Communication scientifique
Séance du 9 février 2010

Thérapie génique de l’adrénoleucodystrophie liée à l’X par transfert du gène dans les cellules souches hématopoïétiques à l’aide d’un vecteur lentiviral

MOTS-CLÉS : adrénoleucodystrophie. cellules souches hématopoïétiques. lentivirus. thérapie génique
Gene therapy of x-linked adrenoleukodystrophy using hemaopoietic stern cells and a lentiviral vector
KEY-WORDS : adrenoleukodystrophy. gene therapy.. lentivirus

Nathalie Cartier *, Salima Hacein-Bey-Abina, Christof von Kallé, Pierre Bougnères, Alain Fischer, Marina Cavazzana-Calvo, Patrick Aubourg

Résumé

L’adrénoleucodystrophie (ALD) liée à l’X est une grave maladie génétique démyélinisante due au défaut de la protéine ALD, un transporteur ABC (adénosine triphosphate-binding cassette) codé par le gène ABCD1. La greffe de cellules souches hématopoïétiques (GCSH) permet de stabiliser ou de faire régresser les lésions de démyélinisation, lorsqu’elle est réalisée à un stade précoce de l’évolution de la maladie. Nous avons développé une stratégie de thérapie génique basée sur le transfert du gène ABCD1 à l’aide d’un vecteur lentiviral dérivé du VIH-1 dans les propres cellules hématopoïétiques (CD34+) de patients, afin de réaliser une autogreffe de ces cellules corrigées. Trois patients candidats à la greffe, mais sans donneur compatible, ont été traités. Après traitement myéloablatif, les cellules CD34+ corrigées ont été réinfusées. Après greffe (suivi allant jusqu’à trois ans), la reconstitution hématopoïétique est polyclonale ; 9 à 14 % des granulocytes, des monocytes et des lymphocytes T et B expriment la protéine ALD, suggérant que des cellules souches ont bien été transduites chez ces patients. Quatorze à seize mois après greffe, la démyélinisation cérébrale progressive a été stoppée. Cette évolution est stable et tout à fait comparable à celle qui est observée après GCSH allogénique. Ces résultats suggérent que les vecteurs lentiviraux dérivés du VIH-1 constituent un outil efficace pour le transfert de gène dans les CSH, ouvrant des perspectives thérapeutiques au delà de l’ALD. Ils sont également le premier exemple d’une grave maladie neurodégénérative efficacement traitée par thérapie génique.

Summary

X-linked adrenoleukodystrophy (ALD) is a severe demyelinating disease of the brain caused by a deficiency in ALD protein, an adenosine triphosphate—binding cassette (ABC) transporter encoded by the ABCD1 gene. ALD progression can be halted by allogeneic hematopoietic cell transplantation (HCT). We have developed a gene therapy strategy based on ABCD1 gene transfer to autologous hematopoietic stem cells (CD34+) by a lentiviral vector derived from HIV-1. We initiated a clinical trial involving three ALD patients for whom no matched donor was available. Autologous CD34+ cells were transduced ex vivo with an HIV derived vector the wild-type ABCD1 gene then re-infused after myeloablative treatment. Polyclonal reconstitution was detected up to 24 to 30 months, with between 9 % and 14 % of granulocytes, monocytes, and T and B lymphocytes expressing the ALD protein, strongly suggesting that the patients’ hematopoietic stem cells have been successfully transduced. Cerebral demyelination halted after 14 to 16 months in two first treated patients an outcome similar to that achieved by allogeneic HCT. These results suggest that lentiviral vectors are suitable for transferring therapeutic genes to hematopoietic stem cells, and provide the first example of successful gene therapy for a severe neurodegenerative disease.

INTRODUCTION

L’adrénoleucodystrophie liée à l’X (ALD) est une maladie démyélinisante du système nerveux central (SNC) dont l’évolution est fatale. Elle est liée à des mutations du gène ABCD1 codant la protéine ALD, un transporteur ABC (adenosine triphosphate-binding cassette) localisé dans la membrane des peroxysomes. La protéine ALD intervient dans l’oxydation des acides gras à très longue chaîne (VLCFA) dans les oligodendrocytes et la microglie et son absence perturbe le maintien de la myéline dans la cellule [1]. Les garçons atteints présentent vers six-huit ans une démyélinisation cérébrale progressive qui conduit au décès le plus souvent avant l’adolescence. La greffe de cellules souches hématopoïétiques (GCSH) allogéniques est le seul traitement permettant de stabiliser, voire de faire régresser les lésions de démyélinisation, lorsqu’elle est réalisée à un stade précoce de l’évolution de la maladie [2, 3]. L’efficacité de la greffe est liée au remplacement de la microglie cérébrale déficiente par une microglie issue du donneur et dérivant de la lignée myélo-monocytaire [4, 5]. Les indications de la greffe allogénique sont cependant limitées par le manque de donneurs et elle expose à de graves complications et à un risque de mortalité encore important (15-20 % chez l’enfant). Notre objectif a été de proposer, en alternative à la greffe allogénique, le remplacement des propres cellules hématopoïétiques des patients après correction à l’aide d’un vecteur rétroviral portant une version normale du gène ABCD1 . Nous avons choisi comme vecteur un lentivirus dérivé du VIH-1, car les vecteurs lentiviraux sont les seuls vecteurs capables de transduire efficacement des cellules quiescentes. Leur efficacité supé- rieure à celle des rétrovirus murins pour transduire les CSH permet d’espérer une meilleure expression à long terme dans toutes les lignées hématopoïétiques [6-8].

Données précliniques

Nous avons préalablement démontré in vitro et in vivo la faisabilité de cette stratégie.

Le transfert du gène ALD in vitro dans les cellules CD34+ permet de corriger les monocytes-macrophages dérivés des cellules déficientes transduites [9]. In vivo la transplantation de cellules souches hématopoïétiques Sca1+ murines dans des souris ALD (modèle obtenu par knock-out du gène) permet le remplacement de 20-25 % des cellules microgliales exprimant une protéine ALD fonctionnelle douze mois après greffe [9]. La souris ALD ne développant pas de pathologie démyélinisante, il n’a malheureusement pas été possible de démontrer l’effet clinique et neuropathologique de cette expression in vivo . La transplantation de cellules humaines CD34+ de patients ALD transduites avec le vecteur lentiviral exprimant le gène ABCD1 dans des souris immunodéficientes nous a également permis de démontrer l’expression de la protéine ALD recombinante in vivo dans des monocytes humains ainsi que dans des cellules microgliales cérébrales d’origine humaine [10]. Ainsi, les cellules hématopoïétiques CD34+ humaines transduites sont bien capables, in vivo , de migrer dans le système nerveux central et de se différencier en microglie.

Essai clinique de thérapie génique des cellules hématopoïétiques [11]

L’ensemble de ces données précliniques nous ont conduit à initier un essai thérapeutique chez des enfants atteints d’ALD cérébrale débutante, candidats à la greffe, mais sans donneur ni sang de cordon HLA-compatible. Ces trois patients âgés de 7,5 (P1) 7 ans (P2) et 7 ans (P3) ont une mutation du gène ALD entraînant une absence complète de la protéine ALD détectable en immunohistochimie sur les fibroblastes et les leucocytes. Leurs cellules mononucléées circulantes ont été prélevées après stimulation par injection intraveineuse de G-CSF (granulocyte colony-stimulating factor). Après sélection positive, leurs cellules CD34+ ont été pré-activées in vivo en présence de cytokines, puis transduites par un vecteur lentiviral dérivé du VIH-1 défectif pour la replication et portant l’ADN complémentaire du gène ABCD1 .

50 % (P1), 33 % (P2) et 44 % (P3) des cellules CD34+ ainsi transduites exprimaient la protéine ALD en immunofluorescence (Figure 1). Les cellules transduites ont ensuite été congelées, pour permettre de réaliser tous les tests sécuritaires requis (vérifiant en particulier l’absence de virus compétent pour la replication). Après décongélation, les cellules (4.6 106, 7.2 106 et 8 106 par kilo respectivement) ont été réinfusées aux patients P1, P2 et P3 après myéloablation complète (traitement par busulfan et cyclophosphamide). Dans la mesure où les cellules corrigées n’ont pas d’avantage de croissance par rapport aux cellules déficientes en protéine ALD, nous avons choisi de réaliser ce conditionnement préalable pour supprimer les cellules résidentes déficientes et favoriser ainsi la reconstitution hématopoïétique à partir de cellules corrigées. Le traitement a été bien toléré et la reconstitution hématopoïétique a été observée à J15.

Fig. 1. — Expression de la protéine ALD recombinante dans les cellules CD34+ de patients ALD ;

après transduction avec le vecteur lentiviral portant le gène de l’ALD. L’aspect ponctué en immunofluorescence est lié à l’expression de la protéine dans la membrane des peroxysomes, dans l’une des trois cellules visibles (cellules colorées en bleu par le DAPI) Après transplantation autologue des cellules CD34+ génétiquement corrigées, la protéine ALD est exprimée dans les cellules hématopoïétiques

À J30 après infusion, l’expression de la protéine ALD a été visualisée en immunohistochimie dans 23-25 % des cellules mononucléées circulantes. Ce pourcentage s’est ensuite stabilisé chez P1 à 13 % à 9 mois et 10 % à 30 mois, chez P2 à 17 % à 9 mois et 15 % à 24 mois et chez P3 à 14 % à 12 mois (Figure 2). Le nombre de copies du vecteur dans les mêmes cellules est de 0,14 (P1, 30 mois) et 0,2 (P2, 24 mois) et 0,2 (P3, 12 mois). Une réduction de la concentration en acides gras à très longue chaîne de 20 et 28 % a été observée dans les cellules mononucléées circulantes 24 et 20 mois après greffe chez P1 et P2.

Nous avons analysé l’expression de la protéine ALD recombinante dans les souspopulations (lymphocytes T et B, monocytes, granulocytes) des cellules mononucléées circulantes et montré que 9-14 % expriment effectivement la protéine ALD 30 et 24 mois après greffe. L’expression stable dans les cellules CD34+ (20 et 18 %) à 12 mois et 18 et 17 % à 24 mois et dans les colonies dérivées de ces cellules indique un transfert de gène efficace dans des progéniteurs myéloïdes communs ayant une capacité de reconstitution à long terme.

Fig. 2. — Évolution au cours du temps de l’expression de la protéine ALD dans les cellules mononucléées du sang chez les trois patients traités par thérapie génique.

L’insertion lentivirale dans les cellules hématopoïétiques est polyclonale sans modifications de l’homéostasie des cellules hématopoïétiques

Les sites d’intégration dans les cellules au cours du temps après greffe et la distribution clonale des cellules génétiquement modifiées in vivo ont été analysés prospectivement par des techniques de séquençage à grande échelle (pyroséquençage à haut débit), permettant de confirmer le caractère polyclonal de l’intégration et aussi de manière importante sans que l’intégration du vecteur lentiviral conduise à la détection d’un clone dominant contribuant à l’hématopoïèse. L’identification de sites communs d’intégration dans des lymphocytes et des cellules myéloïdes purifiées (monocytes, granulocytes) suggère également fortement que des cellules souches hématopoïétiques ont bien été transduites.

La greffe de cellules génétiquement corrigées permet la stabilisation des lésions de démyélinisation

Avant greffe l’imagerie par résonance magnétique (IRM) du patient P1 montrait un hypersignal anormal des faisceaux pyramidaux du tronc cérébral des capsules internes et de la substance blanche périventriculaire frontale (démyélinisation quotée à 2,25 sur une échelle dont le score maximum est 34). L’augmentation de la prise de contraste de gadolinium traduisait le caractère neuro-inflammatoire des lésions et la rupture de la barrière hémato-cérébrale. Cette augmentation de contraste disparut complètement 12 mois après la greffe. Les lésions de démyélinisation continuèrent à progresser jusqu’à 14 mois (score de démyélinisation à 6,75) puis se stabilisèrent et restent inchangées depuis (Figure 3). Le patient P2 présentait avant greffe des lésions de démyélinisation plus étendues que le patient P1, avec une hyperintensité anormale du splénium du corps calleux, de la substance blanche pariéto-occcipitale et des voies auditives quotée à 7. La prise de contraste du gadolinium disparut 9 mois après greffe et l’hypersignal concernant les voies auditives disparut complètement, une disparition des lésions jamais observée spontané- ment dans l’évolution de la maladie non traitée. Le suivi du patient P3 (15 mois) est encore insuffisant pour évaluer l’efficacité thérapeutique de la greffe autologue sur la maladie neurologique.

Les résultats observés chez les deux premiers patients traités contrastent avec la progression continue que l’on observe en l’absence de traitement et sont tout à fait similaires à ce que l’on observe habituellement après une greffe allogénique non compliquée. Après une greffe allogénique, les lésions continuent habituellement à Fig. 3. — Évolution des lésions de démyélinisation à l’IRM chez un enfant n’ayant pu bénéficier d’une greffe de moelle osseuse allogénique (absence de donneur) et chez le patient P2.

progresser pendant les premiers mois et le score de démyélinisation s’aggrave en moyenne de 5-6 points. Les lésions se stabilisent ensuite et restent stables pendant les décennies suivantes.

L’évolution neurologique clinique des deux premiers patients traités est également tout à fait comparable à celles d’une greffe allogénique non compliquée. Chez les patients ALD non traités, les performances déclinent de façon majeure et inéluctable pendant les deux premières années après le début de la phase inflammatoire de la démyélinisation. Après une greffe allogénique non compliquée, les performances déclinent le plus souvent initialement puis se stabilisent. Avant thérapie génique, le patient P1 avait un examen neurologique normal et une intelligence verbale normale (108) mais une diminution modérée de ses performances non verbales (99). Après greffe, son intelligence verbale est restée inchangée et son intelligence non verbale, après un déclin initial (74) s’est stabilisée. Sept mois après greffe, Il a développé une hémiparésie droite qui a ensuite pratiquement complètement régressé.

Le patient P2 avait des fonctions cognitives et motrices normales. Elles sont restées normales après traitement à l’exception d’un déficit persistant des quadrants infé- rieurs du champs visuel 14 mois après greffe qui est resté stable depuis.

Le patient P3 n’avait pas de signes neurologiques avant traitement. Son examen (12 mois après traitement) est toujours normal. Un suivi plus long sera nécessaire pour apprécier l’efficacité du traitement.

La greffe de cellules génétiquement corrigées permet la diminution de l’accumulation des acides gras à très longue chaîne dans le plasma

Après une greffe allogénique, la concentration sanguine des acides gras à très longue chaîne diminue en moyenne d’environ 55 %, reflétant le remplacement des macrophages hépatiques par les cellules dérivées du donneur. Chez les patients P1 et P2, la diminution des acides gras à très longue chaîne plasmatiques a été de 38 et 39 % vingt mois après greffe, une correction supérieure à ce que l’on aurait pu attendre compte tenu du pourcentage de monocytes corrigés chez ces deux patients (13 et 14 %), une sur-correction qui reflète probablement la surexpression de la protéine ALD recombinante dans ces cellules.

DISCUSSION

À ce jour, les seuls essais cliniques de thérapie génique des cellules souches hématopoïétiques utilisant des vecteurs gamma-rétroviraux murins classiques (gRV) dans lesquels une correction génétique a été obtenue sont les déficits immunitaires, déficit en adénosine désaminase et déficit immunitaire combiné sévère (SCID-X1), deux affections dans lesquelles l’expression du transgène confère un avantage sélectif de croissance aux lymphocytes dérivés des cellules souches hématopoïétiques transduites. Un tel avantage sélectif de croissance n’existe pas dans l’ALD. Cette limite nous a conduit à nous tourner vers l’utilisation de vecteurs lentiviraux. En effet, les vecteurs lentiviraux dérivés du VIH-1 sont des retrovirus potentiellement supérieurs aux gRV car ils permettent de transduire plus efficacement les cellules souches hématopoïétiques, en particulier dans le cadre de protocoles de transduction courts qui minimisent la manipulation ex vivo des cellules et ils maintiennent une expression importante même en l’absence d’avantage sélectif des cellules génétiquement corrigées. Les résultats d’expression à long terme que nous avons obtenus chez les patients traités par thérapie génique confirment cette efficacité. La stabilité a long terme de l’expression de la protéine ALD dans les cellules myéloïdes et la présence de sites d’intégration communs dans les lignées lymphoïde et myéloïde suggèrent fortement que des cellules souches hématopoïétiques, capables d’auto-renouvellement et de repopulation des différentes lignées, ont bien été transduites.

Les effets secondaires qui sont survenus chez les patients SCID-X1 traités par thérapie génique avec des vecteurs gRV ont soulevé des inquiétudes majeures au sujet du risque de mutagenèse et de leucémogenèse liées à l’intégration des vecteurs rétroviraux [12]. Les séquences rétrovirales utilisées (long terminal repeats ou LTR) sont des déterminants majeurs de la génotoxicité. Dans le vecteur utilisé pour l’essai, le promoteur lentiviral LTR a été auto-inactivé (Self Inactivated, SIN) afin de diminuer ce risque de mutagenèse. L’utilisation de techniques nouvelles de séquencage à haut débit de l’ensemble du génome, nous a permis d’étudier au cours du temps la clonalité des cellules souches contenant les insertions lentivirales chez nos patients traités. Nous n’avons pas détecté de déviation clonale de l’intégration ou de dominance de clones dans l’hématopoïèse. Cependant un suivi au long cours et le traitement d’un plus grand nombre de patients seront nécessaires pour confirmer que dans cette pathologie la génotoxicité potentielle des vecteurs lentiviraux est faible.

Nous ne savions pas avant de traiter ces patients quel pourcentage de cellules souches hématopoïétiques corrigées serait nécessaire pour stopper l’évolution de la maladie. En effet, cette question cruciale n’avait pu être posée dans le modèle murin d’ALD, qui ne présente pas de démyélinisation cérébrale. La seule notion que nous avions était que tous les garçons qui ont été traités par greffe allogénique avec succès présentaient une reconstitution avec les cellules du donneur de plus de 80 %. Dans cet essai de thérapie génique, l’expression au long cours de la protéine ALD dans environ 15 % des monocytes CD14+, une population de cellules qui a la même origine myélo-monocytaire que la microglie cérébrale, a suffi pour permettre une évolution neurologique comparable à celle que l’on observe après greffe allogénique.

Ceci est probablement lié à la surexpression de la proteine ALD dans les cellules microgliales dérivées des cellules CD34+ transduites. Il sera donc crucial, lors d’études ultérieures, de peser l’équilibre entre proposer un conditionnement moins toxique tout en conservant la capacité d’obtenir une prise de greffe efficace des cellules souches hématopoïétiques transduites.

L’évolution neurologique favorable après thérapie génique comparable à celle que l’on observe après greffe allogénique nous encourage à traiter un plus grand nombre de patients ALD. La thérapie génique des cellules souches hématopoïétique pour- rait non seulement être proposée à des enfants atteints de forme cérébrale et sans donneur, mais également, en première intention, aux patients adultes qui développent une démyélinisation cérébrale, chez lesquels le risque de mortalité après une greffe allogénique est très élevé (40 %).

Au delà de l’ALD, cette première démonstration clinique de l’efficacité des vecteurs lentiviraux pour corriger de façon significative et stable les cellules souches hématopoïétiques ouvre la voie du traitement d’autres pathologies. Enfin, l’utilisation du recrutement des cellules dérivées de la moelle osseuse pour remplacer la microglie cérébrale constitue une nouvelle approche de thérapie cellulaire de maladies géné- tiques ou multifactorielles du système nerveux central.

REMERCIEMENTS

Nous remercions A. Salzman and R. Salzman pour leur soutien constant dans ce projet, et le personnel (pédiatres et infirmières de l’unité d’Endocrinologie-Neurologie pédiatrique de l’hôpital Saint Vincent de Paul et de l’unité d’Immuno-Hématologie de l’hôpital Necker — Enfants Malades ; C. Adamsbaum pour les études de neuroimagerie, P lebon pour les sérologies HIV, F Audat pour la cytaphérèse, C. Lagresle-Peyrou pour son aide a la mise au point du protocole de transduction ; P. Working et l’équipe de Cell Genesys pour la fourniture du vecteur ; E. Postaire and C. Sebastiani de l’ INSERM.

P.A. et N.C. sont soutenus par l’INSERM, l’association ELA (European Leukodystrophy Association), l’AFM (Association Française contre les Myopathies), la Fondation de France, la fondation STOP-ALD, la Fondation Avenir, l’Établissement Français des Greffes, Thermo Fisher Scientific, la Communauté Européeene (6eme Programme, LSHM-CT2004-502987) Et le Programme Hospitalier de Recherche Clinique (AOM 3043, ministère de la santé).

S.H.-B.-A., A.F., and M.C.-C. sont soutenus par l’INSERM, l’Assistance PubliqueHôpitaux de Paris, l’ AFM.

C.V.K. est soutenu par le Deutsche Forschungsgemeinschaft (SPP 1230), le Ministère allemand de l’Éducation et de la Recherche (TREATID), le HelmholtzAssociation, et le 6th Framework EEC Programme (CONSERT, CLINIGENE).

Cet essai thérapeutique a été approuvé par l’AFSSAPS le 15 November 2005 et le CCPPRB Paris-Cochin le 7 September 2004.

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Science , 2003, 302 , 415.

 

DISCUSSION

M. Jean-Daniel SRAER

N’existe-t-il réellement aucun risque d’insertion du vecteur dans des zones activant des oncogènes et/ou des proto-oncogènes ?

Comme les rétrovirus murins classiques, les lentivirus s’intègrent dans les régions de chromatine active, dans ou à proximité des séquences codantes des gènes. Cette intégration se fait au hasard et des insertions au voisinage immédiat d’oncogènes existent effectivement sans pour autant conduire à une génotoxicité. Dans ce domaine les vecteurs lentiviraux semblent plus sûrs que les rétrovirus murins et les modifications apportées aux séquences utilisées permettent également d’augmenter la sécurité.

M. Gérard MILHAUD

Vos patients sont-ils soumis au traitement imunosuppresseur ou est-il possible de l’interrompre à un stade du traitement ?

Nos patients ne reçoivent pas de traitement immunosuppresseur. La greffe est réalisée après myéloablation complète (pour que la reconstitution se fasse à partir des cellules corrigées injectées). Ce conditionnement myéloablatif par l’association busulfan et cyclophosphamide entraîne la remise à zéro du système immunitaire après greffe et rend inutile l’immunosuppression après greffe.

M. Pierre RONDOT

L’évolution des formes adulte d’adénomyéloneuropathie n’a pas toujours la sévérité dont vous avez parlé : dans les cinq cas publiés il y a 17 ans grâce à Moser de Baltimore, trois menaient une vie quasi normale. Le plus âgé est mort après 60 ans d’une complication cardiaque, comme c’est fréquent. Y aurait-il un moyen génétique pour dépister les formes d’évolution grave ?

La forme adulte d’ALD appelée adrénomyéloneuropathie (AMN) touche les hommes entre 20 et 50 ans et environ 65 % des femmes conductrices après l’âge de 40 ans. Dans sa définition stricte, l’AMN ne touche que la moelle épinière conduisant à une paraparésie spastique plus ou moins sévère. Dans un tiers des cas, l’évolution de la paraplégie spastique est sévère conduisant à la perte complète de la marche en moins de cinq ans.

Dans deux tiers des cas, elle conduit à un sévère handicap moteur en dix à quinze ans.

Certains hommes atteints d’AMN ont en effet peu de symptômes de paraparésie spastique à l’age de 60 ans. Le pourcentage de patients AMN quasiment asymptomatique après l’âge de 60 ans est cependant extrêmement faible. Par ailleurs, 35 % des hommes atteints d’AMN développent avant l’âge de 40 ans une atteinte cérébrale démyélinisante qui a le même sombre pronostic que chez les garçons. Les femmes conductrices ne développent jamais d’atteinte cérébrale. Il n’y a toujours pas de marqueurs, génétiques ou autres, qui permettent de prédire le phénotype (forme cérébrale vs AMN) et encore moins sa sévérité. Des recherches sont cependant en cours dans ce domaine.

M. Jean-Jacques HAUW

Les cellules du système monocyte-macrophage intracérébral sont habituellement distinguées en cellules microgliales, issues d’une migration très précoce et les cellules circulantes qui ne pénètrent en nombre le tissu nerveux central que lorsqu’il existe une rupture de la barrière hémato-encéphalique, notamment en cas de syndrome inflammatoire. Vous avez montré, chez vos patients, la régression de la rupture de la barrière hémato-encéphalique, très probablement liée à la régression du syndrome inflammatoire qui caractérise l’adrénoleucodystrophie. Pensez-vous que, dès lors, l’efficacité du traitement persistera ?

Le passage de précurseurs myéloides circulants issus de la moelle osseuse dans le cerveau dépend en effet de nombreux facteurs encore mal connus : l’intégrité de la barrière hémato-cérébrale mais aussi l’état « inflammatoire » au sens très large du terme (chimiokines/cytokines) du cerveau. On n’a aucune donnée sur la demi-vie des cellules microgliales/macrophages cérébraux qui ont comme origine, ces précurseurs myéloides.

Il est probable qu’en dehors de toute pathologie cérébrale un certain renouvellement de microgliales/macrophages cérébraux a lieu après que le développement du cerveau soit achevé. chez plusieurs patients ALD ayant subi une greffe de moelle osseuse allogénique dans l’enfance pour une atteinte cérébrale démyélinisante inflammatoire, un recul de plus de vingt ans permet aujourd’hui de démontrer que l’arrêt de la progression de la maladie cérébrale démyélinisante obtenu deux ans après greffe s’est maintenu plus de dix-huit ans plus tard. Sauf si l’on observait une extinction de l’expression de transgène encodé par le vecteur lentiviral, il n’y a aucune raison de penser que la situation soit différente après thérapie génique. On a par ailleurs l’expérience que la greffe allogénique de moelle osseuse est efficace dans les formes cérébrales d’ALD même quand il n’existe pas d’évidence de rupture de la barrière hémato-cérébrale, du moins sur la base d’une absence de prise de contraste des lésions de démyélinisation après injection de gadolinium en IRM cérébrale.

M. Emmanuel-Alain CABANIS

L’imagerie RMN présentée montre, dans l’évolution du patient P1, une réduction du haut signal hémisphérique bilatéral. Vous nous avez dit que la fermeture de la barrière, attestée par le non rehaussement du signal après injection de Gd iv, était intervenue rapidement, démontrant la réduction première de l’inflammation. Quelle fut, dans cette séquence, la date possible de l’évènement « rémyélinisation » oligodendrocytaire, avec normalisation du signal de la substance blanche et régression clinique partielle du tableau neurologique déficitaire ? Nous savons, par ailleurs, que la spectroscopie du myoinosilal, en IRM, peut en être, parfois un témoin. En avez-vous eu la trace ?

Notre expérience de la greffe allogénique de moelle osseuse depuis vingt ans ne suggère pas à l’évidence la possibilité d’un phénomène de remyélinisation au sens vrai du terme.

Le premier effet neuroradiologique observable après greffe allogénique de moelle osseuse ou thérapie génique est en effet la disparition du rehaussement de l’hypersignal dans la substance blanche après injection de Gd iv (entre trois et neuf mois après greffe ou thérapie génique) ; puis ensuite un arrêt de l’extension de cet hypersignal anormal qui survient douze-dix-huit mois après greffe allogénique de moelle osseuse ou thérapie génique. Une fois cette stabilisation obtenue, il est rare d’observer une régression significative de l’extension de cet hypersignal. Quand celle-ci est obervée, il faut rester prudent sur sa signification, les plages d’hypersignal n’étant que le reflet de la densité de protons du tissus. Nous avons en effet recherché des indices possibles de remyélinisation par SRM. Ces analyses nous ont donné des résultats très contradictoires, parfois en faveur (mais très limités), le plus souvent pas du tout. Possiblement parce que la mesure quantitative dans les voxels étudiés n’était pas assez sensible.

M. Jacques CAEN

Comment la barrière hémato encéphalique est-elle perméable ? Que signifie l’inflammation de la barrière et la perméabilité ? Comment l’appréciez-vous ? Pourquoi ne pas utiliser de sang de cordon, peut-être avec des cellules primitives conjonctives de la gelée de Wharton ?

Dans vos deux cas de thérapie génique, l’un grade 2 et l’autre grade 7, vous avez les mêmes résultats sur l’intégration dans leurs leucocytes. Comment l’expliquez-vous ?

Affirmer que la barrière hémato-cérébrale est perméable dans l’ALD repose uniquement sur le rehaussement de l’hypersignal anormal de la substance blanche après injection intraveineuse de Gadolinium. Des études plus sophistiquées de neuro-imagerie semble cependant indiquer que l’unité hémato-cérébrale n’est pas intacte dans l’ALD. Par ailleurs, et même à un stade précoce, on sait qu’il existe des signes de neuro-inflammation qui sans rendre complètement perméable la barrière hémato-cérébrale peuvent très certainement en modifier la fonction. Des greffes allogéniques de sang de cordon HLA compatibles ont été réalisées dans l’ALD depuis plus de dix ans, avec la même efficacité qu’une greffe réalisée avec de la moelle osseuse totale ou des cellules CD34+ de donneurs HLA compatibles, que ces cellules aient été prélevées de leur moelle osseuse ou par cytaphérèse après stimulation par G-CSF. Pour les deux patients traités, le profil d’inté- gration du vecteur lentiviral dans le génome était identique : insertion du vecteur dans certaines régions chromosomiques, dans la partie codante des gènes et pas leur promoteur sans effet de l’insertion du vecteur sur la clonalité de l’hématopoïèse. Le patient P2 a eu un peu plus de cellules souches hématopoïétiques corrigées que le premier, expliquant un pourcentage plus élevé de globules blancs exprimant la protéine ALD encodée par le vecteur lentiviral. La raison ? On n’en sait rien du tout. On ne maîtrise pas en fait la correction des cellules souches hématopoïétiques lors du processus de transduction des cellules CD34+ que l’on réalise ex vivo dans le laboratoire avec le vecteur lentiviral.

M. Bernard PESSAC

Quel est le rapport entre l’ALD et la fermeture de la barrière HE après traitement ? Quels sont les marqueurs qui définissent les cellules utilisant l’ALD comme les cellules microgliales ?

Concernant la BHE, voir les réponses aux questions de Jean-Jacques Hauw et de Jacques Caen. Les marqueurs de microglie que l’on utilise le plus souvent sont Iba1 et CD68.

M. Jean-Luc de GENNES

Dans le sang circulant chez ces enfants traités, retrouvez-vous des copies ARN du VIH ?

Non, nous ne retrouvons pas de copies ARN du VIH. Le vecteur dérivé du VIH est un virus modifié, non replicatif Un ensemble de tests très sensibles a été mis au point pour vérifier l’absence d’ARN viral dans le stock de vecteur utilisé, dans les cellules transduites puis dans le sang des patients traités. Ces tests sont négatifs.

M. Pierre GODEAU

La grande presse comme la presse médicale a salué unanimement l’exploit technique remarquable qui fait honneur à la France. Toutefois le prix de revient actuel a été évalué à 2 300 000 euros par patient, ce qui laisse perplexe sur les possibilités économiques de faire face à une extension des indications. Ce chiffre est-il exact ?Qu’en pensez-vous ?

Je ne sais pas d’où vient ce chiffre. La totalité de l’essai, depuis les tout début de la preuve de concept en 1999 jusqu’au traitement des trois premiers patients a couté environ quatre millions d’euros. Ceci ne représente pas évidemment le coût du traitement proprement dit pour un enfant. On peut estimer que le coût du traitement est d’environ 500 000 euros tout compris, la moitié de cette somme étant due au coût de production du vecteur lentiviral. C’est beaucoup moins que certains traitement comme l’enzymothérapie intraveineuse qui coûte entre 200 et 400 000 euros par patient par an. Et ceci à vie ! On peut s’attendre à ce que les progrès dans la production de vecteur lentiviral et l’augmentation de la demande dans ce domaine fassent baisser très sensiblement les coûts de production de vecteur dans les années à venir.

MM. Jacques BATTIN et Denys PELLERIN

Vos résultats sont très encourageants dans cette maladie jusqu’ici épouvantable. Votre laboratoire sera-t-il en mesure de répondre au traitement précoce des cas français et extérieurs ? Si la thérapie génique appliquée précocement s’avère vraiment efficace, modifierait-elle l’attitude précédente qu’était l’IMG après diagnostic prénatal chez les garçons porteurs de l’allèle X muté ? Quel conseil donneriez-vous, aujourd’hui, à une famille frappée par l’adénoleucodystrophie justifiant le DPI et le tri d’embryon ?

Avec les couples qui viennent nous voir, nous raisonnons toujours de deux façons.

D’abord comme s’il n’y avait pas de traitement à proposer si le garçon né était atteint d’ALD. On propose d’abord un DPN classique (ponction de trophoblaste à la onzième semaine). Pour des raisons d’accès à ce type de dépistage, le DPI n’est proposé en général qu’aux femmes qui ont dû faire deux interruptions « thérapeutiques » de grossesse après DPN classique ayant conduit au diagnostic d’un fœtus mâle atteint. Mais c’est au cas par cas. Cependant, lors de la même consultation, on discute ensuite le fait que, si l’on ne faisait pas de DPN ou DPI et que le garçon à naître soit atteint d’ALD, il y aurait aujourd’hui deux options thérapeutiques possibles: une greffe classique allogénique de moelle osseuse ou la thérapie génique en l’absence de donneur. La décision prise par les couples dépend beaucoup du contexte familial, du vécu personnel de la femme vis-à-vis de cette maladie. Jusqu’ici, la plupart du temps, quand ces femmes ont perdu déjà un petit garçon d’une forme cérébrale d’ALD ou même lorsqu’elles ont directement vécu ce qu’est cette redoutable maladie quand elles ont perdu soit leur père, soit leur frère d’une forme cérébrale d’ALD, leur décision est d’opter pour un DPN ou un DPI. Ce que l’on comprend assez facilement. Il est probable cependant que la réflexion de ces couples changera petit à petit si l’on confirme sur un plus grand nombre d’enfants traités, l’efficacité et l’innocuité de la thérapie génique.

 

<p>* Inserm U745, Faculté de Pharmacie, 4, avenue de l’Observatoire, 75006 Paris, e-mail : nathalie.cartier@inserm.fr Tirés à part : Docteur Nathalie Cartier, même adresse Article reçu et accepté le 1er février 2010</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2010, 194, no 2, 255-268, séance du 9 février 2010