Communication scientifique
Séance du 20 mai 2008

Douleurs neuropathiques. Physiopathologie et perspectives thérapeutiques

MOTS-CLÉS : douleur. hyperalgésie. ligature.. maladies du système nerveux
Neuropathic pain. Physiopathological mechanisms and therapeutic perspectives
KEY-WORDS : cytokines. hyperalgesia. ligation. nervous system diseases. pain. serotonin

Michel Hamon, Valérie Kayser, Sylvie Bourgoin

Résumé

Les douleurs neuropathiques sont fréquentes, et posent au praticien des problèmes thérapeutiques particulièrement difficiles à résoudre du fait de leur résistance aux antalgiques classiques et même aux opioïdes. Les mécanismes physiopathologiques qui les sous-tendent sont mal connus, expliquant pourquoi les traitements de ces douleurs ne reposent en réalité que sur des bases empiriques. Ainsi, les antidépresseurs sont actuellement les composés que l’on utilise le plus souvent pour soulager certaines de ces douleurs. Malheureusement, cette classe de médicaments est particulièrement peu efficace sur les douleurs d’origine trigéminale. Dans ce cas, on privilégie l’administration d’anticonvulsivants (carbamazépine, phé- nytoïne, lamotrigine) ou de baclofène, mais, avec le temps, une forte proportion ( ≥ 50 %) des patients deviennent réfractaires à ces médications ou ne les tolèrent plus. D’introduction plus récente, les triptans présentent une certaine efficacité dans le traitement des algies vasculaires de la face, pathologies éminemment trigéminales. Ils sont en revanche dépourvus d’action antalgique à la périphérie. En accord avec ces données, les observations cliniques suggèrent que les douleurs neuropathiques pourraient être de nature différente au niveau céphalique (sphère trigéminale) et dans le reste du corps (sphère spinale) : fréquence plus élevée et symptomatique particulièrement étendue dans le cas des douleurs trigéminales. La compréhension des mécanismes neurobiologiques qui sous-tendent les différences entre ces deux types de douleurs est de grande actualité. Nous abordons ce problème au laboratoire à l’aide de deux modèles de ligature de nerf (nerf sciatique, nerf infraorbitaire) chez le rat. Dans les deux cas, des manifestations d’allodynie/hyperalgésie dans les territoires concernés sont mises en évidence, en association avec des phénomènes de neuroplasticité morphofonctionnelle impliquant des modifications d’expression de canaux ioniques (canaux sodium, canaux calcium), de facteurs trophiques, de cytokines et de protéines clés de la neurotransmission dans les voies de la nociception et de leur contrôle. Des interventions ciblées sur certains de ces acteurs semblent constituer de nouvelles pistes pour des stratégies innovantes en vue de réduire plus efficacement les douleurs neuropathiques.

Summary

Neuropathic pain is generally resistant to ‘‘ classical ’’ analgesic drugs, including opioids, and there is still an urgent need for really effective treatments to alleviate pain caused by lesions of the peripheral and/or central nervous system. The pathophysiological mechanisms underlying neuropathic pain are still poorly known, and treatments are mainly empirical. Antidepressant drugs are generally prescribed first, with positive but limited results in a significant proportion of patients. Anticonvulsant drugs (carbamazepine, phenytoin, lamotrigine) are also used but are often poorly tolerated. Clinical studies and preclinical investigations support the idea that the nature of neuropathic pain, and the underlying mechanisms, are different in the cephalic (trigeminal) territories and the extracephalic (spinal) territories. In order to further investigate these regional differences, we used rat nerve ligature models. Comparison of allodynia/hyperalgesia in the vibrissal territory caused by unilateral ligature of the infraorbital nerve (2nd branch of the trigeminal nerve) with those in the hindpaw ipsilateral to unilateral ligature of the sciatic nerve revealed marked differences in their responses to sodium channel blockers (such as tetrodotoxin), serotonin (5-HT) receptor agonists and calcitonin gene-related peptide (CGRP) receptor antagonists. In particular, 5-HT7 receptor agonists were particularly effective at reducing allodynia in sciatic nerve-ligated rats, but were completely ineffective in infraorbital nerveligated rats. Conversely, triptans (5-HT1B/1D receptor agonists) and CGRP-receptor antagonists markedly inhibited cephalic allodynia in infraorbital nerve-ligated rats but failed to relieve neuropathic pain in sciatic nerve-ligated animals. Interestingly, ligatureinduced expression of the proinflammatory cytokine interleukin-6 in central tissues showed marked differences in sciatic nerve- and infraorbital nerve-ligated rats, providing direct evidence of differences in the mechanisms underlying extra-cephalic- and cephalic neuropathic pain. Such preclinical studies should contribute to the design of innovative strategies for more effective and well-tolerated treatments for neuropathic pain in cephalic and extracephalic territories.

La douleur est une « sensation désagréable et (une) expérience émotionnelle en réponse à une atteinte tissulaire réelle, potentielle ou décrite en ces termes » (d’après la définition proposée par l’International Association for the Study of Pain ). Alors que la douleur aiguë constitue un système d’alerte visant à protéger l’organisme de stimulations qui pourraient menacer son intégrité, la douleur chronique représente une véritable pathologie, au contraire nuisible à l’organisme. Une douleur est classée comme chronique lorsqu’elle perdure, avec ou sans traitement, au-delà de six mois [1]. Schématiquement, deux grandes catégories de douleurs chroniques peuvent être définies : les douleurs chroniques par excès de stimulations nociceptives, et les douleurs neuropathiques, causées par des lésions de voies nerveuses. En règle générale, les douleurs par excès de stimulations nociceptives peuvent être traitées en soignant les causes pathologiques de l’excès de facteurs nociceptifs, ou en bloquant la transmission nerveuse par des analgésiques périphériques ou centraux [2]. Dans le cas des douleurs neuropathiques, la perception douloureuse anormale est le fait d’une dérégulation du fonctionnement des voies nerveuses. La lésion nerveuse déclenche un véritable « cercle vicieux » dans lequel les mécanismes de guérison mis en place vont paradoxalement empêcher le retour à un fonctionnement « normal » de la transmission nociceptive. Les facteurs ainsi produits participeront à la perpé- tuation de la perception douloureuse alors même que les facteurs initialement responsables de la douleur ne sont plus présents.

Les douleurs neuropathiques causées par la lésion d’un nerf sensoriel périphérique sont caractérisées par des symptômes tels que l’allodynie (réponse douloureuse à une stimulation non nociceptive chez le sujet sain) et l’hyperalgésie (réponse douloureuse exacerbée à une stimulation douloureuse). L’allodynie est une manifestation pathologique très invalidante, car elle amène les patients à totalement changer leur cadre de vie et leur comportement, en évitant tous les contacts perçus comme douloureux (vêtements, draps…) [3].

Ces douleurs mettent en jeu de nombreux mécanismes physiopathologiques au niveau des systèmes nerveux périphérique et central. Dans les heures et les jours qui suivent le traumatisme, il se produit un changement d’excitabilité des neurones sensoriels, nociceptifs ou non [4], des altérations de la transmission synaptique au niveau des structures centrales [5], une perte des contrôles inhibiteurs [6] et, au contraire, un gain des contrôles excitateurs [7]. L’ensemble de ces changements phénotypiques est causé par des modifications transcriptionnelles et posttranscriptionnelles [8] affectant l’équilibre homéostatique ionique [9], des neurotransmetteurs et leurs récepteurs [10], ainsi que des caractéristiques fonctionnelles des astrocytes et de la microglie [11, 12].

Il est généralement admis que les douleurs neuropathiques sont difficiles à traiter.

En effet, alors que les douleurs chroniques par excès de nociception répondent assez bien aux antalgiques classiques (morphine et autres opiacés, anti-inflammatoires non stéroïdiens…), les douleurs neurogènes sont pour l’essentiel résistantes à ces agents pharmacologiques [13]. C’est en réalité sur la base de données empiriques qu’on est parvenu à des traitements ayant une certaine efficacité antalgique, avec des classes thérapeutiques aussi diverses que des anesthésiques locaux, des antidépresseurs tricycliques (amitriptyline) ou inhibiteurs mixtes de la recapture de noradré- naline et de sérotonine (duloxétine, paroxétine, milnacipran) et des anticonvulsivants (carbamazépine, phénytoïne, lamotrigine, gabapentine, prégabaline), chez les patients souffrant de douleurs neuropathiques [14]. Malheureusement, leur efficacité reste limitée, et ces composés provoquent de nombreux effets secondaires, qui justifient le développement de nouvelles stratégies thérapeutiques. Dans ce contexte, on doit souligner que les douleurs neuropathiques présentent un profil de réponse aux traitements antalgiques différent selon que la lésion concerne un nerf périphé- rique innervant le territoire céphalique ou extra-céphalique [15-17], suggérant la mise en jeu de mécanismes physiopathologiques distincts [18].

 

Dans le but de développer de nouveaux traitements, plus efficaces et mieux tolérés, il est donc essentiel dans un premier temps de déterminer précisément les mécanismes responsables du développement et de la maintenance des douleurs neuropathiques céphaliques versus extra-céphaliques.

Nous abordons ce problème au laboratoire à l’aide de deux modèles de ligature de nerf (nerf sciatique, nerf infraorbitaire) chez le rat. Dans les deux cas, des manifestations d’allodynie/hyperalgésie dans les territoires concernés sont mises en évidence, en association avec des phénomènes de neuroplasticité morpho-fonctionnelle impliquant des modifications d’expression de canaux ioniques (canaux sodium, canaux calcium), de facteurs trophiques, de cytokines et de protéines clés de la neurotransmission dans les voies de la nociception et de leur contrôle. Des interventions ciblées sur certains de ces acteurs pourraient constituer de nouvelles pistes pour des stratégies innovantes en vue de réduire plus efficacement les douleurs neuropathiques. En particulier, les données obtenues montrent que des composés ayant des propriétés anti-migraineuses comme les triptans (naratriptan, sumatriptan, zolmitriptan) et les antagonistes des récepteurs du CGRP (« calcitonin generelated peptide ») comme le BIBN 4096 [19] sont efficaces pour réduire l’allodynie mécanique qui survient dans le territoire des vibrisses suite à la ligature du nerf infraorbitaire [16]. En revanche, ces mêmes composés sont sans effet sur les douleurs neuropathiques causées par la ligature du nerf sciatique. Inversement, l’administration systémique d’un bloquant de canaux sodium-voltage dépendants comme la tétrodoxine (à des doses très faibles, ne provoquant pas d’effets secondaires, notamment neurovégétatifs) ou d’agonistes des récepteurs 5-HT7 de la sérotonine (comme le composé EC 55,888) réduit efficacement les manifestations d’allodynie et d’hyperalgésie chez le rat porteur de ligatures sur le nerf sciatique mais reste sans effet sur ces manifestations de douleurs neuropathiques suite à la ligature du nerf infraorbitaire. Ces observations confortent l’idée que l’association d’agents ayant des actions complémentaires (i.e. dans des territoires distincts et/ou sur des cibles moléculaires différentes) pourrait constituer une approche thérapeutique véritablement innovante et réellement efficace des douleurs neuropathiques. Des résultats préliminaires avec des ligands de certains récepteurs de la sérotonine combinés à un agoniste partiel des récepteurs NMDA du glutamate sont particulièrement encourageants à cet égard.

Ces données expérimentales montrent clairement que les mécanismes mis en jeu dans les douleurs neuropathiques diffèrent selon qu’elles sont localisées dans les territoires céphaliques ou extra-céphaliques. D’ailleurs, une première série d’investigations sur l’induction des cytokines pro-inflammatoires consécutive à la ligature de nerf montre des différences notables entre ces deux territoires dans le cas d’IL-6.

En l’occurrence, la réduction de l’expression de cette cytokine en réponse à la prévention de l’activation microgliale par un traitement chronique avec la minocycline se traduit par une diminution notable des manifestations de douleurs neuropathiques seulement chez le rat porteur de ligatures sur le nerf sciatique [20]. Ainsi, des actions non seulement sur des canaux ioniques ou des récepteurs de neurotrans- metteurs mais également sur des voies de signalisation en aval de ces cibles pourraient donc être envisagées en vue de développer de nouvelles stratégies thérapeutiques, plus efficaces et mieux tolérées, pour soulager les douleurs neuropathiques.

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[20] Latremoliere A., Mauborgne A., Masson J., Bourgoin S., Kayser V., Hamon M. and Pohl M. — Differential implication of proinflammatory cytokine interleukin 6 (IL-6) in the development of cephalic versus extracephalic neuropathic pain in rats . J. Neurosci., 2008, 28 , 8489- 8501.

DISCUSSION

M. Pierre RONDOT

Avez-vous comparé les effets du produit que vous avez présenté avec ceux du clonazépam, jusqu’à maintenant le meilleur des antalgiques centraux ?

Les anticonvulsivants que nous avons testés dans nos modèles de ligatures sont la gabapentine et la prégabaline, des produits que l’on utilise aujourd’hui plus volontiers que les benzodiazépines (dont le clonazépam) pour réduire les douleurs neuropathiques chez l’Homme. L’un comme l’autre donnent des effets anti-allodyniques/antihyperalgésiques chez le rat porteur de ligatures au niveau du nerf sciatique, validant ainsi la pertinence du modèle animal. Il serait certainement intéressant de vérifier que le clonazépam est également efficace.

M. Jacques PHILIPPON

Existe-t-il, au niveau du ganglion de Gasser, des substances capables d’inhiber le passage de sensations tactiles vers des groupes cellulaires recevant les sensations nociceptives ? Existet-il un support à l’efficacité de la neurostimulation ?

Ce passage semble impliquer des contacts synaptiques excitateurs, qui sont exacerbés lors de la sensibilisation neuronale sous-tendant la douleur neuropathique. Le neuromédiateur excitateur par excellence, le glutamate, et ses récepteurs NMDA, jouent un rôle clé dans ce phénomène de sensibilisation. On a notamment montré une surexpression de certaines sous-unités (NR2B) de ces récepteurs dans divers modèles de douleurs neuropathiques chez le rat. Ainsi, le blocage pharmacologique de ces récepteurs peut, dans certaines conditions, entrainer une réduction des phénomènes d’allodynie/hyperalgésie notamment dans les territoires du nerf trijumeau. Mais, l’application chez l’homme n’est pas encore à l’ordre du jour. Pour ce qui concerne les effets de la neurostimulation, une action inhibitrice au niveau présynaptique des fibres — non nociceptives — de gros diamètre sur les fibres de fin diamètre — nociceptives — a été mise en évidence dans les expériences à la base de la ‘‘ théorie du portillon ’’ de Wall et Melzack. A ma connaissance, cette théorie a certes été affinée, mais les données expérimentales sur lesquelles elle repose n’ont jamais été remises en cause.

 

M. Jacques MILLIEZ

Cette molécule pourrait-elle être efficace contre les douleurs au niveau du bassin, impliquant le nerf honteux interne ?

L’agoniste 5-HT7 (composé ES 55,888) dont j’ai parlé a des effets anti-hyperalgésiques vraiment remarquables dans nos études chez le rat porteur de ligatures au niveau du nerf sciatique. Par ailleurs, en collaboration avec une autre équipe (Laboratoires Esteve, Barcelone), nous avons montré une puissante action antalgique dans d’autres modèles de sensibilisation neuronale conduisant à des douleurs chroniques périphériques. Je n’ai pas de données spécifiques pour répondre de façon ferme et définitive à votre question, mais les résultats accumulés jusqu’à présent laissent à penser que la stimulation des récepteurs 5-HT7 devrait également conduire à une réduction de ce type de douleurs.

M. Jean-Baptiste PAOLAGGI

Quelle est la cinétique de la disparition ou diminution des douleurs provoquées par les antidépresseurs. Est-elle immédiate ou retardée ?

L’effet anti-allodynique/anti-hyperalgésique des antidépresseurs n’est pas immédiat, mais ne nécessite habituellement que quelques jours de traitement pour être ressenti par le patient. A cet égard, il est remarquable de constater que cet effet est en général plus précoce que l’effet antidépresseur proprement dit, et intervient pour des doses plus faibles. Ainsi, en dépit du haut degré de comorbidité entre douleurs chroniques et dépression, il est probable que les effets anti-douleurs des médicaments antidépresseurs n’impliquent pas exactement les mêmes mécanismes que leurs effets antidépresseurs sensu stricto.

M. Bernard LECHEVALIER

Pouvez-vous inclure les douleurs thalamiques dans ces douleurs neuropathiques ? Avez-vous une explication de ces douleurs particulièrement sensibles et un traitement à proposer ?

C’est bien sûr un problème majeur. Pour le moment, nous n’avons exploré que les douleurs neuropathiques causées par des lésions de nerfs périphériques, et je n’ai donc pas de réponse à apporter à vos deux questions particulièrement intéressantes.

M. Roger NORDMANN

Le cannabidiol, agoniste des récepteurs cannabinoïdes, agit-il également sur les douleurs céphaliques et les douleurs somatiques ou seulement sur l’une de ces deux modalités de douleurs ? Dispose-t-on de publications crédibles concernant l’efficacité de l’usage de cannabis chez l’homme dans ces deux types de douleurs, usage souvent préconisé à titre compassionnel et, si oui, s’est-il révélé supérieur au recours à des traitements pharmacologiques ‘‘ classiques ’’ ?

Je vous remercie pour cette intéressante question, qui est d’une grande actualité. Dans le domaine des récepteurs cannabinoïdes, on distingue deux types, les récepteurs CB1 et CB2. Alors que les récepteurs CB1 sont responsables des effets psychotropes du cannabis (en réalité le delta9-tetrahydrocannabinol), les récepteurs CB2, quant à eux, ne sont pas concernés, mais sont responsables d’autres effets, en particulier des effets anti-douleurs tout à fait avérés dans des modèles de douleurs chroniques. Plutôt que le cannabis, ce sont donc des agonistes des récepteurs CB2 que l’on sera tenté d’utiliser pour le soulagement des douleurs neuropathiques en clinique. Nous avons bien sûr l’intention d’utiliser de tels produits dans nos modèles mais, aujourd’hui, je ne peux pas vous dire s’ils seront efficaces pour réduire l’allodynie/hyperalgésie seulement dans le cas de la ligature du nerf sciatique (résultat minimum auquel on peut s’attendre) ou également dans celui de la ligature du nerf infraorbitaire.

M. Jean DUBOUSSET

Les chirurgiens réalisent tous les jours dans le monde des amputations ou désarticulations qui entraînent la section d’un gros nerf et sont source de douleurs neuropathiques ou de membres fantômes, pensez-vous utiliser ces malades pour étudier les effets antidouleur locaux ou généraux ?

Certaines interventions chirurgicales peuvent en effet conduire à des douleurs neuropathiques qui répondent insuffisamment aux traitements dont nous disposons aujourd’hui.

Un essai clinique est d’ores et déjà engagé avec un agoniste de récepteurs sérotoninergiques pour réduire les douleurs neuropathiques chez des sujets diabétiques. Les patients présentant de telles douleurs post-opératoires pourraient constituer un deuxième groupe particulièrement pertinent pour s’assurer de la réalité de l’efficacité clinique de ce produit.

 

<p>* Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine et INSERM U677, CHU PitiéSalpêtrière, 91, bld de l’Hôpital, 75013 Paris. E-mail : michel.hamon@upmc.fr Tirés à part : Professeur Michel Hamon, même adresse Article reçu et accepté le 19 mai 2008</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2008, 192, no 5, 921-928, séance du 20 mai 2008