Résumé
Si, depuis 1958, des efforts très importants ont été faits pour lutter contre la conduite sous l’emprise de l’alcool, de très nombreuses études et observations ont montré que le cannabis, la cocaïne, les amphétamines et les opiacés étaient, eux aussi, souvent impliqués dans la survenue des accidents de la route. Parmi les milieux biologiques accessibles, la salive représente le plus adapté pour mettre en évidence un usage récent de ces substances tandis que le sang est incontestablement le seul milieu biologique utilisable pour la confirmation et la quantification. Des méthodes analytiques fiables sont désormais disponibles. Tous les éléments sont donc réunis pour mettre en place des actions de prévention, dont des dépistages de conduite sous influence. Nos voisins de la Sarre ont donné l’exemple en effectuant des contrôles très fréquents, et cela s’est traduit par une baisse considérable du nombre de morts et de blessés sur les routes de cette région.
Summary
Since 1958, many efforts have been made to fight against driving under the influence of alcohol. As a result of numerous studies, it appears that illicit drugs such as cannabis, cocaine, amphetamines and opiates are often involved in traffic accidents. Among biological media easily accessible, saliva is considered as the most suitable medium for revealing a recent use whereas blood is undoubtedly the only medium which can be used for confirmation and quantification. Reliable analytical methods are now available. So, all elements are gathered for undertaking a real prevention program, including drugs of abuse testing in drivers. In Germany, Sarland has set us an example with very frequent roadside drug testing, and such an action conduced to a very important decrease in the number of fatal and corporal road accidents in this country.
INTRODUCTION
La mise en évidence des effets néfastes de l’alcool sur la sécurité routière a conduit, par ordonnance du 15 décembre 1958, à un texte législatif réprimant la conduite d’un véhicule sous l’emprise d’un état alcoolique. La loi du 18 mai 1965 a permis le dépistage dans l’air expiré et, en cas de positivité, un prélèvement sanguin afin d’évaluer le degré d’imprégnation alcoolique. Le 9 juillet 1970, une loi fixait le seuil maximum légal à 0,80 g/l, avec délit à partir de 1,2 g/l. La loi du 12 juillet 1978 autorisait les contrôles préventifs sur décision du Procureur de la République. Un seuil légal d’alcool dans l’air expiré a été défini par la loi du 8 décembre 1983. En 1994, un double seuil est établi : contravention entre 0,70 g/l et 0,80 g/l, délit au-delà [1]. Depuis 1995, ce seuil légal est de 0,5 g/l [2].
Durant ces quatre dernières décennies, l’alcoolisation des conducteurs a ainsi été la cible prioritaire des pouvoirs publics dans un but de plus grande sécurité routière.
Ce faisant, un nouveau problème de société est apparu : une augmentation de plus en plus importante de la consommation de stupéfiants. Si le nombre des usagers d’héroïne semble être en diminution ces dernières années grâce à la mise en place des traitements de substitution, il n’en va pas de même pour la cocaïne, les amphétamines avec l’ecstasy et surtout pour le cannabis, notamment chez les jeunes. Une enquête récente a en effet montré que la proportion de jeunes de 18 ans avouant consommer du cannabis plus de 10 fois par an avait évolué considérablement de 1993 à 1999, passant de 3 % à 14 % chez les filles et de 11 à 29 % chez les garçons [3].
Tous les stupéfiants précités sont des produits psychotropes. En 1996, selon les spécialistes de la circulation routière, les excès de vitesse et la conduite sous influence de produits psychotropes constituaient les deux principales causes des accidents de la route [4, 5]. Il n’est donc pas surprenant que de nombreux pays aient mis en place une législation sanctionnant l’usage de stupéfiants par les conducteurs [6].
Une directive (no 91/439/CEE) relative au permis de conduire, arrêtée le 29 juillet 1991 par le Conseil des Communautés Européennes, est entrée en vigueur le 1er juillet 1996, s’imposant aux pays membres de l’Union Européenne à compter de cette date. Elle énonçait que « le permis de conduire ne doit être ni délivré ni renouvelé à tout candidat ou conducteur en état de dépendance vis-à-vis de substances à action psychotrope ou qui, sans être dépendant, en abuse régulièrement….
ou qui consomme régulièrement des substances psychotropes, quelle qu’en soit la forme, susceptibles de compromettre son aptitude à conduire sans danger, si la quantité absorbée est telle qu’elle exerce une influence néfaste sur la conduite. Il en est de même pour tout autre médicament ou association de médicaments qui exerce une influence sur l’aptitude à conduire … ».
En France, il a fallu attendre juin 1999 pour qu’un texte de loi soit promulgué en ce sens [7]. Il précise qu’il est ajouté au titre 1er du code de la route (partie législative) un article L. 3-1 ainsi rédigé : « Les officiers ou agents de police judiciaire font procéder
sur tout conducteur d’un véhicule impliqué dans un accident mortel de la circulation à des épreuves de dépistage et, lorsqu’elles se révèlent positives ou sont impossibles, ou lorsque le conducteur refuse de les subir, à des analyses et examens médicaux, cliniques et biologiques, en vue d’établir s’il conduisait sous l’influence de substances ou plantes classées comme stupéfiants… Un décret en Conseil d’État détermine les conditions d’application du présent article ».
Le décret du 27 août 2001 [8] et l’arrêté du 5 septembre 2001 [9] précisent que le dépistage sera réalisé dans les urines tandis que la confirmation sera effectuée sur le sang. Par ailleurs, trois éléments nouveaux sont ajoutés :
— ne sont concernés que les accidents immédiatement mortels ;
— en cas de présence de stupéfiants, une recherche de médicaments psycho-actifs sera entreprise ;
— une copie du dossier incluant les résultats biologiques sera transmise à l’Observatoire Français des Drogues et Toxicomanies aux fins de réaliser une étude épidémiologique.
Comme l’indique une circulaire du ministère de la justice en date du 21 septembre 2001, cette étude épidémiologique, dont les résultats définitifs seront communiqués en 2004, a pour objectif principal de « déterminer quel est le rôle de la consommation de stupéfiants dans la commission des accidents de circulation ». Cette circulaire précise qu’en l’état actuel des textes législatifs, « ces dispositions n’ont aucune incidence juridique sur la responsabilité pénale d’un conducteur auteur d’un homicide involontaire ».
Les effets délétères d’une consommation récente de stupéfiants sur l’aptitude à conduire un véhicule ne sont-ils pas démontrés ? Existe t-il des raisons scientifiques pour privilégier ce dépistage dans le cas des accidents mortels ? Disposons-nous aujourd’hui des moyens techniques nécessaires pour entreprendre des dépistages systématiques chez les conducteurs, comme cela se fait pour l’alcool ? Quels sont les résultats obtenus chez nos voisins européens ayant mis en place de tels dépistages systématiques ?
LES PRODUITS ET LEUR ÉVOLUTION
Le cannabis, les opiacés, les amphétamines et la cocaïne sont encore actuellement les principaux produits psychotropes pouvant être disponibles en France sur le marché clandestin. Cependant, depuis quelques années, d’autres produits apparaissent comme le Khat (arbuste cultivé en Éthiopie et au Yémen), le Kava (plante très consommée en Nouvelle-Calédonie et responsable de nombreux accidents de la circulation), l’Iboga (arbuste africain dont les racines ont des propriétés hallucinogènes), le yagé (boisson hallucinogène provenant d’Amazonie), etc. La consommation de datura stramonium , semble revenir à la mode pour les fortes illusions
sensorielles qu’elle provoque et il en va de même avec les champignons hallucinogè- nes, comme les psilocybes.
Le cannabis
Le principal principe psycho-actif est le delta-9 tétrahydrocannabinol (THC). Afin de savoir s’il y avait eu ces dernières années une évolution dans les concentrations en THC dans les produits à base de cannabis retrouvés en France, une étude récente [10] a regroupé les résultats d’analyses obtenus depuis 1993 sur des produits de saisies effectuées en France par les services des douanes, de la police nationale, de la gendarmerie nationale et de divers laboratoires d’expertises toxicologiques. Cette étude révèle que depuis 1996, bien que d’une façon générale les teneurs en principe actif observées dans la majorité des échantillons n’aient pas beaucoup évolué (environ 8 % pour l’herbe et 10 % pour la résine), sont apparus des échantillons à base de cannabis très fortement concentrés en THC. Au cours de l’année 2000, 3 % des échantillons d’herbe et 18 % des échantillons de résine analysés contenaient plus de 15 % de THC. De façon exceptionnelle, des échantillons contenaient jusqu’à 30 % de THC. Ces fortes teneurs sont principalement liées à l’arrivée de nouveaux produits sur le marché français : la « skunk » (variété de fleurs de cannabis originaire des États-Unis et des Pays-Bas), la « super-skunk » (version améliorée de skunk) et le « pollen » (étamines des plants mâles).
En effet, grâce à des techniques horticoles très avancées (cultures sous serres, hydroponiques, avec des conditions de luminosité et de température optimales), les Néerlandais réussissent désormais à obtenir des variétés à très forte teneur en THC [11].
Amphétamines
Parmi les nombreuses molécules appartenant à cette famille, l’ecstasy en constitue le symbole et sa consommation chez les jeunes est en augmentation constante, notamment avec le développement des rave-parties. Si le principe actif contenu dans les comprimés d’ecstasy est théoriquement le méthylène-dioxy-3,4-méthamphétamine ou MDMA, ce n’est pas toujours le cas dans la réalité. En effet, sous l’appellation ecstasy, sont retrouvés des comprimés aux compositions très diverses (amphétamine ou autres dérivés amphétaminiques, associés ou non à d’autres produits, placebos, etc.).
Opiacés et cocaïne
A l’inverse du cannabis et des amphétamines, les opiacés illicites sont de moins en moins consommés en France. L’héroïne la plus consommée en France est l’héroïne brune ou « Brown sugar », dans laquelle le principe actif, la diacétylmorphine, est mélangé avec d’autres produits comme de la caféine, aspirine, paracétamol. Les teneurs en principe actif sont généralement comprises entre 5 et 13 %.
La consommation de cocaïne reste marginale en France. En revanche, il semblerait que l’utilisation du « crack » (cocaïne base) soit en augmentation depuis quelques années [12]. Ses effets sont redoutables et dans certaines régions du monde comme la Guadeloupe ou la Martinique, le crack est la cause de très nombreux accidents de la voie publique.
POTENTIEL ACCIDENTOGÈNE D’UNE CONSOMMATION DE STUPÉ- FIANTS
La mise en évidence des risques d’accidents liés à un usage récent de stupéfiants repose sur différentes observations : les mécanismes d’action des principes actifs de ces substances et leurs effets sur le comportement des consommateurs, les données apportées par des études sur simulateur de conduite, les tests de conduite en situation réelle, ainsi que les résultats d’études épidémiologiques.
Effets sur le comportement des consommateurs
Les effets du cannabis, lors d’un usage occasionnel, sont principalement [13] :
— des modifications de la perception du temps et des distances ;
— des perturbations de la mémoire à court terme ;
— des perturbations sensorielles : perception exacerbée des sons et surtout des modifications de la vision associées à une mydriase, une diplopie et un nystagmus ;
— des troubles thymiques et dissociatifs avec euphorie, anxiété, agressivité, dépersonnalisation avec disparition des inhibitions et indifférence vis-à-vis de l’environnement, une conscience accrue de soi ;
— des hallucinations et délires exceptionnels mais possibles, notamment avec les nouveaux produits très concentrés en cannabinoïdes ;
— une diminution des performances intellectuelles (baisse de la productivité et de la concentration avec une pensée fragmentaire), motrices et cognitives.
On peut noter aussi une décompensation psychotique se traduisant par un syndrome délirant organique dont le thème le plus fréquent est la persécution et associe anxiété, tremblements, incoordination motrice.
Lors d’un usage fréquent et prolongé de cannabis, des crises d’angoisse aiguë peuvent survenir, au cours desquelles un véritable état de panique s’installe. Par ailleurs, un syndrome amotivationnel est classiquement observé chez les usagers chroniques.
Les effets des morphiniques , incompatibles avec la conduite automobile, consistent en une diminution importante voire majeure de l’attention, des réflexes, de la conscience du danger et des obstacles [14].
Les effets de la cocaïne et des amphétamines sur l’aptitude à conduire un véhicule sont très voisins et sont liés à la stimulation du système nerveux central [12].
L’hyperactivité motrice et l’euphorie sont constantes, conduisant à des comportements irrationnels et notamment à des prises de risques accrues. Avec les amphétamines, la mydriase se traduit par une plus grande sensibilité aux éblouissements dus au soleil ou à l’éclairage des voitures ainsi qu’à une acuité visuelle diminuée.
Tests sur simulateurs de conduite
De très nombreuses études ont montré que l’utilisation de tels tests confirmait les altérations significatives de la capacité à conduire un véhicule observables chez les sujets ayant consommé des produits psychotropes.
Barnett et coll. [15] ont montré, chez des sujets ayant fumé une cigarette de cannabis, que les effets négatifs (diminution du temps de réponse, sorties de route) du cannabis sur les performances de conduite étaient à leur maximum 15 min après consommation et qu’ils étaient observables pendant plusieurs heures (2 à 7 selon les paramètres étudiés). Par ailleurs ces auteurs ont montré, chez des sujets ayant fumé des cigarettes contenant différentes concentrations en principe actif, l’existence d’une relation significative entre le nombre d’erreurs de conduite et la concentration en principe actif dans le sang.
Tests en situation réelle
De tels tests, qu’ils soient effectués en circuit ouvert ou fermé, sont irréalisables en France. Les seules expériences françaises ont été effectuées par des journalistes, sous contrôle de scientifiques et de médecins anonymes [16, 17]. Après avoir consommé du cannabis et/ou de l’ecstasy, leurs aptitudes à conduire un véhicule ont été évaluées sur circuit fermé. Les principaux résultats ont été les suivants :
— des perturbations très notables de la vision, surtout de nuit : temps de récupération après éblouissement augmenté, mauvaise appréciation des distances, erreurs de vision des couleurs ;
— des sorties de trajectoire en virage ;
— des temps de réaction augmentés avec des distances de freinage très allongées (plus 5 à 12 m à 80 km/h) ;
— des prises de risques importantes, surtout après consommation d’ecstasy.
Études épidémiologiques réalisées en France
Les études réalisées en France ces dernières années [18—22] ont montré que certaines substances psychoactives illicites étaient fréquemment retrouvées dans les urines et/ou le sang de conducteurs impliqués dans un accident de la voie publique. Toutes ces études ont révélé que le cannabis était la drogue illicite la plus fréquemment
détectée. Il s’agissait cependant d’études à caractère simplement descriptif. En effet, l’absence de population témoin et/ou l’utilisation de l’urine comme milieu biologique d’investigation ne leur permettaient pas d’établir un lien de causalité entre cette consommation et la survenue de l’accident.
Pour la première fois en France, une étude multicentrique [23] a permis récemment d’estimer le risque relatif d’accident associé à un usage récent de substances psychoactives, en analysant le sang de 900 conducteurs accidentés et en comparant les résultats à ceux de 900 sujets témoins. Les analyses, réalisées sur le sang à l’aide des méthodes analytiques les plus performantes à ce jour, concernaient les produits suivants : cannabis, amphétamines, opiacés, cocaïne, alcool, ainsi que la recherche des principaux médicaments psychoactifs.
Des différences de prévalences très significatives (p < 0,01) étaient observées chez les moins de 27 ans pour le cannabis (20 % des conducteurs et 9 % des témoins), quel que soit l’âge pour la morphine (2,6 % des conducteurs et 0,4 % des témoins) et pour l’alcool (26 % des conducteurs et 9 % des témoins). Parmi les conducteurs positifs au cannabis, celui-ci était seul présent chez 60 % d’entre eux.
L’analyse statistique de ces résultats (calcul des odds-ratios) a permis de montrer que, chez les moins de 27 ans, la fréquence des accidents était multipliée par :
— 1,8 avec les médicaments ;
— 2,5 avec le cannabis seul ;
— 3,8 avec l’alcool seul ;
— 4,8 avec l’association alcool-cannabis ;
— et par 9 avec la morphine.
En conclusion, ces résultats ont confirmé qu’une consommation récente de substances psychoactives était de nature à fortement altérer les capacités à conduire un véhicule en toute sécurité, et tout particulièrement chez les jeunes conducteurs.
ACCIDENTS MORTELS ET CORPORELS : QUELLES DIFFÉRENCES ?
Selon la législation française actuelle, le dépistage des stupéfiants est obligatoire chez les conducteurs impliqués dans un accident immédiatement mortel [7] tandis qu’il est seulement possible [24] dans le cas des accidents corporels. A notre connaissance, aucun substrat scientifique ne permet de privilégier le dépistage des stupéfiants dans le cas des accidents mortels.
Une étude multicentrique réalisée en France en 1999 [21] a montré qu’il n’y avait pas de différence entre les prévalences de l’usage de stupéfiants observées chez des conducteurs impliqués dans un accident mortel de la circulation et celles observées dans les cas d’accidents corporels graves.
CARACTÉRISATION
BIOLOGIQUE
D’UNE
CONDUITE
SOUS
INFLUENCE
Démontrer par l’analyse biologique qu’une personne a consommé une substance psychoactive est une chose aisée. Montrer qu’au moment des faits (contrôle, accident, etc.) le sujet est sous influence, c’est-à-dire que son aptitude à conduire un véhicule est altérée, peut être a priori beaucoup plus difficile. Néanmoins, les progrès technologiques de ces dernières années et les très nombreux travaux réalisés en pharmacologie et en toxicologie sur ce sujet permettent aujourd’hui de proposer des solutions.
Dépistage
Urine
Son principal avantage est qu’actuellement tous les tests rapides de dépistage ont été conçus pour l’urine. On y retrouve essentiellement les produits du métabolisme, à fortes concentrations. Cependant les inconvénients de ce milieu sont nombreux.
Une réaction positive dans les urines ne permettra pas de distinguer une consommation récente d’une consommation datant de quelques jours, voire de plusieurs semaines dans le cas du cannabis [25]. Par ailleurs, le recueil urinaire n’est pas facile, peut présenter un caractère humiliant, et les possibilités d’adultération sont nombreuses et bien connues des toxicomanes.
Pour les laboratoires ayant une fréquence faible de demandes et/ou pour d’éventuels dépistages réalisés « sur site », certaines sociétés commercialisent des tests unitaires faisant appel à l’immunochromatographie, fournissant une réponse en 5 à 10 minutes seulement et n’utilisant que quelques gouttes d’urine. Certains d’entre eux détectent simultanément les quatre principales classes de stupéfiants (cannabis, opiacés, amphétamines et cocaïne) avec des performances tout à fait satisfaisantes [26].
La mise en œuvre d’une technique de dépistage ayant conduit à un résultat positif dans les urines doit toujours être suivie d’une technique de confirmation. En effet, avec toute technique immunologique, les anticorps peuvent présenter des réactivités croisées avec des composés apparentés, et parfois même avec des composés de structure très différente, ce qui se traduit par des résultats faussement positifs.
Salive
La salive a été l’objet de nombreuses études et revues de la littérature [27, 28]. Elle pourrait constituer un bon milieu de dépistage car elle est facilement accessible, son recueil n’est pas vulnérant, mais surtout car la présence des différentes substances reflète une consommation récente (non détectables 2 à 10 heures après). Bien que ce milieu soit donc potentiellement intéressant et notamment dans des buts de dépis-
tages de masse, il n’existe à ce jour aucun test rapide adapté à ce milieu biologique.
En effet, tous les tests rapides commercialisés à ce jour ont été conçus pour les urines et donc pour détecter la présence des métabolites et non des principes actifs, seuls composés retrouvés dans la salive [29]. A défaut de pouvoir être réalisés sur le lieu de l’accident ou du contrôle, les dépistages salivaires sont bien entendu d’ores et déjà réalisables dans les laboratoires spécialisés.
Sueur
La sueur constitue un très mauvais milieu d’investigation parce que ce milieu est exposé à une contamination par l’environnement et que la présence de stupéfiants dans la sueur ne reflète pas obligatoirement un usage récent. La persistance des substances dans ce milieu est entièrement dépendante du moment du dernier lavage.
Si certaines substances comme la cocaïne ou les amphétamines sont facilement excrétées dans la sueur, il n’en est pas de même pour le cannabis pour lequel le principe actif n’y est excrété qu’en très faibles quantités. Par ailleurs, il n’existe à ce jour aucun dispositif commercial fiable adapté au dépistage rapide des drogues illicites dans la sueur. Le Drugwipe® (Securetec, Ottobrunn, Allemagne) a été proposé il y a quelques années pour dépister la présence de drogues par simple essuyage du front. Plusieurs travaux ont cependant montré que l’utilisation de ce test conduisait à de nombreux résultats faussement négatifs et faussement positifs [26, 29].
Confirmation
Le sang est le seul liquide biologique approprié pour confirmer un usage récent de substances psycho-actives. En effet, seule l’analyse du sang par des méthodes spécifiques permet de différencier principes actifs et métabolites inactifs et d’effectuer parallèlement une analyse quantitative dont les résultats peuvent donner lieu à interprétation.
Les méthodes immunochimiques ne sont pas utilisables pour ce milieu en raison d’une mauvaise sensibilité (conduisant à des résultats faussement négatifs) et d’une mauvaise spécificité, responsable de résultats faussement positifs [30]. Parmi les méthodes séparatives, la plupart des auteurs [31, 32] indiquent que la méthode actuellement la plus fiable est la chromatographie en phase gazeuse avec détection par spectrométrie de masse (GC-MS). En ce qui concerne le cannabis, l’analyse du sang par GC-MS permet d’estimer le temps écoulé entre le moment de la dernière consommation et celui de la prise de sang, avec un intervalle de confiance de 92 % [33].
De nombreuses techniques reposant sur cette méthodologie et applicables pour le sang ont été développées, dont certaines sont recommandées par la Société Française de Toxicologie Analytique pour la confirmation de la présence de drogues illicites dans le sang des conducteurs [34-36].
Restitution du permis de conduire
Les cheveux incorporent la plupart des xénobiotiques présents dans le sang et la sueur. Si l’analyse des cheveux ne permet pas de mettre en évidence une consommation datant de quelques heures, elle présente néanmoins un intérêt considérable. En effet la recherche de substances psycho-actives dans les cheveux, grâce à une analyse séquentielle (en coupant les cheveux en segments de 1 cm), renseigne sur le vécu toxicomaniaque d’un sujet [37]. L’abstinence est mieux définie par cette approche que par un suivi dans les urines. Cela pourrait être d’une grande utilité pour confirmer une consommation régulière (en cas de litige) ou encore pour vérifier que le sujet a arrêté de consommer lorsqu’il s’agira de restituer un permis de conduire après suspension de celui-ci pour infraction à la législation.
INITIATIVES EUROPÉENNES : L’EXEMPLE DE LA SARRE
Si la peur du gendarme a démontré son efficacité avec l’alcool, il devrait logiquement en être de même avec les drogues illicites. Cette hypothèse a été très clairement démontrée par une expérience unique, réalisée en 2000 en Allemagne dans la région de la Sarre.
Dans cette région, à partir du 1er janvier 2000, des dépistages de drogues ont été effectués de façon très fréquente au cours des week-ends chez les jeunes de moins de 25 ans.
Le tableau suivant regroupe les résultats obtenus par cette opération au cours des 8 premiers mois de l’année 2000 ainsi que ceux obtenus dans le reste de l’Allemagne pendant cette même période.
Allemagne Sarre Décès — 3 % — 68 % Blessés graves — 9 % — 34 % Blessés légers — 6 % — 29 % CONCLUSION
Les connaissances des mécanismes d’action des drogues illicites, les résultats des études épidémiologiques, des tests sur simulateur de conduite ou encore des tests en situation réelle, démontrent bien les effets délétères de ces produits sur l’aptitude à conduire un véhicule en toute sécurité (pour soi-même et pour les autres). L’exemple de la Sarre a montré qu’une politique de prévention active pouvait résulter en une diminution considérable du nombre des accidents de la route. En France, les pouvoirs publics ont estimé que d’autres études épidémiologiques étaient encore
nécessaires avant de mettre en place une véritable politique de prévention, reposant sur l’information mais aussi sur la mise en place de dépistages systématiques. Dans l’attente du développement de tests rapides adaptés à la salive et utilisables au bord des routes, de nombreux laboratoires de toxicologie sont pourtant d’ores et déjà compétents pour effectuer la recherche des drogues illicites dans la salive. Il nous apparaît donc indispensable de mettre en place une législation visant à réprimer l’usage des psychotropes illicites chez les conducteurs, sans attendre qu’il y ait eu mort d’homme.
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DISCUSSION
M. Claude BOUDÈNE
Chez les personnes ayant consommé des « hemp foods », et particulièrement des graines, on trouve des cannabinoïdes dans les urines qui positivent les tests : cela ne peut-il pas poser des difficultés d’interprétation ?
Non. Tout d’abord, il faut savoir que le métabolisme des cannabinoïdes est différent lorsque ceux-ci sont ingérés. En effet, dans ce cas on trouve dans le sang beaucoup plus de 11-hydroxyTHC que de delta-9 THC. Par ailleurs, dans les graines de chanvre, les principes actifs ne sont présents que dans la cuticule et en très faibles quantités, très insuffisantes pour pouvoir induire un quelconque effet chez l’homme. En conclusion, dans le cas d’ingestion de « hemp foods », on ne trouve pas de principes actifs dans le sang, ce qui souligne encore une fois l’obligation de confirmer tout test urinaire par un dosage sanguin.
Bull. Acad. Natle Méd., 2002, 186, no 2, 345-357, séance du 19 février 2002