Autre
Séance du 6 novembre 2007

Automédication : le patient acteur de sa santé

MOTS-CLÉS : auto-médication. éducation sanitaire. responsabilité sociale.
Self-medication, patients as actors in their own health
KEY-WORDS : health education. self medication. social responsability.

Laurent Degos

Résumé

La relation thérapeutique a évolué au cours des dernières décennies. Le patient est progressivement devenu acteur de sa santé et acteur de son soin, en ayant davantage accès à l’information, au savoir médical et même au savoir-faire médical dans certains cas. Cette évolution utile et nécessaire soulève pourtant de nombreuses questions : où commence le soin, où commence le rôle du professionnel de santé ? Qui est responsable de l’éducation du patient, qui est responsable des conséquences potentiellement négatives des actes et décisions que le patient accomplit pour lui-même ? Toutes ces questions engagent un véritable changement de culture pour accompagner le citoyen acteur de sa santé.

Summary

The patient-doctor relationship has changed in recent years. Patients are gradually becoming actors in their own health, in their own care, as they gain access to medical knowledge. This raises a number of thorny issues. Indeed, where does medical care begin —- especially the specific role of healthcare professionals ? Who should take responsibility for patient education, and who should hold to account for possible mistakes in self-medication ? Profound changes in attitudes are needed to help patients become actors in their own health.

Le citoyen est acteur de sa santé, il pratique ce que les anglo-saxons appellent le « self care ». Être acteur de sa santé est une notion plus large que l’automédication [1]. Le citoyen doit accroître son savoir, son savoir-faire et être responsable pour se prendre en charge.

L’accès à l’information

Les citoyens ont accès à des sources d’information en santé qui sont multiples.

Le problème est plus dans la fiabilité des réponses que dans le manque de réponse.

Outre les interrogations auprès des médecins, les données des associations de malades, les organismes d’information santé, les amis, le patient a maintenant un accès direct à tout type de connaissance via Internet, y compris aux documents académiques.

Cet accès à l’information présente d’abord certains avantages. Plus le patient est informé et éduqué, plus sa prise en charge est efficace. Il apprend le bénéfice, le risque, et l’inconnu (aléa thérapeutique). Il comprend les inconvénients et les interactions de la polymédication.

Mais l’accès à l’information présentera aussi certains inconvénients. Chacun sait que l’on voit désormais souvent un malade « informé » demander au professionnel de santé de lui donner ce qu’il doit recevoir suivant ses propres convictions, ou après consultation sur Internet ; il est difficile alors de le persuader de suivre plutôt un avis professionnel.

Le rôle du médecin ou de tout professionnel de santé est d’être partenaire dans un partage de décision et non complice d’une demande futile du patient. Tout professionnel de santé joue un grand rôle dans l’accompagnement et l’acquisition du savoir.

Il est également nécessaire de veiller à la qualité des sites Internet de santé. C’est la mission de la Haute Autorité, qui propose une certification des sites e-santé. Il faut toutefois souligner que cette certification porte sur le contenant (référentiels) mais non sur le contenu. Bien que les référentiels fassent appel à la probité, le contenu ne peut être contrôlé.

L’apprentissage d’un savoir-faire

L’automédication désigne également l’utilisation de nouveaux appareils qui font appel à la pratique automédiquée. Ainsi la prise de la tension artérielle ou encore le dosage personnel de la glycémie par les diabétiques sont-ils entrés dans la pratique courante chez soi. La Haute Autorité de Santé examine actuellement les dosages personnels de l’anticoagulation, qui permettront au patient d’ajuster ses posologies sans passer à chaque fois par le laboratoire ni par la consultation d’un médecin.

Qui guide le patient dans l’apprentissage d’un dispositif ? Là encore, ce sont les professionnels de santé qui organisent cet apprentissage. Mais alors, qui est responsable s’il existe un défaut de dosage ou d’interprétation des résultats ? Cette question de la compétence des malades mérite d’être débattue [2].

 

Santé et maladie : des représentations mouvantes

Où commence le soin, où s’arrête le rôle du patient acteur de sa santé ?

L’enjeu est que le symptôme ne doit pas cacher une maladie [3]. Là réside la difficulté de discernement de la part du patient, là commence le rôle du médecin, du pharmacien et de l’infirmier.

La santé, qui était autrefois définie comme le silence des organes, devient aujourd’hui, avec la définition de l’OMS, le bien être physique, mental et social. La limite entre le normal et le défaut auquel il faut remédier est peu précise, elle devient subjective, ce qui rend parfois difficile de déterminer le moment où il convient de consulter un médecin.

Que penser de l’insomnie et de la consommation excessive de benzodiazépines, ou encore de la déprime passagère et de la prise d’anxiolytiques à tout moment, qui nécessitent certes une prescription mais si facilement délivrée que cela s’apparente à de l’automédication ou tout au moins au « self care ». Le bien-être physique, mental et social fait apparaître des besoins nouveaux qui sont, pour beaucoup d’entre eux, du domaine de l’hygiène de vie, de la diététique, ou du choix des loisirs. Se pose alors le problème de la limite entre ce qui est organisé et pris en charge par la société via un remboursement, ce qui est de l’automédication d’accompagnement, du « self care », et ce qui est du confort.

La prise en charge du mal-être physique transitoire, de la fatigue, de la douleur après un effort, de l’indigestion, sont souvent du ressort du comportement mais méritent parfois une automédication ou une attitude autoprescrite. Entre le besoin de soins prescrits, l’automédication, le « self care » et la vie de tous les jours, il existe un continuum dans l’action, l’éducation et la responsabilité, ce qui pose problème pour définir le moment d’intervention des professionnels.

Santé publique

Venons-en à la prise en charge personnelle dans la perspective de santé publique [4] :

la prévention primaire, comme l’arrêt du tabac, de l’alcool, de l’exposition prolongée au soleil, de la prise continue de médicaments somnifères ou anxiolytiques nécessitent une participation active du citoyen. Il en va de même de la prévention secondaire, notamment cardiovasculaire, lorsqu’un facteur de risque comme le diabète, l’hypertension artérielle, ou une dyslipidémie, est décelé. Le patient est acteur de sa santé.

La Haute Autorité a émis avec la collaboration de l’Institut National de Prévention et d’Éducation à la santé (INPES) une recommandation sur l’éducation thérapeutique, insistant là encore sur le rôle actif du patient entouré et encouragé par les professionnels de santé [5]. La Haute Autorité a souligné qu’on ne peut admettre un rôle de l’industrie dans l’observance ou l’éducation thérapeutique en dehors de l’apprentissage d’un dispositif médical.

 

Ainsi le citoyen et le patient sont-ils acteurs de leur santé — et c’est une bonne orientation. L’automédication prend toute sa valeur dans cette perspective. Cependant, trois conclusions en forme de débats méritent d’être soulignées dans ce contexte : l’éducation, la responsabilité, et le changement de culture.

Éduquer le citoyen ou le patient pour accroître son savoir et son savoir-faire est un préréquisit pour combattre certains symptômes d’une part, et pour prévenir les maladies et leurs complications d’autre part. Dans la recherche d’une meilleure observance des prescriptions, dans la cessation d’une addiction, dans la mise en place de l’éducation thérapeutique, outre le rôle des professionnels, le patient lui-même a une grande part de responsabilité et d’action [6], sans oublier le rôle de soutien de son entourage.

L’automédication ouvre la voie à la publicité grand public par les industriels, puisque les produits ne sont pas remboursés. Mais l’éducation passe par la relation entre le citoyen-patient et le professionnel de santé. L’éducation thérapeutique n’a pas à être perturbée de près ou de loin, de façon directe ou indirecte, par des initiatives industrielles. Où s’arrête la publicité, où commence l’éducation ? Où commence l’interférence avec le médecin, le pharmacien et l’infirmier ?

Le changement de comportement, que tous attendent dans la prévention, va de pair certes avec l’éducation mais aussi avec la responsabilisation, deux valeurs qui sont promues par l’automédication. Déléguer le savoir et le savoir-faire comporte des dangers, car la formation et l’expérience des professionnels est irremplaçable. La place du curseur entre la responsabilité des professionnels, reconnue par leur savoir, et la responsabilité du citoyen ou du malade dans sa pratique en tant qu’acteur de sa santé, non évaluée, n’est pas actuellement bien définie.

Le changement de culture est au centre de cette réflexion. Le changement de situation entre un médecin ordonnant à un patient qui ne pouvait pas prendre d’initiatives et la place du citoyen acteur de sa santé ou du malade qui se prend en charge, provoque un débat sur ce qui est de son champ de compétence, de sa responsabilité, et de l’évaluation de son éducation.

Cette évolution culturelle n’ira que grandissant, comme en témoigne la réflexion que la Haute Autorité a récemment mené sur les transferts et délégations de compétences et de tâches. En effet, il s’agit d’une chaîne de délégations et de transferts entre le médecin et les paramédicaux, mais aussi entre médecins, paramédicaux et le patient avec son entourage, chaîne qui est facilitée par la technologie, la télémédecine, et les nouveaux appareillages.

Le citoyen acteur de sa santé, éduqué et responsable, va dans le sens de l’histoire où lui seul peut changer de comportement et lui seul peut suivre une prévention ou un traitement au quotidien. Il se prend en charge mais doit connaître ses limites et faire appel aux professionnels de santé à bon escient.

 

BIBLIOGRAPHIE [1] Pour une définition de l’automédication, voir CNOM,

L’automédication , février 2001 ; rappelons que l’automédication ne se limite pas à la prise de médicaments mais englobe le suivi des paramètres biologiques et les traitements non médicamenteux, qui sont, rappelons-le, les prescriptions médicales les plus fréquentes dans des pays voisins comme la Hollande ou le Danemark.

[2] voir les pistes ouvertes dans CNOM, op.cit.

[3] COULOMB A., BAUMELOU A. —

Situation de l’automédication en France et perspectives d’évolu- tion. Marché, comportements, positions des acteurs , 2007, rapport.

[4] LE PEN C. —

Automédication et santé publique : le Service médical rendu par les médicaments d’automédication . CLP-Santé, 2003 [5] à paraître novembre 2007 [6] CANIARD E. — Dossier « Droits des malades, Information et responsabilité », Actualités et dossier en santé publique , no 36, septembre 2001

DISCUSSION

M. Jacques-Louis BINET

Concernant la distinction entre le signe et la maladie : c’est toute la difficulté de l’autodiagnostic, par exemple devant l’apparition de céphalées. Le meilleur guide pour ce diagnostic me semble être la mère de famille, ayant déjà eu un enfant, et qui sait, avec ses autres enfants, quand il faut appeler le médecin.

Vous avez parfaitement commenté notre propos sur le discernement lorsque le patient est acteur de sa santé.

M. Pierre BÉGUÉ

Il a été dit que, peu à peu, la délégation de responsabilité se ferait des médecins aux professions paramédicales, voire aux patients. Pour le renouvellement des médicaments, comment peut-on s’assurer que l’état du patient n’a pas changé ? Une modification de sa santé peut contre-indiquer l’ancienne prescription et nécessiter un changement thérapeutique. Comment être sûr qu’il n’échapperait pas ainsi au bon suivi par son médecin ?

Être acteur de sa santé ne signifie pas être indépendant de son médecin, mais bien être en relation avec son médecin pour mieux connaître sa maladie et mieux se connaître.

 

Mme Denise-Anne MONERET-VAUTRIN

La modification de la relation médecin-patient par ce troisième partenaire d’information qu’est Internet, suscite une interrogation sur la valeur des informations selon différents sites.

La Haute Autorité de Santé ne devrait-elle pas se saisir de ce problème et valider, de façon autorisée, la qualité des sites Internet par un label spécifique ?

La Haute Autorité de Santé fera très prochainement une recommandation sur la certification des sites e-santé.

 

* Haute Autorité de Santé, 2 avenue du Stade de France, 93218 Saint Denis La Plaine cedex. Tirés-à-part : Professeur Laurent D EGOS, même adresse. Article reçu et accepté le 15 octobre 2007.

 

Bull. Acad. Natle Méd., 2007, 191, no 8, 1503-1508, séance du 6 novembre 2007