticien ; l’élément essentiel à éviter est, pour celui-ci, de recourir à une attitude « directiviste », excluant toute réflexion en commun ; il ne doit pas non plus ressentir les réticences du patient comme une mise en doute de la qualité des soins qu’il propose ; plus encore, en cas de refus d’un ou de plusieurs éléments de ceux-ci, il doit éviter de prendre ces réticences comme une atteinte à sa dignité, et tenter de « passer en force », au besoin en recourant à une procédure judiciaire.

Il doit être conscient du poids de l’angoisse, vis-à-vis de la maladie, du traitement, conscient également de l’influence éventuelle de l’environnement, et donc dialoguer, au besoin requérir d’autres avis ; d’une manière plus générale, il doit toujours chercher à anticiper un éventuel désaccord, sachant que la pire situation est celle où celui-ci survient dans un contexte d’urgence, propre à exacerber les tensions.

Cet avis se penche sur les situations extrêmes, par exemple les refus comportant un risque vital (refus d’alimentation, refus de transfusion), et préconise une attitude prudente, respectueuse des volontés des personnes, sans que soient pris en considé- ration de manière excessive le concept et les risques judiciaires théoriques de la « non-assistance ».

Il considère également les situations plus difficiles encore de décision par autrui ou pour autrui ; doivent alors être prises en compte les conséquences éventuelles sur le reste de la collectivité, par exemple en cas de refus de vaccination ; ou pour l’individu concerné, par exemple lorsqu’il s’agit d’un incapable ou d’un mineur (cet aspect de la question fut particulièrement illustré par une affaire survenue à Angers en 2005 : une décision du Tribunal pour enfants suspendit la puissance parentale, dans le cadre d’un conflit entre un adolescent, ses parents et le corps médical, à propos d’un traitement anticancéreux ; cette décision fut annulée par la Cour d’Appel le 26 juillet).

Dans la même ligne de pensée, l’avis n’évite pas une nécessaire réflexion sur la protection de l’être non encore né, qui, juridiquement n’est pas une personne, mais doit être protégé : c’est le cas des refus de césarienne d’indication fœtale ; très lucidement, et courageusement, l’avis conclut qu’il ne convient pas, pour le praticien, de s’abriter derrière le respect absolu de l’autonomie maternelle, ni de se laisser impressionner par d’hypothétiques risques judiciaires, mais qu’il doit, lorsqu’il a la certitude de la valeur de ses arguments, se porter au secours de l’être en devenir qu’est le fœtus.

AVIS No 88 : LES MÉTHODES DE DÉTERMINATION DE L’ÂGE À DES FINS JURIDIQUES, réponse à la « défenseure » des enfants, Mme Claire Brisset (25 juin 2005)

Cette réponse concerne le rôle du corps médical lorsqu’il est sollicité pour donner un avis sur la majorité d’un individu, interpellé par les autorités policières ou judiciaires, que ce soit sur la voie publique ou à l’occasion d’un contrôle aux frontières ; cet avis est important puisqu’il peut comporter des conséquences en termes d’incarcé- ration éventuelle, de maintien en centre de rétention, ou de libération, quitte à ce que dans cette éventualité ce « mineur » soit soumis à des contraintes extérieures dont il conviendrait qu’il soit protégé.

La difficulté est que les moyens techniques dont dispose la médecine sont incertains (radiographie du poignet et de la main, radiographie dentaire, voire examen corporel, en particulier mammaire et génital) et peuvent être péniblement ressentis du point de vue psychologique, et donc dans une certaine mesure considérés comme attentatoires à la dignité des personnes considérées.

La difficulté est aussi que faute d’utiliser ces moyens, pour incertains qu’ils soient, la personne en question peut être l’objet de mesures, telles que l’incarcération, dont elle aurait pu être dispensée.

Le CCNE recommande donc la plus grande prudence dans le recours à ces techniques et surtout dans l’expression de leurs résultats vis à vis des autorités ; hormis les cas extrêmes, évidents, il est recommandé aux praticiens de tenter de définir des « fourchettes » de probabilité et à partir de là de fournir aux autorités l’information supposée la plus favorable à l’intérêt de la personne concernée.

AVIS No 89 : LA CONSERVATION DES CORPS DES FŒTUS ET ENFANTS MORT-NÉS, réponse à la saisine du Premier Ministre (22 septembre 2005 )

La triste aventure des 351 corps de fœtus morts de l’hôpital Saint Vincent de Paul est dans toutes les mémoires. Le CCNE fut saisi par le Premier Ministre dès la découverte de cette regrettable situation le 2 août 2005 avec pour mission de se pencher sur les dispositions juridiques et administratives concernant l’attitude à
adopter dans ces circonstances ; cette mission fut effectuée pendant l’été 2005, permit de constater et de regretter que ces dispositions, pourtant claires, n’avaient pas été respectées, que la vigilance de l’AP/HP avait été prise en défaut, mais que, pour autant, il n’y avait pas eu « un scandale médical de plus », comme certaines affirmations médiatiques ou même médicales avaient pu le laisser entendre.

Deux points particuliers méritent d’être notés à l’occasion de cette saisine :

Le premier est d’importance puisqu’il concerne l’indépendance de la réflexion et de l’expression du CCNE vis-à-vis du pouvoir exécutif ; cette indépendance est totale, renforcée encore par l’évolution des règles qui régissent son fonctionnement (en particulier la loi du 6 août 2004, les articles L.1412-1 à L.1412-5 du Code de la Santé Publique et le décret du 28 avril 2005) ; il est évident que s’il en était autrement l’expression de son activité se trouverait entachée d’une incertitude sur cette indé- pendance qui lui ôterait toute valeur et mettrait en cause son existence même. Or, la conférence de presse prévue le 11 octobre 2005 a été annulée à la dernière minute pour des raisons demeurées mystérieuses, et n’a pu être organisée que quinze jours plus tard. C’est, dans l’histoire du CCNE, le seul exemple d’une intervention directe du pouvoir exécutif dans son activité ; il y a là matière à réflexion.

Le deuxième n’est pas moins important : la saisine du Premier Ministre concernait les corps des fœtus morts ; il aurait pu apparaître opportun de saisir cette occasion de réfléchir au statut juridique, éthique et médical des fœtus vivants ; c’eut été sans nul doute dépasser le cadre précis de la saisine et de ce fait cette éventualité n’a pas été retenue, tout au moins dans l’immédiat ; il n’est pas exclu que d’autres événements conduisent ultérieurement le CCNE à se pencher sur cette question que les progrès des connaissances médicales rendent de plus en plus actuelle.

AVIS No 90 : ACCÈS AUX ORIGINES, ANONYMAT ET SECRET DE LA FILIATION. Avis évoqué lors de la réunion publique annuelle du CCNE le 29 novembre 2005 et présenté lors de la conférence de presse du 26 janvier 2006

On connaît le drame des « enfants de personne », on sait leur détresse, que ne compense pas toujours l’affection qu’ils portent à leurs parents « sociaux » et que ceux-ci leur portent ; la société dans son ensemble, et au premier rang les praticiens impliqués dans les diverses modalités de la parentalité « symbolique », en sont parfaitement conscients.

Mais ces praticiens, comme ces parents « selon le cœur » sont également conscients des raisons pour lesquelles la filiation biologique s’est effacée devant la « filiation de l’apparence », voire du mensonge : ils savent que ces raisons sont diverses, qu’il peut s’agir, en cas d’adoption, de l’acte généreux d’un couple prenant en charge un enfant abandonné, afin de donner une famille à un enfant.

Ailleurs il s’agissait de donner un enfant à une famille ; l’infertilité est aussi un drame personnel, et doit être considérée comme une pathologie dont il est de la
responsabilité médicale de la traiter si on le peut, et sinon d’en pallier les conséquences dans des limites raisonnables. On a toutes les raisons de penser que ces enfants obtenus dans ces conditions souvent difficiles, éprouvantes même, bénéficieront d’un environnement familial propre à leur épanouissement ; mais pour eux aussi pourra se poser la question de la connaissance, et parfois de la quête anxieuse, qui peut devenir obsessionnelle, de leurs origines.

Il était donc naturel que le Comité Consultatif National d’Ethique se penche sur cette question : il s’est auto-saisi il y a environ quatre ans et dans un premier temps a envisagé de la traiter dans sa globalité : c’est-à-dire en se situant dans la perspective de l’opposition de valeurs entre la demande de l’enfant et l’intérêt qu’il attache à cette connaissance, d’un coté, et de l’autre les motivations conduisant les parents sociaux à privilégier l’apparence d’une filiation fictive, dont l’évolution des techniques biologiques comme des dispositions législatives rend le maintien chaque jour plus aléatoire.

Au début de l’année 2005, le renouvellement partiel du comité a conduit à reconnaître que, tout en considérant avec attention les points communs aux diverses éventualités médicales et humaines, il était nécessaire d’envisager séparément en fonction de celles-ci les orientations à suggérer tant aux couples qu’aux praticiens.

Ce qui fut fait et conduisit à l’Avis no 90 dont les différentes composantes sont les suivantes :

Accouchement anonyme et adoption

On sait que ce problème a été abordé par la loi du 22 janvier 2002 qui créait le Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (CNAOP), qu’ont présidé successivement nos deux confrères Roger Henrion et Michel Arthuis.

A plusieurs reprises ce conseil a rendu public son compte-rendu d’activité et les remarques que celle-ci lui inspirait. Compte tenu du caractère récent de cette institution, le CCNE a considéré qu’il convenait d’attendre un retour d’expérience plus important pour faire aux autorités des suggestions ; deux points ont toutefois, d’ores et déjà, retenu son attention :

— Le premier est qu’il lui semble, dans la perspective éthique qui est la sienne, que le rôle du procréateur est peu pris en compte ; il est de fait que celui-ci dispose d’un délai de deux mois après la naissance pour se manifester et faire obstacle à la remise à l’aide sociale ; mais ce délai peut être trop court pour qu’il ait le temps de faire valoir ses droits ; l’allonger risquerait en revanche de perturber les conditions de la remise en vue d’adoption ; il y a donc là un conflit d’intérêts dont la solution n’est pas évidente, mais dont l’existence doit être soulignée.

Cette difficulté s’est trouvée récemment confirmée par l’émotion qu’a suscitée l’arrêt (avril 2006) de la Cour de Cassation sur la garde du petit Benjamin.

— Le deuxième point est en revanche très clair et constitue aux yeux du CCNE une anomalie législative dont la correction est nécessaire : il s’agit d’une situation
dont le rapport du CNAOP montre bien qu’elle n’est pas exceptionnelle et qui a trait à l’éventualité du décès de la mère avant que celle-ci n’ait eu l’occasion ni la possibilité d’expliciter sa position quant à une éventuelle demande de levée du secret de son accouchement ; dans ce cas, si l’enfant accède à la connaissance de l’identité de sa mère décédée, il peut la révéler et entrer en contact avec sa famille maternelle ; on imagine les conséquences. Il est apparu au CCNE paradoxal qu’au moment où (Loi du 6 août 2004) la détermination de la filiation d’un homme mort par recours aux empreintes génétiques de son cadavre cesse d’être acceptée, la filiation de la femme morte puisse être recherchée si elle n’a pas pris la précaution d’en récuser l’éventualité de son vivant.

Accueil d’embryon et double don

La loi du 6 août 2004, comme celle du 29 juillet 1994, autorise l’« accueil » d’un embryon cryopréservé dont les parents originels n’envisagent plus de poursuivre, pour des raisons personnelles, leur « projet parental ». A première vue, une telle éventualité peut apparaître comme généreuse, analogue en quelque sorte à une « adoption prénatale ».

La réalité peut être plus complexe ; le CCNE s’est interrogé sur les éventuelles conséquences psychologiques pour cet enfant de la révélation des circonstances de son accueil : on peut redouter que ne s’insinue dans son esprit le sentiment douloureux de n’avoir été que le reliquat, le laissé pour compte, d’un projet parental avorté.

Il peut s’interroger sur les raisons de cette discrimination qui l’a empêché de connaître ses ‘‘ vrais ’’ parents, ses éventuels frères et sœurs ; évidemment, si cet enfant n’est pas informé des circonstances de sa conception, il se supposera issu du couple d’accueil, né de sa mère ‘‘ gestationnelle ’’, sa seule vraie mère au regard du Code Civil, mais au risque qu’un jour une analyse génétique ne lui révèle la duperie dont il fut à la fois victime et bénéficiaire.

Ce qui pose un autre problème, celui de la révélation à l’enfant des modalités de sa procréation et de sa naissance ; l’ensemble du rapport du CCNE tend à souligner auprès des parents sociaux bénéficiaires l’importance d’une information sur ces modalités, mais ce choix demeure le leur ; comment dès lors ne pas redouter, du fait même des contraintes juridiques imposées par le Code de la Santé Publique, en particulier l’obligation de l’accord du Président du Tribunal (avec l’évidente violation de la confidentialité qui en résulte du fait de la multiplicité des intervenants) que cette révélation n’intervienne dans des conditions peu optimales ; cette éventualité explique la proposition du CCNE de revenir sur les modalités d’obtention de l’accord juridictionnel.

Par ailleurs, la possibilité de recueil d’éléments non identifiants, susceptibles d’être communiqués dans certaines circonstances pathologiques, lui paraît opportune, de même qu’une réflexion sur l’éventualité d’une extension de la mission du CNAOP vers ces particulières ‘‘ adoptions prénatales ’’.

Mais le CCNE n’a pas hésité à se pencher une nouvelle fois sur une surprenante décision législative qui mérite, à ses yeux et le plus tôt possible, une correction : le problème de l’interdiction du transfert posthume d’un embryon cryopréservé ; en cas de fécondation in vitro , concernant donc deux époux vivants et consentants lors de cette fécondation, la mort ultérieure du mari (après la fécondation, mais avant le transfert) rend actuellement un tel transfert juridiquement impossible ; certes de telles situations sont heureusement rares, mais elles revêtent une importante valeur symbolique. On connaît l’incompréhensible iniquité de ces articles législatifs et de leur application jurisprudentielle, conduisant à proposer aux veuves concernées le choix inhumain entre la destruction de l’embryon congelé ou le don à un autre couple ; le CCNE, dans son avis no 40 du 17.12.1993, comme bien d’autres instances, y compris l’Académie nationale de médecine, avait demandé en vain l’abrogation de cette interdiction. Le CCNE s’élève une fois de plus contre cette disposition législative qui lui paraît injustifiée ; il n’est pas inintéressant de noter que le jour même où cet avis fut rendu public, un autre rapport fut présenté, celui de la mission parlementaire sur la famille ; ce rapport comporte la proposition 49 qui reconnaît la légitimité de ce transfert posthume, bien entendu dans des conditions précises et restrictives ; on peut dès lors raisonnablement espérer qu’une des dispositions les moins éthiques des lois ‘‘ éthiques ’’ de 94 et 2004 sera prochainement rapportée, d’autant qu’un rapport sénatorial rendu public en avril 2006 va dans le même sens ;

entre temps elle aura malheureusement causé bien des drames.

Une autre disposition surprenante de ces lois a été également envisagée et critiquée par le CCNE : il s’agit de l’interdiction du ‘‘ double don ’’ gamétique, spermatique et ovocytaire ; le CCNE considère que cette interdiction devrait être levée.

Don de gamètes

On sait que la connaissance des origines est parfois réclamée par les enfants issus d’un don de gamètes, en particulier d’une IAD ; ce problème est assez différent de celui posé par l’accouchement anonyme ; le don de gamètes traduit un choix du donneur, choix délibéré et profondément généreux, altruiste, défini dès le début dans le code des Cecos, tel que mis au point par Georges David : l’aide d’un couple fécond apportée à un couple infécond. Cette différence essentielle n’en rend pas moins douloureuse la quête des origines initiée par certains enfants issus de tels dons, même si l’importance numérique de cette demande peut difficilement être évaluée.

La prise en compte de cette différence explique la position très nuancée adoptée par le CCNE : d’une part aucun changement législatif ou réglementaire ne saurait être rétroactif ; en ce qui concerne l’avenir, la réflexion doit se poursuivre : d’abord les couples bénéficiaires doivent être dès le début du processus informés des conséquences éventuellement délétères du point de vue psychologique qui peuvent résulter d’une absence d’information des enfants sur les modalités de leur conception, et plus encore de leur installation dans un système de mensonge familial ; ce d’autant plus que l’extension des techniques biologiques concernant la traçabilité génétique,
fragilisent l’affirmation d’une filiation sociale erronée ; il est clair, d’un autre coté, que ce problème ne concerne pas les seuls couples ayant bénéficié d’une AMP ; il concerne également les enfants issus de procréations ‘‘ naturelles ’’ ; la réflexion sur les limites réciproques du social et du biologique en matière de filiation représente donc un enjeu majeur qui nécessite la poursuite de la réflexion ; pour l’heure, le CCNE se prononce pour le maintien de l’anonymat , dans l’incertitude où nous nous trouvons quant aux possibles effets délétères d’une levée autoritaire de l’anonymat des donneurs ; en revanche, le recueil et éventuellement la communication de données non identifiantes peuvent être justifiés par des considérations médicales.

Par ailleurs, une piste est ouverte par la réflexion du CCNE sur la ’’double voie ’’ : ne pourrait-on envisager à l’avenir que les donneurs de gamètes, surtout de sperme, choisissent de donner ceux-ci dans un cadre soit anonyme soit non anonyme ? Les couples bénéficiaires auraient également la possibilité de choisir des gamètes issus d’un don anonyme ou non anonyme ; le CCNE offre cette éventualité à la réflexion, sans aller plus loin ; il s’interroge sur la discrimination qu’une telle solution pourrait instituer entre les enfants issus d’un don anonyme et ceux issus d’un don non anonyme ; il s’interroge aussi sur le fait que ce type d’organisation fut instauré dans certains pays étrangers, mais fut secondairement abandonné ; la question demeure donc ouverte. Il n’est pas inintéressant toutefois de noter que le rapport susmentionné de la Commission parlementaire sur la famille, publié le même jour, rejoint cette préoccupation en proposant (proposition 48) le recours au « double guichet » ;

le terme est moins esthétique, mais l’idée est identique, et mérite d’être creusée.

Maternité de substitution

On sait que depuis une affaire célèbre (affaire G. de 1991) qui fit l’objet d’un acte de rébellion d’une cour d’appel, puis d’une décision de l’Assemblée plénière de la Cour de Cassation, avec audition en tant qu’« amicus curiae » du Président du CCNE, enfin des lois de 94 et 2004, la maternité de substitution est interdite en France et peut faire l’objet de poursuites au pénal ou au civil, comme contraires à l’ordre public.

Le CCNE est bien conscient des enjeux d’une telle pratique, et en particulier du risque éthique d’exploitation de la précarité sociale de la « porteuse » par celle qui rêve de devenir ainsi la « mère sociale » de l’enfant. Le problème est que cette « gestation pour autrui » est réalisable dans certains pays étrangers et que des poursuites pénales ne peuvent être engagées contre des ressortissants français si la totalité du processus médical et de la reconnaissance de filiation a été réalisée dans ces pays ; une récente affaire, survenue à Créteil, en a apporté la démonstration éclatante ; on comprend certes l’attitude stricte des autorités françaises, consulaires et judiciaires, soucieuses précisément de ce respect de l’ordre public ; mais le CCNE ne peut pour autant négliger les conséquences d’une telle attitude sur « l’intérêt de l’enfant » , élément central de la réflexion éthique, élément si souvent invoqué à l’occasion de bien des décisions judiciaires ou administratives. Or, l’affaire de Créteil
le révèle clairement, la non reconnaissance de la maternité d’accueil comme l’interdiction d’adoption par la femme du père, social et génétique, peut conduire, en cas de décès de celui-ci, à la remise de l’enfant aux services sociaux, la ‘‘ mère ’’ d’accueil n’ayant aucun droit sur lui. Il y a là, pour le CCNE, matière à une sérieuse réflexion éthique, et éventuellement juridique.

Homoparentalité

Le thème de cette réflexion du CCNE était, on l’a bien compris, le problème de l’accès aux origines ; il n’était donc pas question de se pencher sur l’ensemble des modalités de procréation, de filiation ou de constitution des liens familiaux. Il lui a simplement semblé utile de rappeler qu’en France des enfants pouvaient être confiés pour adoption à des célibataires, et qu’aucun refus ne saurait se fonder sur le comportement sexuel des demandeurs, sous peine de contestation pour discrimination. En revanche, dans de telles circonstances, comme dans le cas d’adoptions interethniques, l’impossibilité de filiation biologique est une évidence et les futurs parents doivent être conscients de ce fait et prêts à en assumer toutes les consé- quences Conclusion

Cette réflexion du CCNE était certainement opportune. Pour autant il doit être clair qu’elle s’inscrit dans une dynamique très évolutive, que ce soit du point de vue biologique (avec l’extension des possibilités techniques d’établissement de la filiation), social (avec le renforcement du désir de connaissance et de reconnaissance) et juridique (avec l’acceptation du principe de l’établissement d’une telle filiation, suivant des règles de droit aujourd’hui très précises). Mais le conflit d’intérêt demeure entre « le droit à connaître cette filiation » et la protection de la confidentialité, par ailleurs réclamée avec toujours plus d’insistance.

La poursuite de la réflexion sur l’équilibre éthique à trouver entre le « biologique » et le « génétique » d’un coté, le « social » et « l’affectif de l’autre, est donc plus que jamais nécessaire, au sein de la société comme en celui de notre compagnie, ce que réalise le groupe de travail sur ce thème récemment constitué autour de Michel Arthuis et Georges David.

AVIS No 91 : L’INFORMATISATION DE LA PRESCRIPTION MÉDICALE — Le CCNE est parfaitement conscient des réticences que peuvent susciter la seule idée d’abandonner les prescriptions manuelles ainsi que les difficultés inhérentes à l’informatisation de celles-ci ; c’est bien la raison pour laquelle il insiste sur la nécessité d’un débat explicatif sans limitation de temps à l’usage des utilisateurs comme sur la progressivité du déploiement du système.

— D’un point de vue pratique, la prise en compte des capacités d’adaptation des utilisateurs, un retour d’expérience correctement organisé, un signalement permanent des écueils, la vigilance constante de tous les intervenants et tout particulièrement l’organisation d’une veille informatique sont des impératifs essentiels.

— Ces contraintes doivent être comprises et acceptées dès le départ par les autorités sanitaires, de même que la nécessité de la réduction de l’hétérogénéité des logiciels et par dessus tout la mise en œuvre des moyens indispensables, humains et matériels, ainsi que d’une formation individualisée des personnels concernés.

— Une préoccupation essentielle doit concerner la protection de la confidentialité des données.

— Ces préalables étant acquis, le CCNE considère que, une fois les difficultés prévisibles surmontées, l’informatisation de la prescription médicale comporte des avantages tels, en matière de sécurité de celle-ci (liée à la qualité de la communication entre les intervenants, à la traçabilité des décisions, surtout au contrôle de la compatibilité pharmacologique), que son extension mérite d’être poursuivie.

— Il estime nécessaire d’insister sur le fait qu’une telle informatisation est destinée à apporter une aide à la décision thérapeutique et en aucun cas à constituer un substitut automatisé à celle-ci, qui conduirait à éviter le recours à une réflexion clinique individualisée.

* Membre du Comité Consultatif National d’Ethique Membre de l’Académie nationale de médecine

Bull. Acad. Natle Méd., 2006, 190, no 6, 1237-1246, séance du 20 juin 2006