Communication scientifique
Séance du 6 mai 2003

Thérapie génique dans le traitement des métastases hépatiques de cancers colorectaux

MOTS-CLÉS : adenoviridae. metastase tumeur.. therapie genique. tumeur colorectale
Gene therapy for colorectal liver metastases
KEY-WORDS : adenoviridae. colorectal neoplasms. gene therapy. neoplasms metastasis.

N. Habib, S. Jensen

Résumé

Au début des années 1990, la thérapie génique est apparue comme une nouvelle modalité thérapeutique pour de nombreux cancers incluant les métastases des cancers colorectaux. Dix ans plus tard, l’enthousiasme initial a été tempéré notamment à la suite de la mort d’un patient recevant une thérapie génique basée sur l’adénovirus en Pennsylvanie. Plus récemment, une leucémie a été mise en évidence chez un enfant traité par thérapie génique pour un syndrome d’immunodéficience sévère. Ces constatations sonnent-elles le glas de la thérapie génique ? Dans cet exposé, nous évaluerons la place de la thérapie génique dans le traitement des métastases hépatiques d’origine colorectale et nous décrirons quelle approche nous semble la plus appropriée afin d’obtenir un succès chez ces patients. Plusieurs études publiées dans ce domaine seront citées. En définitive, bien que la thérapie génique n’ait pas démontré son efficacité chez les patients porteurs de métastases hépatiques des cancers colorectaux, elle pourrait constituer une voie d’avenir.

Summary

In the early 1990s gene therapy had the promise of a new therapeutic modality for many types of cancer including colorectal liver metastases. At the end of that decade the outlook was less encouraging following the death of a patient receiving adenovirus in Pennsylvania. Today the prospect is very bleak following the discovery of leukaemia in children treated for SCiD syndrome in France. Does this mean the start and fall of gene therapy ? In this article the concept of gene therapy for colorectal liver metastases will be reviewed. Studies in this field will be cited. It is clear that there are several obstacles to surmount. It is difficult to foresee whether gene therapy will succeed in the clinics in patients with colorectal liver metastases. In this article the author will describe the systematic approach which might lead to success of gene therapy in these patients. In short, gene therapy so far has failed in patients with colorectal liver metastases. However it might succeed in the future. The jury is still out !

INTRODUCTION

La recherche en cancérologie a été marquée à la fin du siècle dernier par de nombreuses découvertes qui ont enthousiasmé les scientifiques et la communauté médicale. Chaque décennie était marquée par de nouvelles idées et de nouveaux concepts qui généraient de nouveaux espoirs pour permettre aux médecins de diagnostiquer le cancer à un stade très précoce et de le traiter efficacement avec d’excellents résultats. L’apparition de la biologie moléculaire au cours des 3 derniè- res décennies a permis d’identifier de nouveaux facteurs pronostiques tumoraux mais aussi d’étudier la cancérogenèse ou encore l’immortalisation de cellules à visée thérapeutique. Au cours des années 80, la découverte des oncogènes tels que myc ou ras suscitait de grands espoirs. Ces espoirs ont été par la suite confortés par la découverte du gène suppresseur de tumeur p53 et du gène du rétinoblastome. De plus, la compréhension du cycle cellulaire puis la découverte des gènes des cytokines ont contribué à maintenir l’enthousiasme des scientifiques et des médecins. Au cours des 5 dernières années, de nouvelles techniques permettant de mieux comprendre le génome puis l’expression protéique sont venues étayer les connaissances acquises dans la cancérogenèse.

Modes d’actions

Le concept de thérapie génique est basé sur plusieurs possibilités d’action :

— la première est de remplacer les gènes défectueux, en réintroduisant un gène normal codant par exemple pour la protéine p53 dans des cellules portant un gène muté ou délété dans le but d’induire l’apoptose ou de conduire à l’arrêt du cycle cellulaire ;

— la deuxième est de bloquer l’expression des oncogènes en utilisant des ADN anti-sens dirigés par exemple contre l’oncogène ras, myc ou cyclin D ;

— la troisième est d’introduire dans les cellules des gènes stimulant l’expression du système immunologique tels que les gènes codant pour l’interféron ou des interleukines ;

— la dernière possibilité est d’introduire dans les cellules tumorales, un gène codant pour une drogue cytotoxique dont l’activation est dépendante d’un cofacteur comme par exemple le Ganciclovir pour l’activation de la thymidine kinase ou la cytosine deaminase convertissant la prodrogue 5fluoro-cytosine en drogue active 5fluoro-uracile.

Thérapie génique et cancer colorectal

La thérapie génique a été étudiée dans le traitement des patients porteurs de métastases hépatiques de cancers colorectaux [1-4] En effet, plus de 70 % de ces patients ne sont pas éligibles pour une résection hépatique. Afin de prolonger la survie des patients, de nombreuses thérapeutiques ont été proposées reposant principalement sur la chimiothérapie. Malgré l’apparition de nouvelles drogues et protocoles, les résultats sont restés décevants avec des taux de réponse souvent inférieurs à 50 % et une survie actuarielle à 3 ans inférieure à 20 %. Deux études ont été publiées dans le domaine de la thérapie génique [3-4], utilisant un adénovirus injecté par l’artère hépatique pour les patients présentant des métastases colorectales bilobaires. Ces 2 études ont montré la faisabilité de cette technique. Il n’y avait pas de mortalité et très peu d’effets secondaires. Certains patients ont répondu biologiquement avec une diminution du taux d’ACE. Toutefois les résultats morphologiques étaient moins probants. La plupart des patients présentaient une stabilisation des lésions après traitement mais peu d’entre eux révèlaient une diminution de la taille des tumeurs. Un suivi au long cours de ces patients avait montré que la majorité développait une nouvelle progression de leur maladie conduisant à leur décès. Les causes d’échecs dans ces 2 études sont multiples :

• tout d’abord, il s’agissait de patients avec des métastases hépatiques diffuses associées à l’existence de métastases extra-hépatiques (poumon et moelle osseuse) ;

• les vecteurs destinés à introduire l’adénovirus dans les cellules n’étaient pas spécifiques des cellules tumorales conduisant ainsi à une diminution de concentration au niveau des cellules tumorales ;

• la plupart des vecteurs restaient au niveau du foie et ne passaient pas dans la circulation systémique, ce qui aurait permis de cibler les cellules tumorales localisées soit dans la moelle osseuse soit dans les poumons ou dans d’autres organes ;

• le vecteur utilisé n’arrivait pas à induire la mort des cellules tumorales.

Perspectives d’avenir

Bien que plus de 10 années se soient écoulées aucun succès clinique manifeste n’a été obtenu et des efforts doivent être poursuivis afin de surmonter les obstacles précé- demment cités.

Les solutions peuvent être :

• la construction d’un vecteur qui ciblerait uniquement les cellules tumorales sans cibler les hépatocytes normaux par un tropisme spécifique avec un récepteur présent sur la membrane cellulaire des cellules tumorales et non des hépatocytes normaux. Cette approche n’est pas aisée car il existe peu d’antigènes spécifiques des cellules tumorales. Toutefois, de plus en plus de molécules exprimées uniquement au niveau des membranes cellulaires des cellules tumorales sont décrites.

Actuellement, l’adénovirus se rapprochant le plus de cette optique est un adénovirus où le vecteur a été génétiquement modifié afin qu’il cible le récepteur membranaire RGD qui est exprimé majoritairement sur les néo-vaisseaux pré- sents au sein des tumeurs ;

• l’élaboration d’un adénovirus qui ne stimulerait pas le système immunitaire de l’hôte afin de pouvoir réaliser des injections répétées. Ainsi, des travaux récents en France et en Angleterre ont mis en évidence l’épitope qui stimule la production d’anticorps chez l’homme à la suite de l’injection d’adénovirus. La construction de nouveaux vecteurs modifiés génétiquement n’exprimant pas cet épitope pourrait permettre d’administrer l’adénovirus sans induire le développement d’anticorps ;

• l’élaboration d’un adénovirus qui exprimerait le gène modifié uniquement en présence des cellules tumorales. Ceci peut être réalisé en ajoutant un promoteur qui activerait électivement le gène médié par l’adénovirus uniquement dans la cellule tumorale qui n’aurait alors d’effet toxique que dans la cellule tumorale. Un exemple pourrait être l’utilisation de l’antigène spécifique de la prostate (PSA) comme promoteur contrôlant l’expression soit de cytokines, soit d’ADN antisens, l’activation de gène suppresseur de tumeur ou bien même l’activation d’un gène suicide dans les cellules cancéreuses prostatiques.

En conclusion , la thérapie génique est-elle un concept réaliste ? Oui, car il a été démontré que la thérapie génique peut être utilisée dans le traitement du syndrome d’immunodéficience sévère chez l’enfant ainsi que chez les patients hémophiles.

Cependant de nombreux obstacles doivent être surmontés avant que la thérapie génique ne devienne une réalité thérapeutique. De plus elle n’a pas démontré son innocuité. A-t-elle démontré son efficacité dans le cancer ? Non, pas encore. Mais dans le futur lorsque les problèmes que nous avons soulevés seront résolus, elle représentera très certainement une nouvelle voie thérapeutique prometteuse.

REMERCIEMENTS

Nous remercions la fondation de charité Pedersen pour le support financier de notre programme de recherche de thérapie génique dans le traitement du cancer.

BIBLIOGRAPHIE [1] HABIB N.A., SARRAF C.E., MITRY R.R., HAVLIK R., NICHOLLS J., KELLY M., VERNON CC, GUERET-WARDLE D., EL-MASRY R., SALAMA H., AHMED R., MICHAIL N., EDWARD E., JENSEN S.L. — E1B deleted adenovirus ( dl 1520) gene therapy for patients with primary and secondary liver tumours.

Human Gene Therapy, 2001, 12 , 219-226.

[2] WARREN R.S., KIRN D.H. — Liver-directed viral therapy for cancer p53-targeted adenoviruses and beyond. Surg Oncol Clin N Am, 2002 Jul, 11(3) , 571-88, vi. Review.

[3] REID T., GALANIS E., ABBRUZZESE J., SZE D., WEIN L.M., ANDREWS J., RANDLEV B., HEISE C., UPRICHARD M., HATFIELD M., ROME L., RUBIN J., KIRN D. — Hepatic arterial infusion of a replication-selective oncolytic adenovirus (d11520) : phase II viral, immunologic, and clinical endpoints. Cancer Res., 2002 Nov 1, 62(21) , 6079-9.

[4] REID T., GALANIS E., ABBRUZZESE J., SZE D., ANDREWS J., ROMEL L., HATFIELD M., RUBIN J., KIRN D. — Intra-arterial administration of a repli9cation —selective adenovirus (d1152) in patients with colorectal carcinoma metastatic to the liver : a phase I trial. Gene Ther., 2001 Nov, 8(21) , 1618-26.


* Department of Surgical Oncology and Technology, Imperial College Hammersmith Hospital Campus, London, United Kingdom. Tirés-à-part : Professeur Nagy HABIB, à l’adresse ci-dessus. Article reçu le 14 mars 2003, accepté le 7 avril 2003.

Bull. Acad. Natle Méd., 2003, 187, n° 5, 893-897, séance du 6 mai 2003