Autre
Séance du 6 novembre 2007

Automédication et santé publique

MOTS-CLÉS : auto-medication. medicaments en vente libre.
Public health benefits of non prescription medicines and self care
KEY-WORDS : drugs, non prescription.. self medication

Alain Baumelou

Résumé

Selon l’Organisation Mondiale de la Santé en 2000, « l’automédication responsable consiste, pour les individus, à soigner leurs maladies grâce à des médicaments autorisés, accessibles sans ordonnance, sûrs et efficaces dans les conditions d’utilisation indiquées ». Dans ce domaine, les orientations prises par l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé sont : une révision des indications des anciennes spécialités, la définition d’un champ d’indications possibles adaptées à un bénéfice en santé publique, l’exonération « switch » au cours des dix dernières années d’une quinzaine de principes actifs, une amélioration de la lisibilité des notices, une adaptation des conditionnements à cet usage, la rédaction de recommandations, et la recherche de nouveaux modes de surveillance des effets indésirables. L’organisation et la promotion de ce mode de prise en charge constituent le meilleur rempart contre toutes les voies parallèles d’accès au médicament ou à des produits non autorisés.

Summary

Self-medication is one element of self-care. For Who, ‘‘ responsible self-medication is the practice whereby individuals treat ailments and conditions with medicines which are approved and available without prescription, and which are safe and effective when used as directed ’’. In France, Afssaps is the agency in charge of regulating the market in non prescription medicines. During the last ten years, major efforts have been made to rationalize this market. Measures include a revision of the indications of the oldest products, a definition of clinical indications than can be switched from prescription to non prescription, more readable patient information leaflets, adaptation of packaging to self-care, writing of guidelines and recommendations, and new modes of pharmacovigilance. Indeed, it is crucial to provide an appropriate framework for responsible self-care.

L’automédication est un comportement fréquent. Au XVIIIe siècle Furetière distinguait les situations où on se « médicine » (automédication) de celles où on se « médique » (sur prescription). En 1950 à la naissance de la sécurité sociale, environ 50 % de notre pharmacopée n’étaient pas inscrits sur une liste de substances vénéneuses. En quarante ans la proportion est tombée à 10 %.

Deux phénomènes récents expliquent sans doute l’intérêt renouvelé en France pour ce comportement. L’augmentation des coûts de santé a conduit au déremboursement de nombreuses spécialités pharmaceutiques antérieurement prescrites. Un mouvement important d’exonération de la prescription médicale dans de nombreux pays étrangers notamment anglo-saxons a augmenté le champ des situations cliniques pouvant relever de ce comportement.

Il n’existe pas à notre connaissance de définition réglementaire du comportement d’automédication. Nous adopterons la définition de l’Organisation Mondiale de la Santé : « l’automédication responsable consiste pour les individus à soigner leurs maladies grâce à des médicaments autorisés, accessibles sans ordonnance, sûrs et efficaces dans les conditions d’utilisation indiquées. » L’automédication responsable est donc directement définie par son vecteur, le médicament. La définition exclut tous les produits qui ne sont pas des médicaments, tous les médicaments inscrits sur une liste des substances vénéneuses, et tous les médicaments exonérés mais dont les conditions d’utilisation ne sont pas clairement définies. Ceci nous permet d’exclure du champ de ce comportement les déviations d’usage : usage de substances ne répondant pas aux exigences d’une autorisation de mise sur le marché, réutilisation de médicaments antérieurement prescrits, usage hors indications de médicaments non listés.

La sécurité de ce comportement est le souci majeur sur le plan sanitaire. Un développement important et rapide de cette classe de médicaments ferait courir plusieurs risques.

— La possibilité d’effet indésirable se retrouve dans tous les médicaments, prescrits ou non. Ce risque est actuellement bien maîtrisé car beaucoup de spécialités de cette classe contiennent des principes actifs anciens et largement utilisés dans de nombreux pays. Mais plusieurs exemples récents soulignent bien la nécessité d’une vigilance bien organisée.

— Le risque d’interaction médicamenteuse avec d’autres médicaments prescrits ou non est un souci majeur de même que le risque de cumul de principes actifs. Ces risques sont amplifiés par la politique de dénomination des spécialités dite « marque ombrelle ».

— Les risques de déviation d’usage : traitements prolongés, doses excessives, addiction devraient être appréhendés avant la mise sur le marché.

— Certaines populations sont particulièrement à risque d’effet indésirable et l’automédication ne doit leur être autorisée que dans des indications restreintes.

— Le risque de « perte de chance » par retard du diagnostic ou de la thérapeutique est souvent mis en avant dans des discussions plus polémiques que scientifiques sur l’automédication. Il n’est scientifiquement démontré dans aucune situation clinique. Il doit être systématiquement évalué et fonde la réflexion sur les indications. Un risque de perte de chance non prévenu par l’information des patients devrait exclure la spécialité du champ de l’automédication.

Ce souci sécuritaire doit fonder l’évaluation initiale de ces spécialités. Une bonne définition des indications de la spécialité, l’information du patient par la notice, par le pharmacien qui conseille et délivre, les études observationnelles avant mise sur le marché, une pharmacovigilance utilisant peut-être des méthodologies nouvelles sont le meilleur garant de la sécurité de ces médicaments.

L’efficacité fait partie de la définition du médicament. Ce peut être une efficacité démontrée dans des symptômes ou affections bénignes et de courte durée. Mais l’avis aux fabricants concernant les demandes d’autorisation de mise sur le marché des médicaments de prescription médicale facultative (PMF) a clairement élargi le champ de ces indications :

— prise en charge de certaines affections chroniques : elles nécessitent souvent un diagnostic médical initial, mais leur prise en charge au long cours peut être améliorée ou simplifiée par le statut de ces médicaments : ainsi par exemple les poussées articulaires des rhumatismes dégénératifs, les manifestations allergiques récidivantes, — prise en charge de certaines situations d’urgence où la nécessité d’une prescription médicale pourrait être une perte de temps et donc d’efficacité : ainsi contraception d’urgence, et peut être demain cystite, migraine, — certaines situations où l’accès direct au traitement peut améliorer la couverture sanitaire de la population, ce qui ne serait pas le cas si une consultation médicale était nécessaire : substituts nicotiniques et peut être demain risque cardiovasculaire, contraception.

Les affections pouvant donc relever d’une prise en charge de la maladie ont été répertoriées. Les indications cliniques ont été révisées. Le champ potentiel défini par ce nouveau cadre réglementaire est dessiné. Mais l’évaluation initiale de la spécialité devra vérifier :

— l’efficacité du médicament dans cette situation d’automédication, — et garantir l’efficacité et la sécurité du circuit de distribution.

Peut-il exister une utilité sanitaire en dehors d’une efficacité prouvée ? Les révisions des autorisations de mise sur le marché qui se sont déroulées sur les quinze dernières années ont été à de nombreuses reprises confrontées à ce problème. En France comme dans tous les autres pays européens. Des méthodologies d’évaluation parti- culières ont été adoptées pour les plantes, les spécialités homéopathiques. Le champ de la prescription médicale facultative est tout particulièrement confronté à ce problème, notamment pour les anciennes spécialités. Il nous semble que clarifier cette notion d’utilité soit utile pour certaines de ces spécialités. Elle devrait être mieux cernée par des études soit observationnelles soit médicoéconomiques.

Les limites imposées par la sécurité de ces médicaments étant balisées et le champ des indications relevant potentiellement d’une prise en charge personnelle étant défini, la place de cette classe médicamenteuse et son impact en santé publique sont plus clairs. Les évolutions seront le fait des modifications de comportement des nombreux acteurs :

— un patient appréciant ce service au point de minimiser l’effet sur le coût : il sera peut être aidé dans cette démarche par la prise en charge de certaines mutuelles qui pourraient vraiment jouer un rôle d’orientation de cette consommation sur de vrais besoins sanitaires, — un pharmacien, pivot de la distribution : il devra adapter son activité et son officine à l’exercice de la pharmacie clinique, — un industriel qui sera en relation directe avec « son » patient, — un médecin qui sera le conseiller privilégié plus que le prescripteur. Cette action de conseil s’intégrera dans les actions d’information et de prévention.

L’automédication ne résume pas les modalités de la prise en charge personnelle de la santé. C’est une des composantes de celle-ci, vraisemblablement moins importante d’ailleurs que l’hygiène, la diététique, l’activité physique et tout ce qui concourt à la santé mentale. Développer l’automesure et améliorer le comportement d’automé- dication dans une population sont des leviers de développement de l’éducation à la santé, en prévention, en diagnostic et en thérapeutique « Avoiding heart attacks and strokes. Don’t be a victim. Protect yourself. Stop using tobacco. Improve your diet.

Stay active and control your weight. Reduce high blood pressure. Reduce high blood sugar. Reduce high blood fat levels. ’’ Tels sont les messages directement adressés aux individus par l’Organisation Mondiale de la Santé en 2005 pour la prévention des maladies cardiovasculaires. Il faut donner à nos concitoyens les moyens de les mettre en œuvre eux-mêmes.

BIBLIOGRAPHIE [1] Afssaps Avis aux fabricants concernant les demandes d’autorisation de mise sur le marché des médicaments de prescription médicale facultative (PMF) BO du 15 sept 2005.

[2] BAUMELOU A., LAURAIRE S., TACHOT S., FLACHAIRE M. — Automédication. EMC (Elsevier SAS, Paris), Traité de Médecine Akos , 2006, 1-0153 , 410.

[3] BERGMANN J.F. — Self-medication : from European regulatory directives to therapeutic strategy.

Fundam Clin. Pharmacol ., 2003 Jun, 17(3), 275-80.

[4] Rapport au Ministre de la Santé ‘‘ Situation de l’automédication en France et perspectives d’évolution ’’ Paris, 10 janvier 2007. www.sante.gouv.fr [5] LECOMTE T. — Chiffres de l’automédication en France et à l’étranger. ADSP, no 27.

www.hcsp.fr/hcspi/ [6] LECOURT D.6 Individu et médicament. Les Nouvelles Pharmaceutiques , 1999, 365 ,488-491 [7] Organisation Mondiale de la Santé.

Rapport du Directeur Général . La santé dans le monde.

Genève 1997.

 

* Responsable du pôle Santé publique — Évaluation et Produits de Santé, Groupe Hospitalier Pitié Salpêtrière. Président du groupe de Travail Prescription Médicale Facultative de l’Afssaps. Tirés-à-part : Professeur Alain BAUMELOU, même adresse. Article reçu et accepté le 15 octobre 2007.

 

Bull. Acad. Natle Méd., 2007, 191, no 8, 1527-1531, séance du 6 novembre 2007