Résumé
En 2004, les 116 000 médecins sociétaires du Sou Médical groupe MACSF ont adressé quarante et une déclarations d’accidents médicamenteux (2 % des déclarations d’accidents). Les plus nombreuses sont représentées par les complications des traitements anticoagulants (onze déclarations). En dehors des accidents liés à une surveillance inadaptée (antivitamines K), plus souvent hémorragiques que thrombotiques, il faut souligner l’émergence d’accidents dus à une mauvaise gestion d’un traitement anticoagulant (antivitamines K, anti-agrégants plaquettaires) à l’occasion d’un acte invasif, plus souvent thrombotiques (accident vasculaire cérébral, infarctus du myocarde) qu’hémorragiques. Les condamnations judiciaires prononcées, la même année, à la suite de plaintes de victimes d’accidents médicamenteux, sanctionnent, en règle générale, une prescription erronée d’un médecin mais peuvent s’étendre au pharmacien ayant délivré le médicament et à l’infirmier l’ayant administré, dès lors que la non-conformité de la prescription médicale aux dispositions de l’AMM du produit était évidente.
Summary
In 2004, the 116 000 French doctors who belong to the MACSF group ‘‘ Sou Médical ’’ submitted 41 declarations of adverse drug reactions (2 % of all accident declarations). The most numerous related to complications of anticoagulant treatments (11 declarations). Aside from accidents due to inappropriate supervision (oral anticoagulants), which tend to be more frequently hemorrhagic than thrombotic, these declarations highlight the emergence of accidents resulting from poor management of anticoagulant treatment (oral anticoagulants, antiplatelet drugs) during invasive procedures, and that are more frequently thrombotic (stroke, myocardial infarction) than hemorrhagic. The legal decisions handed down in the same year as a result of complaints by victims of adverse drug reactions generally penalised the doctor for making a wrong prescription, but sometimes also the pharmacist who supplied the drug and the nurse who administered it, in cases where the medical prescription clearly did not comply with the product’s approved uses.
Les sources d’information dont disposent les assureurs concernant les accidents médicamenteux sont au nombre de deux : les déclarations d’accident faites au jour le jour par leurs sociétaires et les décisions de justice qui sont prononcées, en général, plusieurs années après la survenue de l’accident.
Au cours de l’année 2004, les 115 914 médecins sociétaires du Sou Médical groupe MACSF — dont 71 770 exerçant en libéral — ont adressé 2 080 déclarations d’accident. Cinquante trois d’entre elles concernaient des accidents imputés à des médicaments mais, a priori, seuls quarante et un accidents étaient de nature médicamenteuse (2 % des déclarations). La mortalité observée était de 29 % (12/41).
La sinistralité globale s’établissait à 0,35 déclaration d’accident médicamenteux pour 1 000 sociétaires médecins. Le plus grand nombre de déclarations étaient adressées par les médecins généralistes, soit une sinistralité de 0,34 pour 1 000 (15/43 699). Mais la sinistralité la plus élevée était enregistrée en anesthésieréanimation, soit 1,37 pour 1 000 (7/5 121). Le reste des déclarations était relativement dispersé au sein des autres spécialités (Tableau 1).
Les accidents déclarés étaient très variés avec une relative prédominance des accidents hémorragiques ou thrombotiques au cours de traitements anticoagulants, des chocs anaphylactiques après administration de curarisant en anesthésie, d’antibiotique en prophylaxie opératoire (Augmentin®), de produit de contraste radiologique (coronarographie) ou de fluoresceine (angiofluoroscopie), des aplasies médullaires après chimiothérapie anticancéreuse … (Tableau 2).
Les accidents observés lors des traitements anticoagulants étaient de deux types.
Certains sont bien connus. Ainsi, en est-il de deux accidents liés à un surdosage en héparine non fractionnée méconnu en post-opératoire immédiat et responsable d’un décès (prescription en mg et non en unités internationales) ou des six accidents secondaires à une surveillance inadaptée d’un traitement par antivitamine K (AVK) qu’il s’agisse de surdosage responsable de trois décès (dont deux par hématome cérébral), d’une cécité unilatérale (hématome choroïdien) et d’une paralysie crurale (hématome du psoas) ou d’une anticoagulation insuffisante (accident vasculaire cérébral lors d’un passage en fibrillation auriculaire au neuvième jour d’une valvuloplastie mitrale). En revanche, les complications en relation directe avec une mauvaise gestion d’un traitement anticoagulant à l’occasion d’un acte invasif sont de déclaration plus récente mais en progression constante. Il y a, en effet, de plus en plus de sujets au-delà de la soixantaine qui sont soumis à un traitement anticoagulant (AVK, antiagrégants plaquettaires) et chez lesquels peut se poser l’indication
TABLEAU 1. — Déclarations d’accidents médicamenteux en fonction de la spécialité (Sou Médical groupe MACSF : exercice 2004).
Accidents imputés à des Accidents probablement médicaments médicamenteux Médecine générale 23 15 Anesthésie-Réanimation 8 7 Chirurgie orthopédique 3 3 Cardiologie 2 2 Médecine interne 2 2 Neurologie 2 2 ORL 2 2 Chirurgie générale et viscérale 2 1 Imagerie médicale 2 1 Dermatologie 1 1 Gastro-entérologie 1 1 OPH 1 1 Pédiatrie 1 1 Rhumatologie 1 1 Interne 1 1 Gynécologie médicale 1 — Total 53 41 d’un acte invasif notamment, une chirurgie de la cataracte ou une endoscopie digestive avec biopsie… En 2004, trois accidents entrent dans ce cadre. Deux accidents vasculaires cérébraux sont survenus chez des malades traités par AVK à l’occasion d’une intervention de chirurgie orthopédique (hallux valgus) ou dermatologique. Le troisième accident a été observé chez un malade porteur d’un stent coronarien actif, datant de moins de trois mois et dont le traitement antiagrégant plaquettaire avait été remplacé par l’administration d’une héparine de bas poids moléculaire (HBPM) à l’occasion d’une chirurgie ambulatoire pour doigt « à ressort ». Dans les heures suivant l’intervention, s’est produit, à domicile, un infarctus du myocarde avec arrêt cardiaque secondaire. Parfaitement au courant de sa maladie, le patient avait alerté le SAMU dès les premières douleurs et la fibrillation ventriculaire a été immédiatement traitée par l’équipe du SMUR présente sur place lors de l’arrêt cardiaque d’où une réanimation sans séquelle.
L’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé (AFSSAPS) a récemment exposé la démarche à suivre chez les patients à risque thrombotique élevé, traités par AVK et devant subir un acte à risque hémorragique élevé [1]. Cette procédure est assez proche de celle recommandée aux Etats-Unis [2]. Chez ces malades, l’objectif est de poursuivre l’anticoagulation le plus près possible de l’intervention et de la reprendre dès que possible pour minimiser le risque de complications thrombotiques, mais sans favoriser les saignements liés à l’acte. Pour
TABLEAU 2. — Nature des 41 accidents médicamenteux déclarés.
Nombre Décès Hémorragie/Thrombose (AVC …) 11 4 Traitements anticoagulants
Choc anaphylactique 4 4 Curarisant Augmentin® (prophylaxie opératoire) Produit de contraste radiologique Fluorescéine
Aplasie médullaire 4 3 Chimiothérapie anti-cancéreuse
Syndrome de Lyell ou de Stevens-Johnson 3 — Tégretol® (2) Dolobis®
Tendinopathie achiléenne 3 — Quinolones
Malformation fœtale 2 — Cotareg® + Lodoz® Vaccination antirubéoleuse
Rétinopathie 2 — Chloroquine et dérivés
Maladie de Creutzfeld-Jakob 1 1 Hormone de croissance extractive
Fasciite nécrosante (septicémie à S aureus) 1 — Profenid® (IM)
Hépatite fulminante 1 — Salazopirine®
Ostéonécrose de hanche 1 — Corticothérapie
Hémorragie gastrique 1 — Aspirine + Plavix®
Neuropathie périphérique 1 — Taxol®
Trouble du rythme cardiaque 1 — Quinimax®
Crises oculogyres 1 — Sibelium®
Pseudoparalysie radiale 1 — Toxine botulique
Eczéma de contact 1 — Ascabiol®
Dermite exfoliatrice 1 — Augmentin®
Crampes musculaires 1 — Staltor®
Total 41 12
ce faire, l’AVK est interrompu trois à cinq jours avant l’intervention en mesurant quotidiennement l’INR. Une héparinisation (à doses curatives) doit être prescrite dès que l’INR est < 2. Les HBPM peuvent théoriquement être utilisées mais la plupart des situations en cause n’entrent pas dans le cadre de leur AMM. Aussi convient-il de recourir aux héparines non fractionnées, soit en perfusion IV (ce qui nécessite une hospitalisation), soit par voie SC (Calciparine®). L’intervention pourra être réalisée après une interruption de l’héparine de quatre heures (voie IV) à douze heures (voie SC). Les critères autorisant l’intervention sont un INR < 1,5 et un TCA égal au témoin. L’héparine (IV ou SC) sera reprise en post-opératoire le plus rapidement possible, dès lors qu’il n’y a pas de contre-indications à l’anticoagulation (accord de l’opérateur indispensable). Le moment de la reprise de l’AVK est fonction de chaque cas et notamment du risque hémorragique (éventuellement, aussi précocement que l’héparine). Celle-ci sera maintenue jusqu’à l’obtention d’un INR > 2.
En revanche, il n’existe pas de consensus en ce qui concerne l’attitude à adopter chez les patients traités par antiagrégants plaquettaires notamment chez ceux porteurs d’un stent coronarien actif où l’arrêt du traitement antiagrégant plaquettaire comporte un risque très élevé et rapide de thrombose comme dans l’accident rapporté.
Parmi les décisions de justice prononcées en 2004 à l’encontre de médecins sociétaires du Sou Médical groupe MACSF, deux affaires mettaient en évidence que les erreurs médicamenteuses peuvent se produire à chaque étape du processus de soins (prescription — dispensation — administration) mais que les deux dernières étapes peuvent —ou non — permettre de reconnaître une erreur commise en amont et éviter qu’elle n’aboutisse à un accident médicamenteux.
Dossier 1
Une femme née en 1954, était traitée depuis plusieurs années par un généraliste pour un asthme stade II avec une probable allergie pollinique. En mars 2002, elle consultait ce médecin pour des crises de palpitations. Ce dernier lui prescrivait, en plus de son traitement habituel, de l’Avlocardyl® 40 mg, ½ comprimé matin et soir.
La première prise de ce médicament avait lieu en fin de matinée et n’entraînait pas de manifestation respiratoire. En revanche, à 18 h 30, la seconde prise d’Avlocardyl® était suivie, vers 20 heures, d’une crise d’asthme évoluant rapidement vers un état de mal entraînant l’appel du SAMU. L’équipe du SMUR arrivée 30 minutes plus tard trouvait une malade comateuse. Transférée au CHU, elle était hospitalisée en soins intensifs où plusieurs complications liées à la réanimation survenaient. Elle quittait ce service au bout de cinq semaines. Quinze jours plus tard, elle partait en convalescence et ne regagnait son domicile que trois mois après son hospitalisation.
L’expert désigné après que la patiente ait fait assigner son médecin traitant et le pharmacien ayant délivré l’ordonnance rédigée par ce dernier, confirmait que l’état de mal asthmatique avait été très certainement déclenché par la prise d’Avlocardyl® et que la prescription ou la délivrance de ce médicament étaient contre-indiquées
compte tenu des antécédents asthmatiques de la patiente. Il concluait que le médecin traitant avait commis une faute de négligence et d’inattention mais que le contrôle de l’ordonnance par le pharmacien n’avait pas été réalisé. En effet, la prescription d’Avlocardyl® et d’anti-asthmatiques (Ventoline® aérosol, Euphylline® gélules 50) dans la même ordonnance constituait une contradiction qui aurait dû alerter le pharmacien.
En mars 2004, le tribunal homologuait le rapport d’expertise et condamnait le médecin généraliste et le pharmacien à payer, in solidum, la somme de 83 773 euros — dont 60 491 euros pour les organismes sociaux — dans la proportion de leur part de responsabilité, soit 70 % pour le médecin généraliste et 30 % pour le pharmacien.
Dossier 2
En février 1999, un médecin généraliste prescrivait à un homme né en 1957, se plaignant de lombalgies du DODECAVIT® (une ampoule de 1 mg par jour pendant huit jours). Il lui remettait deux ordonnances, la première pour le pharmacien et la seconde pour l’infirmière chargée de pratiquer les injections. A la place du DODECAVIT®, le pharmacien délivrait au patient huit ampoules de 25 mg de MODECATE®. Pendant une semaine, celui-ci recevait une injection IM de MODECATE® dont sept réalisées par une infirmière et la dernière par son associée. Au décours du traitement, le patient était hospitalisé pour un syndrome parkinsonien sévère.
Le patient ayant porté plainte pour obtenir l’indemnisation du préjudice qu’il avait subi, le juge désignait un expert auquel le pharmacien affirmait que ‘‘ la mauvaise écriture du médecin était à l’origine de l’erreur de délivrance qu’il avait commise ’’.
Pour leur défense, les deux infirmières arguaient que le médecin avait engagé sa responsabilité en rédigeant une ordonnance ‘‘ illisible, erronée et ambiguë ’’ de même que le pharmacien en ne procédant pas au contrôle imposé par l’article R5015-48 du Code de la Santé Publique. Pour l’expert, ’’ la lecture de l’ordonnance à destination du pharmacien était particulièrement difficile, le D initial de DODECAVIT pouvait être assimilé à un M. Cependant, lorsque la lecture d’une ordonnance est difficile, le pharmacien doit téléphoner au médecin pour confirmation du médicament d’autant que le MODECAT est un médicament habituellement indiqué dans les psychoses graves… En revanche, l’ordonnance destinée aux infirmières portait, de façon évidente, l’indication de DODECAVIT … ’’.
En juin 2004, le tribunal suivant les conclusions de l’expert, condamnait, in solidum, le pharmacien et les deux infirmières à indemniser le préjudice subi par le patient qui restait à évaluer par une nouvelle expertise. Les parts de responsabilité incombant aux parties condamnées étaient les suivantes : 70 % pour le pharmacien, 20 % pour l’infirmière ayant réalisé sept injections et 10 % pour celle ayant effectué la huitième injection. Le médecin généraliste qui n’avait pas été assigné par le malade mais appelé en garantie par les autres parties, était mis hors de cause par le tribunal.
Il n’est, évidemment, pas possible de déterminer le nombre de cas où la vigilance d’un pharmacien et/ou d’un infirmier a permis d’éviter qu’une prescription médicale erronée n’aboutisse à un accident médicamenteux, plus ou moins grave. A contrario, les dossiers présentés montrent qu’il reste encore beaucoup à faire dans ce domaine avant d’arriver à l’objectif récemment défini par des auteurs suisses : ‘‘ Le principe clé à respecter pour limiter au mieux les erreurs sur l’ordonnance est le suivant : travail en réseau autour d’une prescription claire en privilégiant la communication patient-médecin-pharmacien et en stimulant l’implication du patient ’’ [3].
BIBLIOGRAPHIE [1] Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé (AFSSAPS). Fiche de transparence AVK. Décembre 2000.
[2] SPANDORFER J. — The management of anticoagulation before and after procedures. Med. Clin.
North. Am., 2001, 85 , 1109-1116.
[3] GUIGNARD E., SCHNEIDER M.P., FAVRAT B., PECOUD A., BUGNON O. — Erreurs médicamenteuses en ambulatoire : problématique, prévention autour de l’ordonnance et amélioration de l’information aux patients. Med. Hyg., 2004, 62, 2080-2087.
Bull. Acad. Natle Méd., 2005, 189, no 8, 1735-1742, séance du 22 novembre 2005