Rapport
Séance du 28 mars 2006

06-17 De la sanction à la prévention. Pour une prévention des évènements indésirables liés aux soins

MOTS-CLÉS : erreur médicale. évènement indésirable. prévention.
From punishment to prevention. Towards prevention of treatment-related adverse events
KEY-WORDS : adverse event. medical error. prévention.

Georges David et Claude Sureau (au nom d’un groupe de travail)

Résumé

Pendant longtemps l’erreur médicale a été exclusivement considérée sous l’angle judiciaire. La question fondamentale étant de déterminer s’il y avait eu ou non une faute médicale engageant la responsabilité du médecin. L’évolution récente de la législation, en particulier la reconnaissance de la notion d’aléa médical par la loi relative aux droits des malades et à la qualité des soins a ouvert la voie à une conception avant tout préventive de l’accident médical. Parallèlement une grande enquête nationale a mis en évidence la fréquence, jusqu’alors sous-estimée, des accidents médicaux. La compréhension des accidents doit tenir compte de l’évolution de la pratique médicale qui est devenue de plus en plus complexe du fait de la sophistication des techniques et de la multiplicité des intervenants. C’est maintenant sous l’angle d’un fonctionnement systémique qu’il convient d’aborder les mécanismes de l’erreur. Une telle démarche a bénéficié de l’expérience acquise dans d’autres domaines, en particulier celui de l’aéronautique. Elle est fondée sur la distinction de deux mécanismes qui se combinent pour aboutir à l’accident, d’une part des erreurs actives par défaillance humaine et d’autre part des erreurs latentes par défaut de structure ou d’organisation du système. La prévention dépend maintenant d’un changement de comportement des soignants. L’accident doit être déclaré et analysé pour en comprendre le mécanisme. Seule la garantie d’une confidentialité permettra de lever les réserves à l’égard de ces déclarations. D’autre part les autorités sanitaires doivent apporter une aide organisationnelle à l’exploitation de ces déclarations.

Summary

Medical errors used to be considered exclusively from the judicial point of view, based on the simple question of whether or not an accident was related to professional malpractice. French law on patient rights and health care quality was a first step away from this restricted view. This legislation recognizes the notion of ‘‘ alea ’’ or accident, in which no-one is at fault. A recent French national survey established that the frequency of medical errors was far higher than commonly believed. Our understanding of error mechanisms must take into account the new complexity of hospital care, owing to its technical sophistication and the multiplication of caregiver categories. The new approach is based on a systemic concept inspired from fields such as aviation. Errors generally result from one of two mechanisms : so-called active errors due to human operator failure, and ‘‘ latent errors ’’ due to poor system design and organization. Prevention requires a change in professional behaviors. All errors must be declared and investigated in order to understand the underlying mechanism. Confidentiality is clearly the key. A solid leadership commitment is also needed to create and run a network of data collection and analysis.

RECOMMANDATIONS

L’Académie nationale de médecine soucieuse de contribuer non seulement aux progrès thérapeutiques mais également à une réduction en nombre et en gravité des effets indésirables liés aux soins, — note avec satisfaction que la loi du 4 mars 2002, relative aux droits des patients et à la qualité des soins, en même temps qu’elle reconnaissait l’aléa thérapeutique comportait d’importantes dispositions visant la mise en œuvre d’un dispositif de conciliation et de réparation des préjudices causés aux patients par la survenue d’accidents médicaux quelle que soit leur origine fautive ou non ;

— mais regrette que l’aspect préventif ait été traité dans cette loi de manière beaucoup plus sommaire, ce qui explique qu’aucune disposition réglementaire n’ait concrétisé cette modeste ouverture.

Elle estime que le moment est venu de corriger ce déséquilibre en donnant à la prévention des dommages, sinon la priorité que la logique pourrait justifier, tout au moins une égalité d’attention qui répondrait à l’attente des patients, espérant de la médecine autant de sécurité que d’efficacité.

Une politique en ce sens devrait être fondée sur une organisation comportant trois niveaux :

— la connaissance des effets indésirables en vue de leur analyse sous l’angle du fonctionnement systémique qui est devenu la caractéristique d’une médecine de plus en plus complexe. Ce type de fonctionnement ajoute au risque de défaillance individuelle le risque de défaillances dues à l’organisation ou au fonctionnement du système. L’effet indésirable demande dans ce cas une analyse très différente de la démarche juridictionnelle qui est centrée sur la recherche de la faute individuelle en vue d’une sanction éventuelle et surtout d’une réparation du préjudice. Au contraire l’analyse à visée préventive n’a qu’un souci, la compréhension de l’accident, de ses conditions de survenue et de son mécanisme dans le but d’éviter son renouvellement.

Cet objectif différent implique aussi que le dommage prenne moins d’importance que le dysfonctionnement. Aussi l’analyse du « presque accident » présente-t-il autant de valeur que l’accident ayant entraîné un préjudice.

La connaissance des défaillances ne peut résulter que d’une déclaration spontanée d’un des acteurs de soins. Il implique deux conditions : une garantie de confidentialité et d’autre part une absence de sanction. Il est évident que la démarche préventive doit de ce fait être totalement indépendante de la démarche juridictionnelle ou de conciliation résultant de l’obligation faite par la loi d’une déclaration de dommage au patient.

— la mise en œuvre du processus d’analyse. Elle pose le problème du niveau d’exécution de ce temps capital. Il faut ici adopter une solution souple tenant compte du volume des déclarations à traiter si l’objectif visé est atteint. Le niveau local peut être structuré à l’initiative des responsables médicaux de services ou de pôles en s’appuyant sur la direction des soins de l’établissement. Le niveau régional peut intervenir en s’appuyant sur l’Agence régionale d’hospitalisation.

— enfin il est essentiel qu’un niveau national regroupe les données et en fasse la synthèse. Sa fonction pourrait également comporter l’exploitation des données provenant d’une part des filières organisées par certaines disciplines et d’autre part des réseaux de vigilance (pharmacovigilance, hémovigilance, biovigilance…) qui collectent également des déclarations d’accidents, mais dont le cloisonnement d’une structure à l’autre fait obstacle à une analyse synthétique. A partir de l’ensemble de ces données ce niveau national serait en mesure de proposer soit des recommandations de bonnes pratiques par le canal de l’HAS, soit des mesures réglementaires par voie ministérielle.

La condition essentielle pour assurer le succès de cette entreprise est qu’elle résulte de la prise de conscience par tous de sa nécessité afin qu’elle soit
fondée sur le volontariat et que tous les intervenants acquièrent la conviction d’une nouvelle responsabilité. A la responsabilité personnelle habituelle à l’égard de ses propres fonctions doit s’ajouter une responsabilité collective à l’égard du bon fonctionnement du système. Loin de diminuer le sens du devoir qu’a tout soignant il doit le renforcer par la conscience que la sécurité du patient dépend de l’action solidaire de tous.

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[26] Décret no 2002-550 du 19 avril 2002 portant statut particulier du corps de directeur des soins de la fonction publique. JO , 95, 23/4/2002.

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L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 4 avril 2006, a adopté le texte de ce rapport moins une abstention.

Ce rapport, dans son intégralité, peut être consulté sur le site www.academie-medecine.fr.

Il est publié aux Editions Médicales Internationales Lavoisier, dans la collection Rapports de l’Académie nationale de médecine , 2006.

* Membre de l’Académie nationale de médecine ** Constitué de : Membres extérieurs à l’Académie : A. CRÉDEVILLE (Conseiller à la Cour de Cassation), L. DAVENAS (Avocat Général à la Cour de Cassation), C. ESPER (Professeur à l’Université Paris V), F. STASSE (Conseiller d’Etat), J. SAINTE-ROSE (Avocat Général à la Cour de Cassation), D. LECOURT (Philosophe, Professeur à l’Université Paris VII). Membres de l’Académie : Mme M. ADOLPHE (Secrétaire du Groupe de travail), E. CABANIS, G. DAVID, G. MILHAUD, D. PELLERIN, Cl . SUREAU (Président) Il convient de préciser que les membres du groupe extérieurs à l’Académie, et dont la réflexion a contribué à l’élaboration de ce document, s’exprimaient à titre strictement personnel et ne sauraient être considérés comme ayant engagé à cette occasion l’Institution à laquelle ils appartiennent ; la position exprimée ici n’engage que l’Académie nationale de médecine.

Bull. Acad. Natle Méd., 2006, 190, no 9, 1993-1997, séance du 28 mars 2006