Rapport
Séance du 28 mars 2006

06-07 Harmonisation de la réparation des préjudices corporels dans l’Union Européenne. Application au contentieux de la responsabilité médicale

MOTS-CLÉS : erreur médicale/législation et jurisprudence. europe.. indemnités compensatoires. responsabilité légale
Harmonisation of personal injury compensation in the European Union. Application to medical liability case law
KEY-WORDS : compensation and redress. europe.. liability legal. medical errors/legislation and jurisprudence

Jacques Hureau, au nom d’un groupe de travail et de la Commission XV (Ethique et Droit)

Résumé

L’harmonisation de la réparation des préjudices corporels au sein des États de l’Union Européenne (UE) s’impose. Dans la prolongation des travaux déjà menés par la Fédération européenne des académies de médecine, un groupe de travail* au sein de la Commission XV de l’Académie nationale de médecine a souhaité déborder le seul cadre de l’accidentologie automobile dans une réflexion plus universelle, quel que soit le fait générateur du dommage corporel et des préjudices qu’il génère. Un modèle a toutefois été plus particulièrement ciblé : le dommage résultant d’un acte médical, exemplaire par la complexité des problèmes médicojuridiques qu’il pose et par son caractère humainement très sensible. Après un rappel des textes européens qui sous-tendent cette réflexion, sont soulignées les différentes philosophies qui prévalent en Europe concernant la responsabilité médicale et les systèmes de santé. Des convergences méthodologiques seront le chemin obligé d’une harmonisation de la réparation du dommage corporel. Elles concernent la nomenclature des postes de préjudices corporels, les interventions des organismes sociaux, l’établissement d’un référentiel d’évaluation médicale du dommage et d’un référentiel indemnitaire qui en découle. Dans un esprit de synthèse sont relevés les doctrines et concepts à rapprocher entre tous les États membres de l’UE, qu’ils soient de droit médical romano-germanique, anglo-saxon ou nordique, et les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir.

Summary

Harmonisation of personal injury compensation in the European Union (EU) is crucial. Continuing on from the work begun by the European Federation of Medical Academies, a working party of the XVth Committee of the French National Academy of Medicine has sought to go beyond the restrictive framework of automobile accident compensation in order to address more universal concerns, regardless of the causes and effects of bodily injury. The specific situation of injuries resulting from medical acts was considered, both for its medicolegal complexity and its potential human consequences. After recalling relevant European legislation, the authors consider the different philosophies of medical liability and health care systems in Europe. Methodological convergence is required to achieve harmonisation of personal injury compensation regimes, and especially for the classification of different types of bodily injury, the role of social services, and the establishment of a reference for medical evaluation of injury with built-in compensation levels. The doctrines and concepts of all EU member states (civil law, common law, Nordic medical liability regimes, etc.) are discussed, together with means of facilitating their harmonisation.

Face à la libre circulation des hommes et des biens au sein de l’Union européenne (UE), l’harmonisation de la réparation des dommages en cas de lésions corporelles et de décès entre les Etats membres s’impose.

La Résolution (75) 7 du Conseil de l’Europe du 14 mars 1975 [1], consacrée à ce thème, vise à promouvoir une harmonisation des législations et des jurisprudences au sein de l’Europe. Elle s’appuie sur la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) [2] qui institue en son article 6 les règles du « procès équitable » et interdit en son article 14 toute discrimination entre les hommes, de quelque nature qu’elle soit. Elle fait glisser de l’ équité procédurale à l’ équité substantielle et opère un retour à l’équité par le droit .

L’Académie nationale de médecine, garante d’une certaine forme d’humanisme, se doit d’être impliquée dans le droit de la personne humaine.

Le sujet du rapport s’inscrit dans la continuité des travaux menés en 1997 et 1998 par la Fédération des académies nationales de médecine de l’UE, sous l’impulsion de son président le Pr. H. Duran de Madrid et de son secrétaire général, le Pr. L. Auquier de Paris [3]. Elle avait centré sa réflexion sur l’accidentologie automobile.

Il est souhaitable que la réflexion d’harmonisation actuelle soit élargie aux autres domaines du dommage corporel, quel qu’en soit le fait générateur :

accident du travail, accident de droit commun ou de droit contractuel de tout type, faits de guerre, de terrorisme, de catastrophe et, ce qui sera le centre de cette étude, dommages corporels consécutifs à des faits médicaux, qu’ils soient fautifs, « systémiques » au sens où l’entend le droit administratif français, c’est-à-dire fautifs dans l’organisation et le fonctionnement du service public considéré comme un système [4], ou encore aléatoires.

L’irréductibilité de la personne humaine fait que l’homme est un , où qu’il soit et quelles que soient les circonstances dans lesquelles il se trouve.

Si des progrès certains dans l’harmonisation de la réparation du dommage corporel en Europe ont été faits dans le domaine de la circulation des véhicules à moteur et sous l’impulsion des organismes d’assurance en raison de l’ampleur du contentieux, cette harmonisation reste encore fragmentaire au sein de l’UE et très spécifique dans son point d’impact.

La présente étude, tout en ayant pris connaissance des travaux antérieurs, a recherché les possibilités d’une harmonisation plus universelle à travers les divergences constatées. Le choix de son application au domaine de la responsabilité médicale tient au développement que prend depuis plusieurs années ce contentieux humainement très sensible.

LES PRINCIPES ÉNONCÉS DANS LA RÉSOLUTION (75) 7 DU CONSEIL DE L’EUROPE

Il est écrit : « …La personne qui a subi un préjudice a droit à la réparation de celui-ci, en ce sens qu’elle doit être replacée dans une situation aussi proche que possible de celle qui aurait été la sienne si le fait dommageable ne s’était pas produit… » .

Il en ressort quelques grandes caractéristiques auxquelles cette réparation doit souscrire :

— le droit à la réparation intégrale ;

— l’établissement d’une véritable nomenclature détaillée et explicitée des postes de préjudices qui distinguent :

• les préjudices économiques et les préjudices qui « appartiennent personnellement à la victime », • les préjudices temporaires et les préjudices permanents, • les réparations en cas de lésions corporelles et en cas de décès, • les réparations dues en propre à la victime et celles dont peuvent se réclamer certains ayant-droit ;

— une véritable obligation implicite a une réparation des préjudices poste par poste ce qui condamne les modalités forfaitaires d’indemnisation ;

— une distinction nette entre les dommages physiques et les souffrances psychiques ;

— des recommandations précises concernant une modification possible de la réparation allouée en fonction de l’évolution ultérieure des conséquences du dommage corporel, selon que la réparation a fait l’objet d’une allocation de rente ou de l’attribution d’un capital ;

— le souci d’assurer au versement d’une rente sa valeur constante en dépit des dépréciations monétaires ;

— le respect, dans tous les cas où le problème se pose, des critères déterminés par le droit national. C’est l’application du principe de subsidiarité.

CE DONT IL FAUT TENIR COMPTE POUR HARMONISER DANS LE DOMAINE DE LA RESPONSABILITÉ MÉDICALE EN EUROPE

Les doctrines concernant la responsabilité médicale

Elles ont fait l’objet d’une présentation devant l’Académie [5]. Si les principes généraux de la responsabilité médicale, à savoir faute, préjudice et lien de causalité entre la faute et le dommage, sont presque constamment retrouvés dans la majorité des pays européens, il faut cependant opposer deux groupes principaux d’États, les États scandinaves et le reste des pays européens. Dans ces derniers la recherche d’une faute médicale précède, à de rares exceptions près (cas de responsabilité sans faute), toute possibilité d’indemnisation. En Scandinavie, l’indemnisation des accidents médicaux est désolidarisée de la recherche première de la responsabilité médicale. Le fondement de la responsabilité médicale y est le risque, quand il reste la faute ailleurs. La France, depuis le 4 mars 2002, jouit d’une situation particulière en Europe. Elle indemnise l’aléa par le biais de la solidarité nationale et dans certaines limites de gravité.

Les systèmes de santé en Europe

On distingue deux types de systèmes [6] :

— les systèmes universels ou « beveridgiens » * : le droit à la santé et l’assurance maladie sont un attribut de la citoyenneté. Il n’y a pas d’exclus, un résident en situation régulière bénéficie des mêmes droits que le citoyen national. On constate une double solidarité : riche — pauvre et bien portant — malade. La santé y relève de l’État ou des collectivités locales avec des * Lord BEVERIDGE — GB — 1942/1948 — NHS (National Health Service).

variantes (Royaume Uni, Islande, Suède, Norvège, Finlande, Danemark, Portugal, Espagne, Italie, Grèce) ;

les systèmes « bismarckiens » ** : le droit aux soins y constitue un attribut du travail et de ses ayants-droit. La solidarité est organisée au sein des professions. Ce type de système génère des exclus, en particulier les chômeurs et les inactifs. L’accès aux soins et son financement relèvent de la responsabilité sociale collective (Belgique, Pays-Bas, Allemagne, Autriche) ;

— le système français *** est mixte, ni véritablement bismarckien, ni vraiment beveridgien. Il est en déséquilibre.

Ces deux types de disparités seront source de différences dans les philosophies et les pratiques de la réparation du dommage corporel en responsabilité médicale. Il y a néanmoins des convergences obligées de métholologie.

LES QUATRE OUTILS MÉTHODOLOGIQUES DE RÉFÉRENCE — ANALYSE DE L’EXISTANT

La réparation des préjudices consécutifs à un dommage corporel en droit commun exige, quels que soient le lieu et les circonstances causales, que soient préalablement établis quatre outils de référence dont nous verrons comment ils sont constitués et utilisés dans l’UE :

— une nomenclature des postes de préjudices corporels, — l’assiette du recours subrogatoire des tiers payeurs (intervention des organismes sociaux), — un référentiel d’évaluation médicale des différentes variétés d’atteintes physiques ou psychiques à l’intégrité du corps humain, domaine spécifiquement médical, — un référentiel indemnitaire des différents postes de préjudices retenus, domaine économique mais lié à l’avis scientifique et technique du médecin.

Une nomenclature des postes de préjudices corporels en Europe

La summa divisio entre préjudices économiques (patrimoniaux — « l’avoir ») et préjudices non économiques (personnels — extra-patrimoniaux — « l’être ») est unanimement respectée [1-7]. Dans chacune de ces deux classes de préjudices une distinction est faite entre préjudices temporaires, antérieurs à la ** Chancelier BISMARCK — 1883 — 1ère assurance maladie créée au profit des ouvriers de l’industrie disposant d’un salaire inférieur à un certain seuil [pour des motifs de ‘‘ paix sociale ’’].

*** Ordonnances du 4 octobre 1945.

date de consolidation médico-légale (stade lésionnel de Wood) et préjudices permanents et frais futurs, postérieurs à la consolidation (stade séquellaire et retentissement situationnel ou handicap de Wood) [8].

En France, deux rapports récents au Garde des Sceaux sont venus conforter cette classification : « L’indemnisation du dommage corporel » remis le 22 juillet 2003 par Y. Lambert-Faivre [9,10] et « L’élaboration d’une nomenclature des préjudices corporels » remis le 27 juillet 2005 par J.P. Dintilhac [11]. L’un et l’autre respectent les principes de base de la Résolution (75) 7 du Conseil de l’Europe.

Une des plus grandes distorsions qui existent au sein de l’UE concerne « l’atteinte à l’intégrité corporelle » . Elle est classée par tous les pays dans les préjudices non économiques [12], sauf en France où l’ambiguïté du concept d’incapacité permanente partielle (IPP), hérité du droit des accidents du travail, continue de recouvrir un préjudice économique professionnel ou assimilé et un préjudice corporel lésionnel donc fonctionnel, atteinte directe au corps de la personne humaine donc inaliénable comme le stipule l’article 16—1, § 3 du code civil : « Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial » [13-34].

C’est pour cette raison qu’avait été proposé initialement le concept de préjudice fonctionnel d’agrément [7, 8]. Les rapports récents ont retenu dans le même souci de clarification deux termes très proches : préjudice fonctionnel permanent [9] et déficit fonctionnel permanent [11] qui ne prêtent pas à amalgame avec ce qu’il est habituel d’appeler préjudice d’agrément , même dans sa conception la plus extensive.

Pour les autres postes de préjudices habituellement inventoriés, globalement les mêmes postes « objectifs » de dommages à la personne sont retenus dans tous les pays mais avec des disparités d’interprétation [5, 6-14]. Ces disparités sont de deux ordres : des contenus différents apparaissent sous des dénominations faussement identiques, des préjudices spécifiques sont propres à certains pays :

— exemples d’intitulés communs et de contenus différents :

• le pretium doloris des Pays-Bas n’est en rien l’équivalent du nôtre puisqu’il ajoute au préjudice lié à la douleur stricto sensu le préjudice esthétique et l’incapacité permanente ;

• en Belgique, l’adjonction à tous les postes de préjudices d’une part de préjudice moral concerne tant l’ITT que l’IPP ;

• le préjudice moral inclut en Grèce les différents préjudices extrapatrimoniaux que nous individualisons, y compris notre pretium doloris ;

— exemples de préjudices spécifiques à certains pays :

• le schmerzensgeld allemand répare le préjudice lié à la douleur, le préjudice esthétique et la limitation de la qualité de vie. Il tient compte du
degré de faute commise par le responsable, de la condition économique du blessé ainsi que de celle du responsable, donnant lieu à une indemnisation forfaitaire en fonction de tables de références ;

• le danno biologico ou danno alla salute italien est un équivalent du pretium doloris mais n’existe qu’en droit pénal et non en droit civil ;

• le préjudice d’affection belge n’est autre que le préjudice moral pour les proches d’un individu gravement handicapé ou décédé ;

• l’indemnisation du general damage au Royaume Uni est forfaitaire. Il correspond au préjudice non économique c’est-à-dire personnel, dans son ensemble.

Les interventions des organismes sociaux en Europe

La disparité des systèmes de santé s’accompagne de différences importantes dans l’application du recours subrogatoire des tiers payeurs.

Trois grands principes se dégagent : les organismes sociaux ne peuvent exercer leur recours que sur les prestations qu’ils ont effectivement fournies, ce qui implique une réparation poste par poste, tout en évitant une double indemnisation de la victime.

Comment s’appliquent-ils en France ?

Le modèle français actuel concernant le recours subrogatoire des tiers payeurs est loin d’être satisfaisant. Il est dominé par trois textes législatifs : l’art. 31 de la loi du 5 juillet 1985 [15] et deux articles (L. 376-1 et L.454-1) du code de la sécurité sociale. Ils émanent de la loi du 27 décembre 1973 relative à l’action récursoire de la sécurité sociale. Il est écrit : « Ces recours s’exercent dans la limite de la part d’indemnité qui répare l’atteinte à l’intégrité physique, à l’exclusion de la part d’indemnité de caractère personnel, correspondant aux souffrances physiques ou morales par elle endurées et au préjudice esthétique et d’agrément ou, s’il y a lieu, de la part d’indemnité correspondant au préjudice moral des ayants-droit » [8]. La liste des exclusions est donc limitative.

La jurisprudence des juridictions du fond (Cours d’appel) a recouru de plus en plus fréquemment au concept de préjudice fonctionnel d’agrément pour soustraire de l’atteinte à l’intégrité physique la part personnelle de dommage corporel.

La jurisprudence de la Cour de cassation, en application de la loi, vient de rappeler tout récemment [16] qu’une telle pratique qui exclut du recours des tiers payeurs des indemnités réparant l’atteinte à l’intégrité physique viole la loi. Cette jurisprudence reste compatible avec la jurisprudence administrative [35].

La doctrine la plus éminente [13-17, 18] s’est élevée contre cet arrêt.

C’est en fait la loi qu’il faut modifier comme le souhaitent le Médiateur de la République [19], le rapport du 22 juillet 2003 [9], le Conseiller rapporteur [16] et l’Avocat général [in 13] de l’arrêt du 19 décembre 2003 et le Rapport annuel de la Cour de cassation 2004 [20].

En effet, en l’absence d’une gestion cohérente des dossiers de recours subrogatoire, des situations intolérables apparaissent. Deux cas de figure s’opposent :

soit les sommes mises à la charge des assureurs et soustraites par eux de l’indemnisation des victimes ne sont pas versées aux Caisses la plupart du temps. C’est contre quoi s’élevait l’arrêt du 25 février 2002 de la 17ème chambre de la Cour d’appel de Paris cassé par l’arrêt de la Cour de cassation du 19 décembre 2003 [16, 17-21] ;

soit les tiers payeurs sont admis à exercer leur recours sur les indemnités correspondant à des préjudices qu’ils ne réparent pas [17] . L’affaire Goffic est exemplaire à ce titre [22]. H. Groutel écrit à son propos : « La 2ème Chambre civile a laissé passer l’occasion de mettre fin à une jurisprudence insupportable » [18]. Dura lex sed lex . Les choses sont toujours en l’état [26].

La disparité des interventions des organismes sociaux en Europe.

Quatre cas de figures [12] :

— le payeur social est régleur primaire et dispose ensuite contre le responsa- ble ou son assureur d’un droit de recours, — le payeur social, financé par un prélèvement initial d’une somme d’argent forfaitaire ou un pourcentage sur les primes d’assurance, ne dispose d’aucune possibilité de recours ultérieur en remboursement de ses débours effectifs, — l’assureur est le payeur primaire.

Il règle l’intégralité de l’indemnisation allouée à la victime, y compris ce qui relève du régime social.

L’organisme social ne dispose d’aucun recours postérieur, — dans certains cas le payeur social peut cumuler le prélèvement sur la prime d’assurance et le recours ultérieur contre l’assureur du responsable. C’est le cas en France : 15 % des primes de responsabilité civile automobile sont versés à l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale.

Qui fait quoi en Europe ? [16] — la méthodologie française des juges du fond (avant l’arrêt de la Cour de cassation du 19 décembre 2003) est appliquée en Belgique, au Luxembourg, au Portugal, en Espagne et en Italie. En France elle vient d’être sanctionnée par la Cour de cassation au nom de la loi ;

— le respect de la summa divisio entre préjudices économiques et professionnels et préjudices non économiques et personnels est absolu dans les pays anglo-saxons et nordiques ;

— une limitation du recours subrogatoire et l’imputation des prestations « poste par poste » et « période par période » sont appliquées en Allemagne et en Suisse.

En somme, seule la France n’applique pas ses propres préconisations doctrinales et ce sont surtout les grands handicapés qui en pâtissent [23].

Un référentiel d’évaluation médicale du dommage corporel en Europe.

Il doit répondre à l’esprit des textes européens fondateurs déjà cités [1, 2] c’est-à-dire :

— concerner tout individu humain dont la valeur intrinsèque est universelle, — être applicable à tous les dommages corporels quel qu’en soit le fait générateur, — souscrire à une distinction nette entre dommage physique et souffrance psychique, — être suffisamment souple pour être adaptable à chaque situation personnelle, le choix de l’évaluation chiffrée dans une fourchette et face à des moyennes étant justifiée par l’expert médecin sur des arguments « objectifs » descriptifs, — être évolutif et révisable en fonction des connaissances scientifiques et techniques, — être un outil de référence laissant une marge d’interprétation et non un barème rigide.

La confusion française actuelle [8].

Initialement les barèmes français dérivent, dans la forme, du barème des accidents du travail caractérisé par une évaluation basée sur la lésion et par la « nature hybride » [16] de l’ITT et de l’IPP. Sous l’inspiration du barème de l’ American Medical Association , ils ont évolué vers l’évaluation fonctionnelle permettant l’adaptation à d’autres domaines que l’appareil locomoteur, les organes des sens ou le système nerveux. Mais ils sont restés très hétérogènes.

A côté des barèmes dits de droit commun *, persistent des barèmes spécifiques * « Barème indicatif des déficits fonctionnels séquellaires en droit commun » dit du Concours médical ;

« Barème d’évaluation médico-légale » dit de la Société de médecine légale et de criminologie ;

« Barème d’évaluation du taux d’incapacité des victimes d’accidents médicaux, d’affections iatrogènes et d’infections nosocomiales » (décret du 4 avril 2002 annexé à la loi du 4 mars 2002).

(des pensions militaires, contractuels d’assurance) ou de circonstance, liés à une pathologie (hépatite, VIH, ESST, asbestose), voire à un fait générateur évènementiel (AZF, Mont Blanc, raz de marée). Le justiciable s’y perd et n’y retrouve pas sa « satisfaction équitable » d’autant que s’établissent des surenchères.

Le « Guide barème européen d’évaluation médicale des atteintes à l’intégrité physique et psychique » [24]

Il est le résultat de travaux menés par des organismes très liés au monde de l’assurance automobile. Il ne représente que le droit romano-germanique à l’exclusion des droits anglo-saxon ou nordique. Il ne traite que de l’ « Atteinte à l’Intégrité Physique et Psychique » (AIPP) dont il donne la définition suivante :

« Réduction définitive du potentiel physique et/ou psychique médicalement constatable ou médicalement explicable à laquelle s’ajoutent les douleurs et les répercussions psychiques que le médecin sait normalement liées à la séquelle ainsi que les conséquences dans la vie de tous les jours habituellement et objectivement liées à cette séquelle ».

Ainsi défini le concept d’AIPP est plus complexe que celui d’ atteinte à l’intégrité physique de la loi de 1973. Il se rattache aux dommages extra-patrimoniaux permanents évalués après consolidation médico-légale. Il regroupe :

— le déficit fonctionnel séquellaire [25] objectivable, mesurable et quantifiable auquel s’ajoutent les douleurs permanentes ressenties inhérentes aux lésions physiques et dont l’évaluation comporte une part de subjectivité.

Ceci justifie la marge d’interprétation laissée à l’expert pour des lésions identiques sur des individus différents ;

— les répercussions psychiques sont d’un tout autre domaine. Peuvent-elles être qualifiées de normales, habituelles et objectives ? Certainement pas.

Elles se conçoivent dans les suites d’un fait générateur très grave. Les qualifier de « normalement liées » leur confère un caractère d’automaticité qui ouvre la porte à tous les abus revendicatifs difficiles à contrôler. Si la réalité de répercussions psychiques pérennes est établie, il faut créer dans la nomenclature un poste de « Préjudice pour répercussions psychiques durables » .

Telle qu’elle est, cette définition de l’AIPP ne peut s’appliquer aux concepts de préjudice ou de déficit fonctionnel permanent tels qu’ils ont été décrits précédemment [9-11].

Les auteurs du Guide barème, conscients que sa rigidité peut être contestée dans d’autres pays d’Europe, écrivent en préambule : « Expertiser, c’est écouter, observer, mesurer, comprendre puis s’expliquer pour faire comprendre » [24]. Ils ont également proposé la création d’un « Observatoire européen du barème » qui serait en charge de sa révision permanente.

Pour harmoniser l’évaluation du dommage corporel dans l’UE, il faut s’adresser, non à des concepts véritablement scientifiques, mais à un « Référentiel coutumier » accepté par les jurisprudences. On rejoint là une conception coutumière chère au monde anglo-saxon.

Un référentiel indemnitaire en Europe

L’harmonisation de l’indemnisation est une nécessité au regard de « l’équité substantielle » qui découle de l’article 14 de la CEDH. Elle passe par l’établissement d’un référentiel et par l’harmonisation des procédures.

L’établissement d’un référentiel européen

En France, l’article 26 de la loi du 5 juillet 1985 [15] est à l’origine du fichier AGIRA (Association pour la gestion des informations sur le risque automobile).

« Le fichier AGIRA est une publication périodique qui rend compte des indemnités accordées par les juridictions et les transactions. Malheureusement, pour des raisons économiques, la tenue de ce fichier n’a pas été confié à la Chancellerie ou à un organisme indépendant tel que l’INSEE mais à l’AGIRA qui est une émanation des assureurs, c’est-à-dire aux payeurs et ce sans prévoir de contrôle sérieux. Ce qui devait arriver arriva : le fichier est alimenté en fonction du bon vouloir des assureurs et de la sélection qu’ils estiment devoir faire… » [26]

Les assureurs se défendent en précisant qu’ils n’ont nullement souhaité être responsables du fichier AGIRA [23]. Il ne faudrait pas que, par ailleurs, se développent de façon anarchique des référentiels indemnitaires spécifiques à l’heure où l’harmonisation européenne est à l’ordre du jour [36].

Conscient du problème qui se présente, le Groupe de travail d’Y. LambertFaivre [9] recommande l’élaboration d’un « Référentiel Indicatif National Statistique et Evolutif » (RINSE) basé sur la nomenclature des chefs de préjudice, couvrant tous les types d’accidents de dommage corporel, fondé sur les références statistiques judiciaires des Cours d’appel, établissant des fourchettes et des moyennes, contrôlé effectivement et officiellement par un organisme public mis en place, faisant l’objet d’une publication annuelle largement diffusée, notamment à toutes les Cours d’appel.

Si l’expert médecin doit décrire le dommage avant de l’évaluer, le régleur doit motiver sa proposition de réparation avant de la fixer. L’établissement d’un référentiel indemnitaire s’avère utile, encore faut-il qu’il soit juste et acceptable par tous. Il doit être établi sur une jurisprudence fiable. La 6ème Directive européenne automobile [27], encore à l’étude, concerne l’établissement d’un barème indemnitaire européen respectant le principe de subsidiarité. En dehors du respect de l’équité, l’objectif de ce projet est avant tout d’apporter à l’assureur une meilleure lisibilité de ses engagements légaux ou contractuels.

L’indemnisation des préjudices corporels liés à des faits médicaux en Europe.

Il y a des disparités et des convergences.

Les disparités des procédures d’indemnisation sont à mettre en rapport avec celles des droits médicaux dans les différents Etats membres. On distingue deux grands groupes de pays dans l’Union. La France se place entre eux depuis le 4 mars 2002.

La majorité des pays de l’Union, pays non scandinaves, connaît actuellement une situation proche de la situation française d’avant le 4 mars 2002. En règle seul un accident fautif peut être indemnisé, en dehors de rares exceptions, souvent d’ailleurs obtenues grâce à une véritable « torsion du droit civil » par la jurisprudence. Les pays de ce groupe se distinguent les uns des autres par la place relative qu’y occupent les procédures amiables de résolution des contentieux médicaux. Ainsi, en Allemagne, 80 % des différends échappent aux tribunaux et sont réglés par les « commissions d’experts » ou les « bureaux de conciliation » mis en place par les Länder. En Suisse, c’est 30 à 35 % environ des contentieux médicaux qui sont réglés par des « bureaux d’expertise extra judiciaire » dont la qualité des travaux est unanimement reconnue puisqu’ils sont en règle avalisés par les tribunaux éventuellement saisis ultérieurement.

Nous avons vu en outre les disparités dans l’action récursoire des organismes sociaux sur les responsables des dommages.

Les pays scandinaves composent un groupe très différent. L’indemnisation des dommages médicaux y est désolidarisée de la recherche première d’une faute médicale. C’est dire qu’un certain nombre d’accidents, qu’ils soient fautifs ou non, est réparé grâce à des systèmes d’assurance directe. La responsabilité est ici de type objectif sur le fondement du risque sur des critères listés pour l’activité exercée. Des bureaux d’appel, non juridictionnels, permettent un recours des parties avant la saisine toujours possible des tribunaux. En pratique ne restent du ressort des tribunaux que les dommages en rapport avec des fautes grossières ou volontaires. Les dommages mineurs sont exclus de la possibilité de réparation (franchise 800 k). Des plafonds de réparation existent, suffisamment élevés (3800000 k par sinistre — 900000 k par patient) pour que, par le biais des assurances complémentaires quasi généralisées dans ces pays, le dogme de la réparation intégrale soit respecté, ce d’autant que les organismes sociaux n’ont pas d’action récursoire sur les responsables de dommages corporels d’origine médicale.

Les tendances communes concernent le principe de la réparation intégrale , partout respecté sauf peut-être au Portugal et en Espagne, l’indemnisation des accidents les plus graves, fautifs ou non, par l’élargissement progressif du domaine de la faute (Europe non scandinave, France avant le 4 mars 2002), la prise en charge de l’aléa médical par la solidarité nationale (France) ou la reconnaissance d’une responsabilité pour risques sur critères objectifs listés (Pays scandinaves). En matière automobile un essai d’harmonisation indem-
nitaire a été mis en œuvre avec la 4ème Directive européenne automobile en 2000 [27].

SYNTHÈSE ET PROGRAMME DE TRAVAIL

Pour qu’un certain degré d’harmonisation européenne de la réparation des préjudices corporels puisse se faire progressivement jour il faut que des préalables soient établis. Ils concernent les doctrines et concepts à rapprocher et les moyens à mettre en œuvre.

Doctrines et concepts à rapprocher

Les doctrines de droit civil en Europe sont du ressort des groupes de juristes spécialisés.

Les procédures expertales en droit civil ont déjà donné lieu à des rapprochements entre common law et continental law [28-30].

L’adoption d’une nomenclature européenne des postes de préjudices corporels est un objectif réalisable. La France serait assez facilement suivie dans ses travaux [31]. Encore faudrait-il être cohérent en France pour être écouté en Europe. Les conclusions des deux rapports déjà cités devraient y contribuer [9-11].

La tendance doctrinale française est de mieux préciser l’assiette du recours subrogatoire des organismes sociaux pour en soustraire légalement les préjudices liés à une atteinte corporelle exclue du droit patrimonial selon l’article 16-1 de notre code civil [34]. Une harmonisation des interventions des organismes sociaux en Europe deviendrait envisageable.

Sur la base d’une définition précise des différents concepts de préjudices découlant d’un dommage corporel, l’établissement d’un référentiel d’évaluation médicale de ces différents préjudices est déjà presque réalisé avec les réserves qui ont été émises.

Faut-il établir un référentiel d’évaluation indemnitaire ? Le modèle du « Réfé- rentiel Indicatif National Statistique et Evolutif » (RINSE), proposé pour la France, pourrait servir de modèle pour l’Europe en rapprochant les traditions « jurisprudentielles » et « coutumières » des différents Etats de l’UE. Le médecin ne peut s’en désintéresser.

L’application du principe de la réparation intégrale et les tendances à l’indemnisation de l’aléa médical seront également sujets de réflexion.

Enfin le recours à un mode alternatif de règlement des conflits , de plus en plus utilisé partout dans l’Union, sauf en Italie, mérite d’être mieux exploité. Dans la ligne des travaux menés par le GEMME (Groupe européen des magistrats pour
la médiation en Europe) sous la présidence du Premier Président de la Cour de cassation, la médiation , procédure extra-judiciaire de type ternaire, paraît la meilleure voie commune à explorer [32, 33] Moyens à mettre en œuvre :

— S’appuyer sur l’existant en France et hors de France et prendre le meilleur des expériences de chaque Etat.

Régler les différentes harmonisations des plus simples aux plus complexes dans un ordre logique d’interdépendance.

S’appuyer sur les groupes de travail européens déjà en place, mais rester indépendant de toute influence catégorielle.

— Se situer au-delà de ces groupes par la création d’une nouvelle instance de travail plus représentative des nouvelles tendances émergentes au sein de l’Europe :

• axe Nord/Sud autour du Conseil nordique et du Conseil européen, • rapprochement des pays anglo-saxons et des pays romanogermaniques, moins opposés qu’il n’y paraît à première vue, • convergence juridique et médicale.

RECOMMANDATIONS PROPOSÉES À L’APPROBATION DE L’ACADÉMIE NATIONALE DE MÉDECINE

L’Académie nationale de médecine, garante d’un certain humanisme, se doit d’être impliquée dans le droit de la personne humaine.

Devant le développement du contentieux en responsabilité médicale en France avec toutes ses conséquences sur l’exercice de la médecine et ses retombées économiques sur les acteurs de soins, l’heure est venue d’une étude approfondie du droit comparé en Europe sur l’indemnisation des accidents médicaux.

Son harmonisation est souhaitable tant en France qu’en Europe.

Cette réflexion, menée au sein de l’Académie nationale de médecine, s’inscrit dans la continuité des travaux entrepris en 1997-1998 par la Fédération des Académies nationales de médecine de l’Union européenne.

L’Académie nationale de médecine souhaite qu’en collaboration avec la Fédération européenne soit retenu un premier thème de travail n’ayant encore fait l’objet d’aucune tentative d’harmonisation : « L’indemnisation du dommage corporel en responsabilité médicale dans l’Union européenne » .

L’Académie nationale de médecine estime indispensable que, pour cela, soit créé un groupe de travail européen informel, à caractère scientifique médicojuridique, restreint et totalement indépendant, regroupant des représentants du
droit médical romano-germanique et anglo-saxon et du droit médical nordique (axe Nord-Sud, Conseil européen — Conseil nordique).

Au-delà des divergences dans les doctrines concernant la responsabilité médicale et dans l’organisation des systèmes de santé en Europe, le but est de faire émerger le meilleur des points de convergence entre les différents Etats de l’Union, dans une bonne application des propositions fondamentales de la Résolution (75)7 du Conseil de l’Europe et dans l’esprit des articles 6 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme.

BIBLIOGRAPHIE [1] Résolution (75)7 du Conseil de l’Europe — Comité des Ministres du 14 mars 1975.

[2] Convention européenne des droits de l’homme — Editions du Conseil de l’Europe, 1994.

[3] Fédération des Académies nationales de médecine et des Institutions similaires de l’Union européenne — Président Pr. H. Duran — « L’harmonisation de la réparation du dommage corporel », Bruxelles, 3 avril 1998.

[4] DAVID G., SUREAU C. — De la sanction à la prévention. Pour une prévention des évènements indésirables liés aux soins — (sous presse).

[5] HUREAU J., HUBINOIS P. — Responsabilité médicale. Etude comparée de l’indemnisation des préjudices corporels en Europe — Bull. Acad. Natle Med ., 2005, 189 , no 5, 815-830 — séance du 24 mai 2005.

[6] HUBINOIS P. — Législations et indemnisations de la complication médicale en France et en Europe — thèse de droit, Université Paris 8 — 19 octobre 2004 (déposée à la bibliothèque de l’ANM) — Bruylant édit. Bruxelles 2006.

[7] LAMBERT-FAIVRE Y — Droit du dommage corporel. Systèmes d’indemnisation — Dalloz édit. Paris, oct. 2004, 5ème édition.

[8] HUREAU J., POITOUT D. — L’expertise médicale en responsabilité médicale et en réparation du préjudice corporel — Masson édit. Paris 2005.

[9] Rapport sur « L’indemnisation du dommage corporel » — Présidente-rapporteur Mme Y.

Lambert-Faivre, pour le Conseil National de l’aide aux victimes, octobre 2003 (remis au Garde des sceaux — Ministre de la Justice le 22 juillet 2003) (déposé à la bibliothèque de l’ANM).

[10] Communication en Conseil des Ministres du 29 septembre 2004 de Mme la Secrétaire d’Etat aux droits des victimes sur « Politique globale d’aide aux victimes ».

[11] Rapport du Groupe de travail chargé d’élaborer une nomenclature des préjudices corporels — Président-rapporteur Mr. J.P. Dintilhac — remis à Mr. G. Canivet, 1er Président de la Cour de cassation le 27 juillet 2005 et au Garde des sceaux — Ministre de la Justice le 10 octobre 2005.

[12] Comité européen des assurances (CEA) et Association pour l’étude de la réparation du dommage corporel (AREDOC) — « Les grands principes de l’indemnisation du dommage » — 1999/2004.

[13] LAMBERT-FAIVRE Y. — L’indemnisation du dommage corporel : problèmes juridiques et économiques — Note sous l’arrêt de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation du 19 décembre 2003 — Recueil Dalloz , 2004, no 3, 161-166.

[14] HUBINOIS P. — L’indemnisation des préjudices en responsabilité médicale en Europe — in Hureau J, Poitout D. — L’expertise médicale en responsabilité médicale et en réparation du dommage corporel — Masson édit. Paris 2005, 2ème édition (déposé à la bibliothèque de l’ANM).

[15] Loi no 85-877 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation — JO du 8 juillet 1985, p. 7584-7587.

[16] Arrêt CC Ass. Plen. [no 505P] du 19 décembre 2003, Bull. no 7 ; BICC no 592, p. 11- Rapport de M. Lesueur de Givry — avis de M. de Gouttes, premier avocat général [Juris-Data no 2003-021643].

[17] JOURDAIN P. — L’indemnisation de la gêne dans les actes de la vie courante avant consolidation et celle des troubles dans la condition d’existence postérieurs à la consolidation doivent-elles être comprises dans l’assiette du recours des tiers payeurs ?

JCP La Semaine juridique Edition Générale , 2004, no 4, 133-136.

[18] GROUTEL H. — Etendue du recours : éléments constitutifs de l’assiette : frais non pris en charge par la sécurité sociale — Responsabilité civile et assurances — Editions du Juris Classeur , avril 2000, 115 : 12.

[19] Médiateur de la République — Proposition de réforme 03-R10 —

Recueil Dalloz , 2004, no 3, 153.

[20] Rapport annuel de la Cour de cassation 2004- Documentation française 2005 : 12-13.

[21] BOYER A. — Décidément, le père Noël est une … — Gazette du Palais, dimanche 7 au mardi 9 mars 2004 : 7-9.

[22] Arrêt Sté. Azur assurances et a.c/Delle Goffic et a., CC 2ème civ., 3 février 2000 : Juris-Data no 000370.

[23] Rapport « Sur les conditions d’amélioration de l’indemnisation des traumatismes crâ- niens » à Madame la Garde des sceaux — Ministre de la Justice, 24 avril 2002.

[24] Guide barème européen d’évaluation médicale des atteintes à l’intégrité physique et psychique — CEREDOC / Groupe « ROTHLEY », septembre 2004.

[25] DÉROBERT L. — Droit médical. Déontologie médicale — Flammarion édit. Paris 1974.

[26] NEHER-SCHRAUB N. — Loi Badinter : Le bilan de 20 ans d’application — Colloque de Chambéry le 30 septembre 2005 (communication personnelle).

[27] GUÉRINON B., BOUVET S. — Harmonisation de la réparation du dommage corporel en droit commun dans l’espace expertal européen, état des lieux, état des vœux — Conférence prononcée au colloque du Conseil National des Barreaux — Paris, 31 mars 2005 et à l’Académie nationale de médecine (groupe de travail) le 13 avril 2005.

[28] STEVENSON R. — L’expertise en Angleterre et au Pays de Galles — Experts, 1997, 34 : 6-8.

[29] BAKER W.R. — L’expertise comparée. Les Etats-Unis et la France-Experts, 1999, 43 :

13-16.

[30] TAYLOR P. — Les spécificités du système anglo-saxon — Experts, 2005, 68 : 4-6.

[31] Projet pour « Une fondation pour la promotion du droit français à l’étranger » — Ministère de la Justice, 2005.

[32] GUILLAUME-HOFNUNG M. — La médiation — Que sais-je ? no 2930 — PUF édit. Paris 2000 (en réédition).

[33] HUREAU J., DE FONTBRESSIN P. — La médiation dans la loi du 4 mars 2002 ou l’échec des faux semblants — Médiation et Société , 2006, 11/12 , 39-44.

[34] Code civil — art. 16-1 §3, Dalloz 2006, 105ème édition, p. 87.

[35] Rapport annuel de la Cour de cassation 2003 — Documentation Française — 2004 :

358-359.

[36] Référentiel indicatif d’indemnisation par l’ONIAM (Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux), adopté par le Conseil d’administration de l’ONIAM le 25 janvier 2005.

PERSONNALITÉS AUDITIONNÉES AU COURS DES SÉANCES DE TRAVAIL dans l’ordre chronologique des auditions

P. Hubinois, chirurgien, docteur en droit, docteur en philosophie, expert près la Cour d’appel de Paris, Y. Lambert-Faivre, professeur émérite de droit à l’Université Jean Moulin — Lyon III, B. W. Dufwa, professeur de droit des assurances à Stockholm, arbitre international en droit des assurances, J. F. Burgelin, Procureur général honoraire près la Cour de cassation, F. Kamara, Président de la 2ème chambre civile de la Cour d’appel de Paris, M. Guillaume-Hofnung, professeur de droit de la santé à la faculté Jean Monnet — Paris XI, P. de Fontbressin, avocat au barreau de Paris, Maître de conférences à la faculté Jean Monnet — Paris XI, B. Guérinon, directeur du Pôle Développement Performance MMA, S. Bouvet, chargé de mission à la direction AIS pour la branche « Réparation du dommage corporel » (MMA), G.

Canivet, Premier Président de la Cour de cassation, H. Hugues-Bejui, Viceprésident de la « Confédération européenne d’experts en évaluation et réparation du dommage corporel » (CEREDOC), G. Mor, ancien Bâtonnier du barreau du Val d’Oise, membre du Conseil national des Barreaux.

DISCUSSION

M. Jean François BURGELIN, Procureur général honoraire près la Cour de cassation

Parmi les nombreuses causes du sentiment d’injustice figurent en bonne place les différences d’appréciation d’un dommage corporel suivant la personne qui est atteinte, le lieu où on le subit, l’occasion de sa survenance et l’institution qui répare.

La perte accidentelle de l’auriculaire gauche, par exemple, ne sera pas indemnisée de la même façon suivant que l’accident a lieu en France ou en Grande-Bretagne, à l’occasion d’une intervention chirurgicale ou d’un accident de la circulation, lors d’une procédure administrative ou judiciaire, voire même par un juge ou par un autre. C’était une situation que les victimes acceptaient autrefois comme une fatalité mais qu’elles n’acceptent plus.

Il faut être reconnaissant à votre Académie de s’être penchée sur le problème et à M. le Professeur Jacques Hureau, au nom d’un groupe de travail de votre Commission Ethique et Droit, de vous avoir présenté le remarquable rapport que nous venons d’entendre. Il concerne avant tout la responsabilité médicale mais ses réflexions valent pour tout le champ de l’indemnisation.

C’est un vieux problème qui revient de façon récurrente à l’ordre du jour, que ce soit chez les médecins, les juristes, les politiques. Comment parvenir à un mode de réparation plus harmonieux et équitable, en tenant compte de la nécessaire liberté d’appréciation du juge et des différences dans les situations économiques des victimes et des auteurs et dans les interventions des organismes sociaux ?

Parmi les textes importants relatifs à ce sujet, relevons :

— la Résolution 75-7 du Conseil de l’Europe du 14 mai 1975 promouvant l’harmonisation des législations et des jurisprudences au sein de l’Europe, — les travaux menés à la fin du siècle par la Fédération des Académies nationales de médecine de l’Union Européenne à propos des accidents automobiles, — le rapport de madame le Professeur Yvonne Lambert-Faivre du 22 juillet 2003 sur « L’indemnisation du dommage corporel », — le rapport du 27 juillet 2005 de monsieur le Président Jean Pierre Dintilhac sur « L’élaboration d’une nomenclature des préjudices corporels », — le rapport annuel de la Cour de cassation de 2004, — la proposition du Médiateur de la République en 2004.

Ces travaux vont tous dans le même sens en proposant des réformes qui permettraient d’aboutir à ce qui semble une équité fondamentale : « A préjudice égal, indemnisation égale ».

La suggestion qui est faite à votre Académie de manifester son souhait que soit créé un groupe de travail pour l’harmonisation du dommage corporel en responsabilité médicale en Europe ne peut que recevoir un accueil le plus favorable de tous ceux qui sont à même de mesurer l’injustice de la situation actuelle.

A cet égard, une attention toute particulière s’attache aux idées de création d’un référentiel indemnitaire européen tout comme d’une nomenclature commune des postes de préjudices. Ce sont là les points décisifs de toute harmonisation de la réparation du préjudice corporel.

Je me permettrai une question quant au champ d’intervention de cette harmonisation. S’agit-il de l’Union européenne (25 pays) ou des membres du Conseil de l’Europe (46 pays) ? Dans la mesure où cette harmonisation est recherchée sur le fondement de l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme qui exige une équité substantielle et qui s’adresse aux 46 pays du Conseil de l’Europe, on pourrait penser que le groupe de travail que vous souhaitez fonder englobe, au-delà de l’Union européenne, les 46 pays adhérant au Conseil de l’Europe.

Un grand merci, Monsieur le Procureur général, d’avoir accepté de commenter ce rapport. Vous avez, à juste titre, souligné l’ampleur de la tâche dans l’Union Européenne (UE) maintenant élargie à 25 Etats ; il ne faut pas être trop ambitieux dès le départ. Même si la base philosophique de la réflexion repose sur des textes élaborés dans le cadre du Conseil de l’Europe (46 pays membres), il n’est pas concevable, du moins dans un premier temps, de déborder le cadre de l’UE. Cela nécessite déjà de confronter les grandes familles du droit civil de la responsabilité médicale et les systèmes de santé dans l’UE. Une ouverture paraît toutefois indispensable en direction du droit nordique et des systèmes de santé qui lui sont rattachés. A cet effet, un rapprochement peut être opéré entre les Etats du Conseil de l’UE et ceux du Conseil nordique. Il existe déjà un certain chevauchement géopolitique. L’exploration de cet axe Nord-Sud enrichira utilement notre réflexion.

Permettez-moi, monsieur le Procureur général, de rappeler que lors de la réunion du groupe de travail du 16 février 2005 à laquelle vous aviez accepté de participer, vous nous avez encouragés à poursuivre cette réflexion. L’harmonisation des bases d’évaluation médicale et matérielle du dommage corporel en Europe est un sujet, nous aviez-vous dit, qui, il y a 40 ans, aurait été traité directement à l’instigation de la Chancellerie et le fait que ce soit l’Académie Nationale de Médecine qui ait pris l’initiative de s’en préoccuper est un signe des temps et la marque d’une profonde évolution de la pensée médicale.

M. Bill W. DUFWA, Professeur de droit des assurances à Stockholm

Le Professeur Hureau vient de faire un discours éblouissant sur le problème de l’indemnisation du dommage corporel en Europe. Je ne crois pas avoir entendu de meilleur exposé sur l’état actuel des choses. Tous les efforts qui caractérisent le développement ont été captés et cela a été fait avec des références aux sources et aux groupes académiques qui aujourd’hui essaient de créer un droit européen.

Le Professeur Hureau indique ce que je voudrais appeler le seul chemin. Le développement est arrivé à un point où on pourrait dire que beaucoup est fait et où on ne doit plus s’arrêter. En premier lieu il s’agit de mettre en place des barèmes élaborés par les médecins et les juristes, dans d’autres pays européens que ceux qui ont été représentés dans le travail. Et il faut respecter leurs avis et être prêt à changer les tableaux s’il y a assez de raisons pour cela. La mise en place ne concerne pas moins les pays scandinaves. J’ai montré les tableaux aux médecins suédois. Leurs réactions étaient positives. En somme, ils ont dit, le résultat s’assimile bien aux tableaux suédois. Il faut souligner que les expériences suédoises en travaillant avec ce type de standardisation sont anciennes, profondes et assez uniques en Europe.

Les barèmes ne doivent concerner que le dommage moral. Les autres questions, avant tout celles sur la perte des recettes et dépenses, doivent être mises de côté.

Le pas important aujourd’hui et celui qui est le plus évident dans le procédé d’intégration en matière d’indemnisation du dommage corporel concerne le dommage moral. Si on réussit à unir les pays européens sur cette question magistrale où l’on sait d’avance que les cultures de droit sont très différentes, on obtient une triomphe.

Cependant cela n’est pas assez. Il faut aussi qu’une législation européenne prescrive les conditions qui doivent être remplies pour que la victime ait un droit à indemnisation. La responsabilité générale couvre plusieurs situations. Le dommage corporel peut être causé par un accident de circulation. Il peut aussi être arrivé au travail, par un produit défectueux ou en relation avec les soins médicaux. Il n’y a aucun doute que le mieux serait de créer un droit d’indemnisation du dommage corporel qui couvrirait tous types de situation ; un « droit d’accident » pour utiliser le slogan de certains juristes français, tel qu’André Tunc. Le trait social dans l’indemnisation est assez grand pour qu’une telle attitude devienne naturelle et même nécessaire.

Malheureusement la route pour y arriver est longue. Le chemin le plus court pourrait ainsi être de limiter la législation à une certaine catégorie de dommage. Un dommage très fréquent et aussi le plus général au sens que personne ne peut être sûr de l’éviter, est celui qui est causé dans la circulation. L’indemnisation de ce type
est au centre de l’intérêt et du débat international depuis les investigations sociologiques faites au Canada et aux États-Unis au début du siècle dernier.

Depuis longtemps le Parlement européen a déployé des efforts pour atteindre une harmonisation visant aussi les conditions des dommages-intérêts à la suite des accidents de la circulation. Malheureusement cela a échoué. Par la cinquième directive sur l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs (2005) on a pu élargir l’application de cette assurance obligatoire en faveur de nouvelles victimes du dommage corporel : piétons, cyclistes et passagers. Mais le législateur a refusé d’introduire en leur faveur une responsabilité de plein droit. La raison en était que la directive s’occupait plutôt des questions sur l’assurance que sur la responsabilité. A long terme cela ne doit pas être regretté amèrement. Il faut en revanche s’unir pour qu’une nouvelle directive soit orientée vers la responsabilité civile.

Merci beaucoup, cher Ami, pour vos riches commentaires. Bien du chemin reste encore à parcourir mais je suis persuadé, depuis les premiers temps où nous nous sommes rencontrés sur ce sujet, qu’ayant déjà harmonisé nos points de vue personnels nous pouvons espérer rallier les compétences européennes nécessaires pour progresser.

Mme Geneviève VINEY, Professeur de droit civil à l’Université Paris I Panthéon — Sorbonne

Sur le principe même de l’harmonisation en Europe des règles présidant à la réparation des préjudices corporels, on ne peut qu’être d’accord, mais il ne faut pas se dissimuler que la tâche est difficile car les pays membres de l’Union européenne ne sont sans doute pas tous prêts à fournir le même effort financier pour cette réparation.

Pourtant, cela n’empêche pas de rapprocher les méthodes en proposant plusieurs objectifs simples sur lesquels l’unanimité pourrait se faire.

L’établissement d’une liste des chefs de préjudices indemnisables

C’est la base de tout, car de cette liste dépend non seulement la portée reconnue à la règle dite de « la réparation intégrale », mais aussi le choix des méthodes d’évaluation adaptées et l’aménagement des recours de tiers payeurs.

Il me paraît, à cet égard, nécessaire de distinguer trois catégories :

Les chefs de préjudice purement économiques perte de revenus professionnels — frais (de soins, d’hospitalisation, de rééducation, d’assistance d’une tierce personne…) — pour les victimes par ricochet, la perte de soutien matériel d’un proche.

Les chefs de préjudice purement moraux souffrances physiques et morales du blessé — préjudice d’affection des victimes par ricochet.

La perte du potentiel physique du blessé (perte d’un sens, de l’usage d’un membre…).

Cette classification est incompatible avec les catégories actuelles du droit français, notamment avec les notions d’incapacité permanente partielle ou totale, d’incapacité temporaire partielle ou totale et même de préjudice d’agrément.

L’adoption de méthodes d’évaluation adaptées à chacune de ces trois catégories de préjudices

Les préjudices purement économiques doivent être compensés intégralement . On ne peut pas « standardiser l’indemnisation ».

Pour les préjudices purement moraux, seuls des barèmes (ou référentiels) d’indemnisation périodiquement révisables sont en mesure d’assurer une certaine égalité entre justiciables et de permettre aux assureurs de fixer le montant de leurs primes.

Ces barèmes doivent tenir compte de nombreux paramètres (notamment l’âge de la victime, sa situation familiale…) Pour la perte du potentiel physique, il faut deux types de barème :

un barème d’invalidité permettant de fixer le pourcentage d’incapacité physique correspondant à chaque type de blessure, — un barème indicatif d’indemnisation déterminant la nature du point d’incapacité en fonction de l’âge, du sexe, de la situation familiale…Ce barème doit être révisé annuellement.

L’adoption de règles précises quant au choix entre indemnisation en capital et allocation d’une rente (celle-ci devant évidemment être indexée)

Le procédé de la rente devrait être préféré, me semble-t-il, sauf circonstances exceptionnelles, pour trois types de préjudices : perte de gains professionnels, perte par les victimes par ricochet du soutien matériel d’un proche, frais d’assistance d’une tierce personne.

L’adoption de règles précises quant aux possibilités de révision des indemnités en fonction de l’évolution de l’état de la victime

L’aménagement des recours des tiers payeurs

Ceux-ci doivent s’imputer, poste par poste, sur les sommes dues par le responsable pour les seuls chefs de préjudice que les tiers payeurs ont effectivement pris en charge.

Sur tous ces points, le droit français est loin de montrer la voie à suivre car il est particulièrement imprécis, confus et illogique.

Madame, votre compétence incontestée en droit civil sur la responsabilité vous a amenée à traiter tout particulièrement de la réparation du dommage corporel et de l’indemnisation des victimes d’accident. Votre avis et vos commentaires nous sont
donc d’autant plus précieux. Vous nous avez parfaitement résumé la méthodologie nécessaire à une bonne approche de l’harmonisation européenne de la réparation des préjudices par dommage corporel et votre conclusion sur l’imprécision, la confusion et l’illogisme de certains points du droit français en ce domaine conforte ce que notre groupe de travail s’est cru autorisé à en dire.

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* *

L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 4 avril 2006, a adopté le texte de ce rapport moins une voix contre et deux abstentions.

* Constitué de : Mme A. MARCELLI — MM. L. AUQUIER (Président), E. FOURNIER, H. Hamard, J. Hureau (secrétaire), C. Kenesi, F. LEGENT, P. QUENEAU, C. ROSSIGNOL, P. VAYRE, P. VICHARD, Ph. HUBINOIS (invité permanent). ** Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine

Bull. Acad. Natle Méd., 2006, 190, no 3, 725-746, séance du 28 mars 2006