Communication scientifique
Séance du 8 avril 2003

Troubles psychiques et neuropsychologiques dans la sclérose en plaques

MOTS-CLÉS : diagnostic par résonance magnétique. interferon-beta.. neuropsychologie. sclérose en plaques
Psychics and neuropsychologics troubles in multiple sclerosis
KEY-WORDS : interpheron-beta.. magnetic resonance imaging. multiple sclerosis. neuropsychology

D. Béquet, H. Taillia, P. Clervoy, J.L. Renard, F. Flocard

Résumé

Les troubles psychiques et les perturbations neuropsychologiques dans la sclérose en plaques concernent au moins 60 % des patients. Connus depuis longtemps, ils doivent être revisités à la lueur d’une abondante littérature parfois ancienne et surtout être réévalués grâce à l’examen neurologique, à l’entretien psychiatrique, aux tests neuropsychologiques et à leur confrontation aux examens complémentaires, en particulier à l’imagerie par résonance magnétique. À partir d’une étude originale de 22 patients comparés à 22 sujets témoins appariés et d’une revue de la littérature les auteurs admettent la notion d’une démence particulière à la sclérose en plaques qui peut être appelée « démence sous corticale de la substance blanche » ; la détérioration paraît ainsi corrélée à la charge lésionnelle mais aussi à l’atrophie cérébrale et à celle du corps calleux. La meilleure connaissance de ces troubles permet une meilleure prise en compte et un traitement plus efficace, en particulier par l’interféron bêta indiqué dès les phases précoces de la maladie.

Summary

Neuropsychological investigations have demonstrated that cognitive disorders are common (about 60 %) in patients with multiple sclerosis. 22 patients and 22 controls participated in the study with a review of literature. The cognitive dysfunction may be termed a subcortical white matter dementia .The hallmarks are : forgetfulness, reduced speed of information processing, impaired attention and slowness of thought processes, impaired ability to manipulate acquired knowledge. Psychiatric disturbance have also high prevalence : emotional or personality changes, depression. Pathological laughing and crying are classical but not well understood. This intellectual and emotional changes in multiple sclerosis are studied by adapted psychometric psychiatric examination. Correlation of magnetic resonance imaging with neuropsychological testing is now demonstrated. Total lesion score is the best predictor of cognitive deficits, cerebral atrophy and lesions of the corpus callosum also. Neuropsychological rehabilitation techniques and symptomatic treatments must be applied to patients with multiple sclerosis.

INTRODUCTION

La sclérose en plaques (SEP), maladie inflammatoire démyélinisante du système nerveux central, évolue par poussées. Plus rarement, elle est d’emblée progressive.

Débutant chez l’adulte jeune, c’est une maladie de toute une vie dont la prévalence en France est de l’ordre de 50 cas pour 100 000 habitants. À l’annonce du diagnostic, le malade est donc confronté à la crainte de voir survenir des poussées généralement imprévisibles et à l’angoisse d’être un jour handicapé de façon irréversible. Tout au long de ce parcours difficile durant des années, il connaît aussi des états de fatigue physique, parfois de lassitude psychique. Il vit cette maladie seul mais son entourage, notamment sa famille proche, participe à cette épreuve chronique aux conséquences socioprofessionnelles et familiales parfois dramatiques.

L’existence de troubles psychiques dans la sclérose en plaques est une notion déjà ancienne, signalée dès la fin du XIXe siècle par Cruveilhier qui en 1835 fait une première description anatomique de la SEP chez dix patients dont deux cas sont psychiatriques. Puis Charcot et Vulpian en 1866, inventeurs du terme de sclérose en plaques disséminées insistent sur l’indifférence stupide, le rire niais mais aussi le chagrin causé et entretenu par la marche progressive de l’affection et la servitude qu’elle détermine, suffisant à amener peu à peu une tristesse permanente. PierreMarie explique l’intensité des troubles psychiques par l’extension des lésions céré- brales. Ombredanne (1929) signale l’hétérogénéité des observations et les ‘‘ altérations psychiques peu frappantes qui s’effacent derrière les signes somatiques si on ne les recherche pas ’’.

La constatation de troubles psychiques passagers ou au long cours est explicable par ces difficultés de la vie quotidienne. D’authentiques manifestations psychiatriques sont non seulement réactionnelles mais font aussi partie intégrante de la symptomatologie si variée des patients atteints de SEP. Les troubles cognitifs, quant à eux, sont directement en rapport avec les lésions organiques cérébrales. La survenue de tels troubles fait toujours poser la question de leur mécanisme, sans que l’on puisse d’emblée trancher (un peu artificiellement d’ailleurs) entre le ‘‘ cognitif ’’ et le ‘‘ psychiatrique ’’, le réactionnel et l’organique voire le iatrogène.

L’évaluation de 22 patients comparés à 22 sujets sains appariés nous permet de retracer les tableaux cliniques, de faire des corrélations clinico-radiologiques et de
proposer, voire de définir les méthodes d’explorations neuropsychologiques les plus pertinentes chez les patients porteurs d’une SEP [1].

Les objectifs de cette étude sont :

— de reconsidérer l’ensemble des facteurs cliniques et démographiques répertoriés dans la littérature afin de comparer nos résultats à ceux des études antérieures et en particulier de déterminer si le profil neuropsychologique des patients ayant une forme chronique progressive diffère de celui des patients ayant une forme secondairement progressive ;

— d’examiner la relation entre zones de démyélinisation en imagerie par résonance magnétique (IRM) et zones d’hypométabolisme en tomographie par émission monophotonique (TEMP) ;

— d’étalonner un certain nombre de tests neuropsychologiques dans une population de patients atteints de SEP ;

— d’étudier les corrélations entre résultats des tests neuropsychologiques et localisation des hypersignaux T2 en IRM d’une part et localisation des hypofixations en TEMP d’autre part ;

— d’appliquer un seuil de détérioration et d’en vérifier l’intérêt ;

— d’argumenter les hypothèses étiopathogéniques de la démence rencontrée dans la SEP.

PATIENTS ET MÉTHODES

Les 22 patients sont droitiers et présentent une SEP définie cliniquement selon les critères de Poser ; trois sous-populations sont différenciées : forme rémittente, forme chronique progressive d’emblée, forme secondairement progressive ; cependant ces deux derniers sous-groupes sont habituellement confondus sous le terme de ‘‘ chronique progressif ’’ dans la littérature internationale, nous les avons donc secondairement regroupés afin de faciliter la comparaison de nos résultats avec ceux des études antérieures. À chaque patient est associé un volontaire sain indemne de toute pathologie et apparié selon le sexe, l’âge et le niveau culturel.

Pour chaque patient sont effectués : un recueil des données démographiques, un recueil des données cliniques par l’examen neurologique et général, une anamnèse et une histoire de la maladie, des examens complémentaires tels que la biologie et la biochimie sériques, le typage HLA, la cytologie et la biochimie du liquide cérébrospinal (LCS) y compris l’électrophorèse avec recherche de la présence de bandes oligoclonales, les potentiels évoqués auditifs, visuels et somesthésiques.

Les patients en cours de poussée et traités par corticoïdes sont exclus, de même que ceux prenant des psychotropes à des doses jugées importantes et prédéfinies.

Le bilan neuropsychologique comporte : Mini Mental Status (MMS), épreuve de Grober et Buschke y compris l’épreuve de rappel libre différé et l’épreuve de reconnaissance de mots, version courte du Wisconsin Card Sorting Test, test de

Stroop, reconnaissance de visages, Auditory’s A, mémoire immédiate et mémoire différée, Raven Progressive Matrices 1938, Paced Auditory Serial Addition Task, copie de la figure de Rey, tâches conflictuelles (Go-noGo) et imitation gestuelle, fluence phonémique, séquences de Luria motrices et graphiques, mémoire visuelle directe et inverse, subtests de la WAIS-R, détermination d’un indice d’attentionconcentration.

Le statut dépressif est déterminé (score MADRS) ; le bilan de langage comporte l’administration du Boston Diagnostic Aphasia Examination (7 subtests), des épreuves de dénomination et le Token Test.

Une IRM est réalisée selon un protocole identique (T1-TR 540, TE 9-coupes sagittales, coronales et transversales de 7 mm, T2-4400, TE 107 — coupes transversales de 7 MM, Turbo-flair-TR 10004, TE 152 — coupes transversales de 7 mm ;

appareil SIGMA, SYS # GEMS 1,5 tesla). La lecture est réalisée selon l’échelle semi-quantitative de Scheltens [2]. L’étude métabolique par TEMP est réalisée sur 14 régions avec utilisation du technétium-ECD.

Les sujets témoins ont subi six épreuves principales parmi les tests neuropsychologiques.

Les seuils de détérioration ont été définis et l’analyse statistique réalisée (test de Student et Chi-deux).

RÉSULTATS 1. Les fonctions mnésiques verbales et visuelles sont particulièrement déficitaires dans les formes chroniques progressives mais surtout secondairement progressives avec une nette fatigabilité.

2. La durée de l’évolution, le handicap physique coté par l’EDSS, l’âge au moment du bilan et le sexe ne sont pas corrélés aux scores neuropsychologiques.

3. Il existe dans notre série une corrélation entre niveau culturel et déclin cognitif.

4. Les performances mnésiques verbales et exécutives sembleraient plus pathologiques lorsque l’âge de début est plus jeune.

5. Les subtests verbaux de la WAIS-R, le MMS, le test de Grober et Buschke, la mémoire logique, la figure de Rey « mémoire », la reconnaissance des visages, le WCST, le Stroop test, l’ATA, le PASAT, les fluences et le Token Test apparaissent importants tant pour le diagnostic de détérioration que pour les corrélations cliniques, épidémiologiques ou IRM.

6. La TEMP ne présenterait un intérêt que dans l’exploration des fonctions visuospatiales.

7. L’IRM est intéressante pour les corrélations « anatomocliniques » avec les tests attentionnels, les épreuves de vitesse de traitement de l’information et du stock
mnésique, l’exploration de la mémoire verbale en relation avec la qualité attentionnelle, le langage en particulier dans les tests de fluence catégorielle.

En revanche, 8. L’IRM n’est pas contributive pour l’étude des fonctions visuo-spatiales et de la mémoire visuelle.

9. L’exploration des fonctions frontales est bien corrélée au « volume des plaques » de la région homonyme. L’hypothèse localisationniste ne semble valable que pour ces régions.

10. Les performances cognitives sont aussi globalement corrélées avec l’étendue des hypersignaux périventriculaires et sous-corticaux.

11. Les formes chroniques progressives seules s’accompagnent de moins bonnes performances mnésiques et d’une fatigabilité ; les troubles attentionnels et dysexécutifs sont au premier plan.

LES TROUBLES PSYCHIATRIQUES

Les manifestations psychiatriques sont parfois décrites comme étant inaugurales d’une SEP : il s’agit d’états dépressifs ou d’épisodes psychotiques aigus maniaques ou délirants [3] ; ces notions doivent être connues afin de ne pas méconnaître le diagnostic de SEP.

La revue de la littérature fait état d’une prévalence de la morbidité psychiatrique dans la sclérose en plaques de l’ordre de 60 % [4] ; le sex-ratio habituel de deux femmes pour un homme dans cette maladie avoisine une femme pour un homme en ce qui concerne les troubles psychiques. Ceux-ci sont directement liés à l’atteinte cérébrale [5] et sont plus rares dans les formes médullaires. Le siège lésionnel le plus fréquemment retrouvé est temporal sous-cortical [6]. Ces troubles psychiques ne semblent pas liés au degré du handicap ; 17 % des patients débutent même leur maladie par des troubles psychiques. Quant à l’apparition de ces troubles, elle se situe sur une médiane de 30 ans (alors qu’elle est de 28 ans pour les symptômes neurologiques) tandis que le diagnostic est fait en moyenne à 38 ans (médiane de 34 ans pour les diagnostics sur des signes neurologiques).

Les troubles thymiques sont surtout des états dépressifs décrits chez plus de 30 % des patients. Ils se compliquent de suicides dans 3 %. Il est noté plus de dépressions dans la SEP que dans les autres affections neurologiques chroniques et ces dépressions sont plus fréquentes dans les formes cérébrales que dans les formes médullaires ;

elles sont aussi plus fréquentes au début de la maladie, n’ayant donc pas de lien évident avec la durée de l’évolution et avec le handicap [7] ; en revanche, elles sont corrélées avec les poussées. Il s’agit soit d’états dépressifs isolés peu différents du tableau commun mais marqués par leur variabilité et l’absence de sentiment de culpabilité, soit de véritables troubles unipolaires ou bipolaires. Le caractère bipolaire est plus fréquent (jusqu’à 13 % des cas) alors que les états unipolaires, mélan-
coliques, délirants, ou maniaques délirants, mégalomaniaques, sont plus rares. Ces états dépressifs sont parfois résistants aux psychotropes et résolutifs sous corticoï- des.

Les manifestations émotionnelles sont des états anxieux avec sensation de désarroi, de danger imminent, de détresse ou de vulnérabilité, parfois des états chroniques rarement majeurs et qualifiés donc de réactionnels ; rarement il s’agit d’attaques de panique [8]. Une labilité émotionnelle peut se manifester par le surgissement brusque et irrépressible d’un affect inadapté dans sa durée et son intensité [3].

L’explication étiopathogénique est très délicate et fait référence à des modèles organicistes : les corrélations anatomocliniques sont cependant rares [9] et les publications contradictoires ; des références fonctionnalistes reposent sur les atteintes de réseaux associatifs et sur les phénomènes de diaschisis ; les modèles adaptatifs reposent sur la notion de réaction en rapport avec le stress physiologique ou psychologique. Ce stress physiologique ou psychologique peut jouer un rôle dans le déclenchement des poussées [9] ; les hypothèses neuro-immunologiques [10] sont discutables. Quant à la question de la prédisposition génétique, elle compare les formes familiales de la SEP et les troubles thymiques bipolaires. Aux modèles organicistes on met en parallèle les modèles dits psychodynamiques (rôle de la personnalité prémorbide) voire des théories psychosomatiques et psychanalytiques…

Les traitements psychotropes reposent sur les antidépresseurs, en privilégiant les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine [11], les anxiolytiques et les neuroleptiques voire le lithium. La psychothérapie de soutien est de mise. Les effets secondaires psychiques des traitements sont connus : syndrome dépressif parfois majeur avec les interférons bêta surtout en début de traitement, majoration des troubles dépressifs et accès maniaques ou hypomaniaques des corticoïdes.

LES DÉSORDRES COGNITIFS

Les plus classiques sont l’euphorie et la dysphorie : c’est l’‘‘ euphorie ’’ morbide des anciens auteurs avec son optimisme outrancier, sa sensation de bien-être injustifiée.

Cette modification permanente de l’humeur, cet état durable et stable de jovialité, de gaieté, de bien-être s’assortissent d’un ressenti de sérénité du patient voire d’optimisme quant à son avenir. Ces manifestations dont la fréquence et l’importance croissent avec la ‘‘ chronicisation ’’ de la maladie neurologique, ne s’associent pas à une fuite des idées, ni à une hyperactivité, ni à un ludisme et elles contrastent avec la connaissance qu’a le patient de sa maladie. Il s’agit en fait de la traduction de l’atteinte cognitive sous-cortico-frontale. Les relations entre l’ euphoria sclerotica et l’alexithymie sont probables.

Le ‘‘ rire et pleurer spasmodique ’’ est un signe neurologique et non pas neuropsychologique survenant à la moindre stimulation, mal expliqué par le patient qui
n’éprouve pas l’état émotionnel correspondant. Indifférent au trouble, le malade ne le juge pas désadapté. En fait ce symptôme, non corrélé à la dépression mais corrélé à la détérioration intellectuelle est associé à des lésions protubérantielles bilatérales faisant ainsi un pont entre troubles psychiques et neurologiques [9].

La détérioration des fonctions supérieures (troubles neuropsychologiques) dans la SEP a été relevée dès la description princeps de Charcot en 1867. D’autres auteurs, au début du XXe siècle, ont largement insisté sur cet aspect souvent négligé de la maladie. Cependant, l’atteinte cognitive dans la SEP n’a été particulièrement étudiée que depuis une vingtaine d’années. Même si désormais plus personne n’en nie l’existence, de nombreuses controverses persistent sur ce sujet : fréquence, corrélation avec les facteurs épidémiologiques et démographiques, signification de l’exploration neuropsychologique, correspondances anatomocliniques et/ou fonctionnelles, étiopathogénie et traitement sont autant de sujets encore largement débattus et sans réel consensus.

Les études épidémiologiques ont tenté de faire des corrélations entre les troubles neuropsychologiques grâce à différents paramètres

Fréquence

La fréquence des troubles neuropsychologiques rapportés est très variable entre les études. Les troubles neuropsychologiques sont communément estimés entre 43 et 72 %. Par simple évaluation clinique les chiffres oscillent de 2 à 25 %, tandis que le MMS n’augmente pas la sensibilité du dépistage (entre 0 et 20 %). Seuls les tests neuropsychologiques permettent une estimation plus exacte de l’incidence des troubles cognitifs dans la SEP. Cependant, il a été montré [12] que lorsque les patients ne sont pas issus d’un répertoire hospitalier, la détérioration intellectuelle est moins fréquente. De même, inclure dans la batterie d’examens neuropsychologiques des tests moteurs peut largement surévaluer les chiffres.

Forme clinique de la maladie

Les auteurs n’ont pratiquement pas différencié jusqu’alors dans leurs études les formes cliniques, notamment les formes chroniques primitivement progressives des formes secondairement progressives ; ces deux entités sont communément regroupées dans la littérature sous le terme de forme chronique. Cependant, il apparaît aussi que la forme rémittente est moins fréquemment associée aux troubles neuropsychologiques (entre 46 et 60 %) que la forme chronique (entre 60 et 72 %).

Poussée et fatigabilité : ces deux facteurs sont intimement liés aux scores des tests neuropsychologiques. Aussi est-il désormais admis de ne pratiquer de bilan cognitif qu’à au moins un mois de la poussée. De même, la fatigabilité, définie par Kujala [13] comme étant la lenteur secondaire à la fatigue au cours d’efforts cognitifs, interfère grandement dans les épreuves neuropsychologiques habituellement assez éprouvantes. Elle constitue de ce fait un biais méthodologique majeur et suppose une qualité particulièrement adaptée de la batterie d’examen.

Ancienneté de la maladie

La détérioration intellectuelle peut débuter très tôt dans la maladie. Le grand apport des études longitudinales [12, 14] a été de démontrer l’absence de corrélation entre durée de la maladie et intensité de l’atteinte cognitive. Kujala [13] distingue cependant les patients préservés qui le demeurent, des patients détériorés qui s’aggravent au cours du temps.

Handicap physique

La plupart des études prouvent qu’il n’y a pas de lien entre la sévérité du handicap physique et le degré du déficit neuropsychologique [14, 15]. L’atteinte motrice serait surtout le témoin de lésions spinales tandis que la détérioration intellectuelle résulterait plutôt d’un processus pathologique sus-tentoriel, expliquant ainsi l’absence de corrélation entre ces deux paramètres.

Niveau culturel, sexe et âge

Peu d’études ont en fait été consacrées à ces facteurs pourtant essentiels dès qu’il s’agit d’administrer des tests neuropsychologiques à un patient. Le niveau d’études est bien sûr un facteur prédictif des scores neuropsychologiques mais ne ressort pas pour autant comme étant corrélé à la pente des déclins cognitifs [15]. Le genre sexuel ne semble pas interférer sur les performances intellectuelles [16]. Quant à l’âge, tant au début de la maladie qu’au moment des bilans, il n’est pas reconnu comme un facteur indépendant du déclin cognitif dans la SEP chez des patients à durée d’évolution identique [15].

Dépression et fatigue chronique

Quelle que soit la méthode d’évaluation (entretiens, échelles) les auteurs sont unanimes pour ne pas retrouver de corrélation entre troubles dépressifs et cognitifs.

De même, la présence d’un syndrome de fatigue chronique qui affecte environ un tiers des patients n’est pas liée aux troubles neuropsychologiques, mais serait influencée par l’existence d’une dépression concomitante.

Médicaments

Les psychotropes, les myorelaxants et les corticoïdes ne semblent pas altérer significativement les performances neuropsychologiques.

Le tableau sémiologique des troubles intellectuels et affectifs dans la SEP [9] associe des perturbations bilatérales de l’organisation dynamique gestuelle, un déficit de la mémoire pour le matériel verbal ou visuel, des troubles de l’humeur, sans atteinte des fonctions instrumentales ou de détérioration intellectuelle majeure.

L’évaluation cognitive

Elle repose sur l’entretien et l’examen neurologique ainsi que sur un large panel de tests neuropsychologiques utilisés dans des conditions méthodologiques si variables que les résultats ne sont pas toujours comparables entre les différentes études. Par ailleurs, un effet d’écrêtement peut apparaître lors du traitement statistique des données, masquant parfois la réalité des atteintes cognitives. Il convient de rester critique ou au moins perplexe devant l’affirmation, par certains auteurs, de tableaux trop systématisés et de corrélations anatomiques sommaires.

Elle met en évidence des altérations mnésiques dont on retiendra que la mémoire immédiate (à très court terme) est préservée, tandis que la mémoire visuelle et verbale à court et à long terme est atteinte. Il existe une courbe d’apprentissage en plateau à partir du troisième rappel des tests bâtis suivant le modèle des quinze mots de Rey. Le rappel d’histoires (sub-test) de la mémoire logique du Wechsler Memory Scale décline de façon particulièrement démonstrative. La mémoire à très long terme (rétrograde) est modérément déficiente et la mémoire procédurale semble détériorée dans la SEP.

En fait, les troubles attentionnels et de vitesse de traitement de l’information dominent le tableau cognitif. Ils sont étudiés par des tests performants (Paced Auditory Serial Addition Test-PASAT, Auditory Trail A-ATA, Symbol Digit Modalities Test-SDMT, Stroop test, Purdue Pegboard, épreuves de temps de réaction) qui font cependant souvent intervenir la mémoire de travail.

Les capacités de raisonnement et de conceptualisation sont également pathologiques (Wisconsin, Raven Progressive Matrices, similitudes, compréhension, et arithmétique de la WAIS).

Quant aux fonctions instrumentales , elles sont globalement préservées : le langage est classiquement indemne même si les scores de dénomination sont fréquemment abaissés dans les formes chroniques et que les fluences phonémiques et surtout catégorielles sont significativement inférieures aux valeurs retrouvées chez des témoins.

Les gnosies, les praxies, et les capacités visuo-perceptives sont épargnées dans la SEP tandis que les fonctions visuo-spatiales explorées par le test d’orientation des lignes de Benton, la copie de la figure de Rey et le Facial et Visual Form Recognition test sont pathologiques.

Rao [17] a démontré l’existence d’un syndrome de disconnexion calleuse a minima sans répercussion clinique patente (extinction auditive dichotique, augmentation des latences de dénomination visuelle de stimuli présentés à gauche en tachistoscopie).

L ’intelligence globale (Groninger Intelligentie Test, WAIS, Blessed, Raven Progressive Matrices), lorsqu’elle est comparée à des témoins appariés ou aux scores attendus, est également atteinte (les sub-tests performances de la WAIS doivent être
exclus dans la SEP car trop dépendants des fonctions motrices, sensitives ou cérébelleuses).

Parmi les batteries de dépistage, le MMS se révèle être un test de très faible sensibilité prédictive (23 %) pour la détérioration intellectuelle dans la SEP [12]. En revanche, sa spécificité est tout à fait honorable (98 %). Beatty [15] établit même que tout patient atteint de SEP et présentant un MMS inférieur ou égal à 27 (quel que soit son âge et son niveau culturel) présente un déclin cognitif certain. Il accroît la sensibilité du MMS en le modifiant (dénomination remplacée par une version abrégée des 15 mots du Boston Naming Test, épreuve mnésique des trois mots élargis à sept mots, adjonction du SDMT).

Rao [12] a validé quant à lui une batterie facile à utiliser en pratique quotidienne, associant Sélective Reminding Test-SRT, 7/24 Spatial Recall Test, PASAT et fluences durant environ 40 minutes, sensible à 90 % et spécifique à 98 %. Elle permet de se passer de batterie exhaustive coûteuse en temps et biaisée par la fatigabilité des patients.

Ainsi des batteries adaptées à l’étude des troubles neuropsychologiques survenant dans la SEP sont en voie d’élaboration, de standardisation et d’évaluation [18].

Les examens complémentaires

Imagerie anatomique

L’atrophie cérébrale, l’élargissement des ventricules, l’atrophie du corps calleux [17-19] et le volume total des lésions visibles (séquence T2 ou flair) en IRM cérébrale sont corrélés à l’atteinte cognitive. Il n’est pas certain que les méthodes numérisées d’évaluation de la charge lésionnelle (volume total des plaques) soient supérieures aux méthodes visuelles semi quantitatives.

Les lésions de la substance blanche péri-ventriculaire et sous-corticale [20] prédominent lorsqu’une détérioration intellectuelle est détectée par le bilan neuropsychologique. Les scores des tests de conceptualisation et d’attention sont d’autant plus bas que les images pathologiques atteignent les lobes frontaux [1,20]. C’est la seule corrélation anatomoclinique qui ait pu être déterminée à ce jour, quoique paraissent régulièrement des observations de déficits neuropsychologiques focalisés correspondant à la mise en évidence d’une plage lésionnelle axonomyélinique dans le territoire correspondant. Les IRM répétées et les études cognitives ont montré que les tests neuropsychologiques sont les indicateurs les plus sensibles de la détérioration cérébrale [21]. La somme totale des images de ‘‘ trous noirs ’’en T1 est aussi corrélée à la détérioration cognitive.

Imagerie fonctionnelle

La tomographie par émission monophotonique (TEMP ou SPECT) montre des résultats très variables d’un patient à l’autre, rendant impossible toute conclusion
pour l’instant. Il ne semble pas que l’on puisse associer plages localisées d’hypofixation du technétium 99 et déficit neuropsychologique spécifique. La tomographie par émission de positons (PET) semblerait montrer une certaine corrélation entre troubles mnésiques et attentionnels d’une part, et fraction d’utilisation réduite de l’oxygène dans les régions thalamiques dorso-médiane et amygdalienne gauches d’autre part [21].

La spectroscopie IRM n’a pas encore été appliquée à l’étude neuropsychologique dans la SEP, cependant des variations de concentrations des métabolites comme le N-acétyl aspartate ou la choline seraient corrélées au déclin cognitif [21].

Onde P 300

Les potentiels cognitifs sont significativement altérés chez les patients ayant des troubles des fonctions supérieures, notamment lors d’anomalies de performances mnésiques et attentionnelles.

Nature de l’atteinte intellectuelle dans la SE

La détérioration intellectuelle dans la SEP peut être parfois profonde prenant même le devant de la scène. Cependant, elle est en règle relativement ténue : 13 % de ces patients sont jugés cliniquement détériorés contre 54 % (4 fois plus) après bilan neuropsychologique. Le concept de la démence sous-corticale d’Albert [22] établi à partir de la paralysie supra nucléaire progressive a longtemps prévalu pour modéliser les atteintes neuropsychologiques dans la SEP. En effet, on ne peut nier qu’il y ait chez ces patients une tendance à l’oubli, un ralentissement des processus de la pensée, une difficulté à manipuler les connaissances acquises et des troubles de la personnalité. Il est certain qu’il n’existe pas au sens propre du terme de syndrome aphaso-apraxo-agnosique, critère négatif permettant de différencier la démence sous-corticale de la démence corticale de type Alzheimer. Cependant, Beatty [23], lorsqu’il applique les critères stricts d’Albert, ne parvient à regrouper sous le terme de démence sous-corticale que 12 % de ces patients. Quand on compare les scores neurospychologiques des patients atteints de SEP et de maladie de Huntington, ceux-ci différent nettement des premiers.

Les troubles visuo-spatiaux, les troubles de la dénomination et des fluences et la proportion particulièrement significative de signes dysphoriques ou du ‘‘ rire et pleurer spasmodique ’’ dans la SEP n’existent pas significativement dans les autres démences sous-corticales.

En bref, la détérioration intellectuelle dans les SEP est différente du modèle de la démence sous corticale et ne semble répondre à aucun cadre prédéfini. Filley [24] propose dès lors la notion de démence de la substance blanche par opposition à celle de la substance grise. Il rejoint en cela les travaux localisationnistes qui s’appuient sur la constatation d’une répartition préférentielle des lésions et/ou d’une disconnexion inter et intra hémisphérique. L’alexithymie (absence de mots pour représen-
ter un état d’âme et exprimer ses émotions) est une expression de cette disconnexion qui est un des mécanismes principaux des altérations cognitives. Les troubles attentionnels et dysexécutifs dominent cette détérioration cognitive de la SEP.

La détérioration intellectuelle de la SEP serait donc le produit de lésions de la substance blanche péri-ventriculaire et/ou juste sous-corticale prédominant dans les régions frontales associatives et venant interrompre les circuits cognitifs. Pour les cognitivistes, ces circuits concernent essentiellement l’attention soutenue, la vitesse de traitement de l’information et/ou la mémoire de travail. L’atteinte de la conceptualisation ou de la mémoire serait contingente de ces déficits primaires [13, 23].

La prise en charge des troubles neuropsychologiques se fait par la réhabilitation fonctionnelle qui gagne en efficacité grâce à des protocoles spécifiques actuellement en voie de développement.

À l’heure actuelle, ce sont surtout les interférons bêta qui font naître l’espoir et quatre études sur de petits échantillons de patients souffrant de forme rémittente montrent toutes une amélioration des troubles cognitifs après au moins un an de traitement.

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DISCUSSION

M. Pierre RONDOT

Y a t’il une relation entre le type des troubles psychiques, dépression ou démence, et l’âge du malade ou de la maladie ?

Il existe une relation entre l’âge du malade et de la maladie et un état dépressif ou un état démentiel. Les états dépressifs se voient plus fréquemment au début de l’évolution de la maladie et donc chez un malade encore jeune, tandis que la démence apparaît au bout de
plusieurs années d’évolution et se voit chez des patients plus âgés, atteignant la quarantaine ou plus.

M. Pierre BÉGUÉ

Peut-on établir une relation entre les troubles psychiques que vous avez décrits et l’évolution ou la gravité de la maladie ? Certaines manifestations cognitives inaugurales très précoces sont-elles prédictives d’une forme sévère ?

Effectivement, il existe une certaine relation entre les troubles psychiques et l’évolution ou la gravité de la maladie puisque ces troubles sont généralement rythmés par la survenue des poussées et sont souvent l’expression de la conscience qu’a le patient de la gravité ou de la pérennité de ses signes neurologiques. Certaines manifestations cognitives surviennent de façon très précoce et nous avons eu l’occasion de l’observer chez une patiente d’une trentaine d’années après simplement deux à trois poussées de sclérose en plaques et cinq à six ans d’évolution ; dans ces cas, ces troubles cognitifs inaugurent d’un syndrome démentiel qui est un des marqueurs d’une forme sévère de la maladie.

M. Pierre LEFEBVRE

Vous avez raison d’insister sur les débuts pseudo-névrotiques de la sclérose en plaques à l’origine d’erreurs diagnostiques et de défaut d’orientation des malades. Avez-vous mené une semblable étude dans des leucoencéphalites d’étiologies diverses ?

Aucune étude semblable n’a été réalisée dans d’autres leucoencéphalopathies car la sclérose en plaques est la plus fréquente des leucoencéphalopathies inflammatoires ; les autres formes sont bien plus rares et il est plus difficile de réaliser des statistiques épidémiologiques sur ces cas ; d’autre part les leucopathies d’autres origines, quelles soient dégénératives comme les leucodystrophies ou d’origine vasculaire comme les leucopathies artériopathiques, présentent des tableaux évolutifs et syndromiques bien différents de la sclérose en plaques et il est difficile de les comparer.

M. Jean-Daniel SRAER

Est-il envisageable que certains déments placés en institution aient en fait une sclérose en plaques non diagnostiquée ?

Actuellement, il est peu probable que des patients déments placés en institution aient une sclérose en plaques non connue. En effet, les manifestations neurologiques déficitaires multiples de l’affection font diriger le patient vers un neurologue et la survenue d’un syndrome psychiatrique atypique, voire typique, psychotique par exemple chez un sujet jeune, entraîne de nos jours une imagerie cérébrale qui, par la mise en évidence de lésions de la substance blanche, peut amener à une nouvelle discussion diagnostique et orienter ainsi vers une sclérose en plaques.

M. Patrice QUENEAU

Certaines formes dépressives sévères de la sclérose en plaques constituent-elles des contreindications aux bêta interférons ou du moins à leur poursuite si le bêta interféron aggrave encore la dépression ? En cas de renforcement d’un état dépressif modéré par le bêta interféron, préconisez-vous la prescription d’un traitement anti-dépresseur associé plutôt que l’arrêt du bêta interféron si celui-ci paraît efficace ?

Les bêta interférons peuvent induire des états dépressifs parfois sévères vraisemblablement sur des personnalités prédisposées ; dans ce cas, ils peuvent être contre-indiqués chez ces patients, parfois d’ailleurs de façon temporaire lors d’un état dépressif quiescent ou patent. Si un patient a été mis sous un traitement par interféron et que survient un état dépressif, ce dernier peut, dans un premier temps, être traité par les anti-dépresseurs comme les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine, mais s’il résiste à ce traitement et s’il s’aggrave, l’arrêt du bêta interféron sera envisagé et sa substitution par un autre traitement au long cours préconisé.

M. Maurice GOULON

Dans les formes familiales de la sclérose en plaques, les troubles psychiques sont-ils constatés chez plusieurs membres atteints, ou sont-ils plus fréquents chez les membres non atteints de la même famille ? Les troubles psychiques s’améliorent-ils sous les effets des médicaments immunosuppresseurs ou doit-on avoir recours à des traitements neuropsychiques sélectifs, sans activité immunologique ?

Les formes familiales de sclérose en plaques restent rares, de l’ordre de 5 %, et aucune série suffisante ne permet d’argumenter la prédisposition de certaines familles ayant une sclérose en plaques aux troubles psychiques ; chez les patients ayant une sclérose en plaques et des troubles psychiques au premier plan aucune étude, à ma connaissance, n’a pu retrouver une plus forte prévalence de troubles psychiques chez les autres membres de la famille non atteints par la sclérose en plaques. Habituellement, les traitements immunosuppresseurs n’améliorent pas ces troubles psychiques qui sont le plus souvent réactionnels. Lorsque les troubles psychiques sont le fait d’une vraisemblable lésion cérébrale, ce qui est rare et difficile à démontrer ou à affirmer, ils se manifestent le plus souvent sous un mode aigu ou subaigu qui donc n’est pas influencé par les traitements immunosuppresseurs qui sont des traitements de fond.

M. Pierre PICHOT

Quelles sont les épreuves que vous avez utilisées dans la comparaison entre vos groupes de sclérose en plaques et les sujets contrôles pour étudier en particulier l’indifférence affective ?

La batterie de tests utilisée était très complète étudiant l’intelligence globale, les fonctions instrumentales, la mémoire et les fonctions frontales. On sait que l’indifférence affective est une des traductions du syndrome sous-cortico-frontal dans la sclérose en plaques et se sont donc les épreuves dites frontales qui permettent de l’explorer. Elle se traduit lors des tests, essentiellement par les troubles de l’attention.


* Service de neurologie, HIA du Val de Grâce, 74 Boulevard de Port Royal — 75005 Paris. Tirés-à-part : Professeur Daniel BEQUET, à l’adresse ci-dessus. Article reçu le 14 mai 2002, accepté le 3 mars 2003.

Bull. Acad. Natle Méd., 2003, 187, n° 4, 683-697, séance du 8 avril 2003