Résumé
En Afrique sub-saharienne, il a été démontré qu’il n’y avait pas de développement économique possible sans amélioration préalable de la santé. La mortalité infantile est un excellent indice du niveau global de santé d’un pays. Les maladies transmissibles étant responsables de plus de 60 % des décès, la vaccination est un outil primordial de prévention. Le Programme Élargi de Vaccination mis en place depuis 1974 a permis d’éviter de très nombreux décès. Jusqu’au début des années 1990, la couverture vaccinale contre les maladies cibles du programme (tuberculose, diphtérie, tétanos, coqueluche, poliomyélite, rougeole, fièvre jaune et hépatite B) n’a cessé d’augmenter. Puis, elle commença à chuter du fait d’un manque de financement, de problèmes socio-politiques et de difficultés d’approvisionnement en vaccins. Depuis 2000, la création de GAVI et le développement de l’industrie du vaccin dans les pays émergents du Sud ont permis de résoudre une partie des problèmes. L’optimisme peut être de mise pour les prochaines années.
Summary
The African economy will only be able to develop significantly if several public health issues are first addressed. The infantile mortality rate is an excellent index of a population’s overall health status. Infections being responsible for more than 60 % of deaths, vaccination is crucial. The Expanded Program of Immunization (EPI) (Programme Élargi de Vaccination) launched in 1974 has avoided countless deaths. Until the early 1990s, vaccine coverage of the program’s target diseases (tuberculosis, diphtheria, tetanus, pertussis, poliomyelitis, measles, yellow fever and hepatitis B) increased rapidly. It then began to decline, however, owing to financial, sociopolitical and vaccine supply problems. Since 2000, this downward trend has been partially reversed, notably through the creation of GAVI and the development of vaccines industries in poor countries. The outlook is brighter now than it has been for some time.
La vaccination a certainement représenté le plus beau succès de la santé publique du vingtième siècle, non seulement dans les pays développés, mais aussi dans les pays en développement depuis la mise en place, en 1974, du Programme Élargi de Vaccination (PEV) contre six maladies meurtrières dans les premières années de vie. Nelson Mendela a ainsi pu déclarer « La vaccination est un immense succès de Santé publique. Elle a sauvé des millions d’enfants, tandis que des millions d’autres lui doivent la chance de vivre en bonne santé, de pouvoir s’instruire, jouer, lire et écrire, se déplacer librement sans souffrance » Mais beaucoup de chemin reste encore à faire, en particulier en Afrique subsaharienne. Des millions de personnes meurent encore chaque année du fait d’un manque d’accès aux soins de santé de base dont la vaccination. Ces morts sont certes une lourde tragédie, une menace à la stabilité des nations, mais aussi une barrière économique au développement. En effet, si pendant longtemps on s’est satisfait de penser que le drame sanitaire des pays en développement, en particulier les moins avancés, était une conséquence de leur pauvreté économique, des économistes et des spécialistes de santé publique ont mis en cause ce schéma simpliste dans les années 1980, se demandant si la santé n’aurait pas un impact réciproque sur le développement économique. Effectivement, il a été démontré depuis qu’il n’y avait pas de développement possible sans amélioration préalable de la santé pour laquelle l’outil vaccinal est primordial.
L’AMÉLIORATION DE LA SANTÉ INDISPENSABLE AU DÉVELOPPEMENT
En 2001, on pouvait lire dans le rapport de la commission Santé et Macro-Économie de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) : « L’amélioration de la santé et de l’espérance de vie des plus pauvres est un objectif fondamental du développement économique, mais c’est également un moyen d’atteindre les autres objectifs du développement liés à la diminution de la pauvreté. Il existe des liens étroits et beaucoup plus forts que ce que l’on croit souvent, entre la santé et la réduction de la pauvreté, et entre la santé et la croissance économique à long terme. Le poids des maladies dans certaines régions à bas revenus, notamment en Afrique subsaharienne, est un obstacle infranchissable contre lequel bute la croissance économique et auquel les stratégies de développement doivent s’attaquer de front.
Les principales causes de mortalité évitable dans les pays les plus pauvres sont le VIH/sida, le paludisme, la tuberculose, les maladies infectieuses infantiles, les maladies maternelles et périnatales et les déficiences alimentaires. La lutte contre ces
TABLEAU 1. — Croissance annuelle du revenu par habitant, en fonction du revenu de départ et de la mortalité infantile, 1965-1994 (en US dollars de 1990) * :
Revenu par habitant Taux de mortalité infantile, 1965-1994 en 1965 Inférieur à 50 ‰ Entre 50 et Entre 100 et Supérieur 100/‰ 150/‰ à 150/‰ Inférieur à 750 $ – + 3,7 % + 1 % + 0,1 % Entre 750 et 1500 $ – + 3,4 % + 1,1 % – 0,7 % Entre 1500 et 3000 $ + 5,9 + 1,8 % + 1,1 % + 2,5 % Entre 3000 et 6000 $ + 2,8 + 1,7 % +0,3 – Supérieur à 6000 $ + 1,9 – 0,5 % – – * Les taux de croissance de ce tableau sont la moyenne des taux de croissance des pays répondant aux critères pendant la période considérée maladies, alliée à une amélioration du planning familial, permettrait non seulement aux familles pauvres de vivre en meilleure santé et plus longtemps, et d’être plus productives, mais aussi, confiantes dans le fait que leurs enfants survivraient, de choisir d’en avoir moins et de pouvoir se consacrer davantage à l’éducation et à la santé de ces enfants » [1].
Becker, professeur d’économie à l’université de Chicago, prix Nobel 1992, et Lewis ont appelé « échange qualité-quantité » le rapport entre l’augmentation de l’investissement des parents pour leurs enfants et la diminution du nombre d’enfants. Pour eux, la réduction de la mortalité infantile est la première cause de la diminution du nombre d’enfants [2].
Par ailleurs, il a été démontré que l’espérance de vie avait une influence directe sur le produit national brut (PNB) par habitant. Pour des pays similaires, une augmentation de cinq ans de l’espérance de vie se traduit par 0,3 à 0,5 point de croissance annuelle supplémentaire [3].
Aujourd’hui, plus personne ne doute des interactions entre santé et richesse économique. Promouvoir la santé des pays en développement est un investissement pour leur développement économique. À revenus par habitant égaux, les pays dont la mortalité infantile est inférieure connaissent une croissance annuelle plus forte, la mortalité infantile étant un indice de niveau de santé global d’un pays (tableau 1) [4].
Dans les pays en développement, les maladies transmissibles ne sont pas les seules causes de mortalité évitable. Il devient de plus en plus indispensable de prévenir les affections cardio-vasculaires, le diabète, les accidents traumatiques, le tabagisme et autres conduites addictives pour améliorer le niveau de santé des populations. La
lutte contre les maladies transmissibles qui tuent encore environ dix millions de personnes chaque année dans le monde est cependant primordiale dans les pays les moins avancés, en Afrique sub-saharienne en particulier où ces maladies sont encore responsables de plus de 60 % des décès. Il y a un lien étroit entre les maladies transmissibles et la pauvreté. La pauvreté crée des conditions sociales et environnementales favorisant la propagation des maladies tandis que les populations concernées n’ont pas les moyens d’obtenir une prévention et des soins adéquats. Inversement, les maladies transmissibles frappent avant tout les populations démunies et sont une cause majeure de pauvreté. Il s’agit là d’un cercle vicieux qu’il faut rompre.
LA VACCINATION, OUTIL PRIMORDIAL POUR AMÉLIORER LA SANTÉ
Certes, seules des maladies transmissibles d’origine bactérienne ou virale bénéficient pour l’instant d’un vaccin. Il n’existe pas encore de prévention vaccinale contre les parasitoses et les mycoses. La vaccination n’est donc pas la panacée.
C’est ainsi que parmi les grands fléaux qui touchent en particulier le continent africain, le combat contre le VIH/Sida et le paludisme passe par l’intensification de la lutte contre la transmission et l’amélioration des traitements, en attendant l’avènement d’hypothétiques vaccins efficaces. Si actuellement les candidats vaccins contre l’infection à VIH ne répondent pas encore aux attentes, en revanche des espoirs sont permis contre le paludisme. La mise au point de vaccins tant contre les stades pré-érythrocytaires du parasite que contre les stades sanguins asexués a connu une accélération marquée au cours de ces dernières années. Mais il faudra attendre encore au moins dix ans avant leur utilisation sur le terrain.
Comme exemple de maladie transmissible contrôlée sans vaccination, il est intéressant de citer le Programme de lutte contre l’onchocercose en Afrique de l’Ouest dont le bilan entre 1974 et 2002 est le suivant : transmission pratiquement stoppée dans les onze pays membres du programme ; 600 000 cas de cécité prévenus ; 16 millions d’enfants nés depuis 1974 épargnés du risque de contracter la maladie ; vingt-cinq millions d’hectares de terres fertiles en bordure de rivières jadis désertées par crainte de la maladie, reconquises pour être repeuplées et cultivées, ce qui représente assez de terres pour produire et nourrir dix-sept millions de personnes par an [5].
Cependant, la vaccination et en particulier une bonne application du PEV restent les moyens les plus efficaces et les moins onéreux pour réduire de manière significative la mortalité infantile.
L’origine du PEV et sa mise en place
Le PEV trouve son origine dans la suite de la mise en œuvre par l’OMS à partir de 1967, du programme d’éradication de la variole.
Depuis sa création en 1946 jusqu’au milieu des années 1960, la priorité de l’OMS dans les pays en développement dont de très nombreux étaient encore colonisés, était un programme d’éradication du paludisme basé sur la lutte contre les anophè- les, vecteurs de la maladie. Pendant quinze ans, plus d’un tiers des dépenses de l’organisation fut affecté à ce programme. Mais pour diverses raisons (difficultés logistiques, apparition de résistance des moustiques aux insecticides…) ce fut globalement un échec sauf dans quelques petites îles. Ne voulant pas rester sur ce constat, l’OMS se lança alors dans une aventure dans laquelle elle mettait beaucoup d’espoir, l’éradication mondiale de la variole. Cette endémie avait, en effet, les caractéristiques d’une maladie potentiellement éradicable : strictement humaine sans réservoir de virus animal, transmise d’homme à homme sans l’intervention d’un vecteur, dont les formes totalement inapparentes compliquant la surveillance épidémiologique étaient rares et enfin bénéficiant d’un vaccin particulièrement efficace, facile à fabriquer, peu onéreux, la vaccine de Jenner. Cette vaccination avait permis de faire disparaître la maladie dans les pays développés et de la contrôler par des campagnes de vaccination massive dans certains pays tropicaux, en Afrique francophone en particulier. Mais elle était loin d’être supprimée de la surface du globe où elle sévissait encore sous forme de flambées épidémiques meurtrières.
Les débuts du programme furent difficiles. Les pays industrialisés ne voulaient pas le financer. L’Unicef qui avait tant aidé le précédent programme contre le paludisme décida qu’elle ne fournirait aucune aide. Cependant, plusieurs pays ont tout de même donné des vaccins et l’OMS reçut des dons qui lui ont permis de démontrer qu’il était possible de vacciner l’ensemble de la population mondiale. Après des efforts considérables des équipes sur le terrain « dignes de Don Quichotte » comme a pu l’écrire l’Américain Donald A. Henderson, responsable du programme, et une surveillance épidémiologique draconienne jusque dans les territoires les plus reculés, considérée parfois avec scepticisme par une partie de la communauté médicoscientifique internationale, le dernier cas de variole fut enregistré en Somalie en 1977 et l’éradication de la maladie fut certifiée au cours de l’Assemblée mondiale de la santé à Genève en mai 1980 [6]. À la fin des années 1970, les vaccinations furent alors hissées au niveau des priorités de l’OMS et de l’Unicef.
Dès 1974, lors de la conférence d’Alma-Ata (aujourd’hui Almaty) réunie sous l’égide de l’OMS, alors que l’éradication de la variole était en bonne voie et que les plus sceptiques devenaient convaincus que la vaccination universelle était possible, il fut préconisé « d’élargir » la vaccination contre la variole à six maladies cibles meurtrières dans la petite enfance et bénéficiant d’un vaccin : la tuberculose, la poliomyélite, le tétanos, la diphtérie, la coqueluche et la rougeole. Cette confé- rence marque le véritable acte de naissance du « Programme Elargi de Vaccination » [7].
Si dans les pays développés ces maladies étaient déjà contrôlées grâce à la vaccination, la couverture vaccinale (CV) globale était alors de moins de 5 % dans la plupart des pays en développement, en Afrique en particulier.
Le calendrier vaccinal recommandé, toujours appliqué aujourd’hui, fût le suivant :
— vaccination contre la tuberculose par le BCG idéalement dès la naissance ou le plus tôt possible après, avant tout contact avec le bacille tuberculeux, seule façon de lutter efficacement contre les redoutables méningites tuberculeuses des nourrissons ;
— Simultanément au BCG, administration d’une première dose de vaccin oral contre la poliomyélite (VPO) préféré au vaccin injectable essentiellement pour un problème de coût, mais aussi pous sa facilité d’administration ;
— à six, dix et quatorze semaines de vie, injection d’une dose de vaccin combiné contre le tétanos, la diphtérie et la coqueluche ainsi qu’administration d’une dose de VPO ;
— à neuf mois, injection d’une dose de vaccin contre la rougeole.
Pour la bonne compréhension de ce programme, deux remarques s’imposent. D’une part, la précocité des vaccinations, parfois au détriment de l’efficacité chez certains enfants, en particulier pour la rougeole, est due au fait que les agents pathogènes à l’origine de ces maladies cibles circulent encore très intensément dans les pays tropicaux. Une vaccination plus tardive exposerait davantage au risque de contracter la maladie les enfants qui auraient perdu rapidement leurs anticorps protecteurs transmis par leur mère. D’autre part, il n’est pas prévu d’effectuer, comme dans les pays du Nord, des vaccinations de rappel contre la poliomyélite, le tétanos, la diphtérie et la coqueluche. En effet, le PEV privilégie la protection de la petite enfance en misant sur le fait que les agents pathogènes circulant dans la nature puissent entraîner des rappels naturels pour une protection de longue durée. Actuellement dans les pays où la CV est élevée et les progrès sanitaires sont significatifs, des vaccinations de rappel sont de plus en plus pratiquées, en particulier dans les quartiers favorisés des grands villes.
Dès son origine, dans le cadre de la prévention du tétanos néonatal (TNN), le PEV a également préconisé la vaccination contre le tétanos des femmes enceintes qui se pré- sentaient aux examens prénataux afin qu’elles puissent transmettre des anticorps à leurs enfants. En 1989, devant l’incidence toujours élevée du TNN, un appel en faveur de son élimination a été lancé lors de l’Assemblée mondiale de la santé avec comme objectif, la réduction à moins d’un cas de TNN pour mille naissances vivantes dans tous les districts des pays. En 1999, cent-huit pays en développement sur cent soixantesix avait atteint cet objectif après des campagnes de vaccination de toutes les femmes en âge de procréer [8]. Malgré les progrès réalisés, on estimait encore à deux cent mille le nombre de décès dus au TNN survenus en 2005 dans les pays les moins avancés dont la majorité (34 sur 41) est située en Afrique sub-saharienne.
Parallèlement au PEV, une initiative mondiale pour l’éradication de la poliomyélite fût lancée en 1988 par l’Assemblée mondiale de la santé avec pour objectif l’élimination de la maladie de la surface de la terre en 2005. L’essentiel de la stratégie était
basée, à côté des activités de vaccination de routine par le VPO, sur la mise en œuvre de journées nationales de vaccination dans les pays les plus endémiques. C’est ainsi qu’au cours de l’année 2000, soixante dix-sept millions d’enfants de moins de cinq ans ont été vaccinés en Afrique Centrale et Occidentale. En 2001, plus de cinq cent soixante-quinze millions d’enfants de moins de cinq ans ont été vaccinés dans quatre vingt-quatorze pays. Ces efforts de l’OMS et de l’Unicef aidés en particulier par le Rotary international ont abouti à la disparition de la maladie dans de nombreux pays. Mais depuis quelques années, la pénurie de moyens financiers et surtout l’arrêt momentané de la vaccination dans quelques régions, en particulier au Nigeria, souvent pour des raison spécieuses (religieuses ou politiques), ont ralenti ce programme. D’autant plus que des cas de paralysie poliomyélitique associés à un poliovirus dérivé de la souche vaccinale (différent de ceux résultant d’une classique mutation reverse du virus vaccinal vers la pathogénicité) survenus ces dernières années en Haïti, en République Dominicaine, aux Philippines et à Madagascar, nécessitent de reconsidérer la stratégie d’éradication. Elle devra nécessairement introduire la vaccination universelle par le vaccin inactivé injectable [9]. Aujourd’hui, aucune date précise n’est plus avancée pour atteindre l’objectif d’éradication.
En 1988, la vaccination contre la fièvre jaune fut ajoutée au PEV dans les zones d’endémie amarile, en association à la vaccination contre la rougeole, au neuvième mois. Malheureusement plusieurs pays africains concernés n’ont pas encore suivi cette recommandation et la crainte d’épidémies meurtrières de fièvre jaune plane en particulier dans les régions de savane sahélienne où la grande majorité de la population est réceptive. Chaque année, de petites épidémies survenant dans les zones d’émergence virale à la lisière des blocs forestiers équatoriaux témoignent de la circulation du virus amaril.
En 1991, ce fût au tour de la vaccination contre l’hépatite B de rentrer dans le PEV.
Véritable fléau, cette maladie était encore responsable en 2002 dans le monde de 5,2 millions d’hépatites aigus et de plus de 520 000 décès (470 000 par cirrhose et cancer du foie, 52 000 liés à l’infection aiguë), essentiellement en Asie du sud-est et en Afrique. Si dans les années 1990, le coût du vaccin était un frein à son introduction dans le programme, actuellement le prix de la dose est beaucoup plus abordable.
De nombreux pays émergents asiatiques l’ont adopté. En Afrique, la couverture vaccinale (CV) est encore très insuffisante. La vaccination s’administre en association avec le vaccin combiné contre le tétanos, la diphtérie et la coqueluche à six, dix et quatorze semaines.
Actuellement, les experts de l’OMS recommandent d’introduire dans le PEV la vaccination contre la bactérie Haemophilus influenzae b (Hib), principale responsable des méningites bactériennes dans les deux premières années de vie, en dehors des redoutables épidémies de méningites à méningocoque dans la « ceinture de la méningite » africaine contre lesquelles il n’existe pas encore de vaccin pour les nourrissons. Rares sont encore les payse africains qui utilisent ce vaccin.
Évolution du PEV
Jusqu’au milieu des années 1980, les différents états mirent progressivement en place leur programme ainsi que les infrastructures souvent quasi-inexistantes en Afrique, permettant sa réalisation.
La CV, en particulier contre les six premières maladies cibles du programme, augmenta rapidement dans les années 1980 pour atteindre son apogée au début des années 1990. Par exemple, alors qu’elle était de moins de 5 % en 1974, la CV diphtérie-tétanos-coqueluche atteignait près de 60 % en Afrique en 1990. Cette année là, l’Unicef, l’OMS, le Programme des Nations-Unies pour le développement (PNUD), la Banque Mondiale et la Fondation Rockefeller créèrent l’Initiative pour la Vaccination des Enfants (CVI : Children Vaccine Initiative) conçue pour faciliter le développement et la production des vaccins pour le PEV ainsi que pour mobiliser les bailleurs de fonds. La direction du CVI fut confiée à l’OMS, tandis que les industriels du vaccin étaient représentés dans les groupes de travail. Pourtant, dans les années suivantes, la CV commença à décroître dans certains pays, du fait, certes, de problèmes socio-politiques mais aussi de difficultés d’approvisionnement en vaccins et de financement. En 1999, elle retomba en dessous de 50 % en Afrique. En Somalie, par exemple, 18 % des enfants seulement étaient vaccinés contre le tétanos, la diphtérie et la coqueluche et moins d’un quart au Nigeria, pays le plus peuplé du continent, contre 50 % en 1989. En République Centrafricaine, la CV contre ces trois maladies était passée de 82 % en 1990 à 29 % en 2000, et en République du Congo, de 79 % à 33 %. De nouvelles initiatives s’imposaient, d’autant plus que les statistiques sanitaires de 2001 démontraient sans ambiguïté les bienfaits de la vaccination pour diminuer la mortalité en Afrique (tableau 2) [10].
Une série d’échanges entre les partenaires publics et privés concernés par la vaccination des enfants des pays les moins avancés, essentiellement d’Afrique, et convaincus que la réduction de la mortalité infantile était nécessaire au développement, débouchèrent sur la création en 2000 de l’Alliance globale pour les vaccins et la vaccination, plus connue sous son acronyme anglo-saxon GAVI (Global Alliance for Vaccines and Immunization) [11]. Les promoteurs de cette démarche originale partaient du constat que le principal obstacle à une meilleure utilisation des principaux vaccins n’étaient pas leur prix, puisque l’ensemble des six vaccins de base du PEV ne coûtait qu’un dollar américain, mais le coût de la logistique allié au manque de volonté politique.
Il fallait penser « vaccinologie » et pas seulement vaccins , pour reprendre le concept crée dans les années 1970 par Jonas Salk et Charles Mérieux qui prend en compte l’ensemble du contexte de la vaccination. « Il ne suffit pas d’inventer et de produire des vaccins, expliquaient-ils, il faut les administrer : l’acte vaccinal ne doit plus être isolé, mais associé à toutes les considérations techniques, médicales, économiques, morales et politiques, dans le respect de la bioéthique » [12].
Un élément capital pour la création de GAVI fut la décision de la Fondation Bill et Melinda Gates de soutenir l’initiative en annonçant en 2000 un financement de
TABLEAU 2. — Estimation du nombre de morts (en milliers) en absence ou non de vaccination et du nombre de morts évités par la vaccination en Afrique sub-saharienne en 2001 :
Maladies Estimation du nombre de morts Si absence de Avec vaccination Morts évités vaccination Diphtérie 10 1 9 Tétanos 239 121 118 Coqueluche 296 176 120 Poliomyélite 11 0 11 Rougeole 1 025 348 578 Fièvre jaune 54 24 30 Hépatite B 58 58 <1 Hib 216 215 1 750 millions de dollars sur cinq ans, engagement qu’elle a renouvelé pour les cinq années suivantes. GAVI regroupe actuellement l’OMS, l’Unicef, la Banque mondiale, la Fondation Gates, des organismes de recherche et de santé publique, des gouvernements des pays industrialisés et des pays en développement, les principaux producteurs de vaccins tant des pays du nord que des pays émergents et des organisations non gouvernementales (ONG).
Dans les pays où la CV est inférieure à 75 %, c’est à dire dans pratiquement tous les pays sub-sahariens, GAVI a plusieurs objectifs principaux :
— le financement d’infrastructures (chaîne du froid, véhicules…) et la formation du personnel de santé en particulier à la gestion du programme, préalable à la mise à disposition des vaccins, — la fourniture des vaccins de base traditionnels du PEV, — la fourniture de vaccins insuffisamment utilisés tels ceux contre l’hépatite B, l’infection à Hib et la fièvre jaune, — la fourniture de seringues à usage unique pour garantir la sécurité des vaccinations.
Grâce à GAVI, la baisse des couvertures vaccinales observée dans les années 1990 est enrayée et tend à s’améliorer dans de nombreux pays. A cet égard, le Burkina Faso est exemplaire : en 2006, la CV contre le tétanos, la diphtérie et la coqueluche atteignait 90 %.
Dans les années 1990, outre les insuffisances du financement, l’augmentation fulgurante de nombre de doses vaccinales requises pour satisfaire les programmes avait
souvent rendu problématique l’approvisionnement en vaccins., la bio-industrie, concentrée au Nord, ne pouvant satisfaire la demande. Aujourd’hui, ces difficultés sont en grande partie résolues grâce aux progrès rapides de l’industrie des vaccins dans les pays émergents d’Amérique latine (Brésil, Cuba) et d’Asie (Chine autosuffisante pour ses besoins nationaux, Inde, Indonésie, Corée du Sud). Il est important de souligner que ces pays fournissent actuellement la moitié du nombre total de doses de vaccins requis dans le monde par le PEV, réalité impensable il y a à peine dix ans [13].
CONCLUSION
Bien que la situation sanitaire et en particulier l’importance de la mortalité infantile soient encore préoccupantes et constituent une entrave au développement dans la plupart des pays de l’Afrique sub-saharienne, l’optimisme peut être de mise pour les prochaines années en ce qui concerne l’amélioration de l’application des programmes de vaccination. Mais il faut d’une part, continuer à relever le défi que constitue l’adaptation des capacités de production en vaccins aux besoins et d’autre part, que l’aide financière se poursuive sur le long terme. Déjà, grâce aux dons de la Fondation Gates suivis par ceux de dix pays de l’Union européenne et de donnateurs privés, GAVI avait accordé fin septembre 2005 un total de 672 millions de dollars de subvention et s’était engagé dans des programmes pour plus 1,6 milliard de dollars sur cinq ans. Il faut aussi que la volonté politique accompagne ces efforts dans les différents pays qui bénéficient actuellement d’un personnel médical et para-médical de mieux en mieux formé à la santé publique.
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Méd. Trop., 2007, 67, 347-350.
DISCUSSION
M. Charles HAAS
L’arrêt de la vaccination antivariolique n’est-il pas à l’origine de l’extension actuelle du monkey-pox ?
On ne peut pas attribuer l’extension actuelle du monkey-pox aux Etats-Unis en particulier, à l’arrêt de la vaccination antivariolique. Le monkey-pox est, comme la variole, une poxvirose qui, comme son nom l’indique, sévit essentiellement chez les singes des forêts équatoriales africaines. Certes des cas humains ont été rapportés mais sans dissémination épidémique. D’ autres animaux peuvent être réservoir de virus, tel le rat de Gambie. C’est l’importation aux Etats-Unis de cet animal qui a transmis la maladie aux chiens de prairie à l’origine de quelques cas humains. Mais, là encore, aucune transmission inter-humaine n’a été enregistrée
* Société de pathologie exotique, 25, rue du Dr Roux, 75724 Paris cedex 15 Tirés à part : Professeur Pierre SALIOU, même adresse
Bull. Acad. Natle Méd., 2007, 191, no 8, 1589-1599, séance du 20 novembre 2007