Rapport
Séance du 3 février 2009

09-01 Biologie du vieillissement

MOTS-CLÉS : longévité. pharmacologie. physiologie cellulaire. sujet âgé.. vieillissement
The biology of aging
KEY-WORDS : aged.. aging. cell physiology. longevity. pharmacology

Jean-Yves Le Gall, Raymond Ardaillou

Résumé

Même s’il est inéluctable, le vieillissement est influençable. L’amélioration des conditions d’hygiène et la diminution de la morbidité ont allongé la durée de vie chez l’Homme ; mais la biologie nous apprend que la longévité dans les différentes espèces animales n’est pas une donnée fixe mais modulable en fonction des conditions expérimentales. Le vieillissement fait suite à une période de croissance, puis à une période de reproduction. Pour les uns, la mort survient lorsque l’immortalité de la lignée germinale a été assurée ; pour d’autres, elle est le résultat inévitable de l’usure cellulaire. Quatre processus moléculaires et cellulaires ont été particulièrement étudiés dans divers modèles expérimentaux, dont le ver C. elegans, la mouche D. melanogaster et la souris : — l’inhibition de l’axe insuline/ IGF-1 ; — la production des espèces réactives de l’oxygène ; — le raccourcissement des télomères ; — l’autophagie dans les lysosomes. Les maladies géné- tiques du vieillissement montrent l’importance des lamines qui constituent les filaments intermédiaires du noyau. Une mutation empêchant la maturation complète de la lamine A est la cause de la progeria. Il est difficile de proposer un marqueur biologique du vieillissement. On peut simplement réunir plusieurs paramètres biologiques dont l’augmentation est un facteur de risque de l’athérome et des maladies cardiovasculaires. Nos différents organes vieillissent avec des particularités propres : les vaisseaux deviennent rigides ; le cœur est envahi par la fibrose ; le cerveau subit la dégénérescence neurofibrillaire et des plaques séniles apparaissent ; la rétine est touchée par la dégénérescence maculaire liée à l’âge ; le fonctionnement rénal décline avec la diminution de la filtration glomérulaire ; les défenses immunitaires s’amenuisent ; la reproduction est un cas à part parce que, si la longévité s’est accrue, la chronologie du cycle reproductif et l’âge de la ménopause n’ont pas été modifiés ; la fréquence des cancers augmente avec l’âge. En raison de l’évolution des paramètres pharmacocinétiques et pharmacodynamiques, la thérapeutique doit être adaptée à l’âge. En conclusion, des recommandations sont formulées. L’exercice physique et le contrôle de l’apport alimentaire restent les seules mesures préventives validées du vieillissement ; des études récentes contribuent à élucider le mécanisme de leurs effets.

Summary

Although aging is unavoidable, its course can be influenced by various factors, as illustrated by the increase in life expectancy associated with improvements in hygiene and with the general reduction in morbidity. Longevity has also been altered experimentally in some animal species. Aging follows a period of growth and reproduction. Death may occur when the immortality of the germinal line has been ensured. In other cases it results from gradual cellular deterioration. Four principal molecular and cellular processes have been studied in experimental models (mainly mice, worms and fruit flies): — inhibition of the insulin/IGF-1 axis increases life expectancy by allowing a transcription factor (DAF-16 in C. elegans, FoXo in mice) to enter the nucleus, where it stimulates the expression of genes encoding survival-promoting proteins ; one such inhibitor is Klotho protein ; — the detrimental effects of highly toxic reactive oxygen species, mainly produced in the mitochondria, are partly controlled by scavenging molecules and enzymes. Their accumulation leads to DNA, lipid and protein changes, resulting in cell dysfunction ; — the telomeres situated at the ends of each chromosome get shorter with time because of inadequate telomerase activity, and this appears to be associated with diminished longevity ; — autophagia within lysosomes destroys altered proteins and thereby maintains cell homeostasis. However, this activity diminishes with time, resulting in the accumulation of toxic metabolites in the cell, dysfunction of the endoplasmic reticulum and mitochondria, and increased apoptosis. Studies of genetically mediated aging disorders have revealed the importance of lamins (intermediate nuclear filaments). For example, a mutation that prevents the protein lamin A from maturing is the cause of progeria, a disease associated with an acceleration of most aging processes and with premature death. There is no single biological marker of aging. In contrast, a combination of Nt-proBNP, troponin I, C-reactive protein and cystatin may be useful, as increased levels are a risk factor for atheroma and cardiovascular diseases, both of which are associated with aging. The different organs age in different ways: vessel walls become rigid due to protein glycation and develop atheroma ; the heart is invaded by fibrosis ; the brain suffers from neurofibrillar degeneration and senile plaques (responsible for Alzheimer’s disease) ; the retina undergoes macular degeneration ; renal function declines in parallel with the fall in the glomerular filtration rate due to a gradual decrease in the nephron pool ; and immune defenses become less effective due to the functional degradation of B and T lymphocytes and thymus involution. Reproduction is a special case: despite the increase in human longevity, the chronology of the reproductive cycle and the age of menopause onset have not changed. The frequency of cancers increases with age, due to the increase in somatic mutations and the decline in immune defenses. Drug therapy must be adapted to age, owing to age-related changes in pharmacology. Physical exercise and dietary measures are currently the only known ways of slowing the aging process.

INTRODUCTION

L’espérance de vie à la naissance et l’espérance de vie à 65 ans ont considérablement augmenté, la première depuis le début du e XX siècle liée à la diminution de la mortalité infantile et à l’amélioration des conditions d’hygiène, la seconde, plus récemment, du fait d’une diminution générale de la morbidité chez la personne âgée qui lui permet, en outre, de vivre cette période de la vie sans incapacités majeures. On est loin de la description par Shakespeare du dernier âge de la vie dans « Comme il vous plaira » où il dépeint le 7e et dernier âge de l’existence comme « un état d’oubli profond où l’homme se trouve sans dents, sans yeux, sans goût, sans rien » *. Cet allongement de la durée de vie maximale ou longévité va rapidement, mais inégalement, gagner les pays en voie de développement à forte croissance. Une telle situation engendre de nombreux problèmes. Au plan médical, elle augmentera la fréquence des maladies cardiovasculaires, des cancers, des maladies rénales et des maladies dégénératives du système nerveux. Dans ce rapport, nous laisserons de côté la prise en charge du sujet âgé afin de lui permettre de mener le plus longtemps possible une vie sans handicap, cette question ayant déjà été largement abordée par l’Académie de médecine [1-3]. Notre propos se limitera à la biologie du vieillissement : pourquoi vieillit-on ? Quels sont les processus cellulaires et moléculaires du vieillissement ? Qu’apporte l’étude des maladies génétiques du vieillissement à la compréhension de ces processus ? Y a-t-il des marqueurs biologiques du vieillissement et comment évoluent les paramè- tres biologiques avec l’âge ? Comment vieillissent nos divers organes, quelles sont les maladies de l’âge et comment différencier les symptômes du vieillissement normal des symptômes pathologiques ? Doit-on adapter la thérapeutique à l’âge et comment ? Avant d’aborder ces différents points, il convient d’essayer de définir l’âge à partir duquel commence la vieillesse ou sénescence. Malheureusement, aucune réponse indiscutable ne peut être donnée à cette question. Fixer un tel âge ne peut être que relatif à une période historique et à un pays donnés. Afin de contourner cette difficulté, il a été proposé de retenir comme âgés les sujets situés à l’extrémité de la partie droite de la courbe de Gauss représentant la répartition de la population en fonction de l’âge (10 à 15 % de l’ensemble). On peut aussi définir le seuil de la vieillesse comme l’âge au delà duquel une certaine proportion de la population devient dépendante. Enfin, on peut fixer arbitrairement ce seuil, par exemple à 75 ans [4].

* « That ends this strange and eventful history, in second childness and mere oblivion, sans teeth, sans taste, sans everything. » William Shakespeare (As you like it, II, 7).

 

Pourquoi vieillit-on ?

La vie se déroule en trois phases distinctes : le développement qui est le temps de la croissance, la reproduction qui est le temps de la fertilité et seule intervient dans l’évolution biologique, et la sénescence qui est le temps physiologique aboutissant à la mort non accidentelle. Les différentes espèces animales se comportent selon trois schémas. La sénescence rapide se caractérise par une reproduction unique et une involution très rapide après la maturité sexuelle, comme c’est le cas pour le saumon ou la pieuvre. La sénescence graduelle s’accompagne d’une diminution progressive du potentiel de fertilité telle qu’elle est observée chez les mammifères, les oiseaux et dans deux modèles très étudiés, le nématode Caenorabditis (C). elegans et la mouche, Drosophila (D).

melanogaster. Dans ces espèces, la longévité diminue avec le potentiel reproductif et l’activité métabolique. Elle augmente avec les capacités de réparation de l’ADN et la taille de l’animal au sein d’une classe donnée.

Dans une même espèce, les facteurs génétiques individuels interviennent comme le montre la comparaison entre jumeaux monozygotes et dizygotes, la différence d’âge au décès du deuxième jumeau étant plus grande chez les seconds. La dernière situation est celle de la sénescence négligeable associée à une fertilité croissante après la maturité, et cela presque jusqu’à la mort, qui est le propre des tortues, des crustacés et de certains poissons. La longévité augmente en même temps que le potentiel reproductif.

Les mécanismes de la sénescence ont donné lieu à deux séries d’hypothèses que l’on peut qualifier, respectivement, de physiologiques et d’évolutionnistes.

Selon les conceptions physiologiques, la sénescence est schématiquement un processus inévitable d’usure cellulaire, conséquence de l’accumulation progressive d’effets délétères, indépendant du mode de reproduction. Les processus invoqués sont nombreux dont les plus étudiés sont le stress oxydatif, le raccourcissement des télomères et les mutations du génome somatique conduisant souvent à des tumeurs cancéreuses. Pour les tenants des conceptions évolutionnistes au contraire, la sénescence est une conséquence indirecte de la sélection naturelle, de la fertilité et de la reproduction, de sorte que pour assurer l’immortalité de la lignée germinale, on sacrifie le soma devenu inutile lorsque la descendance est assurée. C’est la notion du « soma jetable », compromis entre le maintien somatique, un vieillissement tardif lié à une faible fécondité, et le coût reproductif, une forte fécondité s’accompagnant d’un vieillissement précoce. Dans le cadre de ces deux théories, se pose la question de la part génétique. Celle-ci est certaine dans quelques modèles, comme la drosophile. En effet, la longévité augmente dans cette espèce au terme de douze générations après sélection systématique des descendants des femelles les plus âgées. On distingue schématiquement deux catégories de gènes :

ceux de longévité à expression précoce et ceux de sénescence à expression tardive. Les premiers assurent la maintenance tissulaire (efficacité des voies métaboliques, réponses aux agressions) et les seconds la maintenance de l’intégrité génomique (réparation de l’ADN). Ces derniers comportent des gènes délétères tardifs non adaptatifs comme ceux de la maladie de Huntington, ou de cas rares de maladies d’Alzheimer ou de Parkinson familiales, et des gènes pléïotropiques antagonistes, bénéfiques au cours du développement, mais qui, réexprimés chez le sujet âgé, contribuent à la sénescence. C’est le cas des gènes responsables de l’ostéogenèse qui, à l’âge adulte, participent à la formation des calcifications valvulaires et artérielles. De plus, certains polymorphismes génétiques d’expression tardive peuvent être délétères ou protecteurs. C’est le cas, par exemple, des modifications cognitives liées à l’âge et à la maladie d’Alzheimer dans lesquelles l’allèle k 2 du gène codant l’apolipoprotéine E est protecteur, contrairement à l’allèle k 4 qui est délétère [5]. Interviennent également des gènes intégrateurs comme ceux des composants de la voie de l’« insulin-like growth factor »-1 (IGF-1), détaillés plus loin, dont l’activation diminue la durée de vie. Un problème particulier est celui de la ménopause qui n’est pas propre à l’espèce humaine puisqu’elle s’observe également chez les chimpanzés et les baleines. Ce serait un processus adaptatif permettant, en arrêtant la reproduction, une meilleure prise en charge des enfants. Au total, il existe une base solide d’arguments montrant des interactions entre produits des gènes de la sénescence, de la longévité et de la reproduction.

Processus moléculaires et cellulaires du vieillissement

La connaissance de ces processus nous a montré que la durée de vie n’était pas une donnée invariable caractéristique de chaque espèce, mais qu’elle pouvait être modifiée suite à des manipulations d’ordre génétique, nutritionnel ou pharmacologique. Parmi ces processus, nous nous limiterons aux plus étudiés, l’axe hormone somatotrope / IGF-1 / insuline, les espèces réactives de l’oxygène (ERO), le raccourcissement des télomères et l’activité autophagique des lysosomes. Le point crucial serait de comprendre quelles sont les relations entre les maladies associées à la vieillesse (cancer, maladies cardiovasculaires) qui rendent compte de la majeure partie des décès et les processus moléculaires et cellulaires du vieillissement normal. D’où la nécessité des études sur les modèles animaux qui constitueront la base rationnelle des éventuelles interventions chez l’Homme.

Axe hormone de croissance (GH) / IGF-1 / insuline

Le modèle de C. elegans [6, 7]

La compréhension des processus du vieillissement a beaucoup progressé avec l’étude de C. elegans, un petit nématode d’environ 1mm de longueur, transparent et se présentant sous deux formes sexuelles, mâle et hermaphrodite.

Son génome a été entièrement séquencé ; il mesure 94 Mb et contient environ

FIG. 1. — La liaison de molécules « insulin-like » au récepteur DAF-2 déclenche l’activation d’une cascade de protéines kinases (générant en particulier du phosphatidyl-inositol 3, 4 diphosphate ou PIP2 et du phosphatidyl-inositol 3, 4, 5 triphosphate ou PIP3). Les principaux éléments de cette voie de signalisation sont PDK1 qui active un complexe protéinique associant AKT1, AKT2 (AKT protéines kinases 1 et 2) et SGK-1. Les 3 kinases de ce complexe contrôlent le facteur de transcription DAF 16 (Foxo) : DAF 16 est inactivé par phosphorylation, ce qui entraîne sa rétention dans le compartiment cytoplasmique ; en cas d’inactivation de la voie par mutation de l’un des gènes (au moins 9), DAF 16 subit une translocation dans le noyau où il module la transcription de nombreux gènes codant protéines chaperonnes, protéines HSP (« heat shock protein »), superoxyde dismutases, catalase, protéines de réparation de l’ADN.

DAF-2 = homologue ancestral du récepteur de l’insuline et de celui de l’IGF-1 ; PDK1 = « 3 phosphoinositide dependent kinase 1 » ; SGK1 = « serum acid glucocorticoid-inducible kinase » ; DAF-16 = homologue de Foxo (sous-classe o des facteurs de transcription FORKHEAD chez les mammifères).

19 000 gènes ; par ailleurs toutes les étapes de son développement, aboutissant à un organisme de 959 cellules, ont été répertoriées. La durée de vie de C. elegans est d’environ dix-sept jours, marquée par des signes de sénescence communs à ceux d’autres espèces : ralentissement et incoordination des mouvements, dégénérescence musculaire, accumulation de lipofuscine, de structures vacuolaires, de protéines oxydées… Le processus de vieillissement peut être interrompu par l’entrée dans un stade de dormance, le stade Dauer, susceptible de durer plusieurs mois suite à une modification des conditions de vie : chaleur, manque de nourriture, surpopulation…

 

L’axe « insuline / IGF-1 » est le déterminant principal de la durée de vie de C.elegans [8]. Les mutations des gènes homologues aussi bien chez la levure (S. cerevisiae) que chez la mouche (D. melanogaster) ou la souris (M.

musculus) ont confirmé le rôle et la conservation de cette voie au cours de l’évolution. De nombreux facteurs régulateurs contrôlent cet axe ; la connaissance de leurs gènes chez le nématode permet d’incriminer les gènes homologues chez les mammifères.

L’entrée dans le stade Dauer est sous la dépendance des gènes DAF (DAuer

Formation). En 1993, Cynthia Kenyon [9-11] découvre que des mutations du gène DAF-2 (homologue ancestral du récepteur de l’insuline et de celui de l’IGF-1), entraînant une sous-régulation de la protéine correspondante, sont susceptibles de provoquer un doublement de la durée de vie du nématode, via le facteur de transcription DAF-16 (homologue chez le nématode de FoxO ou sous-classe O des facteurs de transcription Forkhead chez les mammifères).

La liaison de molécules « insulin-like » au récepteur DAF-2 déclenche l’activation d’une cascade de protéine-kinases dont PDK1 (« 3 phospho-inositide dependent kinase1 ») et SGK-1 (« serum acid glucocorticoid-inducible kinase ») qui contrôlent le facteur de transcription DAF-16 (FoxO). En effet, ce dernier est inactivé par phosphorylation, ce qui entraîne sa rétention dans le compartiment cytoplasmique ; en revanche, en cas d’interruption de la voie de signalisation par mutation de l’un de ses gènes, DAF-16 subit une translocation dans le noyau où il module la transcription de nombreux gènes codant des protéines chaperonnes, des protéines de choc thermique, des superoxydes dismutases, la catalase, des enzymes de réparation de l’ADN. Les mutations des gènes (au moins neuf) codant les protéine kinases de cette voie de signalisation augmentent la longévité du nématode par inactivation du gène DAF-16.

Quatre autres voies de signalisation convergent également sur DAF-16 : la famille des gènes JNK c.Jun N terminal Kinase »), appartenant à une voie activée par le stress et qui sont des régulateurs positifs (diminuant donc la durée de vie), des signaux provenant des cellules somatiques et germinales des gonades dont le rôle est encore mal compris, un gène homologue des gènes SIRT (sirtuines ) des mammifères appelé SIR-2 (« Silent Information

Regulator 2 ») dont la suractivation allonge la durée de vie du nématode et enfin la kinase « target of rapamycin » (TOR) qui règle l’équilibre entre synthèse et dégradation des protéines et dont l’inhibition prolonge la vie.

Le modèle de la drosophile

L’hypothèse d’une régulation neuro-endocrine de la longévité, développée chez C.elegans a été rapidement confirmée chez la mouche (D. melanogaster).

La production de « drosophila insulin-like peptide-2 » (DILP-2), une des sept protéines « insulin-like », par des neurones spécialisés est sous contrôle nutritionnel et endocrine : une perturbation de cette voie, diminuant les taux de DILP-2 circulante, augmente la longévité de la drosophile [12].

 

FIG. 2. — Analogie et parallélisme de voies de signalisation IGF-1/insuline chez les nématodes, insectes et mammifères.

Axe GH / IGF-1 / insuline et durée de vie chez les mammifères [13]

Chez les mammifères le récepteur IGF-1R (« insulin growth factor -1 receptor ») est un promoteur de la croissance somatique et, comme dans le cas de son homologue DAF-2 chez C.elegans, son inactivation homozygote est incompatible avec la vie : les souris IGF-1R -/- présentent un retard sévère du développement fœtal et meurent à la naissance par insuffisance respiratoire.

Par contre les souris IGF-1R +/- sont viables : malgré un retard de croissance, elles ont un métabolisme énergétique, une nutrition, une activité physique et une fertilité normales ; surtout, leur durée de vie est augmentée en moyenne de 26 %. Cette observation reproduit donc le phénotype des mutations DAF-2 chez le nématode ; au plan biologique le nombre de récepteurs IGF-1R est réduit de moitié, entraînant une diminution d’activité des voies de signalisation en aval ; les taux plasmatiques de l’IGF-1 sont augmentés, mais les autres paramètres sanguins sont normaux. Il est à noter que l’inactivation hétérozygote du gène IGF-1R, ciblée dans le système nerveux central par une technique CRE-LOX, a également pour résultat une augmentation de la durée de vie, vraisemblablement par un mécanisme endocrinien [14].

La voie de signalisation IGF-1 fait partie de l’axe somatotrope, où l’IGF-1 sécrété par le foie et d’autres tissus, relaie un certain nombre d’effets de l’hormone de croissance (GH), elle même sécrétée par les cellules somatotropes de l’hypophyse. La sécrétion de l’hormone de croissance est régulée par deux neuropeptides : la somatolibérine (GHRH) qui la stimule et la somatostatine (SRIH) qui l’inhibe, ainsi que par une hormone stimulatrice, la ghréline sécrétée par l’estomac. L’hypophyse sert ainsi de relais entre système nerveux central et tissus périphériques, la voie endocrine transmettant des signaux qui régulent croissance, différenciation, reproduction, métabolisme et réponses au stress. La sécrétion de GH est augmentée lors de la puberté ; en effet, les stéroïdes sexuels agissent sur l’hypothalamus et augmentent l’amplitude des pics de sécrétion de GH. La production d’IGF-1 dépend également de l’état nutritionnel et les concentrations d’IGF-1 sérique s’effondrent lors de restrictions caloriques ou protidiques. La diminution de l’activité de cette voie chez les animaux « knock-out » hétérozygotes augmente la longévité des mammifères [15]. C’est le cas par exemple des souris Ames et Snell, présentant des mutations sur des gènes impliqués dans la différenciation hypophysaire ( Pit-1 et Prop-1 , respectivement) ; ces souris sont naines, hypothermiques et stériles, mais ont une longévité accrue de 24 %.

Chez l’homme [16, 17], les données concernant les relations entre axe somatotrope et durée de vie sont fragmentaires et d’interprétation difficile.

Comme dans l’espèce canine, où la diversité phénotypique est plus grande, une relation inverse entre taille et longévité, a été documentée chez des américains joueurs professionnels de basket-ball, ainsi que dans une cohorte d’espagnols de sexe masculin. Des taux faibles d’insulinémie plasmatique sont associés à une mortalité retardée et d’ailleurs fréquemment retrouvés dans la population des centenaires. Certains polymorphismes des gènes IGF-1R et

PI3K sont surreprésentés dans les populations âgées (plus de 85 ans) ; c’est le cas en particulier du variant Ala-37-Thr situé dans le domaine de liaison de l’IGF-1R à son ligand.

Importance de l’apport calorique [18]

La nutrition peut jouer un rôle important dans la longévité : un animal ne pouvant ingérer que 60 à 70 % de son régime ad libitum est en situation dite de restriction calorique, mais son espérance de vie augmente de 20 à 40 %. Chez C. elegans [6-8], trois gènes ( SMK-1, PHA-1, SNK-1 ) interviennent dans ce phénomène dont les mutants négatifs ne bénéficient pas d’un allongement de la longévité malgré la restriction calorique. SMK-1 est un gène de la voie de l’insuline/IGF-1, dont la protéine d’expression est un cofacteur de DAF-16. Il interagit également avec le facteur de transcription PHA-4 (homologue de

FoxA-1 de la famille FORKHEAD), spécifique de la restriction calorique, surtout exprimé dans le tube digestif, les gonades, le système nerveux et influençant la longévité vraisemblablement par un mécanisme endocrine. Enfin SNK-1 est également exprimé dans les cellules neurosensorielles dont celles du goût, ce qui rejoint des observations plus anciennes montrant que des mutants dépourvus de ce sens bénéficiaient d’une augmentation de la longévité.

Chez les mammifères, comme chez C.elegans, l’une des méthodes les plus efficaces pour augmenter la longévité est la restriction calorique [13]. Celle-ci entraîne une diminution de la sécrétion d’IGF-1 et d’insuline, et une augmentation de la sensibilité à l’insuline. Ces deux hormones issues d’une duplication génétique chez les vertébrés, exercent leurs effets biologiques en se liant à leurs récepteurs spécifiques (IR et IGF-1R), récepteurs à activité tyrosine kinase, à structure hétérodimérique, exprimés dans la membrane de la plupart des cellules. L’inactivation du récepteur de l’insuline, ciblée au tissu adipeux, augmente la durée de vie des souris d’environ 18 % ; ces souris présentent une diminution de leur masse adipeuse de 30 à 50 % et une baisse de leur insulinémie à jeun de 70 %. En outre elles conservent avec l’âge une bonne tolérance au glucose, et ceci contrairement aux animaux de référence.

Le gène Klotho [19]

Le gène

Klotho (KL), du nom de la déesse grecque qui file la trame de vie, code pour une protéine transmembranaire exprimée essentiellement dans les reins, les plexus choroïdes du cerveau et l’hypophyse ; elle est libérée dans la circulation sanguine par clivage protéolytique ou sécrétée directement après traduction faisant intervenir un mécanisme d’épissage alternatif. Chez la souris, l’inactivation du gène KL a pour conséquence un vieillissement accéléré conduisant à une réduction importante de la durée de vie (2 mois en moyenne au lieu de 24). A l’inverse, la surexpression de Kl augmente la longévité des souris. Chez l’homme des mutations du gène

Kl sont également connues. Elles sont associées à l’apparition précoce de maladies liées à la sénescence (athérosclérose, accidents cardio-vasculaires, ostéoporose….) et à une réduction de la durée de vie. A l’échelon cellulaire, la liaison de la protéine Kl à son récepteur inhibe l’auto-phosphorylation des récepteurs IR et IGF-1R ; de ce fait, elle inhibe également les voies de signalisation en aval et provoque la translocation de FoxO dans le noyau et, ainsi, l’induction de nombreux gènes (codant en particulier pour des enzymes anti-oxydantes comme la manganèse superoxyde-dismutase). Au total, la protéine Kl ralentit donc la sénescence en inhibant la voie de signalisation IGF/insuline.

Les espèces réactives de l’oxygène (ERO) et le fonctionnement mitochondrial

L’hypothèse radicalaire du vieillissement, proposée en 1956 par Harman, fait jouer un rôle privilégié aux agressions oxydantes provoquées par les radicaux libres provenant du métabolisme de l’oxygène. La molécule d’oxygène O , du 2 fait de sa configuration orbitale, est susceptible de capter un électron en présence de radiations, de métaux, d’enzymes (NADPH oxydases, complexes I et II de la chaîne respiratoire, cytochrome P450..), de xénobiotiques ou suite à divers stress, pour donner le radical superoxyde O -. Ce radical est ensuite 2 transformé en peroxyde d’hydrogène (H O ) par les superoxydes-dismutases 2 2 (SOD) ou en peroxynitrite (NO2O-) par condensation avec le monoxyde d’azote (NO) généré à partir de l’arginine par la NO synthase. Le peroxyde d’hydrogène est décomposé par les catalases, les peroxydases et les peroxyrédoxines ;

mais, en présence de fer ferreux (Fe 2+), il est transformé en radical hydroxyle °OH par la réaction de Fenton ; ce radical extrêmement réactif est dans un second temps susceptible d’oxyder les molécules voisines. Plusieurs composés, notamment les vitamines E et C, peuvent interagir avec ces radicaux libres et éviter leur accumulation. Les mitochondries, le réticulum endoplasmique et les peroxysomes sont les sites principaux de production des ERO [20].

Les ERO ont une toxicité potentielle importante : oxydation de l’ADN, avec notamment formation de 8 oxoguanine (préalable à une mutation guanine → adénine), l’ADN mitochondrial étant particulièrement exposé en raison de sa proximité physique avec la chaîne de transfert d’électrons et de l’absence de chromatine ; oxydation des chaînes polypeptidiques sur les résidus cystéine, méthionine et tyrosine ; carbonylation et glycation des protéines avec formation d’AGE (« advanced glycation end products ») ; hydroperoxydation des acides gras insaturés, des lipides et des lipoprotéines. Les ERO se trouvent ainsi potentiellement impliqués dans diverses maladies (cancers, athérosclérose, diabète, maladies neuro-dégénératives…) associées à la sénescence [21].

La défense cellulaire contre les effets toxiques des ERO est organisée schématiquement en plusieurs échelons. Lorsqu’ils commencent à s’accumuler dans la cellule, les ERO peuvent être directement neutralisés par les molécules anti-oxydantes présentes (glutathion, vitamines E et C, acide lipoïque, biliverdine…) ou par l’activité d’enzymes (catalase, SOD, glutathion peroxydase…).

Dans un deuxième temps, si nécessaire, la réponse cellulaire met en œuvre l’induction de gènes codant pour des enzymes et des protéines anti-oxydantes (catalase, SOD, hème oxygénase, métallothionéines…), des protéines chaperonnes et des enzymes impliquées dans la réparation de l’ADN ou des protéines, et aussi une répression des systèmes susceptibles de générer des ERO (chaîne respiratoire, mono-oxygénases, NADPH-oxydase, cytochrome P450…). En dernier recours l’évolution cellulaire est susceptible de se faire vers l’apoptose.

La théorie radicalaire de Harman explique les altérations physiopathologiques de la sénescence par l’accumulation progressive des ERO et leurs conséquences sur les macromolécules [22]. De nombreux arguments peuvent être avancés en faveur de cette théorie : accumulation avec l’âge des marqueurs biologiques du stress oxydant (8 oxoguanine, dialdéhyde malonique, isopros- tanes, protéines carbonylées…) ; affaiblissement des mécanismes de réparation des protéines et de l’ADN ; modification du transcriptome avec répression des gènes de la chaîne respiratoire et induction des enzymes anti-oxydantes ;

augmentation de la durée de vie des drosophiles par surexpression de la catalase et des superoxyde-dismutases. Néanmoins, pour chacun de ces arguments, des explications différentes peuvent être avancées : alors que dans de nombreuses espèces (C. elegans, M. musculus..) la restriction calorique, source de diminution du stress oxydant, est un facteur de longévité accrue, dans d’autres espèces, en particulier chez les oiseaux, une activité métabolique forte ne s’accompagne nullement d’une diminution de cette longévité. Enfin, une étude récente vient de montrer que, en dépit de leur énorme succès commercial et médiatique, les traitements anti-oxydants étaient en réalité inefficaces sur le vieillissement, ce qui bien entendu fragilise la justesse de cette théorie.

Le principal site de production des ERO étant la mitochondrie par son métabolisme aérobie, cet organite subcellulaire a fait l’objet de nombreuses études montrant que son activité diminuait avec l’âge, parallèlement à une augmentation des dommages de l’ADN mitochondrial (ADNmt) : réarrangements, mutations et délétions [23]. Ces observations sont à l’origine de la théorie mitochondriale du vieillissement, variante de la théorie radicalaire, où les ERO provoquent des lésions de l’ADNmt entraînant anomalies et dysfonctionnement de la chaîne respiratoire, responsables, à leur tour, d’une surproduction de ERO. En fait, les ERO ne sont pas de simples sous-produits du métabolisme énergétique ; ils sont également des régulateurs métaboliques, en particulier des régulateurs des protéines découplantes mitochondriales (« uncoupling proteins » ou UCP), qui réduisent le gradient de protons de part et d’autre de la membrane mitochondriale interne et, de ce fait, leur propre production.

Les anomalies de l’ADNmt au cours de la sénescence ont été étudiées et répertoriées. Les souris dites « Mutator » possèdent un gène ADN polymérase mitochondriale muté ; elles présentent une diminution importante de leur capacité de correction des mutations lors de la biosynthèse de l’ADNmt. Les souris homozygotes ont un taux de mutations 2 500 fois plus élevé que les souris sauvages et développent un phénotype de sénescence prématurée (ostéoporose, alopécie, anémie, perte de graisse sous-cutanée, hypertrophie cardiaque…), associé à une réduction de la longévité ; chez ces animaux cependant, il n’y a ni augmentation des ERO, ni augmentation de la concentration de protéines « oxydées ». Les souris hétérozygotes, bien qu’affectées par un taux de mutations 500 fois supérieur à la normale, ne présentent aucun signe de vieillissement prématuré. Le seuil d’induction d’un phénotype de sénescence précoce, par mutation ou manipulation de l’ADNmt, reste donc considérablement élevé, hors des limites des conditions naturelles. Chez l’Homme, une fréquence de mutations de 50 à 75 % paraît nécessaire pour qu’une anomalie héréditaire de l’ADNmt donne lieu à une affection génétique.

 

Chez C. elegans le fonctionnement mitochondrial contrôle la durée de vie, et ceci par au moins trois mécanismes : le gène isp-1 qui code pour une protéine intervenant dans le transfert d’électrons et dont la mutation s’accompagne d’une diminution de la production de ERO et d’un allongement de la vie ; le gène clk-1 codant pour une enzyme nécessaire à la synthèse d’ubiquinone dont la mutation s’accompagne également d’une augmentation de la durée de vie ; les différentes sous-unités de la chaîne respiratoire dont l’inactivation au stade larvaire est également associée à une diminution de la production des ERO et à un accroissement de la durée de vie. Ces mécanismes mitochondriaux n’ont pas été validés chez les mammifères. En fin de compte, la théorie radicalaire explique certains des aspects du vieillissement, mais elle est loin de rendre compte de la totalité du processus.

La longueur des télomères

En culture de cellules et indépendamment de toute autre cause, le raccourcissement des télomères (10-15 kb dans une cellule native, 3-5 kb après 50-60 passages) lié aux particularités des mécanismes de réplication, est le facteur déterminant de la sénescence réplicative : son passage au dessous d’une taille critique déclenche des signaux d’arrêt des divisions cellulaires et d’activation des voies de sénescence [24]. Chez les vertébrés, les extrémités des chromosomes sont constituées par des répétitions non codantes de la séquence TTAGGG, associées à un complexe protéique. Le brin portant cette séquence, appelé brin G, est un peu plus long que son brin complémentaire et il en résulte donc une extrémité 3′ protrusive. Cette extrémité joue un rôle crucial dans la protection des extrémités des chromosomes [25]. L’ADN télomérique et ses répétitions sont synthétisées par la télomérase, une transcriptase reverse spécialisée [26]. La télomérase synthétise jusqu’à 65-70 répétitions du motif TTAGGG.

La théorie d’Olovnikov reliant longueur des télomères et sénescence réplicative s’est révélée exacte dans le cas de la majorité des cellules somatiques humaines, en raison de l’absence ou de la très faible activité de la télomérase ;

la perte d’ADN télomérique est estimée à 15-50 nucléotides par an in vivo [27].

Une activité télomérase n’est détectable que dans les cellules somatiques à fort potentiel prolifératif (système hématopoïetique, système immunitaire, epithé- liums cutané et intestinal) ; mais cette activité est néanmoins insuffisante à long terme pour préserver la taille des télomères. Par contre une activité télomérase importante, prévenant la sénescence réplicative, est présente dans les cellules germinales, les cellules embryonnaires, les cellules souches et surtout 80 à 90 % des cellules malignes. On doit remarquer que, à âge égal, les télomères des femmes sont plus longs que ceux des hommes, ce qui pourrait, en partie expliquer la longévité plus grande dans le sexe féminin. Des facteurs acquis comme le stress oxydant accompagnant l’inflammation peuvent accélérer le raccourcissement des télomères. On a, aussi, constaté, que la longueur des télomères était plus courte chez les sujets atteints de maladies vasculaires que ne le laissait prévoir l’âge chronologique.

La question s’est posée de savoir, sur l’exemple de Dolly, la première brebis clonée, si les animaux clonés n’avaient pas des télomères plus courts expliquant un vieillissement et une mortalité précoce. En fait, il semble que, dans le cas de Dolly, la cause en soit l’âge déjà avancé des cellules donneuses de noyaux parce que le phénomène ne s’est pas répété ultérieurement. En outre, les agneaux mis au monde par Dolly avaient des télomères de longueur normale. Le vieillissement accéléré de Dolly s’explique, ainsi, par le fait qu’à sa naissance, Dolly avait déjà l’âge biologique de sa mère, et non celui d’un animal né d’une fécondation naturelle. Enfin, il convient d’ajouter que chez C. elegans la longueur des télomères ne joue aucun rôle sur le potentiel de vie : les nématodes ayant des télomères courts vivent aussi longtemps que ceux ayant des télomères longs. En outre, les mutations des gènes de la voie insuline / IGF-1 n’ont aucune influence sur la longueur des télomères du nématode.

L’activité autophagique des lysosomes

L’autophagie est un processus par lequel les lysosomes dégradent des protéines cytosoliques contribuant ainsi à l’élimination des protéines altérées, indispensable au maintien de l’homéostasie cellulaire. Ces protéines sont reconnues par un chaperon, par exemple la protéine de choc thermique de 70 kDa (hsc 70). Le complexe formé se lie à un récepteur situé sur la membrane des lysosomes, la protéine 2A membranaire liée aux lysosomes (LAMP-2A). La protéine liée au chaperon traverse ainsi la membrane et est dégradée dans les lysosomes. Ce processus décroît avec l’âge, ce qui contribue à l’accumulation de déchets conduisant au déficit fonctionnel tissulaire caractéristique des tissus du sujet âgé et s’accompagnant de modifications histologiques telles que la présence de gouttelettes lipidiques, l’accumulation de lipofuscine, l’altération du réticulum endoplasmique et des mitochondries, l’absence de vacuoles autophagiques. Le nombre de cellules en cours d’apoptose reconnues par l’activation de la caspase-3 est en augmentation. Zhang et coll . [28] ont conclu récemment que la diminution de la concentration de LAMP-2A constituait le mécanisme à l’origine du déclin de l’autophagie en montrant que la préservation d’une concentration normale maintenait une activité autophagique normale et retardait l’apparition des symptômes du vieillissement.

Les maladies génétiques conduisant à un vieillissement précoce

Les syndromes progéroïdes (SP) sont des maladies génétiques extrêmement rares, qui miment un certain nombre de signes cliniques du vieillissement. Elles sont dites segmentaires car aucune d’entre-elles ne reproduit la totalité du phénotype de la sénescence « normale ». Il existe bien entendu un intérêt particulier à étudier ces affections, car certains des mécanismes impliqués dans leur physiopathologie sont également susceptibles d’intervenir dans le vieillissement physiologique. Ces maladies à transmission mendélienne peuvent schématiquement être classées en deux grands groupes ; le premier est celui des laminopathies dues à des mutations du gène de la lamine A (LMNA) ou des gènes codant pour des protéines impliquées dans sa maturation, et dont la forme la plus connue est la progeria de Hutchinson-Gilford (HGPS) ; le second regroupe les affections par anomalies des gènes de réparation de l’ADN dont les principaux représentants sont les syndromes de Werner, de Cockayne et de Rothmund-Thomson [29].

Les laminopathies, au nombre de dix, sont très hétérogènes cliniquement. Elles peuvent toucher un tissu de manière isolée (ex : les muscles striés dans la dystrophie musculaire d’Emery-Dreyfus), plusieurs tissus de manière combinée (ex : tissus osseux, adipeux et cutané dans la dystrophie acro-mandibulaire de type A) ou s’étendre à tout l’organisme dans une pathologie systémique comme la HGPS. Il s’agit d’une maladie rarissime (un pour quatre à huit millions de naissances), à transmission autosomique dominante, sévère (âge moyen de décès : 13,5 ans), caractérisée par l’apparition très précoce d’un ensemble de symptômes normalement liés à la sénescence. Le phénotype associe ainsi un retard de croissance sévère, une dysmorphie faciale (oreilles fines avec implantation basse, micrognathie, nez fin en bec d’oiseau) , diverses anomalies squelettiques (dont les plus caractéristiques sont l’ostéolyse des clavicules, l’acro-ostéolyse des phalanges distales, le retard de fermeture des fontanelles, l’ostéoporose, la rigidité croissante des articulations, la gracilité des diaphyses et des côtes), une dystrophie/atrophie musculaire généralisée accompagnée de fortes douleurs, des anomalies cardiovasculaires précoces et sévères (athérosclérose, hypertension artérielle diastolique, cardiomégalie), la mort étant due, la plupart du temps, à un infarctus du myocarde, des atteintes cutanées (peau fine, atrophique et parcheminée ; absence de panicule adipeux, lésions focales sclérodermiformes avec zones hyperpigmentées, alopé- cie, absence de sourcils, veines superficielles proéminentes, lipodystrophie).

Cependant, comme dans le cas de tous les syndromes progéroïdes connus, tous les processus du vieillissement ne sont pas accélérés : l’incidence des cancers n’est pas augmentée, la cataracte et la surdité ne sont pas observées, enfin les fonctions cognitives de ces enfants sont normales. Quelques patients atteints de syndrome de Werner présentent également des mutations du gène LMNA . Dans la grande majorité des cas, cette affection dont l’expression clinique est assez voisine de celle du syndrome de Hutchinson-Gilford, mais avec une évolution retardée, est due à des mutations du gène WRN qui code pour une hélicase de la famille RecQ.

Les lamines appartiennent à la superfamille des filaments intermédiaires (FI) et en constituent le type V, c’est à dire les filaments intermédiaires nucléaires.

 

Elles forment un réseau filamenteux au niveau de la lamina nucléaire et sont considérées comme les principaux acteurs de la structure et du maintien de l’intégrité du noyau. Elles ont des interactions avec les protéines du feuillet interne de l’enveloppe et les protéines de la matrice nucléaire. Elles sont impliquées dans de nombreux mécanismes comme la régulation génique, l’organisation chromatinienne, la réplication de l’ADN, l’épissage… Il existe deux types de lamine : les lamines de type B sont exprimées à tous les stades du développement et sont indispensables à la survie cellulaire, tandis que les lamines de type A sont exprimées dans les cellules différenciées.

Les laminopathies résultent de mutations dans le gène de la lamine A (chromosome 1q21), composé de 12 exons et produisant quatre transcrits par épissage alternatif. La lamine A est d’abord traduite sous forme d’un précurseur de 664 acides aminés, la prélamine A, qui est ensuite transformée en lamine A (646 acides aminés) en quatre étapes, mettant chacune en jeu des enzymes spécifiques : addition d’un groupement farnésyle sur une cystéine par une farnésyltransférase, clivage des trois derniers acides aminés de l’extrémité C.terminale par une endoprotéase, fixation sur le groupement carbonyle de la cystéine farnésylée, devenue terminale, d’un groupement méthyle, clivage des 15 derniers acides aminés carboxyterminaux du précurseur par ZMPSTE 24 (« Zinc Metallopeptidase Protein » homologue à STE 24), entraînant l’élimination du groupement farnésyle et la maturation définitive en lamine A.

La progeria typique est associée à une mutation hétérozygote de l’exon 11 (c.1824 C>T) du gène

LMNA ; cette mutation est dite silencieuse car elle ne change pas la séquence en acides aminés (p. G608G) ; par contre elle induit l’activation d’un site cryptique d’épissage, situé en 5’ de la mutation (entre les nucléotides 1818 et 1819), produisant un transcrit délété des 150 dernières paires de bases de l’exon 11 et, en définitive, une forme tronquée de prélamine A, appelée progérine ou lamine Δ50. Le site de clivage par ZMPSTE 24 étant situé à l’intérieur de la délétion, la maturation complète du polypeptide n’est pas possible : il peut subir l’étape de farnésylation, le premier clivage, la carboxyméthylation, mais non la deuxième coupure protéolytique. La progérine pré- sente donc, non seulement une délétion de 50 acides aminés, mais également trois autres anomalies structurales : un groupe farnésyle, une méthylation de la dernière cystéine et 15 acides aminés supplémentaires, normalement absents de la lamine A et provenant de la prolongation du cadre de lecture dans l’intron 11-12.

L’utilisation d’anticorps anti-lamine A a montré l’existence dans les cellules de patients atteints de HGPS (ainsi que d’autres laminopathies), de nombreuses anomalies nucléaires : hernies, lobulations, perte de l’hétérochromatine périphérique et répartition anormale des pores nucléaires en « clusters ». La sévérité du phénotype apparaît en relation directe avec la quantité de précurseur accumulé. L’état farnésylé qui maintient le polypeptide lié à la membrane du réticulum est déterminant dans la physiopathologie de ces maladies ; c’est la raison pour laquelle sont envisagés des traitements visant à empêcher, au moins partiellement, la farnésylation des prélamines par des inhibiteurs de la voie de biosynthèse du farnésylpyrophosphate (et donc du cholestérol) :

statines (inhibiteurs de l’hydroxyméthylglutaryl coenzymeA réductase ou HMGCoA réductase) ou biphosphonates (inhibiteurs de la farnésylpyrophosphate synthétase). Une autre approche thérapeutique potentielle est l’utilisation de microARNs pour inhiber la traduction de la lamine A, ou l’utilisation d’oligonucléotides se liant au site cryptique pour inhiber l’épissage aberrant.

Il a été montré que le site cryptique d’épissage dévoilé par la mutation p.G608G, s’active également de façon aléatoire dans les cellules de sujets sains et ceci de façon croissante avec l’âge. Néanmoins, les signes et les pathologies qui se développent au cours de la sénescence « normale », dépassent largement le cadre du tableau clinique des syndromes progéroïdes, qui ne représentent qu’un modèle partiel de vieillissement.

Évolution des paramètres biologiques avec l’âge [30]

Comme indiqué plus haut, la définition du vieillissement n’est ni simple ni univoque. Selon Maurice Tubiana (2004) la transformation d’un adulte sain en personne sénescente est marquée par une diminution graduelle des performances physiques, par une moindre résistance aux infections bactériennes et virales, par l’apparition éventuelle d’infirmités, en particulier loco-motrices, et par une probabilité croissante de développer diverses maladies (maladies cardiovasculaires, diabète, cancers, troubles mentaux…). Un biomarqueur du vieillissement est a priori un paramètre qui seul ou en association avec d’autres, serait susceptible de mieux prédire la capacité fonctionnelle à un âge avancé que ne le fait l’âge chronologique. Quatre critères sont ainsi retenus par l’« American Federation of Aging Research » [31] pour définir un tel marqueur ; il doit être un meilleur témoin de l’espérance de vie que l’âge chronologique, refléter les mécanismes intrinsèques de la sénescence, et non les effets de la maladie, pouvoir être déterminé de façon répétée sans préjudice pour la personne concernée (tests sanguins ou examens d’imagerie médicale), enfin pouvoir être testé sur l’animal avant d’être validé chez l’homme. L’analyse de l’évolution des marqueurs biologiques usuels avec l’âge apparaît comme la meilleure méthode pour sélectionner à cet effet un ou plusieurs d’entre eux. En fait cette analyse, en particulier l’établissement de valeurs de référence, se heurte à de nombreuse difficultés : faire la différence entre variations liées à l’âge et celles dues à des processus pathologiques, définir le concept de « vieillir en bonne santé », prendre en compte ou non les pathologies bénignes et les traitements médicamenteux au long cours (traitement hormonal substitutif de la ménopause, traitements antihypertenseurs…). En définitive, aucun des tests actuellement utilisés en pratique médicale ne répond strictement aux critères précédemment énoncés et ne peut donc être retenu sans réserve. En outre la plupart des études effectuées à ce jour ont été surtout orientées vers la recherche de modifications biologiques capables de prédire l’apparition prochaine d’événements pathologiques et d’en faire le diagnostic à l’état préclinique. De ce fait, on est passé des limites de référence (la normale, en fonction de l’âge, établie à partir des courbes de répartition à un âge donné) aux limites de décision (à partir de quelle valeur, faut-il traiter ?) et aux cibles thérapeutiques (quelle valeur un traitement efficace doit-il atteindre ?).

Dans le domaine cardiovasculaire, le taux plasmatique de cholestérol total dont l’augmentation est continue chez la femme, se stabilise au contraire chez l’homme à la cinquantaine, ces changements étant atténués chez les sujets s’adonnant à une activité physique régulière. Les taux plasmatiques de « brain natriuretic peptide » (BNP) et de son précurseur le Nt-proBNP augmentent régulièrement et progressivement avec l’âge aussi bien chez la femme que chez l’homme parce que les conditions de l’éjection à partir du ventricule gauche sont modifiées par l’augmentation du diamètre et de la rigidité des grosses artères. Le suivi d’une cohorte sur plusieurs années a montré une corrélation entre ces taux et les risques de mortalité par accidents cardiovasculaires : au dessus de 50 pmol/l pour le premier et de 120 pmol/l pour le second, ces chiffres définissant une limite de décision (alors que les limites de référence sont respectivement de 1,3 à 27,9, et de 2,4 à 63,8 pmol/l, respectivement). L’évaluation des risques cardiovasculaires est nettement améliorée par la mesure d’une combinaison de plusieurs marqueurs. C’est ce qui apparaît dans un travail récent [32] reposant sur le suivi, pendant 10 ans, d’une cohorte de sujets du sexe masculin chez lesquels ont été mesurés simultanément quatre marqueurs habituellement associés à des maladies cardiovasculaires et rénales : la cystatine, marqueur du débit de filtration glomérulaire, le Nt-proBNP ayant un bon pouvoir prédictif du risque d’accidents cardiovasculaires, la troponine I présentant une association forte avec l’hypertrophie ventriculaire gauche, l’insuffisance rénale et le diabète, la « C reactive protein » (CRP) dite ultrasensible qui est un marqueur de l’inflammation. Le risque de décès est augmenté d’un facteur >3 si deux de ces marqueurs sont simultanément élevés, d’un facteur >7 si 3 d’entre eux le sont et d’un facteur >10 si les 4 biomarqueurs sont anormaux. Par ailleurs, chez les hommes, le taux de lipoprotéine Lp(a) est un facteur indépendant de risque d’athérogénicité et d’accidents cardiovasculaires.

Le débit de filtration glomérulaire (DFG), estimé par la formule MDRD (« Modification of the Diet in Renal Diseases »), diminue progressivement (environ 0,4 ml/min/ an) à partir de 20 ans. La prévalence de l’insuffisance rénale chronique (définie par un DFG inférieur à 60 ml/min/1,73 m2) augmente de façon exponentielle à partir de la cinquantaine, et ceci de façon plus rapide chez les femmes que chez les hommes.

Il est classique de distinguer les marqueurs de formation osseuse (ALP ou phosphatase alcaline, BGP ou bone gla protein, PICP ou peptide carboxyter- minal du procollagène de type I) et les marqueurs de résorption osseuse (ICTP ou télopeptide carboxyterminal du collagène de type I, Pyr ou pyridinoline, Dpyr ou déoxypyridinoline). Tous ces marqueurs, sauf l’ICTP, augmentent avec l’âge chez les sujets en bonne santé. ALP, BGP, Pyr et Dpyr sont significativement plus élevés chez les femmes ménopausées, mais chez celles-ci, il existe une très grande variabilité, rendant difficile l’établissement de limites de référence ;

c’est la raison pour laquelle, les chiffres retenus sont ceux obtenus chez des femmes de 35 à 45 ans en bonne santé. Si les taux des marqueurs de résorption osseuse sont à la limite supérieure de la zone de référence, le risque de fracture ostéoporotique est doublé.

Il est habituel de dire que la glycémie augmente régulièrement avec l’âge. En fait dans les études épidémiologiques, après exclusion des diabétiques et des sujets intolérants au glucose, cette augmentation disparaît. Le taux de sérumalbumine diminue lentement (0,1 à 0,2 g par décennie avant 60 ans, 0,2 à 1 g par décennie après 60 ans). Un taux très abaissé est un marqueur de dénutrition chez les personnes âgées. Les carences en vitamine B12 et en folates sont fréquentes et souvent associées : elles touchent 10 % de la population des 60-75 ans et 20 % des plus de 75 ans. Cette fréquence élevée pose la question de l’intérêt éventuel d’une supplémentation alimentaire systématique. Le calcium, outre de nombreuses fonctions biologiques (conduction nerveuse, contraction musculaire, coagulation sanguine, messager intracellulaire…), est avec le phosphore le principal constituant de l’os. La calcémie est maintenue stable tout au long de la vie par l’action combinée de l’hormone parathyroïdienne (PTH) et de la 1-25 dihydroxyvitamine D (pour l’essentiel vitamine D3 ou 1-25 dihydroxy cholécalciférol). Cette régulation est si importante qu’elle peut se faire au détriment du squelette et participer à l’apparition d’une ostéoporose. La vitamine D est apportée par l’alimentation, mais surtout synthétisée dans la peau à partir du 7 déhydrocholestérol sous l’effet du rayonnement ultraviolet de type B (entre 290 et 315 nm), cette capacité du revêtement cutané diminuant avec l’âge. La vitamine D est ensuite transportée au foie où elle est transformée en 25 OH vitamine D (25 OH D), puis dans les cellules rénales pour une deuxième hydroxylation en 1-25 dihydroxyvitamine D (1-25 diOH D). Ce dérivé dihydroxylé repasse dans le sang où sa demi-vie est d’environ quatre heures. Son rôle principal est de stimuler l’absorption du calcium et du phosphore dans l’intestin. Son mécanisme d’action s’apparente à celui des hormones stéroïdes : fixation sur un récepteur nucléaire et régulation de la transcription de certains gènes. Le vieillissement s’accompagne d’une résistance progressive à la 1-25 diOH D. Le statut vitaminique D s’évalue en pratique médicale par le dosage de la 25 OH D, la normalité se situant entre 75 et 150 nmol/l. Les enquêtes montrent une fréquence très importante (plus de 60 %) de l’insuffisance vitaminique D après 60 ans, expliquant qu’une supplé- mentation systématique puisse être recommandée, en particulier après 80 ans.

Enfin l’hormone parathyroïdienne (PTH) hypercalcémiante et hypophosphaté- miante est sécrétée en réponse à une baisse de la calcémie ; avec l’âge les causes potentielles d’hypocalcémie (dégradation de la fonction rénale et déficit en vitamine D) sont de plus en plus fréquentes ; il est donc logique que dans une enquête systématique la concentration de PTH apparaisse augmentée avec l’âge. En fait les sujets âgés ayant une fonction rénale préservée et un taux normal de vitamine D, ont un taux sérique de PTH identique à celui des sujets jeunes.

La ménopause est marquée par une chute brutale de synthèse des hormones féminines ; seul persiste pendant très longtemps un taux permanent très faible d’oestrogènes ; par contre, la synthèse de progestérone s’arrête complètement [33]. Chez l’homme et la femme âgés, les taux de cortisol circulant sont pratiquement inchangés, la faible diminution de la production corticosurrénalienne étant compensée par le ralentissement du catabolisme. Cependant, il faut noter que des épreuves de freinage et de stimulation ont mis en évidence une hyperréactivité de l’axe hypothalamus-hypophyse-surrénales [34]. La régulation hypophysaire rétroactive est globalement semblable à celle des personnes jeunes. Par contre, la déhydroépiandrostérone (DHEA), sécré- tée en majorité sous forme de sulfate par la surrénale, baisse régulièrement à partir de 20-25 ans, cette diminution atteignant 80 % au delà de 80 ans. Au cours du vieillissement, la LH (« luteinizing hormone ») et la FSH (« follicle stimulating hormone ») voient leurs taux augmenter suite à la diminution du rétrocontrôle exercé par les hormones sexuelles ; l’augmentation de la FSH, en particulier, est un signe précoce de ménopause. La GH et l’IGF-1, qui ont des effets fondamentaux de type anabolique, diminuent également avec l’âge, ce qui, comme on l’a vu plus haut, devrait être un facteur favorable de prévention de la sénescence. Enfin, en dehors de l’hypothyroïdie franche, 5 à 6 fois plus fréquente chez la femme que chez l’homme, les hypothyroïdies infra-cliniques détectées par l’augmentation des taux circulants de thyréostimuline (TSH) et liées le plus souvent à la présence d’auto-anticorps, augmentent au cours de la sénescence ; au delà de 60 ans, elles atteindraient 20 % des femmes et 8 % des hommes.

Les taux sériques des marqueurs de l’inflammation, tels que la CRP dite ultrasensible augmentent de façon significative dans les deux sexes au cours de la sénescence, mais cette augmentation est d’interprétation difficile en raison d’interférences possibles avec différents états inflammatoires liés à l’âge (athérosclérose, atteintes articulaires…) [35].

Un groupe humain particulièrement intéressant est celui des centenaires. Pour notre pays, l’Institut National d’Etudes Démographiques indique qu’ils étaient 100 en 1900 et 20 115 en 2008. Les projections de population donnent les chiffres de 30 029 en 2030 et 60 302 en 2050 [36]. Indépendamment des facteurs génétiques sans doute multiples et dont l’identification est en cours, ces sujets (bien étudiés au Japon) présentent le plus souvent des valeurs de paramètres hématologiques voisines des limites de référence basses, des taux de protéines sériques, en particulier d’albumine, bas et des valeurs de lipoprotéines également faibles, proches de celles des sujets jeunes.

Comment vieillissent nos différents organes ?

On ne peut que résumer les constatations effectuées pour les organes et les fonctions les plus étudiées. Nous nous limiterons donc à l’étude du vieillissement cardiovasculaire, oculaire, rénal et cérébral, et à celle du vieillissement des fonctions immunitaires et sexuelles. Enfin, nous considérerons l’augmentation de la fréquence des cancers avec l’âge.

Vieillissement cardiovasculaire [4, 37].

Du fait du vieillissement de la population, les maladies cardio-vasculaires (insuffisance cardiaque, infarctus, troubles du rythme…..), associées à une gravité et une mortalité deux à quatre fois plus élevées que chez les adultes jeunes, sont devenues un problème majeur de santé publique. C’est ainsi que dans cette catégorie de population, la consommation de β bloquants et d’inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine, dont l’efficacité sur la prolongation de la durée de vie est démontrée, est la première cause de dépenses médicamenteuses. Chez le sujet âgé, et en l’absence de maladies associées, le débit cardiaque est conservé, la fonction ventriculaire gauche et la masse myocardique sont normales, mais la vitesse de remplissage ventriculaire est diminuée (moins 35 %). En aval du muscle cardiaque, le vieillissement artériel associé à l’athérome entraîne rigidité et hypertension artérielle (HTA) qui sont des facteurs déterminants des maladies cardiaques. Le traitement de l’HTA systolique au delà de 60 ans a pour résultat une diminution de 30 % des accidents vasculaires cérébraux et de 50 % des insuffisances cardiaques ; les résultats obtenus au delà de 70 ans par le traitement de l’HTA systolo-diastolique sont sensiblement identiques.

En matière de vieillissement cardiaque, le rat est un modèle intéressant du fait de l’absence d’athérome dans cette espèce animale. Chez le rat âgé (au delà de 24 mois), l’hémodynamique est globalement préservée, mais il existe une dysfonction contractile latente. Chez le rat très âgé (à partir de 28 mois) apparaît une altération continue de l’hémodynamique avec installation progressive d’une insuffisance cardiaque due au seul vieillissement. Au plan histologique, le muscle cardiaque du rat sénescent présente une fibrose importante (augmentation d’un facteur 4 de la concentration en collagène et d’un facteur 5 de son maillage, en raison d’une diminution de sa dégradation par les métalloprotéases), une perte significative de myocytes (essentiellement par nécrose) avec hypertrophie compensatrice des cellules restantes. Ces lésions touchent non seulement le muscle, mais aussi le nœud sinusal, entraînant des troubles du rythme. Au plan métabolique, le rat sénescent présente essentiellement une altération de l’homéostasie calcique myocytaire avec accumulation de calcium intracellulaire après ischémie, diminution des protéines membranaires de transfert, avec par ailleurs diminution des récepteurs β1 adrénergiques et augmentation des récepteurs M2 muscariniques.

Chez l’homme, l’événement biologique majeur est la rigidité artérielle due à une glycation des protéines de la paroi, et les phénomènes de vieillissement cardiaque sont étroitement intriqués avec ceux résultant de l’HTA et de l’athérome coronarien (altérations de la signalisation cellulaire et du métabolisme mitochondrial, sensibilité à l’ischémie). Ce vieillissement, marqué par une hypertrophie myocytaire, est caractérisé au plan biologique par des anomalies de régulation de l’expression génique reproduisant le programme fœtal :

augmentation des chaînes β et diminution des chaînes α de la myosine, diminution de la calcium-ATPase du réticulum sarcoplasmique, diminution des β récepteurs, augmentation de divers facteurs de transcription (dont NFκB), diminution du protéasome avec modifications post-traductionnelles des sousunités 20S et 26S. Parallèlement, l’ischémie est en elle-même à l’origine d’une augmentation d’expression de certains gènes (Ca-ATPase, récepteur de la ryanodine, échangeur Na+/Ca2+, NFκB). Le facteur NFκB provoque a son tour différents effets : augmentation de c-myc, de l’hème oxygénase, de la sirtuine SIRT1 (histone déacétylase) qui régule le facteur FOXO (atténuant le développement de la fibrose), augmentation de p66, stabilisation de l’« hypoxia inducible factor-1 » (HIF-1), ce qui accroît la résistance au stress oxydatif.

En matière d’actions préventives et dans l’attente de thérapeutiques futures (transferts de gènes, inhibition du maillage du collagène, inhibition des consé- quences métaboliques de l’ischémie…), l’intérêt des antioxydants et du bosentan (un antagoniste mixte des récepteurs de l’endothéline) est expérimentalement démontré. Néanmoins, l’activité physique chez le sujet âgé reste la mesure la plus efficace, une marche de deux kilomètres par jour réduisant le risque d’insuffisance coronarienne d’environ 50 %. Le mécanisme reposerait essentiellement sur l’activation d’un coactivateur de la transcription, PGC-1α (« peroxisome proliferator activated receptor γ coactivator 1α ») dont le rôle serait multiple, associant le développement de l’angiogenèse, un effet anti inflammatoire et une amélioration de la plasticité musculaire [38].

Vieillissement cérébral [39, 40]

Le vieillissement cérébral est caractérisé par l’apparition progressive de quatre types de lésions : dégénérescences neurofibrillaires, plaques séniles, pertes neuronales et synaptiques, anomalies vasculaires. La dégénérescence neurofibrillaire correspond à une accumulation de filaments appariés de façon hélicoïdale, constitués par l’assemblage de protéines tau (« tubule associated unit ») anormalement phosphorylées et dont le rôle biologique normal est la stabilisation des microtubules axonaux. Les plaques séniles extra-cellulaires sont constituées d’une substance amyloïde résultant de l’agrégation de poly- peptides comportant, le plus souvent, 40 ou 42 acides aminés, nommés amyloïdes β-40 ou -42 (Aβ-40 ou -42), respectivement. Les formes 42 sont les principales composantes des dépôts cérébraux focaux insolubles ; les oligomères seraient les plus toxiques. Ces peptides sont des produits résultant de la dégradation de la protéine transmembranaire APP (« Amyloïd Protein Precursor ») sous l’action de trois systèmes protéolytiques : les sécrétases α, β et γ.

Des mutations de la protéine APP, ainsi que des mutations des présénilines PS1 ou PS2 (faisant partie du complexe enzymatique des sécrétases) sont responsables de formes familiales rares de maladie d’Alzheimer. Par ailleurs, les plaques séniles sont entourées d’une couronne de prolongements nerveux chargés de protéines tau, également anormalement phosphorylées [41].

La topographie de ces lésions cérébrales est sélective : la protéine tau apparaît dans le cortex temporal interne (cortex transentorhinal et entorhinal), gagne ensuite les aires limbiques et associatives pluri puis unimodales ; de nombreux systèmes de neurotransmetteurs (acétylcholine, noradrénaline, sérotonine…) s’en trouvent affectés. Ces anomalies cérébrales apparaissent progressivement dans la population générale : dépôt de protéine tau dans un pourcentage non négligeable de la tranche d’âge de 20 à 30 ans (constante à partir de 80), dépôts de peptides Aβ plus tardifs (quasi constants chez les centenaires). Les anomalies histologiques de la maladie d’Alzheimer sont qualitativement les mêmes que celles du vieillissement normal, mais lorsqu’un seuil quantitatif et topographique est atteint (dépôts de protéine tau dans l’isocortex cérébral associatif), l’état intellectuel du patient est affecté avec expression clinique de la maladie. Par ailleurs, si toutes les démences ne sont pas des maladies d’Alzheimer (maladie de Parkinson, taupathies, maladie de Huntington…), leur poids médical et social est croissant (la démence concerne environ une personne sur trois parmi les plus de 90 ans). Outre les difficultés cliniques du diagnostic de maladie d’Alzheimer, la biologie n’apporte qu’une aide très limitée (augmentation plus ou moins constante des protéines tau et variations inconstantes des proportions des différentes formes de peptides Aβ dans le liquide céphalo-rachidien, variations encore à confirmer de quelques fragments dans l’analyse du protéome sérique de bas poids moléculaire par spectrométrie de masse).

Si la dégénérescence neurofibrillaire et les plaques séniles sont les lésions majeures du vieillissement cérébral, deux autres anomalies doivent également être retenues : les pertes neuronales et les lésions vasculaires. Les pertes neuronales affectent préférentiellement certaines régions (hippocampe, connexions cortico-corticales associatives….) et certains noyaux ( substantia nigra …) ; cette perte neuronale s’accompagne d’une diminution de la densité des synapses mais, avec de nombreux remaniements témoins de la conservation d’une certaine plasticité neuronale affectant l’arborisation dendritique et la densité synaptique. On ne sait pas précisément la signification et le rôle potentiel de la persistance de certaines cellules souches et de la plasticité neuronale chez les personnes adultes au cours du vieillissement, notamment dans le gyrus denté et l’hippocampe. La lenteur de la constitution des réseaux neuronaux humains efficaces lors de la maturation et de l’apprentissage cognitifs, notamment mnésiques, indique, de toutes façons, que des interventions très précoces seraient nécessaires pour contrebalancer les modifications cérébrales liées à l’âge. Les lésions vasculaires sont soit spécifiques (angiopathies amyloïdes) soit la conséquence d’une hypertension artérielle (lipohyalinose et hyalinosclérose).

Les thérapeutiques actuelles (anti-cholinestérasiques, inhibiteurs de la glutaminyl cyclase, anti-hypertenseurs, anti-oxydants, statines, œstrogènes, antiinflammatoires non stéroïdiens, inhibiteurs de l’agrégation des protéines tau….) sont d’efficacité limitée et transitoire, ce qui n’implique pas qu’elles doivent être négligées. En attendant une thérapie cellulaire plus futuriste (utilisation de cellules souches présentes dans l’hippocampe), quelques nouvelles approches sont expérimentées ou envisagées : inhibiteurs des β et γ sécrétases, immunothérapie active et passive, inhibiteurs des protéine-kinases, activateurs des protéine-phosphatases…

Aucune des anomalies tissulaires cérébrales trouvées chez les patients atteints de maladie d’Alzheimer n’est donc spécifique ; cette affection apparaît aujourd’hui comme la résultante d’une accélération (éventuellement favorisée par des facteurs génétiques et épigénétiques) du processus normal de vieillissement. Les mécanismes physiopathologiques de ces anomalies sont encore très mal compris d’où la nécessité de promouvoir une recherche importante tant expérimentale que chez l’Homme.

Vieillissement oculaire

Si on excepte la cataracte qui est une opacification du cristallin, le vieillissement oculaire qui concerne essentiellement la rétine est, dans sa forme habituelle, la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) [42].

La macula est une structure rétinienne, riche en cônes mais moins en bâtonnets, qui n’existe que chez les primates. Les cônes et bâtonnets sont localisés en contact étroit avec la couche de cellules épithéliales pigmentaires.

Dans ces cellules à activité visuelle la synthèse protéique est abondante ; elle s’effectue dans la partie interne au profit de la partie externe riche en acides gras et en rhodopsine. Cette protéine est formée par l’association de rétinal et d’opsine ; sous l’action d’un rayon lumineux, le rétinal passe de la configuration isomèrique 11-cis à la configuration « all-trans », cette modification structurale entraînant la formation d’un courant électrique transmis au cerveau (transduction visuelle). Les photorécepteurs font l’objet d’un renouvellement rapide, en raison d’une phagocytose importante de leurs extrémités par les cellules de la couche épithéliale. Enfin, les structures internes de la rétine sont très vascularisées alors que les couches externes le sont peu.

 

Au cours du vieillissement, la rétine perd régulièrement des cellules photoré- ceptrices, mais habituellement sans altération de l’acuité visuelle car 30 % des cônes et bâtonnets suffisent pour une fonction normale. Par contre, la DMLA touche environ 30 % des personnes de plus de 80 ans ; il s’agit d’une altération dégénérative de la rétine se manifestant par une atteinte de la vision centrale avec conservation de la vision périphérique. Il existe deux formes principales de dégénérescence maculaire : la forme sèche, la plus commune et à progression lente, caractérisée par la présence de dépôts lipidiques ou « drusen », et la forme exsudative à progression rapide et caractérisée par une prolifération vasculaire importante. Les « drusen » sont un assemblage complexe de protéines (sérum-albumine, clusterine, vitronectine, protéines du complément, protéine amyloïde P, apo E, la cytokine « monocyte chemoattractant protein 1 ou MCP1 »… souvent modifiées par diverses réactions posttraductionnelles), de lipofuchsine et de métaux (calcium, soufre, cuivre, zinc et fer).

Il est maintenant bien établi que la DMLA est liée non seulement à divers facteurs de risques (âge, tabac, stress oxydatif) mais également à une composante génétique importante faite du polymorphisme de 4 gènes : facteur H du complément, apo E, sérine-peptidase HTRA1 (« High temperature requirement-A1 ») et CX3R1 (récepteur de la chemokine fractalkine) dont l’inhibition bloque l’action des cellules microgliales, cette inhibition participant à la formation des « drusen », à la dégénérescence rétinienne et à une néovascularisation anarchique. Les altérations de l’épithélium pigmentaire sont déterminantes étant donné le rôle essentiel de cette couche cellulaire dans la biologie des photorécepteurs : défense anti-oxydante, transport de nutriments, détoxification, régénération de la rhodopsine, phagocytose… Par ailleurs, comme dans le cas de différentes affections du système nerveux central (maladie de Parkinson, maladie d’Alzheimer…) le fer s’accumule avec l’âge dans les cellules de l’épithélium pigmentaire et dans les photorécepteurs, principalement dans la zone de DMLA. Le fer dans ces cellules joue normalement un rôle biologique majeur, sous forme héminique ou non, comme cofacteur d’un grand nombre de systèmes enzymatiques ; son accumulation déclenche un mécanisme réactionnel hypoxique avec induction d’enzymes cibles impliquées dans l’inflammation, la néovascularisation et la mort cellulaire par apoptose.

En raison du vieillissement de la population et de la fréquence chez les sujets âgés de maladies oculaires, la recherche de thérapeutiques efficaces a une grande importance en santé publique. Une nouvelle méthode paraît prometteuse ; il s’agit de l’électrotransfert dans le muscle ciliaire lisse d’un plasmide recombinant, conduisant à la synthèse d’anti-TNF α (« tumour necrosis factor-α) en taux suffisant pour éteindre les signes cliniques et biologiques de l’uvéite.

Cette méthode paraît intéressante pour délivrer des protéines thérapeutiques dans de nombreuses maladies inflammatoires ou dégénératives de l’œil.

 

Vieillissement rénal

Le vieillissement rénal s’accompagne d’une atrophie rénale progressive portant essentiellement sur le cortex. Au plan histologique, on constate une diminution progressive du nombre de néphrons fonctionnels. La déperdition glomérulaire commence à 40 ans et se poursuit avec l’âge. De grandes différences existent d’un individu à l’autre tenant à diverses causes dont le capital de néphrons à la naissance est le principal. Les glomérules restants sont hypertrophiés et remaniés avec une membrane basale épaissie et des lésions de hyalinosclé- rose. Les lésions vasculaires sont constantes et les tubules sont atrophiés avec parfois formation de kystes. L’interstitium est envahi par la fibrose. Au plan hémodynamique, la filtration glomérulaire estimée par la clairance de la créatinine mesurée ou calculée à partir de la créatininémie selon diverses formules diminue (environ 10 ml/min par décennie). La réserve fonctionnelle rénale, c’est-à-dire la capacité des reins à augmenter le débit de filtration glomérulaire après un stimulus diminue également. Le flux sanguin rénal décroît relativement plus que la filtration glomérulaire, ce qui entraîne une augmentation de la fraction de filtration. Les résistances rénales calculées par le rapport de la pression artérielle de perfusion moyenne sur le flux sanguin rénal augmentent. Les fonctions tubulaires sont modérément altérées. On constate une diminution des capacités de concentration et de dilution de l’urine rendant le sujet plus vulnérable aux risques de déshydratation ou d’hyperhydratation. De même les reins répondent plus difficilement aux situations extrêmes telles que la surcharge en sodium ou l’acidose métabolique. Les médicaments excrétés par les reins s’accumulent entraînant des risques de toxicité. Il en est de même pour les produits de contraste iodés dont on pèsera les indications.

La question principale en suspens est d’identifier les facteurs impliqués dans la fixation du capital néphronique à la naissance et dans l’aggravation ou l’atténuation de la progression de la fibrose interstitielle.

Vieillissement du système immunitaire

Le vieillissement chez l’homme s’accompagne d’une augmentation de la fréquence des affections malignes, de la susceptibilité aux infections, des maladies auto-immunes et de la diminution de la réponse aux vaccinations.

Ces anomalies peuvent être considérées comme la conséquence d’une immunosénescence touchant aussi bien l’immunité cellulaire que l’immunité humorale. Le thymus et la moelle osseuse, sources de cellules souches, sont les structures principales du système immunitaire, la rate et les ganglions lymphatiques pouvant être considérés comme des éléments secondaires, sites d’initiation des réactions immunitaires. La sénescence est marquée par une altération des cellules souches hématopoïétiques (HSC = Hematopoietic stem cells), une diminution de la lymphopoïèse, une dégradation des fonctions cellulaires B et T et une involution thymique.

 

Le changement morphologique le plus précoce est l’involution du thymus, apparaissant dès la période de la puberté. Cette involution est marquée en premier lieu par l’atrophie de la zone corticale, la zone médullaire gardant un aspect normal jusqu’au dernier stade de l’atrophie [43]. On constate une diminution du nombre des lymphocytes T, mais avec persistance d’une population importante de cellules immatures, suggérant une diminution de la capacité du thymus à promouvoir la différentiation lymphocytaire. Les cellules T générées dans le thymus à partir de précurseurs, passent dans la circulation à l’état de cellules naïves, susceptibles de reconnaître un déterminant antigé- nique, l’ensemble des motifs reconnus constituant le répertoire des cellules T.

La caractéristique principale du vieillissement est la diminution de l’étendue de ce répertoire, entraînant donc une baisse de probabilité pour qu’un antigène donné soit identifié par le système immunitaire. La fonctionnalité des cellules T peut être mesurée par PCR (« polymerase chain reaction ») quantitative en étudiant la recombinaison des récepteurs à l’antigène par la technique TREC (« T-cell receptor excision circle »). Les capacités fonctionnelles des lymphocytes T diminuent au cours du temps, essentiellement à partir de 65-70 ans, affectant en particulier les cellules mémoires CD4+ et CD8+. L’ensemble de ces constatations suffit à expliquer la plus grande susceptibilité du sujet âgé aux infections et la moins bonne efficacité chez lui des primo-vaccinations [44].

Bien que l’involution thymique et la diminution de production de lymphocytes T soient les phénomènes les plus marqués au cours de la sénescence, celle-ci s’accompagne également d’une baisse de la lymphopoïèse B et de la synthèse d’immunoglobulines. La différenciation des progéniteurs B en cellules matures dépend de l’expression coordonnée d’une série de facteurs de transcription (Ikaros, « early B cell factor » ou EBF, « Paired box 5 » ou PAX5…) et de la recombinaison des gènes des immunoglobulines (chaînes lourdes, chaînes légères, pièces de jonction). Avec l’âge, la biosynthèse des facteurs de transcription, des facteurs protéiques et enzymatiques de recombinaison diminue, entraînant un blocage partiel de la maturation lymphocytaire entre les stades proB et préB, et donc également une baisse de synthèse des immunoglobulines. Par ailleurs, si les cellules souches hématopoïétiques vieillissent, seule en fait leur capacité de différentiation en cellules B est affectée (mais cette capacité peut être restaurée expérimentalement par transfection des facteurs EBF et PAX5), mais non le potentiel du système myéloïde. Ce vieillissement des HSC, qui se produit dans la moelle osseuse, est sans doute dû à des altérations des interactions entre ces cellules et les ostéoblastes. Les monocytes-macrophages et les cellules dendritiques, cellules présentatrices de l’antigène aux cellules T, sont également affectées par la sénescence :

diminution de la phagocytose des microorganismes par les neutrophiles, diminution de la stimulation du TLR (« Toll like receptor ») entraînant une baisse de synthèse de TNF et d’interleukine 6, mais par contre une augmentation de synthèse des autres cytokines proinflammatoires.

 

Les causes de ces altérations du système immunitaire, en particulier l’involution rapide du thymus, liées à la sénescence sont inconnues. L’hypothèse a été faite que ces causes pourraient être externes au système immunitaire luimême, notamment qu’elles pourraient avoir une origine neuro-endocrine.

Expérimentalement une restauration partielle des fonctions immunes peut être obtenue chez l’animal âgé par un apport supplémentaire en zinc (cofacteur de divers facteurs de transcription) ou par restriction calorique (le thymus apparaissant plus petit mais avec une proportion plus élevée de thymocytes fonctionnels). Chez l’homme, le répertoire des cellules immunocompétentes est considéré comme complet entre 20 et 40 ans, c’est à dire présentant à cette période de la vie les capacités optimales pour lutter efficacement contre les pathogènes viraux, bactériens et parasitaires, ou contre les transformations cellulaires malignes. C’est la raison pour laquelle a été proposée la pratique chez les adultes jeunes d’un prélèvement sanguin (400 ml) suivi de l’isolement des cellules blanches et de leur cryoconservation, ces cellules étant restituées ultérieurement au donneur (transfusion autologue) en cas de besoin [45].

L’efficacité de cette méthode, présentant les avantages d’une tolérance immunitaire totale, semble documentée dans le traitement de diverses affections malignes, de maladies infectieuses et de maladies auto-immunes. Une banque dédiée à ces transfusions autologues a été créée récemment aux Etats-Unis.

Vieillissement de la reproduction

En raison d’une évolution des conditions sociologiques, économiques et éthiques, nos contemporains des deux sexes souhaitent procréer de plus en plus tard dans leur vie. C’est ainsi que dans notre pays (comme dans les autres pays européens, américains ou au Japon), l’âge moyen de la maternité augmente progressivement depuis 1970, ainsi que la proportion des premières naissances tardives (femmes de 35 ans et plus). Ce constat apparaît en contradiction avec les données de la biologie, car toutes les études démographiques montrent une diminution de la fertilité naturelle des femmes avec l’âge, surtout nette à partir de 35 ans, cette fertilité devenant nulle aux environs de 45 ans. Cette notion est également bien documentée par les résultats de la fécondation in vitro (FIV) : diminution progressive du nombre de grossesses détectées par analyse biochimique (augmentation de la β HCG), de grossesses cliniques (visibles à l’échographie), d’implantations fœtales et de naissances avec l’âge, augmentation du nombre d’avortements spontanés.

En France statistiquement, le début de l’hypofertilité apparaît aux environs de 30 ans, la stérilité à partir de 40 ans, tandis que l’âge moyen de la ménopause est de 51 ans, apparemment stable au cours de l’évolution récente. La baisse de fertilité est due à la diminution du capital ovocytaire ovarien ; le nombre de cellules ovocytaires augmente de façon importante entre le 3e et le 6e mois de la vie fœtale, puis diminue progressivement (400 000 follicules ovariens à la naissance) pendant l’enfance jusqu’à la puberté où il se stabilise, pour diminuer à nouveau à partir de 35 ans. Les raisons biologiques de cette évolution sont encore très mal comprises. En attendant quelques techniques futuristes (différentiation d’ovocytes à partir de cellules souches ovariennes, gamètes artificiels par transfert d’un noyau de cellule somatique dans un ovocyte énucléé…), les femmes ayant dépassé les 40 ans ont besoin d’un don d’ovocytes pour avoir une chance raisonnable de grossesse (ce phénomène concerne 11 % des FIV aux USA, 1 % en France). Les problèmes médicaux posés par ces grossesses chez des femmes âgées (essentiellement préé- clampsies et diabètes gestationnels) n’apparaissent pas à certains suffisants pour empêcher ces femmes, sur la seule base de l’âge, de tenter de devenir enceintes.

Bien que moins manifeste, la fertilité diminue également chez l’homme avec l’âge. Le vieillissement s’accompagne de modifications de l’histologie testiculaire : altération de la microvascularisation, épaississement de la membrane basale des tubes séminifères, baisse du nombre de cellules de Sertoli et de cellules de Leydig ; les caractéristiques du sperme se modifient également :

diminution du volume de l’éjaculat (de 3 à 20 % au dessus de 50 ans) mais sans changement de la concentration en spermatozoïdes, diminution de la mobilité de ceux-ci et augmentation de leurs anomalies morphologiques. Les études statistiques montrent que si le risque d’avortement spontané augmente avec l’âge maternel, il augmente également avec l’âge paternel (au delà de 40-45 ans) et qu’il est environ 5 fois plus élevé si le père et la mère sont âgés.

De la même façon, en cas d’assistance médicale à la procréation avec don d’ovocyte, le taux d’échec ou d’avortement spontané augmente en fonction de l’âge du donneur de spermatozoïdes.

Il est bien connu que les risques d’anomalies chromosomiques chez l’enfant, en particulier la trisomie 21, augmentent avec l’âge maternel. Leur dépistage anténatal est recommandé et pris en charge. Il apparaît aujourd’hui que ces risques augmentent également avec l’âge paternel, ainsi que le risque de néomutations dominantes liées à l’X (achondroplasie, syndrome d’Apert, syndrome de Crouzon…), cela vraisemblablement en raison d’une augmentation du taux de mutation dans les cellules germinales mâles avec l’âge, car ces cellules ont un taux de renouvellement très élevé (après la puberté, elles se divisent tous les 16 jours soit 23 fois l’an), ou en raison d’une perturbation des mécanismes de réparation de l’ADN.

Au total, l’assistance médicale à la procréation à un âge avancé génère toute une série de questions médicales, sociologiques et éthiques, alimentant ou susceptibles d’alimenter les débats de société : faut-il en particulier imposer une limite d’âge à la femme (et à l’homme) pour la prise en charge d’une assistance médicale à la procréation (actuellement moins de 43 ans pour la femme) ; faut-il maintenir la fertilité quels que soient l’âge et, éventuellement, la situation pathologique ?

 

Vieillissement et cancers [46]

Outre différentes théories, un certain nombre de concepts et de faits expérimentaux ont marqué depuis plus d’un siècle l’évolution des idées sur la sénescence et le vieillissement cellulaire : nombre limité de divisions cellulaires ; possibilité de cultures cellulaires immortelles ; description des télomères, structures terminales et protectrices des chromosomes ; mise en culture de la première lignée immortelle de cellules cancéreuses humaines, la lignée HeLa [47] ; mise en culture de fibroblastes humains normaux, dont la durée de vie est limitée par un nombre prédéterminé de divisions cellulaires [24] ; raccourcissement des télomères proposé comme horloge biologique interne et comme base des mécanismes de sénescence ; concept de perte biallélique d’un gène comme cause du rétinoblastome [48] ; théorie des oncogènes [49] identification de la protéine p53 (1979) puis clonage du gène en 1983 ; identification du premier oncogène humain, l’oncogène H-Ras [50] [51] ; démonstration que les cellules hybrides obtenues par fusion de cellules normales et de cellules immortalisées n’ont plus qu’un nombre limité de divisions, c’est à dire que le phénomène de sénescence est un phénomène dominant génétiquement programmé ; purification de la télomérase ; identification de l’anti-oncogène « retinoblastoma » ou Rb ; démonstration en culture de cellules de la théorie d’Olovnikov sur le raccourcissement progressif des télomères ; caractérisation d’une activité télomérase importante dans les lignées de cellules malignes humaines, contribuant à leur immortalité alors que cette activité enzymatique est presque toujours absente dans les cellules somatiques ; caractérisation du premier marqueur protéique de sénescence, la β galactosidase [52]. Enfin, à partir de 1997, s’est développée l’idée que sénescence et apoptose sont également des mécanismes de prévention d’une prolifération cellulaire anormale et potentiellement maligne [53, 54].

La cellule sénescente est en arrêt du cycle cellulaire et insensible à la stimulation par les facteurs de croissance ; elle présente une modification de sa morphologie faite d’une augmentation de son volume, d’un accroissement de la biogenèse des lysosomes et des activités enzymatiques lysosomales, telle que la β galactosidase acide, qui apparaissent maintenant spécifiques des cellules sénescentes [52]. In vivo , l’activité de la β galactosidase acide est également augmentée dans les fibroblastes de peau de sujets âgés, suggérant l’accumulation de cellules sénescentes et donc un rôle direct de la sénescence réplicative dans le vieillissement de l’organisme.

L’entrée en sénescence peut être provoquée par différentes conditions biologiques ou de stress : expression d’oncogènes, accumulation de dommages cellulaires par le stress oxydatif ou les xénobiotiques, accumulation des défauts de réparation de l’ADN, raccourcissement des télomères, programmation génétique… On parle alors de sénescence prématurée. Un autre type de vieillissement cellulaire est conditionné par le nombre de divisions cellulaires ;

ce processus a été appelé sénescence réplicative, toute cellule somatique diploïde ayant une capacité limitée à se diviser in vitro et très vraisemblablement aussi in vivo ; c’est ainsi que les fibroblastes humains mis en culture, arrêteront de se diviser après 30 à 70 passages. Trois types de cellules échappent cependant à cette sénescence réplicative : les cellules germinales, les cellules embryonnaires et cellules souches, et de nombreuses cellules malignes.

Au plan moléculaire, la sénescence est en définitive le résultat d’un signal transmis par l’une ou l’autre de deux voies de signalisation dont les éléments principaux sont deux protéines « suppresseur de tumeur » ; dans un cas la protéine p53, dans l’autre la protéine pRb. Indépendamment des signaux « normaux » de sénescence, ces deux voies peuvent être activées par différentes modifications post-traductionnelles de p53 ou de pRb (phosphorylation, acétylation, sumoylation….), par exemple sous l’action de la protéine PML/RARα résultant d’une translocation chromosomique 15/17 dans la leucé- mie aiguë promyélocytaire, en raison de l’expression ectopique de PIASy (« protein inhibitor of activated STATy ») ou de ligase E3 « small ubiquitinrelated modifier » (SUMO) ou sous l’action de protéines virales oncogéniques.

A l’inverse, l’inactivation de p53 ou de pRb par diverses mutations est retrouvée dans plus de 50 % des tumeurs malignes [48].

Comment adapter la thérapeutique à l’âge ?

L’effet conjugué de différentes altérations physiologiques et métaboliques, et de l’apparition de diverses maladies nécessitant des traitements multiples et prolongés, explique que la pharmacologie du sujet âgé présente des particularités et nécessite de la part du thérapeute adaptation et surveillance. Les effets indésirables dépendant de la dose augmentent avec l’âge, les sujets étant très souvent en surdosage du fait de l’amoindrissement de leurs capacités d’épuration des médicaments ; il en résulte une diminution de l’index thérapeutique (rapport entre dose toxique et dose efficace). Les effets indésirables augmentent également de façon exponentielle avec la polymédication qui inclut souvent des prescriptions inappropriées et doit conduire à une démarche de « déprescription » (55). Deux aspects principaux de cette pharmacologie de la sénescence méritent d’être abordés : les modifications des paramètres pharmacocinétiques et les modifications des effets pharmacodynamiques, ces deux altérations étant potentiellement aggravées par les interactions médicamenteuses et par les interférences dues aux états pathologiques associés.

Modification des paramètres pharmacocinétiques avec l’âge

Un premier exemple est celui des modifications de la résorption digestive des médicaments sous l’effet de l’altération des paramètres physiologiques :

changement de l’ionisation des médicaments ionisables en raison de la réduction de la sécrétion gastrique, diminution des gradients de transfert sous l’effet conjugué de la diminution de la vidange gastrique, des surfaces d’absorption et de la perfusion veineuse, augmentation du temps de contact en raison du ralentissement du transit intestinal. Pour ces raisons, l’administration de médicaments doit être adaptée chez le vieillard : doses filées et formes galéniques directement résorbables, c’est-à-dire, si possible, liquides.

Un deuxième exemple est celui des modifications de la répartition tissulaire des médicaments en raison des changements de distribution de la graisse et de l’eau avec l’âge. Par rapport à l’adulte jeune, une personne âgée présente ainsi une augmentation de 35 % du tissu adipeux, mais, en revanche, une diminution de 8 % du volume plasmatique, de 17 % de l’eau corporelle totale et surtout une diminution de 40 % de l’eau extracellulaire. Les conséquences les plus importantes de ces changements sont une modification quantitative de la distribution des médicaments dans l’organisme, privilégiant les substances liposolubles qui sont libérées du tissu adipeux de façon lente et retardée, la possibilité d’interactions médicamenteuses à distance de l’effet pharmacologique, et, en revanche, une augmentation des concentrations des médicaments hydrosolubles.

Un troisième exemple est celui des modifications des fonctions hépatiques chez le sujet âgé : diminution de la masse hépatique d’environ 20 % et du débit sanguin hépatique d’environ 35 % à 80 ans, entraînant une diminution de la vitesse de formation des métabolites hépatiques avec, entre autres, une diminution de l’acétylation de l’isoniazide et une diminution des réactions d’oxydation sous la dépendance du cytochrome P450. En revanche, les réactions de glucuronoconjuguaison sont conservées. Un dernier exemple est celui des altérations des fonctions rénales, essentiellement de la filtration glomérulaire, la clairance de la créatinine étant réduite d’environ 30 % dans la classe d’âge des 75-85 ans provoquant un retard d’élimination des médicaments, susceptible d’entraîner des accidents toxiques en cas de faible index thérapeutique ; c’est le cas des risques d’hypoglycémie sous l’effet des sulfamides hypoglycémiants. Ces accidents sont, bien entendu, évitables par ajustement des posologies comme dans le cas des aminosides, des digitaliques et des sels de lithium. Les effets conjugués des modifications de ces paramètres pharmacocinétiques sont ainsi illustrés par le doublement des taux sériques de propicilline (hydrosoluble) chez les sujets de 60-80 ans (par rapport aux jeunes adultes de 20-30 ans) ou par l’allongement de plus de 100 % de la durée de vie du diazepam (liposoluble). Parmi les benzodiazépines, seules trois d’entre elles (lorazepam, oxazepam et temazepam) ont des paramètres pharmacocinétiques stables chez le sujet âgé parce qu’elles sont glucuronoconjuguées et éliminées par voie biliaire.

 

Modifications des effets pharmacodynamiques avec l’âge

Les effets pharmacodynamiques sont globalement augmentés chez le sujet âgé en raison d’une diminution des réflexes compensatoires qui les limitent chez l’adulte jeune. Il en résulte une réduction des possibilités d’homéostasie et une diminution des tonus nerveux autonome (SNA) des organes périphériques.

Le réflexe de posture, commandé par les stimuli visuels et propioceptifs ainsi que par un contrôle central faisant intervenir les récepteurs D2 et le tonus musculaire sont diminués ; de ce fait, les dépresseurs du système nerveux central (SNC) (hypnotiques, anxiolytiques, neuroleptiques, sédatifs, analgésiques centraux) provoquent une instabilité de posture et sont responsables d’une augmentation de la fréquence des chutes lorsqu’ils sont utilisés aux doses préconisées chez l’adulte jeune. La régulation circulatoire orthostatique qui met en jeu tonus veineux, barorécepteurs, débit cardiaque et vasoconstriction artérielle, diminue quantitativement entraînant une majoration des risques d’hypotension orthostatique et des effets antihypertenseurs. Les fonctions cognitives, déjà limitées par la diminution du nombre de fibres cholinergiques fonctionnelles du sujet âgé, sont encore diminuées par les anti-cholinergiques centraux qui provoquent ou augmentent pertes de mémoire et désorientation, tandis que les stimulants du SNC (agonistes β2, théophylline…) augmentent la confusion mentale. La thermorégulation dépendant du sympathique est limitée et ne compense que partiellement les effets hypothermisants des dépresseurs du SNA (phénothiazines, barbituriques, benzodiazépines, antidépresseurs cycliques, morphiniques), ainsi d’ailleurs que ceux de l’éthanol. Les fonctions musculaires lisses viscérales, dépendant principalement du parasympathique, sont également diminuées.

Aussi, para sympathicolytiques et anticholinergiques centraux sont-ils susceptibles de provoquer ileus et rétention d’urines.

La thérapeutique chez le sujet âgé demande donc des produits adaptés (de préférence hydrosolubles, à demi-vie courte, à élimination rénale privilégiée), sous des formes galéniques facilement absorbables, utilisées en prises fractionnées et d’une façon générale pendant une période courte. Les index thérapeutiques étant diminués par rapport à ceux de l’adulte jeune, des essais thérapeutiques spécifiques des sujets âgés devraient systématiquement être entrepris pour chaque nouvelle substance. Enfin chez le vieillard, les états pathologiques et les traitements étant souvent multiples, il existe un risque supplémentaire d’interactions médicamenteuses.

CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS

Beaucoup de progrès ont été faits dans la connaissance des mécanismes biologiques du vieillissement ; mais, le traitement agissant sur ces phéno- mènes et permettant à la fois de mieux vieillir et vivre plus longtemps n’est pas encore connu. On peut craindre aussi que de tels traitements puissent avoir des conséquences néfastes. Par exemple, surexprimer la télomérase dans les cellules somatiques pour ralentir le raccourcissement des télomères pourrait conduire à une multiplication cellulaire accrue et à la formation de tumeurs.

Inhiber complètement la formation des EOR menacerait nos possibilités de défense contre les maladies infectieuses. Inhiber l’axe GH / IGF-1 / insuline aboutirait aussi à des désordres physiologiques majeurs, notamment métaboliques. Il faut donc s’en tenir aux conseils bien connus d’hygiène de vie et, tout particulièrement, la pratique d’une activité physique, mais aussi intellectuelle, et le maintien d’un poids normal.

La question qui se pose présentement n’est donc pas celle de modifier les mécanismes biologiques connus du vieillissement, mais de donner leurs justes places à la gérontologie et à la gériatrie. Quelques recommandations peuvent être formulées à cet égard :

Développer dans les UFR médicales et scientifiques l’enseignement de la biologie du vieillissement par la création de masters spécialisés ;

Favoriser la recherche dans ce domaine par la création d’un institut propre de gérontologie qui a été oublié dans le découpage récent de l’INSERM en instituts, le vieillissement étant rattaché à l’institut de génétique et de développement avec la reproduction et les maladies rares ; un tel institut de gérontologie devrait, entre autres, s’attacher à rechercher des marqueurs biologiques du vieillissement indépendants des pathologies associées ;

Redéfinir les normes biologiques en fonction de l’âge en séparant bien les valeurs obtenues de l’étude de la distribution statistique de celles devant conduire à des décisions thérapeutiques ;

Mettre en œuvre des études épidémiologiques et sociologiques sur le vieillissement dans la population française répertoriant chez les sujets âgés les maladies dont ils souffrent, leurs métiers et activités après la retraite, leur mode de vie (nutrition et activité physique), les traitements qu’ils suivent de façon chronique ;

Créer une pharmacologie du sujet âgé qui ne se borne pas à ajuster les doses en fonction de la clairance de la créatinine, mais qui repose sur des essais thérapeutiques, en particulier de phase I, dans cette classe de la population (65-85 ans) ;

Rappeler l’importance, expérimentalement démontrée, de l’exercice physique et de la maîtrise de l’apport calorique sur la longévité ;

Informer le public que, si les progrès de la médecine, ont permis une prolongation de la vie sans handicaps majeurs, ils n’ont pas modifié la chronologie du cycle reproductif chez la femme, et probablement chez l’homme, avec, comme conséquence, une baisse de la fertilité et une augmen- tation de la fréquence des grossesses pathologiques en cas de maternités tardives dont le nombre est en croissance continue.

Personnalités auditionnées

Patrick Assayag, PUPH chef du Service de Cardiologie de l’Hôpital de Bicêtre, Kremlin-Bicêtre Oliver Bischoff, chercheur CNRS, Unité INSERM 579, Institut Pasteur, Paris Dominique Charron, PUPH chef du Service d’Immunologie Biologique, Hôpital Saint-Louis, Paris Yves Courtois, chercheur INSERM, Unité INSERM UMRS 872, Centre de recherches des Cordeliers, Paris Pierre Maroteaux, chercheur CNRS retraité, Versailles Jean-Jacques Hauw, membre de l’Académie de médecine, PUPH chef du Service d’Anatomie Pathologique Neurologique, Groupe hospitalier Pitié Salpêtrière, Paris Robert Barouki, PUPH, INSERM UMR 747, Université Paris V Jean-Paul Tillement, membre de l’Académie de médecine, PUPH, Université Paris XII Martin Holzenberger, Chercheur INSERM, Unité INSERM 515, Hôpital Saint-Antoine, Paris Hugo Aguilaniu, Ecole Normale Supérieure, Lyon Jacques Tréton, chercheur AP-HP, responsable du Master 2 « Vieillissement » université Paris V, Unité INSERM UMRS 872, Paris Joseph Henny, Centre de Médecine Préventive, Vandœuvre-lès-Nancy Pierre Jouannet, PUPH, Biologie de la reproduction, Hôpital Cochin, Paris.

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DISCUSSION

M. Maurice TUBIANA

Les espèces réactives de l’oxygène : celles-ci jouent un rôle majeur dans la cancérogenèse. Or, les phénomènes inflammatoires accroissent fortement les effets cancérigènes des espèces réactives à l’oxygène, d’où l’idée d’administrer des anti-inflammatoires non stéroïdes, tels que l’aspirine. Une méta-analyse récente de ces essais suggère une réduction de 15 % de la fréquence des cancers, en particulier du cancer du sein. A-t-on envisagé de telles recherches pour le vieillissement ? — Pharmacologie adaptée aux personnes âgées : sur la simple constatation d’une baisse de la sécrétion de certaines hormones chez l’homme, on a administré de ces hormones aux sujets vieillissants. Or, la baisse de la sécrétion hormonale peut avoir un rôle bénéfique en protégeant contre une suractivation.

L’administration d’hormones, par exemple d’œstrogène et de progestatif, au moment de la ménopause a eu des effets nocifs, favorisant l’apparition d’affections que l’on voulait éviter. Ne pensez-vous pas qu’il faudrait rappeler que l’administration d’hormones est un acte grave qui ne doit être effectué qu’après recherche fondamentale et essais cliniques approfondis ?

Le vieillissement est souvent associé à un état proinflammatoire lié à la diminution de l’immunité adaptative comme indiqué dans notre rapport. On conçoit donc que les antiinflammatoires non stéroïdiens puissent avoir un effet bénéfique sur ce processus. Un travail récent (Small GV et al. Am. J. geriatr. Psychiatry , 2008, 16 , 999.1009) indique que l’administration quotidienne de celecoxib à des vieillards souffrant de perte de la mémoire améliore leurs performances cognitives. Cependant, on ne doit pas oublier que de tels traitements exposent à des effets secondaires sévères comme les hémorragies gastriques ou les accidents coronariens qui doivent faire renoncer à leur utilisation chronique. Il est certain que les indications de tout traitement hormonal doivent être soigneusement pesées.

Concernant le vieillissement, les études chez l’animal indiquent, au contraire, que la longévité est accrue par inhibition de l’axe hormone de croissance/IGF-1/insuline.

M. Roger NORDMANN

Dans ce remarquable rapport, les auteurs ont évoqué le rôle éventuel des dérivés réactifs de l’oxygène dans le processus de vieillissement. Deux questions à propos de cette « théorie radicalaire » du vieillissement émise dès 1956 par Harman. — En faveur du rôle d’un stress oxydant (lié à un déséquilibre entre production de radicaux libres agressifs et défenses anti-oxydantes), on peut noter l’accroissement des dépots de lipofuschine et de céroïdes au niveau du système nerveux central en fonction de l’âge. Or ces substances résultent de la réaction entre lipoperoxydes (dont la production est accrue par un stress oxydant) et molécules contenant un groupement aminé. Cette constatation nous semble indiquer qu’un stress oxydant contribue (parmi d’autres facteurs) au vieillissement. Peut-on donc nier cette hypothèse sous prétexte que, comme vous l’avez indiqué, l’administration d’antioxydants ne s’est pas révélée jusqu’ici efficace pour retarder le vieillissement? Ne peut-on pas simplement penser que les anti-oxydants utilisés jusqu’ici n’ont pas été suffisamment actifs pour interférer avec une hyperproduction de dérivés réactifs de l’oxygène ? — Vous avez rappelé le rôle de la réaction de Fenton dans la genèse du radical hydroxyle, particulièrement agressif. Cette réaction étant catalysée par des métaux de transition, on a incriminé un accroissement du fer ferreux (dit ‘‘ rédox-actif) dans l’hyperproduction de ce radical. Un autre métal, à savoir l’aluminium, peut jouer un rôle identique. Lors d’une visite récente à une usine de traitement de l’eau de Seine, il nous a été expliqué que, pour la rendre potable, on a recours, pour éliminer les colloïdes en suspension, à l’addition systématique de complexes contenant de l’aluminium. Peut-on imaginer que (malgré la faible résorption intestinale de l’aluminium) l’ingestion quotidienne d’eau ainsi traitée pourrait contribuer au processus de vieillissement? Avez-vous connaissance de travaux de recherche ayant pour objet le dosage du fer et de l’aluminium dans le système nerveux central (ou d’autres organes) en fonction de l’âge ?

Il est très possible que de nouveaux traitements oxydants soient plus efficaces que ceux disponibles actuellement. Quoiqu’il en soit, il convient de conseiller au sujet âgé une alimentation riche en légumes et en fruits qui lui apportera des antioxydants naturels. Il a été montré que le fer s’accumulait dans le cerveau avec l’âge de même que dans les maladies dégénératives (Parkinson, Alzheimer). Une revue générale récente (Stankievicz et al. Curr. Opin. Clin. Nutr. Metab. Care , 2009, 12 , 22-29) va jusqu’à conclure que les chélateurs du fer représentent un traitement à considérer.

La toxicité de l’aluminium pour le système nerveux est un fait unanimement reconnu. A cet égard, on peut rappeler les encéphalopathies des malades atteints d’insuffisance rénale chronique recevant des gels d’alumine pour absorber l’excès de phosphate dans l’intestin. On ne peut donc que recommander de diminuer au maximum les concentrations d’aluminium dans l’eau de boisson.

*

* *

L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 3 février 2009, a adopté le texte de ce rapport avec une voix contre.

 

<p>* Membre de l’Académie nationale de médecine</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2009, 193, no 2, 365-404, séance du 3 février 2009