Communication scientifique
Séance du 10 février 2009

Autisme, la piste génétique se confirme

MOTS-CLÉS : génétique. trouble autistique
Autism : more evidence of a genetic cause
KEY-WORDS : autistic disorder. magnetic resonance imaging.

Thomas Bourgeron *, Marion Leboyer **, Richard Delorme ***

Résumé

L’autisme est caractérisé par un trouble des interactions sociales réciproques, un trouble qualitatif de la communication verbale et non verbale, et un répertoire de comportements restreints, répétitifs et stéréotypés. Ces troubles apparaissent chez l’enfant avant l’âge de trois ans et affectent environ un enfant sur deux cents pour « les troubles du spectre autistique » (TSA) et un enfant sur mille pour l’autisme typique dit « autisme de Kanner ». Des résultats récents obtenus sur les protéines synaptiques NLGN3, NLGN4, SHANK3 et NRXN1 suggèrent fortement l’existence d’une anomalie de la formation/maturation des synapses et de l’équilibre des courants GABA/glutamate dans l’étiologie de l’autisme.

Summary

Autism spectrum disorders (ASD) affect at least 1/200 individuals. They are characterized by impaired communication skills and social interaction, as well as restricted, repetitive and stereotyped behaviours. Recent studies point to a role of a synaptic pathway, including synaptic cell adhesion molecules (neuroligins and neurexins) and scaffolding proteins (SHANK3). Abnormal synapse formation/maintenance and an imbalance between GABAergic and glutamatergic synaptic currents seem to be involved in the etiology of ASD. * Laboratoire de génétique humaine et fonctions cognitives, Institut Pasteur, 25, rue du Dr Roux 75015 Paris ** Psychiatrie, Groupe hospitalier Chenevier Mondor, Inserm et Fondation de coopération scientifique Fondamental — Paris *** Centre expert Asperger et Autisme de Haut Niveau, Pédopsychiatrie, Hôpital Robert Debré — Paris. Tirés à part : Professeur Thomas Bourgeron, même adresse Article reçu le 26 janvier 2009, accepté le 2 février 2009 Au début de l’année 2008, notre équipe a décrit une souris génétiquement modifiée présentant un comportement de type autistique [1]. En mutant un seul gène impliqué dans l’autisme chez l’homme, nous sommes donc parvenus à reproduire certains troubles du comportement similaires à ceux du syndrome humain chez la souris (lire l’encadré : Des souris atteintes d’autisme ?). Quelques mois plus tôt, une autre souris du même type avait été générée par l’équipe de Thomas Südhof à l’Université du Texas [2]. Depuis que le syndrome a été décrit en 1943 par le psychiatre Léo Kanner, l’autisme a suscité un débat quant à ses causes, débat que l’on pourrait résumer ainsi : est-ce que l’on naît autiste ou bien le devient-on ? Mais depuis cette époque, la définition du syndrome a été élargie. On parle désormais des « trouble du spectre autistique » (TSA) qui affectent un enfant sur deux cents. A côté de l’autisme de Kanner, caractérisé par trois critères, troubles des interactions sociales, de la communication verbale, gestes répétitifs et stéréotypés, les TSA incluent d’autres formes, par exemple le syndrome d’Asperger* ou encore le syndrome de Rett*. Cet élargissement du spectre a permis de montrer, grâce aux découvertes qui se sont succédées depuis 2003, que des facteurs génétiques sont en cause dans certaines formes d’autisme. Si tous les gènes impliqués sont loin d’avoir été découverts, nous comprenons déjà mieux le rôle de certains d’entre eux. Tout a commencé en 2003. Cette année-là, nous avons identifié pour la première fois des mutations altérant deux gènes du chromosome X chez des frères dont l’un était atteint d’autisme et l’autre du syndrome d’Asperger [3]. Ces gènes codent chacun respectivement une protéine, la neuroligine 3 et la neuroligine 4, qui sont impliquées dans le fonctionnement des synapses (Figure 1). Cette découverte nous a lancé sur la piste de la « voie synaptique » [4]. De quoi s’agit-il ? Les synapses sont les contacts entre les neurones et permettent la transfert d’information d’un neurone à l’autre en libérant un neurotransmetteur de la terminaison pré-synaptique vers les récepteurs localisés sur la terminaison post-synaptique. Or les neuroligines jouent un rôle clé dans la formation et le fonctionnement des synapses. En effet, ces protéines sont exprimées à la surface des terminaisons postsynaptique et stabilisent les synapses en se liant à des protéines exprimées à la surface des terminaisons présynaptique, les neurexines. La synapse, par ailleurs, favorise ou tempère la diffusion de l’influx nerveux d’un neurone à l’autre. Et un bon fonctionnement du système nerveux dépend de l’équilibre entre les synapses excitatrices et inhibitrices. Or les neuroligines jouent aussi un rôle déterminant pour établir cet équilibre. Depuis notre première étude en 2003, plusieurs mutations de gènes codant des neuroligines ont été identifiées chez d’autres patients [5]. Ces altérations sont cependant toujours différentes d’une famille à l’autre. Et elles n’ont été retrouvées que chez très peu de patients. Elles ne permettent donc pas de comprendre l’ensemble des atteintes génétiques associées au syndrome. Mais ces premiers résultats ont ouvert la voie et d’autres gènes de vulnérabilité à l’autisme qui jouent également un rôle dans la voie synaptique, ont été découverts depuis. Fig. 1 — Schéma d’une synapse et des principales protéines synaptiques associées à l’autisme. La synapse glutamatergique du système nerveux central est caractérisée par une zone plus dense, appelée « la densité postsynaptique » (PSD : postsynaptic density ). La PSD correspond à un grand complexe protéique représenté en plusieurs classes : (1) récepteurs et canaux, (2) protéines du cytosquelette, (3) protéines d’échafaudage, (4) protéines d’adhésion cellulaires, (5) protéines G, (6) kinases et phosphatases. Ainsi, en 2007, nous avons identifié SHANK3 . Ce gêne, localisé sur le chromosome 22 code une protéine dite d’ « échafaudage » nécessaire au bon assemblage des protéines qui interviennent dans le contact synaptique entre les neurones. In vitro , SHANK3 permet la croissance des épines dendritiques, support des synapses excitatrices, ainsi que la mise en place des récepteurs du glutamate*. Dans un groupe de deux cent vingt-sept enfants atteints de trouble du spectre autistique, nous avons identifié des altérations différentes de SHANK3 chez cinq enfants. Dans une première famille, nous avons détecté une perte d’une partie du gène SHANK3 , chez un enfant présentant une absence totale de langage et un retard mental modéré. Dans un second cas, une mutation de SHANK3 qui entraîne la formation d’une protéine altérée a été identifiée chez deux frères atteints d’autisme présentant également chacun un retard mental et de langage. Dans une troisième famille, une perte d’une copie du gêne SHANK3 a été identifiée chez une fille présentant un retard mental et de langage, et une duplication de la même région a été observée chez son frère qui présente un syndrome d’Asperger. Ces résultats ont été répliqués récemment par des équipes canadiennes et américaines. Ils confortent la « voie synaptique » dans la vulnérabilité à l’autisme et témoignent du rôle majeur du nombre de copies du gène SHANK3 dans le développement du langage et de la communication sociale. Toujours en 2007, le consortium Autism Genome Project qui réunit une cinquantaine d’équipes aux États-Unis et en Europe, a identifié un quatrième gène associé à l’autisme, en étudiant 1 168 familles dont au moins deux enfants étaient atteints [6]. Une suppression d’une copie de ce gène a été trouvée chez deux sœurs. Or ce gène joue lui aussi un rôle dans la voie synaptique, car il code la Neurexine1, une protéine qui se lie avec les neuroligines sur la face présynaptique des neurones. Enfin, en 2008, un autre gène, Contactin associated protein 2 ( CNTNAP2 ) codant une protéine qui partage des similitudes structurelles avec les neurexines a été mis en cause dans l’autisme par plusieurs études génétiques. Les altérations des gênes synaptiques identifiés jusqu’à présent — neuroligines, neurexines et SHANK3 — n’expliquent qu’un petit nombre de cas d’autisme, 3 % environ. Mais dans certains cas, l’altération d’un seul de ces gènes a suffi pour engendrer le syndrome. Cela confirme l’intérêt de la voie synaptique, tout en indiquant que de nombreux autres gènes restent à découvrir. Ainsi notre équipe s’est intéressée à une hormone qui joue un rôle essentiel dans la régulation des rythmes biologiques, la mélatonine. Car plusieurs études indépendantes avaient trouvé des taux bas de mélatonine chez des patients atteints d’autisme. Et en 2008, nous avons identifié des mutations du gène ASMT qui code une enzyme de synthèse de la mélatonine [7]. Les analyses biochimiques ont indiqué une diminution très significative de l’activité de l’enzyme ASMT et de la mélatonine sanguine chez des patients atteints d’autisme comparés aux témoins. De plus, dans plusieurs cas, le déficit en mélatonine était déjà détectable chez les parents, ce qui indique qu’il s’agirait plutôt d’un facteur de risque que d’une conséquence du syndrome. Plus récemment enfin, dans une étude portant sur deux cent cinquante patients atteints d’autisme, une duplication de plusieurs exons* de ce gène a été retrouvée chez 6 % d’entre eux mais chez seulement 1,6 % des 280 sujets témoins [8]. L’identification de ce déficit en mélatonine est un nouveau pas en avant. Il pourrait expliquer en partie l’origine des troubles du sommeil dont souffre près de 60 % des personnes atteintes d’autisme. D’ailleurs, plusieurs études récentes montrent que la prise orale de mélatonine réduit les troubles du sommeil chez les personnes atteintes d’autisme. Finalement, où en est-on aujourd’hui ? Les résultats obtenus sur les neuroligines, les neurexines et Shank3 suggèrent fortement qu’une anomalie de la formation et de la maturation des synapses joue un rôle dans les causes de l’autisme. Par ailleurs, l’identification d’un déficit de mélatonine comme facteur de risque permet de mieux aborder la prise en charge des troubles du sommeil chez les patients. Mais, loin de réduire l’autisme à un seul gène, ni même à la seule cause génétique, tous ces résultats indiquent au contraire que le syndrome présente des origines multiples. La collaboration entre généticiens, neurobiologistes et psychiatres est donc plus que jamais nécessaire pour continuer à percer le mystère de ses origines.

Des souris atteintes d’autisme ?

Privée d’une protéine, la neuroligine 4, la souris mutée va bien. Elle s’est développée normalement, se déplace sans problème, n’a pas de problème sensoriel, ni de mémoire ou d’apprentissage. Pourtant elle n’a pas le même comportement qu’une souris sauvage quand on la place dans une cage composée de trois compartiments où elle peut aller et venir librement, mais dont l’un des compartiments séquestre une autre souris. La souris sauvage fait 27 % de visites en plus au compartiment où se trouve sa congénère et elle y passe 62 % plus de temps que dans les deux autres compartiments. Au contraire, la souris mutée se déplace indifféremment vers les trois compartiments, elle passe le même temps dans chacun deux qu’il soit vide ou occupé, comme si sa congénère sauvage n’existait pas.

Un deuxième test confirme une autre forme d’indifférence sociale. Habituellement, quand une souris mâle rencontre une souris femelle en chaleur, elle émet un certain type d’ultra-sons. Les souris mâles privées de Ngln4 produisent en fait deux fois moins d’ultra-sons que les souris sauvages. Pourquoi ? Peut-être répondent-elles moins au stimulus émis par la souris femelle, ou alors sont-elles inhibées dans leur propension à communiquer.

Nous avons généré ces souris privées de Ngln4 début 2008 à l’Institut Pasteur.

Quelques mois plus tôt, l’équipe de Thomas Südhof avait généré des souris sans Ngln3 à l’Université du Texas. En fait, les souris sans Ngln3 présentent peu ou prou les même troubles du comportement social que celles sans Ngln4. En revanche, elles possèdent une meilleure capacité d’orientation spatiale que les souris sauvages. Un peu comme certains autistes sont doués de talents particuliers. Quoi qu’il en soit, ces deux expériences se rejoignent : les souris porteuses de mutations des neuroligines pourront servir de modèle pour étudier les troubles du spectre autistique.

Le syndrome d’Asperger est une forme spécifique d’autisme où le langage n’est pas atteint et où le sujet a souvent un QI élevé.

Le syndrome de Rett atteint uniquement les filles ; elles présentent un retard mental et des mouvements répétitifs et stéréotypés.

Les synapses sont des jonctions entre les neurones, essentielles à la perception sensorielle, la coordination des mouvements, l’apprentissage et la mémoire.

Le glutamate est l’un des principaux neurotransmetteurs, il est associé à la mémoire et à l’apprentissage.

Les exons sont les parties transcrites des gènes qui codent les protéines.

 

REMERCIEMENTS

Nous tenons à remercier très vivement Stéphane Jamain et Christelle Durand, les deux étudiants en thèse qui ont été déterminants pour l’identification et la caractérisation des gènes associés à l’autisme.

 

Pour en savoir plus

Créée en 2008 par le Ministère de la Recherche la fondation FondaMental a pour objectif d’améliorer le diagnostic et le dépistage grâce à la mise en place de centres experts, de développer la recherche clinique et fondamentale et d’améliorer la formation et la communication sur les troubles du spectre autistique.

http://www.fondation-fondamental.org BIBLIOGRAPHIE [1] Jamain S., Radyushkin K., Hammerschmidt K., Granon S., Boretius S., Varoqueaux F . et al. — Reduced social interaction and ultrasonic communication in a mouse model of monogenic heritable autism.

Proc. Natl Acad. Sci. U S A, 2008, 105 , 1710-1715.

[2] Tabuchi K., Blundell J., Etherton MR., Hammer RE., Liu X., Powell CM. et al. — A neuroligin-3 mutation implicated in autism increases inhibitory synaptic transmission in mice.

Science , 2007, 318, 71-76.

[3] Jamain S., Quach H., Betancur C, Rastam M, Colineaux C., Gillberg IC. et al.

Mutations of the X-linked genes encoding neuroligins NLGN3 and NLGN4 are associated with autism . Nat. Genet., 2003, 34 , 27-29.

[4] Durand CM., Betancur C., Boeckers TM., Bockmann J., Chaste P., Fauchereau F. et al .

— Mutations in the gene encoding the synaptic scaffolding protein SHANK3 are associated with autism spectrum disorders. Nat. Genet., 2007 ; 39 , 25-27.

[5] Laummonnier F, Bonnet-Brilhault F., Gomot M., Blanc R., David., Moizard MP. et al .

— X-linked mental retardation and autism are associated with a mutation in the NLGN4 gene, a member of the neuroligin family. Am. J. Hum. Genet., 2004, 74 , 552-557.

[6] Szatmari P., Paterson AD., Zwaigenbaum L., Roberts W., Brian J., Liu XQ . et al . —

Mapping autism risk loci using genetic linkage and chromosomal rearrangements . Nat. Genet., 2007, 39 , 319-328.

[7] Melke J., Goubran-Botros H., Chaste P., Betancur., Nygren G., Anckarsater H. et al.

Abnormal Melatonin Synthesis in Autism Spectrum Disorders.

Molecular Psychiatry, 2008, 13 , 90-98.

[8] Wasdell MB., Jan JE., Bomben MM., Freeman RD., Rietveld W., Tai J. et al. — A randomized, placebo-controlled trial of controlled release melatonin treatment of delayed sleep phase syndrome and impaired sleep maintenance in children with neurodevelopmental disabilities. Journal of pineal research, 2008, 44 , 57-64.

 

DISCUSSION

M. Jean-François MATTEI

Quelle est la place accordée au syndrome de l’X fragile dans les études génétiques de l’autisme ? Est-ce une des voies de recherche poursuivies ?

 

Le syndrome de l’X fragile est effectivement un syndrome associé à l’autisme. Entre 4 et 25 % des enfants avec la mutation FMR1 ont aussi un autisme. Les raisons de ce chevauchement ne sont pas connues mais sont étudiées par plusieurs groupes. L’une des hypothèses est que la protéine FMRP codée par le gène FMR1 régulerait les gènes que nous avons identifiés dans l’autisme comme les neuroligines et SHANK3. Ainsi un dérèglement de FMRP provoquerait une anomalie synaptique augmentant la vulnérabilité à l’autisme.

M. Jean-François ALLILAIRE

Les resynchronisations des rythmes veille-sommeil par la mélatonine permettent-elles des résultats thérapeutiques globaux sur les capacités d’apprentissage sociaux chez les enfants autistes ? Est-ce une piste thérapeutique pour améliorer le comportement des autistes adultes ?

Nous effectuons des études en France et en Angleterre pour comprendre l’efficacité du traitement à la mélatonine chez l’enfant mais il faudrait effectuer ces mêmes études chez l’adulte. Les études actuelles prennent principalement en compte l’amélioration du sommeil mais nos études devraient aussi répondre à la pertinence de la mélatonine pour l’amélioration des comportements et de l’apprentissage. De plus, nous étudions maintenant les facteurs biologiques qui altèrent la synthèse de la mélatonine chez l’enfant et l’adulte afin d’être plus précis et plus efficace dans les dépistages et le traitement M. Roger NORDMANN

Pourriez-vous nous préciser si les traitements pr la fluoxétine ou par stimulation magnétique trans-cérébrale que vous avez évoqués ont déjà été évalués et, si c’est le cas, quelle efficacité et quels effets secondaires ont été observés ?

Bien que dans un tiers des cas une hypersérotoninémie soit trouvée chez les personnes avec autisme, le lien entre dysfonctionnement des systèmes sérotoninergiques et autisme n’est pas clairement établi. Les substances sérotoninergiques en particulier la fluoxétine ne peuvent être à ce jour considérées comme médicaments de l’autisme. Des études combinant clinique, biochimie, génétique et imagerie fonctionnelle cérébrale sont en cours en France. La fluoxétine est toutefois d’ores et déjà considérée comme utile à visée symptomatique, par exemple lorsque la symptomatologie obsessionnelle est particuliè- rement marquée (troisième dimension du syndrome autistique) ou encore, lors de la survenue, à l’adolescence, d’un syndrome dépressif qui complique l’autisme.

 

Bull. Acad. Natle Méd., 2009, 193, no 2, 299-305, séance du 10 février 2009