Communication scientifique
Séance du 20 mai 2008

Traitement chirurgical des malformations anorectales hautes du nouveau-né : l’apport de la laparoscopie

MOTS-CLÉS : chirurgie minimalement invasive.. malformations. nouveau-né
Surgical treatment of high-type imperforate anus : role of laparoscopy
KEY-WORDS : anus, imperforate.. congenital abnormalities. infant newborn. surgical procedures, minimally invasive

Christine Grapin-Dagorno, Fawaz Fayad

Résumé

Deux éléments anatomiques caractérisent les malformations anorectales hautes du nouveau-né : la situation haute du cul de sac rectal, au-dessus de la sangle des releveurs de l’anus, et l’existence habituelle d’une fistule faisant communiquer ce cul de sac avec l’appareil urinaire chez le garçon ou avec l’appareil génital chez la fille. Le but de la chirurgie est d’individualiser cette fistule, de l’obturer et de la sectionner, et d’abaisser le cul de sac rectal au milieu de la sangle des releveurs jusqu’au périnée. La technique la plus utilisée est actuellement l’intervention de Vries et Peña, ou anorectoplastie par voie périnéale sagittale postérieure, avec section des muscles périnéaux suivie de leur reconstruction. Une alternative est apparue en 2000 grâce à l’utilisation de la laparoscopie. Georgeson le premier rapporta son intérêt dans cette indication. L’utilisation de la laparoscopie facilite le temps abdominal de libération du cul de sac rectal. Il est possible de voir parfaitement la fistule recto-urétrale ou recto-vaginale grâce au grossissement endoscopique, et de la fermer sous contrôle de la vue. En outre, elle permet de voir parfaitement le lieu de l’abaissement du cul de sac rectal au centre de la sangle des releveurs de l’anus, ce qui est l’un des facteurs principaux conditionnant l’obtention de la continence. Son avantage principal est d’éviter toute section musculaire et de réaliser une approche mini-invasive des structures périnéales. Le recul actuel est trop faible pour apprécier les résultats à long terme, mais la diminution du traumatisme opératoire, la réduction de la dissection, l’amélioration de la vision opératoire, la précision anatomique de la reconstruction sont des arguments majeurs pour diffuser cette technique.

Summary

Two anomalies must be corrected in high-type imperforate anus : first, the rectal end is located above the puborectalis muscle, and there is a fistula between the rectum and the urinary tract (male) or the vagina (female). The standard approach is posterior sagittal anorectoplasty, as described by De Vries and Peña, which requires midline section of the muscle complex. Georgeson first reported laparoscopically assisted anorectal pull-through in 2000. This approach offers many advantages, such as division of the fistula under direct visual control, better visualization of the anatomical components of the pelvic floor, and especially avoidance of muscle section. Long-term follow-up will be needed to assess continence outcomes.

INTRODUCTION

Le traitement chirurgical des malformations anorectales hautes est difficile pour deux raisons : d’une part, le cul de sac rectal est en position haute (au dessus de la sangle puborectale du muscle releveur de l’anus), ce qui nécessite parfois un abord abdominal ; d’autre part, il existe dans ces formes une fistule entre le rectum et le bas appareil urinaire chez le garçon (col vésical, prostate ou urètre postérieur), ou le vagin chez la fille. Cette fistule est d’un abord chirurgical malaisé, car elle est située en arrière du pubis et difficile à repérer. En outre sa dissection est dangereuse, surtout chez le garçon, du fait de la proximité de structures nerveuses et génitales (vésicules séminales, terminaison des déférents). On connaît en outre la gravité d’une lésion de l’urètre (source de sténose ultérieure).

La qualité de la reconstruction chirurgicale est primordiale pour l’acquisition de la continence ultérieure. Deux facteurs sont déterminants : ne pas léser les muscles existants, qui sont déficients, placer le rectum en bonne position.

L’utilisation d’une technique mini-invasive facilite l’intervention et réduit au maximum le traumatisme opératoire.

La technique

L’essor de laparoscopie et son utilisation chez le nouveau-né ont conduit Georgeson à proposer en 2000 une nouvelle technique d’abaissement anorectal par un abord mini-invasif [1].

Quatre trocarts de 5 mm sont nécessaires : le premier est placé sous contrôle de la vue (open laparoscopy), les trois autres sous contrôle scopique dans chaque fosse iliaque et dans l’hypocondre gauche. La pression d’insufflation est réglée entre 10 et 12 cms H2O. La dissection commence par l’ouverture du péritoine prérectal, sur la face antérieure du rectum, au niveau de la réflexion du cul de sac de Douglas. Elle se poursuit latéralement, après repérage des uretères, qui sont plus postérieurs, et plus latéraux. Lorsque la fistule siège au niveau du col vésical ou de la prostate, sa découverte est aisée et ne nécessite qu’une dissection minime. La terminaison des déférents et les vésicules séminales sont bien vues. La fistule est traitée par simple coagulation, clipage, ou ligature par un endoloop. Après ligature de la fistule, le cul de sac rectal est rétracté vers le haut. Il devient possible de visualiser parfaitement le plancher pelvien. On repère en particulier le muscle pubococcygien, qui forme une sangle antéropostérieure caractéristique.

On réalise alors un abord périnéal. Le centre du sphincter externe est repéré en utilisant un électrostimulateur externe. Lorsque le muscle pubococcygien est bien développé, le rectum est placé au centre du triangle formé par ses deux chefs droit et gauche et par la zone correspondant à la ligature de la fistule. Dans le cas contraire, on se place strictement sur la ligne médiane. Il est possible également de s’aider d’un électrostimulateur introduit par laparoscopie pour visualiser la contraction musculaire et abaisser le rectum au centre de la contraction [2]. Cette manœuvre peut être contrôlée par échographie directe périnéale [3].

Une incision de 10 mm de haut est réalisée sur le périnée. On s’aide de la confection de lambeaux cutanés afin de réaliser une anoplastie, ce qui évite le risque de sténose cutanée circonférentielle et améliore la continence anale fine.

On introduit un trocart de 5mm au niveau du périnée sous contrôle laparoscopique.

Un guide est alors placé de bas en haut, pour permettre le passage du rectum en bonne position.

On ne cherche pas à fixer le rectum sur les plans musculaires. Une simple anastomose ano-cutanée est réalisée à points séparés de fil monobrin résorbable. L’intervention est terminée par une péritonisation.

L’intervention peut avoir lieu dès le premier jour de vie, sans colostomie [4], soit après une période de dérivation des selles.

DISCUSSION

La technique chirurgicale

Le traitement de l’imperforation anale haute du nouveau né encore de nos jours un vrai défi pour le chirurgien pédiatre. Différentes techniques ont été décrites depuis une cinquantaine d’années, comportant un abord abdominopérinéal (Swenson, Kiesewetter, Stephens, Rehbein, Mollard).

Ces techniques se sont soldées par un taux élevé de complications à court terme (ectropion muqueux, sténose anale, récidive de la fistule, urinome) ; et à moyen terme (constipation ou pertes permanentes). Le taux de continence anale à long terme est difficile à évaluer avec précision, en raison de la grande disparité des résultats entre différentes séries et de l’absence de critère univoque pour les juger. On estime que le taux de continence totale est de l’ordre de 30 % en cas d’anomalie haute [5].

Actuellement, la technique la plus utilisée est l’intervention de deVries et Peña, ou anorectoplastie sagittale postérieure, décrite en 1982 [6].

Elle consiste à ouvrir le périnée postérieur strictement sur la ligne médiane, afin d’aborder la face postérieure du cul de sac rectal, et de traiter la fistule par un abord endorectal. La peau est incisée de la pointe du coccyx jusqu’au point prévu pour l’abaissement anal. Les différents plans musculaires sont incisés verticalement : le sphincter externe, le rectum, les releveurs de l’anus, la sangle puborectale. Le rectum est ensuite incisé de façon à exposer la zone de fistule, et à la fermer de l’intérieur.

Après abaissement au périnée du cul de sac rectal, les différents plans musculaires sont ensuite refermés.

L’avantage principal de cette technique est la parfaite visualisation directe de la fistule, ce qui sécurise sa fermeture. Les différents plans musculaires sont parfaitement individualisés, ce qui permet d’effectuer un abaissement rectal en bonne position. En revanche, ses inconvénients sont de nécessiter une large dissection du périnée, et surtout de léser les muscles composant l’appareil sphinctérien et de les rendre cicatriciels.

Il semble que les résultats à court et moyen terme soient meilleurs que ceux des techniques précédentes. Cependant, elle ne semble pas avoir apporté les résultats escomptés sur l’amélioration de la continence anale, qui est en rapport avec les anomalies musculaires préexistantes, et avec les lésions associées, en particulier neurologiques. Le taux définitif est de l’ordre de 25 à 35 % en cas d’anomalie anorectale haute [7-9], c’est-à-dire des taux voisins de ceux des précédentes techniques [5].

Le plus souvent cette intervention est réalisée secondairement, vers l’âge de trois mois : une colostomie iliaque gauche est réalisée le jour de la naissance, elle est refermée lorsque la perméabilité anale est suffisante pour permettre des défécations normales, et que le périnée est bien cicatrisé.

La réalisation de cette technique immédiatement en période néonatale, sans colostomie préalable est possible [10, 11].

Cependant, la majorité des auteurs recommandent la réalisation d’une colostomie néonatale, qui permet de réaliser un bilan malformatif complet, et surtout de préciser l’anatomie par la réalisation d’une opacification distale [12].

Le concept de chirurgie mini-invasive chez le nouveau-né

La chirurgie néonatale bénéficie des progrès de la laparoscopie, et la plupart des malformations congénitales peuvent à l’heure actuelle être traitées par chirurgie mini-invasive. [13]. Il peut s’agir d’une laparoscopie (atrésie intestinale, kystes de l’ovaire, volvulus du grêle, hernie diaphragmatique), ou d’une thoracoscopie (atrésie de l’œsophage, hernie diaphragmatique, malformations pulmonaires).

Les contraintes particulières de cette chirurgie chez le nouveau-né doivent être prises en compte : réduction de l’espace de travail, effets potentiels de la diffusion du CO2, conséquences du pneumopéritoine et du pneumothorax sur le système cardiorespiratoire immature.

Une série multicentrique française [13] a récemment rapporté un taux de complications anesthésiques de 12 % (désaturation, hypotension, acidose métabolique), et un taux de complications chirurgicales de 7,5 %, dont plus de la moitié étaient mineures (pariétales). Aucune mortalité n’a été relevée.

L’un des avantages principaux de la laparoscopie est le grossissement du champ opératoire du fait de la caméra : les structures sont vues comme sous loupe, et de ce fait le geste y gagne en précision.

Dans le traitement de l’imperforation anale haute, la précision anatomique de la reconstruction requiert une importance particulière. Elle est facilitée par l’usage de la laparoscopie.

En outre, la dissection est réduite au minimum, sans traumatisme ni lésion musculaire, ce qui réduit le temps opératoire, et optimise la cicatrisation.

CONCLUSION

Le traitement de l’imperforation anale haute est guidé par des concepts fondamentaux, qui se précisent de plus en plus. Le traitement doit respecter les structures périnéales existantes, d’autant plus qu’elles sont déficientes (en particulier le sphincter interne du rectum). Le traitement de la fistule doit se faire sous contrôle direct de la vue, afin d’éviter toute lésion urétrale et génitale.

Enfin l’abaissement du rectum doit être situé au centre de la sangle des releveurs de l’anus et du faisceau puborectal.

Il nous semble, à la lumière de notre expérience personnelle, que l’utilisation de la laparoscopie dans le traitement des imperforations anales hautes du nouveau-né permet de répondre à tous ces objectifs.

BIBLIOGRAPHIE [1] Georgeson K.E., Inge T.H, Albanese C.T. — Laparoscopically assisted anorectal pullthrough for high imperforate anus-a new technique. J. Pediatr. Surg., 2000, 35 (6), 927-30, discussion 930-1.

[2] Yamataka A., Segawa O., Yoshida R., Kobayashi H., Kameoka S., Miyano T.A. — Laparoscopic muscle electrostimulation during laparoscopy-assisted anorectal pull-through for high imperforate anus. J. Pediatr. Surg., 2001, 36 (11), 1659-61.

[3] Kubota A., Kawahara H., Okuyama H., Oue T., Tazuke Y., Tanaka N. — Laparoscopically assisted anorectoplasty using perineal ultrasonographic guide : a preliminary report. J.

Pediatr. Surg. , 2005, 40 (10), 1535-8.

[4] Vick L.R., Gosche J.R., Boulanger S.C., Islam S. — Primary laparoscopic repair of high imperforate anus in neonatal males. J. Pediatr. Surg. , 2007, 42 (11), p. 1877-81.

[5] Rintala R.J., Pakarinen M.P. — Imperforate anus : long- and short-term outcome.

Semin.

 

Pediatr. Surg. , 2008, 17 (2), 79-89.

[6] Devries P.A., Pena A. — Posterior sagittal anorectoplasty.

J. Pediatr. Surg., 1982. 17(5), 638-43.

[7] Mulder W., De Jong E., Wauters I., Kinders M., Heij H.A., Vos A. — Posterior sagittal anorectoplasty : functional results of primary and secondary operations in comparison to the pull-through method in anorectal malformations. Eur. J. Pediatr. Surg. , 1995, 5 (3), 170-3.

[8] Keily E., Pena A. — Anorectal malformations, in

Pediatric Surgery . O’Neil J., Rowe M.,

Grosfeld J., Editors. 1998, Mosby, St Louis, MO. p. 1445-1448.

[9] Pena A., Hong A. — Advances in the management of anorectal malformations. Am. J. Surg., 2000, 180 (5), 370-6.

[10] Adeniran J.O., Abdur-Rahman L. — One-stage correction of intermediate imperforate anus in males. Pediatr. Surg. Int. , 2005, 21 (2), 88-90.

[11] Menon P., Rao K.L. — Primary anorectoplasty in females with common anorectal malformations without colostomy. J. Pediatr. Surg., 2007, 42 (6), p. 1103-6.

[12] Levitt M.A., Pena A. — Outcomes from the correction of anorectal malformations.

Curr.

 

Opin. Pediatr. , 2005, 17 (3), 394-401.

[13] Kalfa N., Allal H., Raux O., Lardy H., Varlet F., Reinberg O. et al . — Multicentric assessment of the safety of neonatal videosurgery.

Surg. Endosc. , 2007, 21 (2), 303-8.

 

DISCUSSION

M. Maurice-Antoine BRUHAT

D’où est Monsieur Georgeson, inventeur de la méthode ? Existe-t-il un reste périnéal de formation sphinctérienne à travers lequel passe le néo-rectum ?

Voici les coordonnées exactes de Monsieur Georgeson : Division of Pediatric Surgery, The Children’s Hospital of Alabama, University of Alabama at Birmingham Medical School, USA. Il existe un reste périnéal de sphincter externe, à travers lequel doit passer le néorectum. Il existe également le plan des releveurs de l’anus, en particulier la sangle pubo-rectal, qui est le repère essentiel d’abaissement du néorectum.

M. Philippe BOUTELIER

Observez-vous des rétrécissements de l’anastomose recto-cutanée ?

Il peut exister en effet un rétrécissement de l’anastomose recto-cutanée. Il est nécessaire d’utiliser une technique rigoureuse pour éviter cette complication, en particulier éviter de réaliser une anastomose circulaire. Cependant, il s’agit d’une complication assez fré- quente. Nous avons l’habitude de réaliser un examen sous anesthésie générale un mois après l’intervention pour vérifier l’absence de sténose, et éventuellement pour réaliser une dilatation à la bougie. En cas de sténose, plusieurs séances de dilatation peuvent être nécessaires.

M. René MORNEX

Quelle est la prévalence de cette anomalie ?

La prévalence de l’imperforation anale est de l’ordre de une pour cinq mille naissances.

 

<p>* Chirurgie viscérale pédiatrique et néonatale, Hôpital Trousseau — Paris Tirés à part : Professeur Christine Grapin-Dagorno, même adresse Article reçu et accepté le 19 mai 2008</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2008, 192, no 5, 913-919, séance du 20 mai 2008