Communication scientifique
Séance du 8 octobre 2002

Aedes aegypti

MOTS-CLÉS : aedes. génétique population. insecte vecteur. vietnam.. virus dengue
, le vecteur des virus de la dengue : structure spatiotemporelle de la variabilité génétique
KEY-WORDS : aedes. dengue virus. genetics, population. insect vectors. vietnam.

Aedes aegypti , the vector of dengue viruses : spatiotemporal structure of genetic variability K. Huber, Luu Le L., Tran Huu H., Tran Khanh T., F. Rodhain, A.B. Failloux

Résumé

Aedes aegypti est le principal vecteur des virus de la dengue dont seule la lutte antivectorielle est capable de limiter l’expansion. Comprendre le mode de fonctionnement des populations du vecteur dans les conditions naturelles est, de ce fait, primordial. En particulier, l’étude de la structure génétique des populations d’ Ae. aegypti permettra de mieux définir l’organisation génétique des populations et d’estimer les flux de gènes entre ces populations. Parmi les facteurs susceptibles d’influer sur l’épidémiologie de la maladie, les modifications écologiques ont un impact direct sur le système vectoriel et son fonctionnement. C’est ainsi que les activités humaines jouent un rôle central dans ces changements. L’urbanisation non contrôlée des villes d’Asie du Sud-Est, en générant des conditions sanitaires propices à la pullulation du vecteur, a contribué à l’endémisation de la dengue et à l’émergence puis à la persistance des formes hémorragiques. C’est dans le sud du Vietnam où la dengue constitue un problème majeur de santé publique qu’une étude de la variabilité génétique du vecteur a été initiée. Une analyse de la structure génétique ainsi que celle de la compétence vectorielle des populations ont été menées à une échelle spatiale (de niveau local, la ville de Ho Chi Minh Ville et de niveau régional) et à une échelle temporelle (à différentes périodes de l’année). Ce travail a permis de proposer un modèle de fonctionnement des populations d’ Ae. aegypti dans l’espace et dans le temps. Ainsi, la dynamique d’expansion des virus de la dengue en relation étroite avec son vecteur, dépend de la composition génétique des populations de moustiques et de leur évolution dans l’aire de répartition naturelle de l’espèce.

Summary

Aedes aegypti is the main vector of dengue viruses. Methods for limiting the spread of dengue outbreaks are currently based on vector control. Estimates of population genetic organization and gene flow with respect to vector capacity have provided great insights into dengue epidemiology. In Vietnam, dengue hemorrhagic fever was detected in the 1950’s and becomes today the major problem of public health. Among factors influencing dengue epidemiology, ecological disturbances have a direct impact on vectorial system functioning. Human activities through urbanization creating sanitary conditions are convenient to the vector proliferation and then, to dengue endemisation. To assess the role of the vector in the changing pattern of dengue in South-East Asia, we studied the genetic differentiation and the vector competence towards dengue 2 virus at two scales : at a spatial level (a local scale (i.e., Ho Chi Minh City) and a regional scale (i.e., Cambodia, Thailand and South Vietnam) and at a temporal scale. This study allows to propose a model of Ae. aegypti population functioning according space and time. Dynamics of dengue virus diffusion in relation with the vector, depend on the population genetic composition and its evolution.

INTRODUCTION

Le moustique

Aedes aegypti est le principal vecteur des virus de la dengue, une arbovirose de répartition cosmotropicale due à quatre sérotypes de la famille des Flaviviridae et pour laquelle, deux types majeurs de syndromes sont décrits. La dengue dite classique est une affection aiguë fébrile d’évolution bénigne ; la dengue hémorragique est responsable de choc hypovolémique pouvant conduire au décès du malade. Dans le sud-est asiatique, la dengue se manifestant sur un mode endémo-épidémique, est devenue une des premières causes d’hospitalisation et de décès des enfants. En l’absence de vaccin et de traitement étiologique, la lutte contre les populations de moustiques devient le seul moyen à notre disposition pour limiter la propagation de la maladie. Ainsi, la connaissance de la biologie, l’écologie et l’éthologie de l’espèce qui doit s’attacher à définir clairement les critères de reconnaissance des populations, est sans aucun doute indispensable.

Les facteurs qui influent sur l’épidémiologie de la maladie sont nombreux et complexes. Parmi eux, les facteurs environnementaux et plus précisément, les modifications écologiques ont un impact direct sur le système vectoriel et ses modalités de fonctionnement. A cet égard, les activités humaines jouent un rôle primordial dans ces changements. L’urbanisation rapide et non organisée de la plupart des villes du monde tropical et notamment d’Asie, en générant des conditions environnementales propices à l’installation de très fortes densités de moustiques vecteurs facilitent l’émergence puis la persistance de la situation épidémiologique particulière aux pays du sud-est asiatique. C’est dans ce contexte qu’une étude s’est portée sur le Vietnam où la dengue a été décrite depuis 1866 [3] tout d’abord
sous sa forme classique puis sous sa forme hémorragique dans les années 50. Depuis cette date, l’incidence de la dengue ne cesse d’augmenter en évoluant vers un mode endémique sur lequel se surajoutent des pics épidémiques. Aujourd’hui, la dengue est devenue un problème majeur de santé publique pour lequel un programme national de lutte a été mis en place depuis 1996.

Pour préciser la place du vecteur dans ces récents changements épidémiologiques, deux niveaux d’analyse de la variabilité génétique ont été menés : la structure spatiale (au niveau d’une ville, Ho Chi Minh Ville et au niveau régional) et la structure temporelle en relation avec la transmission de la dengue.

SITUATION DE LA DENGUE AU VIETNAM

Epidémiologie

Avant la seconde moitié du 20e siècle, la dengue ne sévissait en Asie que sous sa forme classique. Ce n’est qu’en 1954 que les premiers cas présumés de dengue hémorragique ont été décrits à Manille (Philippines) [5]. La forme hémorragique a été, par la suite, signalée à Hanoi dès 1958 par Mihov [12]. Dans le sud du Vietnam, du mois d’avril au mois de juin 1960, de nombreux cas ont été déclarés dans les provinces situées le long du Mékong et près de la frontière cambodgienne. Une seconde épidémie toucha le Sud Vietnam en 1963 [4]. Il semblerait que les liaisons fluviales avec le Cambodge aient largement contribué à la diffusion de la dengue, en touchant essentiellement les districts situés le long du fleuve [10]. En revanche, au Nord Vietnam, une épidémie est survenue entre juillet et septembre 1960 dans la région du delta du Fleuve Rouge. La proximité avec la Thaïlande, où la dengue sévit de façon endémique, a contribué à faciliter l’introduction de souches virales dans cette région [13].

Depuis les années 60, l’incidence de la dengue a beaucoup augmenté [21]. De 1981 à 1987, elle est passée de 41,02 pour 100 000 habitants en 1981 à 462,24 en 1987 (Do Quang Ha, communication personnelle) et parallèlement, le nombre de cas de dengue hémorragique va s’amplifiant. En 1998, une épidémie de dengue hémorragique a touché 19 provinces du Sud Vietnam ; 119 429 cas de dengue hémorragique et 342 décès ont été rapportés [2]. Entre janvier et mai 2001, plus de 5 000 cas de dengue dont 16 d’issue fatale ont été recensés dans plusieurs provinces proches du delta du Mekong, faisant craindre la survenue d’une épidémie de l’importance de celle de 1998 (données de l’Institut National d’Hygiène et d’Epidémiologie de Hanoi).

Espèces vectrices et épidémiologie de la dengue

La succession des infections chez l’homme et la constitution d’un système virusvecteur efficace ont certainement facilité l’émergence des formes hémorragiques. Il
est maintenant clair qu’un remplacement des espèces vectrices locales par une espèce introduite à forte affinité pour le milieu urbain, a bouleversé le profil de transmission de la maladie. En effet, au cours des siècles précédents, c’est Aedes albopictus qui était le vecteur principal de la dengue en Asie du Sud-Est. Cet Aedes du groupe Scutellaris était responsable de la transmission de la dengue en milieu rural et péri-urbain. Les cas de dengue restaient sporadiques et les épidémies bien localisées. Ce moustique peut être présent dans les villes mais en trop faibles densités pour être à l’origine de poussées épidémiques. C’est l’introduction d’ Ae. aegypti qui a bouleversé la situation. Dans la seconde moitié du 19e siècle, cette espèce d’origine africaine s’est répandue vers l’Est, en Asie tropicale, grâce au développement du commerce maritime [16]. C’est en 1913 que Bernard & Bauche [1] l’ont décrite pour la première fois à Hué. Cette espèce a ultérieurement été retrouvée à Saigon par Stanton [17]. Les bouleversements écologiques et démographiques survenus après la guerre du Vietnam (1959-1973) ont favorisé la prolifération des moustiques domestiques et notamment d’ Ae. Aegypti, qui a ainsi repoussé Ae. albopictus à la périphé- rie des villes par un phénomène de compétition interspécifique. A Ho Chi Minh Ville au Vietnam, près de 93 % des larves récoltées dans les gîtes péri-domestiques appartiennent à l’espèce Ae . aegypti [7]. Ces gîtes sont essentiellement constitués par des récipients de stockage d’eau (jarres en terre cuite ou des citernes en béton) en banlieue, où l’approvisionnement en eau potable est souvent déficient, et par des petits récipients (pièges à fourmis, vases à fleurs) en centre ville, où existe un système d’adduction d’eau courante. Les densités d’ Ae. aegypti sont principalement soumises à des variations saisonnières avec des densités faibles en saison sèche (de décembre à avril) et fortes en saison des pluies, le pic de densité étant observé en juin-juillet.

STRUCTURE GÉNÉTIQUE DES POPULATIONS D’ AEDES AEGYPTI

La connaissance de l’organisation spatiale des pools géniques et de l’intensité de leurs échanges est souvent un préalable aux études en biologie des populations. Une approche de plus en plus adoptée consiste à déduire les migrations efficaces des populations au travers de l’analyse de marqueurs génétiques. La panoplie des outils disponibles ne cesse d’augmenter proposant l’accès à des marqueurs génétiques présentant des taux d’évolution et des degrés de polymorphisme compatibles avec la résolution des problèmes posés. Plusieurs outils sont, à ce jour, disponibles : les isoenzymes, les microsatellites, les RAPD (Random Amplified Polymorphism DNA), les RFLP (Restriction Fragment Length Polymorphism), les AFLP (Amplified Fragment Length Polymorphism), les ITS (Internal Transcribed Spacer). Deux de ces méthodes ont été sélectionnées afin de caractériser les populations d’ Ae.

aegypti : les isoenzymes et les microsatellites [9]. Ces deux types de marqueur se distinguant par leur taux de mutation permettront de mieux définir la structure génétique des populations. En comparant les compositions alléliques entre les populations, il est possible de mettre en évidence une divergence génétique entre
populations. Dans une population subdivisée, la dérive provoque une divergence génétique (estimée par le paramètre F ) entre populations et les migrations impoST sent une limite à la divergence génétique [22] Analyse spatiale

Au niveau de Ho Chi Minh Ville

Vingt échantillons de moustiques provenant du centre et de la banlieue de Ho Chi Minh Ville (Fig. 1) ont été analysés sur la base du polymorphisme des microsatellites [6]. La différenciation génétique est plus importante entre les échantillons issus de la banlieue que celle estimée entre les échantillons du centre ville (Tableau 1). Des résultats similaires ont été obtenus en utilisant les données issues d’analyses du polymorphisme enzymatique [18].

Les différences écologiques entre le centre ville et la banlieue peuvent contribuer à expliquer les variations observées. Au centre ville, les principaux gîtes d’ Ae . aegypti sont constitués par différents types de récipients situés essentiellement à l’intérieur des habitations. Le nombre important des récipients à proximité d’une population humaine présente en forte densité tend à limiter la dispersion des femelles de moustiques à la recherche d’un gîte de ponte et d’un repas de sang. Les échanges génétiques entre populations sont faibles et la différenciation génétique tend à s’accentuer. En banlieue, l’absence de système d’adduction d’eau favorise la pratique du stockage d’eau dans des habitations séparées les unes des autres par des jardins ou des petits champs cultivés. Peu d’échanges génétiques se réalisent dans un tel contexte accentuant ainsi la différenciation. Par ailleurs, les traitements insecticides liés à l’usage intra-domiciliaire d’insecticides peuvent modifier l’organisation génétique des populations. Des taux de résistance plus élevés à un insecticide de la famille des pyréthrinoïdes, la perméthrine, ont été observés plus fréquemment dans des populations de moustiques issues du centre ville de Ho Chi Minh Ville [7].

Au niveau régional

En comparant la composition génétique d’échantillons de moustiques récoltés dans trois villes d’Asie du Sud-Est (Ho Chi Minh Ville au Vietnam, à Phnom Penh au Cambodge, et à Chiang Mai en Thaïlande), on constate que le niveau de différenciation mesuré entre les échantillons issus du Vietnam et ceux du Cambodge est environ deux fois moins important que celui estimé entre le Cambodge et la Thaïlande et celui entre le Vietnam et la Thaïlande (Tableau 2). Ae . aegypti est une espèce qui se disperse peu, de quelques dizaines à quelques centaines de mètres au cours de sa vie [11, 15, 19]. Compte tenu des distances géographiques analysées, seul le déplacement passif du moustique peut être évoqué pour expliquer le pattern de différenciation observé.

FIG. 1. — Localisation des différents sites de récolte à Ho Chi Minh Ville.

Les échantillons sélectionnés pour l’analyse temporelle sont marqués d’un astérisque.

TABLEAU 1. — Différenciation génétique d’

Ae. aegypti à Ho Chi Minh Ville révélée par l’analyse du polymorphisme aux loci microsatellites.

TABLEAU 2. — Différenciation génétique d’ Ae. aegypti en Asie du Sud-Est estimée par l’analyse du polymorphisme aux loci microsatellites.

TABLEAU 3. — Polymorphisme génétique d’

Ae. aegypti (isoenzymes et microsatellites), estimé par site et date de récolte.

De nombreuses liaisons autant aériennes, routières que fluviales sont établies entre les deux capitales, Ho Chi Minh Ville et Phnom Penh distantes d’environ 250 km. A l’opposé, il n’existe pas de liaisons directes entre Chiang Mai et les deux autres villes.

La plus grande fréquence des liaisons commerciales entre Ho Chi Minh Ville et Phnom Penh accentue le risque de transport de moustiques (œufs, larves, adultes) contribuant probablement à atténuer la différenciation génétique entre populations.

Analyse temporelle

Sept des 20 sites préalablement étudiés ont été échantillonnés de façon répétée :

en début de saison des pluies (1ère récolte), pendant la saison des pluies (2ème et 5ème récolte) et en saison sèche (3ème et 4ème récolte) (Fig. 1). L’analyse de la variabilité temporelle des populations d’ Ae. aegypti de Ho Chi Minh Ville montre que la différenciation génétique, estimée en se basant sur le polymorphisme isoenzymatique, diminue à la saison des pluies et augmente de façon significative à la saison sèche (Tableau 3) [8]. Pour un même échantillon, les fréquences alléliques aux loci microsatellites varient faiblement entre la 1ère récolte (correspondant au début de la saison des pluies) et la 3ème récolte (en début de saison sèche). Cependant, la composition allélique change de façon importante entre ces deux saisons. De plus, l’étude de la compétence vectorielle vis-à-vis du virus de la dengue 2, réalisée selon un protocole de repas artificiel [20], montre des variations au niveau des taux d’infection qui restent, cependant, homogènes à la saison des pluies (Tableau 4).

Seuls les deux échantillons récoltés dans le village de Nha Be présentent un profil différent : une plus faible différenciation estimée par l’analyse isoenzymatique à la saison sèche, une plus grande différence dans les fréquences alléliques aux loci microsatellites à la saison des pluies et des taux d’infection hétérogènes vis-à-vis d’un virus de dengue à la saison des pluies.

TABLEAU 4. — Probabilités d’homogénéité des taux d’infection estimées entre échantillons d’ Ae. Aegypti en considérant la saison de récolte.

La structure génétique ainsi que la réceptivité aux virus de la dengue des populations d’ Ae. aegypti sont soumises à des variations temporelles. Au début de la saison sèche (3ème récolte), on observe une diminution du nombre de gîtes de ponte disponibles, d’où une réduction drastique de la densité des populations de moustiques. Ceci concerne essentiellement les populations issues de gîtes de petite taille présents surtout au centre ville. En revanche, en banlieue, les populations de moustiques colonisant les jarres de stockage d’eau ne sont que faiblement affectées (4ème récolte). Ces populations maintiennent des échanges génétiques entre elles réduisant ainsi la différenciation inter-gîtes. Les réductions massives de populations à la saison sèche sont certainement suivies de phénomènes de recolonisation à la saison des pluies suivante, à partir des gîtes permanents encore fonctionnels ou de gîtes temporaires ayant été progressivement mis en eau par la pluie. Lorsque la saison des pluies est plus avancée (5ème récolte), les populations résiduelles colonisent tous les gîtes potentiels et la différenciation génétique entre populations tend à s’atténuer.

Pour l’un des échantillons, récolté dans l’arrondissement de Nha Be, un profil différent de celui décrit précédemment a été observé. L’arrondissement de Nha Be est un quartier rural à 10 km du centre de Ho Chi Minh Ville. Cet arrondissement est touché par le paludisme et un programme de lutte utilisant des rideaux imprégnés de perméthrine a été mis en place. Les traitements insecticides menés tendent certainement à modifier la variabilité génétique des populations de moustiques et expliquerait le plus faible niveau de différenciation observé à la 3e récolte, pendant la saison sèche.

CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES

Au travers de ses activités, l’homme modifie l’organisation des populations de moustiques au contact desquels il vit en étroite association. Une des premières conséquences des changements anthropiques du milieu est de modifier les structures d’échanges qui assurent le brassage génétique des espèces. Certaines espèces commensales ou simplement transportées par l’homme ont vu leur aire de distribution perturbée et la fréquence des échanges inter-populations s’accroître sensiblement.

La connaissance des degrés d’échanges génétiques entre populations est souvent un préalable nécessaire pour optimiser les stratégies de lutte ou éviter la diffusion de certains gènes (par exemple, les gènes de résistance aux insecticides ou les gènes contrôlant la permissivité à un agent pathogène).

Dans la plupart des villes du sud-est asiatique, l’urbanisation rapide, mal organisée, en engendrant les conditions favorables à l’installation de nombreux gîtes artificiels ainsi que la pratique du stockage de l’eau d’utilisation domestique ont modifié l’organisation génétique des populations de moustiques. De plus, ces populations sont soumises aux variations temporelles liées aux conditions environnementales très contrastées entre la saison des pluies et la saison sèche. Par ailleurs, les moyens de transport (aérien, terrestre et fluvial), en facilitant le déplacement passif des vecteurs, ont généré des échanges génétiques entre populations éloignées parfois de plusieurs centaines de kilomètres, comme cela a été décrit entre le Vietnam et le Cambodge. Une meilleure connaissance du fonctionnement des populations de moustiques va avoir des implications directes sur les stratégies de lutte antivectorielle à mettre en œuvre. Les efforts de lutte devront être concentrés sur les populations présentes en très faibles densités, c’est-à-dire à la saison sèche lorsque les populations sont fortement différenciées et se dispersent peu. De plus, une désinsectisation des avions et des bateaux en provenance de pays endémiques pour la dengue devra être réalisée de manière systématique pour éviter la diffusion des moustiques et des agents pathogènes dont ils sont les vecteurs. Des études similaires devront être étendues à d’autres régions du Vietnam ainsi qu’aux autres pays du sud-est asiatique. Cela permettra de mieux appréhender l’épidémiologie de cette maladie et d’établir des stratégies de lutte anti-vectorielle adaptées à chaque région où l’endémisation de la dengue avec la persistance des formes hémorragiques souvent d’issue fatale constitue un problème majeur de santé publique.

REMERCIEMENTS

Nous remercions Laurence Mousson et Marie Vazeille de l’Institut Pasteur à Paris pour leur assistance technique ainsi que le professeur Ha Ba Khiem de l’Institut Pasteur de Ho Chi Minh Ville pour l’accueil de Mlle K. Huber en décembre 1999. Ce travail a été financé par l’ACIP (Action Concertée des Instituts Pasteur, ACIP no 41192). Nous tenons, à cette occasion, à remercier de son soutien le professeur Jean-Luc Durosoir, Délégué Général au Réseau International des Instituts Pasteur et Instituts associés. Enfin, nous remer-
cions l’Académie nationale de médecine pour le financement de la dernière année de thèse de Mlle K. Huber.

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COMMENTAIRES ET DISCUSSION

M. Louis AUQUIER

Ayant enseigné pendant plusieurs mois en 1960, en saison sèche, à Saigon (Ho Chi Minh Ville), je me souviens qu’il nous était conseillé de prendre des antimalariques seulement dans les environs de la ville mais non dans le centre ville. Il me semble que dans le cas d’ Aedes aegypti une situation analogue s’observe encore malgré les modifications de l’environnement et les mouvements de population ?

La situation n’est pas tout à fait identique pour le cas de la dengue. Bien que l’organisation génétique des populations de moustiques diffère entre le centre ville et la banlieue, ce moustique urbain est présent en forte densité et assure la circulation du virus sur toute l’agglomération de Ho Chi Minh Ville.

M. Charles PILET

Quels sont les types viraux présents actuellement au Vietnam et existe-t-il, dans ce pays, une relation entre les types viraux et les formes cliniques ?

Les sérotypes en cause varient d’une épidémie à l’autre. En 1987, la dengue de sérotype 2 était prédominante. Entre 1988 et 1995, le sérotype 1 et le sérotype 2 circulaient de façon simultanée et ce n’est qu’à partir de 1995 que le sérotype 3 est apparu, ce fait coïncidant
avec une nette augmentation du nombre de cas de dengue hémorragique et du nombre de décès liés à la dengue. Enfin, de mars 2001 à février 2002 le virus dengue 4 était majoritaire.

M. Claude CHASTEL

En 2002, la dengue devient une des priorités de l’OMS (55ème Assemblée Mondiale de la Santé) et du Service de Santé des Armées (SAA). L’OMS a présenté une résolution en trois points demandant aux états membres d’engager de nouvelles ressources humaines et financières afin de développer les moyens de traitement et de prévention de ce fléau tropical qui menace 2,5 milliards de personnes dans le monde. Des efforts doivent être faits, en particulier dans la lutte contre les vecteurs, la mise au point de nouveaux vaccins et la gestion intégrée de l’environnement. La lutte contre la dengue doit aussi être harmonisée avec celles concernant d’autres arboviroses telles que l’encéphalite japonaise, West Nile (dont la progression aux Etats-Unis devient de plus en plus inquiétante) et d’autres maladies émergentes. Le problème du vaccin qui demeure entier, devient une des priorités de l’OMS avec la mise en route du PDVI (« Pediatric Dengue Vaccine Initiative ») comportant un secrétariat international localisé à Séoul, Corée, et un conseil de huit membres, fonctionnant en étroite collaboration avec l’Institut Vaccinal International de Séoul [OMS/TDR News, juin 2002, p. 14]. Le programme de surveillance du SSA a débuté en 1996 et il a montré, en 1997, un triplement du taux annuel d’incidence de la dengue dans l’armée française, en raison des épidémies de Polynésie Française et de Martinique. Les diagnostiques virologiques sont réalisés par le laboratoire de virologie de l’IMTSSA, au Pharo, à Marseille et les Instituts Pasteur outre-mer [Meynard J.B. et al . Méd Trop, 2001 , 61 , 481-486]. Tout ceci montre bien l’intérêt du travail que Mlle Karine Huber et ses collaborateurs ont présenté lors de cette séance.

Les échanges de populations entre le Sud Vietnam et le Cambodge ont toujours été très importants. Il y avait des populations khmères dans le delta du Mékong et des populations vietnamiennes au Cambodge. De plus, l’invasion du Cambodge dans les années 1980 par les troupes vietnamiennes a pu favoriser les échanges de vecteurs et de pathogènes.

En effet les conflits ont toujours favorisé la circulation des vecteurs et des pathogènes.

C’est notamment l’arrivée de convois de rapatriés de Thaïlande à Haiphong qui a été à l’origine de l’une des premières épidémies de dengue au Vietnam en 1960.

Mme Monique ADOLPHE

Vous avez soulevé l’importance des moyens de transport aériens dans le transfert de certains vecteurs. Pouvez-vous nous dire si Aedes aegypti risque d’apparaître en France ?

Bien que présent dans le sud de l’Europe au début du 20ème siècle et responsable de l’épidémie de dengue de Grèce en 1928, ce n’est pas Aedes aegypti qui nous inquiète le plus actuellement. C’est un autre vecteur de la dengue,

Aedes albopictus qui pose le plus de problème en Europe. Ce moustique, d’origine asiatique, s’est largement répandu au cours de ces quinze dernières années à la faveur du commerce international de pneus usagés. Il s’est ainsi établi aux Etats-Unis, en Amérique Centrale et en Amérique du Sud, dans certains pays d’Afrique, dans le Pacifique et dans certains pays d’Europe. Il a également été détecté à deux reprises en France au cours de l’année 2000. Néanmoins il convient d’avoir à l’esprit que de nombreux facteurs, notamment des facteurs anthropiques comme le type d’urbanisation, entrent en jeu dans la survenue d’épidémies.

M. Roger NORDMANN

J’ai en souvenir la pulvérisation de DDT qui était faite systématiquement dans la cabine des avions à leur arrivée dans chacun des aéroports de l’ex-Afrique occidentale française.

Quelles mesures sont actuellement en vigueur, en particulier pour les transports aériens en provenance de pays à risque et à destination de l’Europe, pour éviter de diffuser des affections dont elle est actuellement préservée ?

Selon le règlement sanitaire international, la désinsectisation des ports et aéroports est obligatoire en pays d’endémie ainsi que des avions en provenance d’un pays infecté (OMS. — La lutte antivectorielle en santé internationale . Genève, 1973, 156 p).

* Unité d’Écologie des Systèmes Vectoriels, Institut Pasteur, 25 rue du Dr. Roux — 75724 Paris cedex 15, France. ** Institut Pasteur de Ho Chi Minh Ville, Unité d’Entomologie médicale, 167 Duong Pasteur — Ho Chi Minh Ville, Vietnam. Tirés-à-part : Docteur Anna-Bella FAILLOUX, à l’adresse ci-dessus. Article reçu le 24 mai 2002, accepté le 10 juin 2002.

Bull. Acad. Natle Méd., 2002, 186, no 7, 1237-1250, séance du 8 octobre 2002