Résumé
La place des tests pharmacogénétiques en pratique médicale courante reste encore limitée. Environ 750 tests ont été pratiqués en routine en 2004-2005 dans les quatre laboratoires de l’AP-HP qui les réalisent. Cette demande est bien inférieure à celle réalisée par un laboratoire allemand comme celui de Stuttgart (7 000 par an). Les principaux tests concernent des enzymes du métabolisme : thiopurine méthyl-transférase, UDP — glucuronosyltransferase 1A, cytochrome P450 2C9, 2C19, 2D6 ou une cible des anticoagulants oraux comme la vitamine K epoxyde réductase. La demande de ces tests va se développer dans un futur proche car ils permettent une adaptation individuelle des traitements ce qui entraîne une amélioration du bénéfice et une diminution du risque des médicaments. Ce développement concernera en priorité les médicaments à risque toxique élevé (anticancé- reux, immunosuppresseurs, anticoagulants) ou à grande variabilité interindividuelle de réponse (antipsychotiques, antidépresseurs). Les firmes pharmaceutiques, soutenues par les agences d’enregistrement, réalisent maintenant ces études pharmacogénétiques chez les patients participant aux essais cliniques et aux études pharmacoépidémiologiques des médicaments. Pouvoir identifier des marqueurs génomiques individuels d’activité (réponse au traitement) ou de risque (toxicité) bouleversera rapidement le développement des nouveaux médicaments.
Summary
Pharmacogenetic tests can identify the role of genetic factors in the inter-individual variability of drug responsiveness. This variability can involve three systems, namely drug-metabolizing enzymes, transmembrane drug transporters, and drug effector sites (receptors, enzymes, ion, channels, etc.). At present, pharmacogenetic testing is rarely used in clinical practice. A rapid survey of the four laboratories conducting such tests for Paris hospitals shows that about 750 tests were done during a 12-months period in 2004-2005, and that most focused on allelic variants of drug-metabolizing enzymes. Three other European laboratories perform between 25, and 7.000 tests per year. However, the number of pharmacogenetic tests is set to grow rapidely in the near future. The role of genetic factors in adverse drug reactions (ADR) has not yet been the subject of a systematic study. Drug-drug interactions that inhibit or induce certain enzyme activities are a major cause of adverse ractions, but they have not been exhaustively studied. Pharmacogenetic and pharmacogenomic tools are increasingly used in the drug development process. This should result in the discovery of new therapeutic targets and in a better understanding of factors governing drug efficacy and tolerability. DNA samples are already collected systematically in many phase II and III clinical trials, and registration agencies such as the FDA are establishing guidelines for the submission of pharmacogenetic data on new dugs. These efforts, together with DNA samples collection during post-registration pharmacoepidemiological studies, should help to understand inter-individual variability in drug efficacy and tolerability. They may also result in the identification of new drug targets and will help to tailor therapy to the individual patient.
PLACE EN PRATIQUE MÉDICALE COURANTE SITUATION ACTUELLE
Les tests pharmacogénétiques qui peuvent être pratiqués chez des patients afin d’optimiser la posologie des médicaments et le suivi des traitements ne sont pas encore très nombreux et la demande des médecins est encore limitée. A titre d’exemple, dans les hôpitaux de l’AP-HP, seuls quatre laboratoires réalisent en routine ces tests : le laboratoire de pharmacologie de l’hôpital Cochin-St Vincent de Paul (Gérard Pons et Jean-Marc Treluyer), le laboratoire de Biochimie de l’Hôpital Européen Georges Pompidou (Philippe-Henri Beaune), le laboratoire de pharmacologie de l’hôpital St-Antoine (Patrice Jaillon et Laurent BECQUEMONT) et l’unité fonctionnelle de pharmacogénétique de l’hôpital de Bicêtre (Laurent BECQUEMONT).
Les tests pharmacogénétiques les plus fréquemment demandés sont les suivants :
— Thriopurine -S- méthyl transférase (TPMT). Cet enzyme responsable de la S-méthylation des immunosuppresseurs, azathioprine et 6 mercaptopurine, présente un polymorphisme génétique. Dans la population caucasienne, 0,3 % des personnes sont homozygotes mutées pour les 3 SNP fonctionnels du gène TPMT et 6 à 11 % sont hétérozygotes. Un phénotype métaboliseur lent est observé chez les sujets homozygotes mutés et le phénotype de métabolisation est intermédiaire chez les hétérozygotes. Il en résulte un risque d’accumulation de métabolites toxiques, les
6 thioguanines nucléotides. Ces métabolites entraînent un fort risque de toxicité médulaire avec neutropénie qui impose de réduire considérablement les doses de médicaments.
— UDP-glucuronosyltransférase 1A1 (UGT 1A). Cet enzyme présente un polymorphisme génétique avec un phénotype métaboliseur lent chez 10,9 % des caucasiens qui affecte le métabolisme de l’irinotecan, anticancéreux, et peut être responsable d’une augmentation de la toxicité du médicament. C’est cet enzyme responsable de l’élimination de la bilirubine glucuroconjuguée qui est déficient dans la maladie de Gilbert.
— Cytochrome P450 2D6 (CYP 2D6) Ce cytochrome représente une des voies principales du métabolisme des médicaments antidépresseurs, neuroleptiques, beta-bloquants et antiarythmiques ainsi que de la codéine. Un phénotype métaboliseur lent est présent chez 7 % des caucasiens [1]. Les tests génotypiques de ce CYP ont été proposés pour adapter la posologie des médicaments indiqués ci-dessus.
— Cytochrome P450 2C9 (CYP 2C9) Ce cytochrome est la principale voie métabolique des anti-inflammatoires non stéroïdiens, d’un anti-épileptique la phénytoine, des sulfamides hypoglycémiants comme le tolbutamine, d’un antagoniste des récepteurs à l’angiotensine de type 1, le losartan et des médicaments anticoagulants oraux coumariniques (Coumadine ® et Sintrom ®) et dérivés de l’indanedione (Previscan ®). Un phénotype métaboliseur lent présent chez 0,7 à 1 % des caucasiens entraîne un risque de surdosage avec ces médicaments et donc un risque hémorragique.
— Vitamine K epoxyde réductase (VKORC 1) Notre équipe, grâce aux travaux dirigés par L. Becquemont, a montré qu’il existait un polymorphisme génétique dans le promoteur du gêne VKORC 1 qui contrôle la synthèse de l’enzyme [2]. Or cet enzyme est nécessaire au recyclage de la vitamine K dans le foie, étape indispensable à la synthèse et à l’activation de quatre facteurs de la coagulation (prothrombine, proconvertine, facteur stuart, facteur antihémophilique B). L’association des deux variants alleliques (VKORC 1 et CYP 2C9 *3) augmente d’un facteur 10 le risque de surdosage et d’hémorragie lors d’un traitement anticoagulant oral [3].
— Cytochrome P450 2C19 (CYP 2C19) Ce cytochrome représente une des voies métaboliques principales des benzodiazé- pines, des médicaments antidépresseurs et des médicaments inhibiteurs de la pompe à proton comme l’omeprazole.
Les autres tests pharmacogénétiques sont plus rarement effectués. Ils concernent les cytochromes P450 3A4 ; 3A5, 2B6, les glutathion et sulfotransférases, le gène MDR1 qui contrôle la synthèse du transporteur P glycoprotéine, la dihydropyrimidine déshydrogénase qui est impliquée dans la toxicité du 5 —fluorouracile.
Un rapide sondage réalisé auprès des quatre laboratoires parisiens impliqués dans ces tests de routine montre qu’en 2004-2005, le nombre total des tests demandés par les cliniciens sur douze mois a été de l’ordre de 750. Ces laboratoires prévoient une augmentation de la demande de génotypage dans différents domaines :
• CYP 2C9 et VKORC 1 pour l’adaptation posologique des anticoagulants oraux • CYP 3A5, 3A4, MDR1 et UGT 1A9 pour le suivi du traitement immunosuppresseur chez les transplantés • TPMT pour l’adaptation posologique de l’azathoprine ou de la 6 — mercaptopurine dans les leucémies de l’enfant et les maladies inflammatoires chroniques du tube digestif (crohn) • Glutathion et sulfotransférases dans le suivi des médicaments anti-cancéreux, • CYP 2B6 pour le suivi du traitement par l’efavirenz • Dihydropyrimidine desydrogénase pour le traitement par le 5 —FU.
Par ailleurs le génotypage HLA pourrait être développé dans l’étude des facteurs d’immuno-toxicité des médicaments. En revanche, le test génétique de la N — acétyl — transférase 2 qui contrôle l’acétylation de l’isoniazide n’est plus pratiqué dans la mesure où la valeur prédictive positive de survenue d’hépatotoxicité est faible et ne justifie pas de génotypage systématique.
Nous avons de même interrogé des laboratoires qui réalisent le même type de tests pharmacogénétiques en Allemagne à Stuttgart (M. Eichenbaum) et à Erlangen (M.
Fromm) ainsi qu’au Danemark à Odensee (K. Brosen).
Les mêmes tests que ceux réalisés à Paris sont pratiqués dans ces trois laboratoires.
Le nombre de tests pratiqués varie de 7000 par an à Stuttgart (principalement génotypage de TPMT, 150 à 200 demandes par semaine) à 25 par an à Erlangen et Odensee.
Prévision d’évolution
Il est difficile de chiffrer exactement l’évolution de la demande de tests pharmacogénétiques dans les cinq prochaines années. Mais on peut faire l’hypothèse qu’à la fois l’offre et la demande de tests vont augmenter et que le nombre de tests réalisés chaque année va croître de façon significative (de l’ordre + 25 % à 50 % par an). Les moteurs de cette croissance sont les suivants :
Augmentation de l’offre
Les laboratoires de pharmacologie tendent à diversifier leurs activités afin de proposer aux cliniciens des nouveaux moyens de réaliser un suivi pharmacothérapeutique intelligent des traitements. Les dosages des médicaments et/ou de leurs métabolites constituent la base de ce suivi. Cependant lorsqu’un test pharma-
cogénétique a montré qu’il était capable d’identifier, dans une population de patients, un groupe à risque soit d’inefficacité, soit de toxicité du médicament, ce test, réalisé à un coût désormais très faible, permet de prévoir la réponse au traitement et d’adapter la posologie dès les premiers jours de la prise en charge thérapeutique du patient. Surtout, le test génotypique est aujourd’hui beaucoup plus simple à réaliser qu’un test phénotypique qui nécessite d’administrer au patient une dose traçeuse d’un médicament et de prélever du sang ou des urines dans les heures qui suivent afin d’y doser les concentrations du produit parent et des métabolites.
Il faut néanmoins reconnaître que cette augmentation de l’offre des tests de génotypage sera conditionnée par la vitesse d’acquisition des nouvelles connaissances scientifiques dans ce domaine, et, singulièrement, par les résultats des essais cliniques où ces tests seront pratiqués et évalués.
Augmentation de la demande
Même s’il faut un certain nombre d’années pour qu’une découverte scientifique se traduise par une modification de la pratique courante de la médecine, on peut faire l’hypothèse que la demande de tests de génotypage de la part des cliniciens va augmenter des les années proches et ce pour plusieurs raisons :
La première raison est que le suivi pharmaco-thérapeutique des traitements est déjà largement entré dans la pratique. Médecins et patients admettent parfaitement aujourd’hui l’idée qu’il est utile de mesurer les concentrations plasmatiques des médicaments afin d’améliorer l’efficacité et de diminuer la toxicité des traitements.
La deuxième raison correspond justement à l’exigence de résultats à laquelle sont confrontés les médecins. Plus d’efficacité pour moins de toxicité potentielles sont de plus en plus demandées par les patients et les tests pharmacogénétiques peuvent répondre à cette exigence.
La troisième raison est que la disponibilité et la proximité des laboratoires de dosage facilitent considérablement la mise en place de nouveaux tests diagnostiques ou thérapeutiques. À ce titre, les laboratoires de pharmacologie présents dans tous les CHU doivent participer au développement de ces tests pharmacogénétiques dont le coût a considérablement diminué.
La quatrième raison est que le résultat des essais cliniques, dans une médecine fondée sur les preuves, constitue aujourd’hui la référence en termes de bon usage des médicaments. Lorsque les cliniciens ont en main les résultats d’essais cliniques qui montrent l’intérêt d’un nouveau test biologique, ils l’intègrent rapidement à leurs pratiques courantes.
Même s’il est difficile de chiffrer aujourd’hui l’évolution de la demande en tests pharmacogénétiques, il est évident que pour les raisons énumérées ci-dessus cette demande va augmenter dans les prochaines années.
TESTS PHARMACOGENETIQUES ET EFFETS INDESIRABLES DES MEDICAMENTS
Le rôle des facteurs métaboliques entraînant des interactions médicamenteuses et un risque d’effets indésirables des médicaments est connu depuis longtemps. En revanche le rôle des facteurs génétiques dans la survenue de ces interactions n’est vraiment identifié que depuis une vingtaine d’années [4].
On connaît aujourd’hui le risque d’inhibition de certains enzymes provoquée par des médicaments qui sont le plus souvent des substrats de ces enzymes [1]. Cette inhibition est due généralement à une compétition entre deux substrats au niveau de l’enzyme. Ainsi le cytochrome 3A4 est inhibé par le ritonavir, le diltiazem, le verapamil, l’erythromycine, la clarythromycine et le Ketoconazole, ce qui entraîne un risque d’accumulation des médicaments métabolisés par ce cytochrome s’ils sont prescrits simultanément. À l’inverse il existe des phénomènes d’induction de certains enzymes, le plus souvent d’origine transcriptionnelle, par le phénobarbital, la rifampicine ou la phénytoïne entraînant une augmentation de la vitesse de biotransformation des médicaments métabolisés par ces enzymes.
Si le rôle de ces facteurs génétiques dans le déclenchement d’effets indésirables des médicaments est désormais connu, il n’existe en revanche aucune analyse systématique permettant de quantifier cette activité. On connaît le risque global d’effets indésirables des médicaments chez les patients hospitalisés. Il a été évalué aux USA à 6-7 % des patients présentant des effets indésirables graves et 0,32 % de risque de décès, ce qui correspondrait à 100 000 décès par an aux USA [5].
De même l’étude réalisée en 1999 par les Centres français de Pharmacovigilance avait mesuré une prévalence de 10,3 % de iatrogénie médicamenteuse chez des patients hospitalisés ce qui, par extrapolation, permet d’estimer à 1 300 000 le nombre de patients ayant un effet indésirable médicamenteux au cours d’une hospitalisation [6]. Nous manquons d’études prospectives permettant, dans des populations exposées aux médicaments, de déterminer le rôle des facteurs génomiques dans la survenue des effets indésirables graves. De telles études devraient porter sur trois mécanismes pharmacogénétiques différents [4] :
— Le polymorphisme génétique des gènes impliqués dans le métabolisme et/ou le transport transmembranaire des médicaments — Les variants génétiques à l’origine d’un effet indésirable grave inattendu — Les variations génétiques des sites d’actions des médicaments (récepteurs, enzymes, canaux ioniques) qui modifient la réponse au traitement et le risque d’effet indésirable. Visser et al [7] ont montré par exemple que le risque hémorragique augmentait d’un facteur 3 dans l’interaction entre AINS et anticoagulants oraux en présence du génotype du CYP 2C9 *3 / *3 (avec un phénotype métaboliseur lent). C’est ce type d’étude clinique systématique qui permettra de préciser la
place des facteurs génétiques dans le déclenchement des effets indésirables des médicaments afin d’en minimiser le risque [8].
PLACE DES TESTS PHARMACOGÉNÉTIQUES DANS LE DÉVELOPPEMENT DES NOUVEAUX MÉDICAMENTS
Les tests pharmacogénétiques vont occuper progressivement une place de plus en plus importante aussi bien dans les essais cliniques réalisés avant l’autorisation de mise sur le marché des médicaments (AMM) que dans les études pharmacoépidémiologiques et d’intérêt de santé publique en post-AMM.
Essais cliniques pré-AMM
L’industrie pharmaceutique est confrontée à la mise en cause de son modèle économique actuel : comment développer (donc amener sur le marché) le plus vite possible un médicament innovant qui traite le plus grand nombre de patients avec un rapport bénéfice/risque acceptable ? Ce paradigme du ‘‘ médicament qui peut soigner tout le monde ’’ est remis en question par le développement de nos connaissances génétiques. Tout d’abord, le décryptage du génome humain va déboucher sur l’identification de nouvelles cibles thérapeutiques. On estime que l’industrie pharmaceutique va passer d’environ 500 cibles thérapeutiques connues avant ce décryptage à probablement plus de 5 000 cibles décelables, parmi lesquelles quelques centaines pourraient devenir des cibles pertinentes pour le traitement des maladies humaines [9]. Ensuite, les tests pharmacogénétiques devraient permettre d’identifier et de caractériser dans la population, des patients ‘‘ répondeurs ’’ et des ‘‘ nonrépondeurs ’’.
C’est au début de la phase II des essais cliniques que le nouveau médicament est testé pour la première fois chez des patients. Il est courant de séparer la phase IIA où on cherche à obtenir la preuve d’une efficacité du nouveau médicament dans une pathologie précise de la phase IIB où on cherche à mettre en évidence la relation effet-dose du médicament dans cette pathologie. C’est dans la phase IIB que l’on devra définir la dose seuil d’efficacité thérapeutique (dose minimale efficace) et la dose seuil d’apparition des effets indésirables (dose maximale tolérée). Jusqu’à présent, aussi bien en phase IIA qu’en phase IIB, on raisonne sur des moyennes d’effet mesurées dans des groupes de patients sélectionnés pour présenter la forme la plus homogène de la pathologie traitée. La pharmacogénomique doit être introduite dans la méthodologie de ces essais cliniques de phase IIA et IIB afin d’essayer de caractériser sur le plan génétique les patients ‘‘ répondeurs ’’ en terme d’efficacité thérapeutique et les patients ‘‘ à risque ’’ en terme d’intolérance et d’effets indésirables du nouveau médicament. L’objectif d’une telle évolution conceptuelle serait, au lieu de vouloir traiter tous les patients avec la même dose et le même médicament, d’identifier au contraire des groupes de patients qui ‘‘ répondent ’’ au traitement et d’étudier chez ces patients la relation effet-dose qui sera forcément différente de celle
observée dans le reste des patients (patients peu-répondeurs et patients nonrépondeurs).
La justification de cette évolution est à la fois éthique (ne pas exposer au nouveau médicament des patients qui n’en tireront pas profit) et économique (limiter le nombre des patients inclus dans les grands essais cliniques de phase III). Il n’existe pas encore dans la littérature d’exemple qui aurait de façon prospective, dès la phase II des essais cliniques, suivi ce raisonnement guidé par la pharmacogénomique. Le plus souvent le raisonnement est rétrospectif comme le montre l’exemple de l’identification des patientes atteintes de cancer du sein et répondeures au trastuzumab (Herceptin ®) lorsque et uniquement si la tumeur exprime les récepteurs HER2 [10].
Cependant, et bien que ces études ne soient pas régulièrement publiées, il semble que cette approche pharmacogénomique soit déjà utilisée prospectivement par l’industrie pour le développement de nouveaux médicaments.
C’est ainsi que le laboratoire GSK constitue systématiquement une banque d’ADN pour tous les patients inclus dans les essais cliniques de phase II afin de pouvoir étudier les corrélations — pharmacogénomiques, — pharmacodynamiques, — pharmacocinétiques [9].
Par ailleurs la Food and Drug Administration a déclaré a plusieurs reprises qu’elle se penchait sur ce problème et réfléchissait à l’élaboration de nouvelles recommandations dans ce domaine [11-14].
Études post-AMM
Les études pharmaco-épidémiologiques ou d’intérêt de santé publique sont maintenant demandées par les autorités françaises (DGS, HAS) en post-AMM afin de documenter l’efficacité et la tolérance d’un nouveau médicament lorsqu’il est normalement prescrit dans la pratique médicale usuelle. Ces études sont notamment justifiées lorsque le rapport bénéfice-risque du nouveau médicament n’a pas été formellement et complètement établi en phase III des essais cliniques. Des études de cohortes sont ainsi réalisées qui permettent le suivi et l’observation de patients exposés au nouveau médicament. L’objectif de ces études est d’observer dans la pratique médicale usuelle les conditions de prescription du médicament (doses, populations cibles, durée du traitement), le risque d’apparition d’effets indésirables (associations médicamenteuses, conditions environnementales) et de recueillir la preuve du bénéfice attendu du traitement (évolution de la pathologie, nombre d’événements évités). Dans la population de ces cohortes de patients, il est d’un grand intérêt de constituer des banques d’ADN afin de pouvoir rétrospectivement étudier le génome des patients qui présentent des effets indésirables sévères non attendus ou chez lesquels le médicament apparaît comme très efficace (les sujets ‘‘ répondeurs ’’) ou au contraire inefficace (les sujets ‘‘ non répondeurs ’’). L’intérêt de ces cohortes est qu’elles peuvent inclure plusieurs milliers de patients ce qui augmente la probabilité de voir survenir des effets indésirables rares mais potentiellement toxiques, d’observer des interactions médicamenteuses rares mais potentiel-
lement graves ou de détecter des sous-groupes de patients ‘‘ répondeurs ’’ ou ‘‘ non répondeurs ’’ au traitement. Ces observations rétrospectives peuvent avoir ensuite un impact majeur sur l’indication thérapeutique du médicament comme nous l’avons vu ci-dessus pour le trastuzumab (Herceptin ®) et l’expression des récepteurs HER 2.
CONCLUSION
Les tests pharmacogénétiques vont se développer dans un futur proche afin d’essayer d’améliorer l’efficacité et la sécurité des traitements.
Leur importance dans l’étude des mécanismes déclenchant les effets indésirables graves des médicaments n’est pas encore systématiquement documentée mais devrait faire l’objet à l’avenir d’études prospectives de sécurité.
Enfin l’industrie pharmaceutique, notamment sous l’impulsion de la FDA, est en train d’évaluer la place des tests pharmacogénétiques dans les phases précoces du développement clinique des nouveaux médicaments. La constitution systématique de banques d’ADN dans les cohortes des études post-AMM est d’un intérêt évident et d’un coût abordable pour les industriels. Les études rétrospectives de ces cohortes de patients peuvent mener à l’identification de nouvelles cibles thérapeutiques ou de populations à risque de présenter des effets indésirables graves.
L’approche pharmacogénomique de ces questions permettra d’affiner notre connaissance du rapport bénéfice-risque des nouveaux médicaments et d’améliorer notre approche conceptuelle du difficile problème de la variabilité interindividuelle de la réponse aux traitements.
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DISCUSSION
M. Jean-Paul GIROUD
Vous avez montré, avec l’exemple de la TPMT, qu’il existait pour cette enzyme une excellente corrélation entre le phénotype et le génotype des mutations concernant cette enzyme. Quelles sont les études qu’il faut entreprendre pour savoir si, à l’avenir, il vaut mieux étudier le phénotype ou le génotype des diverses enzymes concernées ? Vous avez dit que l’étude des facteurs génétiques n’expliquait pas toujours la variabilité dans la réponse aux traitements ni la survenue de manifestations toxiques liées au médicament. Comment peut-on faire la part des choses et préciser le rôle respectif des facteurs génétiques et des facteurs environnementaux ?
Il faut réaliser des études systématiques de corrélation entre le génotype des mutations et le phénotype observé chez les patients. En effet, pour pouvoir ensuite recommander de réaliser des tests de génotypage, par exemple pour des enzymes du métabolisme d’un médicament, il faut pouvoir s’assurer de la valeur prédictive du génotype pour le phénotype de métabolisation observé chez les patients. Ces études permettront d’évaluer la valeur prédictive positive (pourcentage de patients chez lesquels la présence de la mutation prédit à coup sûr le phénotype) et la valeur prédictive négative (pourcentage de patients chez lesquels l’absence de la mutation prédit à coup sûr le phénotype) des tests de génotypage. L’intérêt du test de génotypage est qu’il peut être réalisé à un coût modeste dans un certain nombre de laboratoires et qu’il n’est pas soumis à l’influence des facteurs environnementaux (âge, sexe, alimentation, intoxication tabagique, interactions médicamenteuses). Il en est de même pour étudier le rôle respectif des facteurs génétiques et des facteurs environnementaux dans la manifestation d’un phénotype particulier (toxicité du
médicament par exemple). Seules des études systématiques menées dans des populations importantes de patients exposés au médicament permettent d’analyser sérieusement le rôle des facteurs génétiques et des facteurs environnementaux dans la survenue d’un phénotype particulier. Ceci nécessite, lors de la mise en place de ces études, que soit bien prévu le recueil des informations nécessaires concernant l’environnement des patients et le prélèvement d’ADN qui permettra l’analyse des facteurs génétiques. C’est ce qui est maintenant réalisé couramment dans les essais cliniques de phase III avant l’obtention de l’AMM, et dans les études pharmacoépidémiologiques de phase IV après l’AMM.
M. Roger BOULU
Existe-t-il une collaboration entre les laboratoires, au plan local et national ? Quelles en sont les modalités actuelles ?
Se met en place progressivement un réseau national des laboratoires qui réalisent les tests de génotypage mais cette collaboration fondée sur le volontariat ne présente pas encore un caractère systématique et obligatoire. Le groupe de pharmacogénétique de la Société Française de Pharmacologie œuvre en ce sens et les collaborations vont petit à petit se mettre en place. Il serait tout à fait envisageable que dans chaque région sanitaire française, un réseau des laboratoires de génotypage soit officiellement constitué et reconnu par les autorités. Ce réseau permettrait le développement de ces collaborations et la mutualisation des examens de laboratoire dans chaque région. Ce n’est pas encore le cas.
M. Alain LARCAN
Il a été question des métaboliseurs lents et rapides de l’isoniazide, première famille étudiée à ce point de vue. Connaissez-vous des études concernant l’éphédrine et une explication de l’association toxique des macrolides et des dérivés de l’ergot ?
Je ne suis pas personnellement au courant d’études spécifiques consacrées au métabolisme de l’éphédrine mais il est possible que certains laboratoires de toxicologie réalisent ces études dans la mesure où l’éphédrine est classé dans les substances dopantes pour les sportifs. En revanche, l’interaction médicamenteuse entre les macrolides (erythromycine, clarithromycine) et les dérivés de l’ergot de seigle est bien connue. Elle est expliquée par l’effet inhibiteur des macrolides sur l’activité du Cytochrome P-450 3A4 qui métabolise les dérivés de l’ergot. Une telle inhibition entraîne une augmentation des concentrations plasmatiques des dérivés de l’ergot qui peut entraîner des manifestations toxiques chez les patients.
M. Pierre DELAVEAU
La préoccupation de l’influence du génome sur le métabolisme des médicaments doit intervenir dans les démarches industrielles assez tôt pour éviter des déceptions et les ‘investissements coûteux inutiles. N’est-ce pas trop tard en phases II et III ? S’il est possible d’adresser à de gros laboratoires centraux des échantillons pour analyses dépourvues de caractère d’urgence, ne faut-il pas souligner l’intérêt des laboratoires de proximité qui exécutent en urgence des analyses concernant en particulier la coagulabilité du sang ?
En ce qui concerne la première partie de la question, il est clair que dès les premiers essais cliniques de phase 1 chez les sujets volontaires sains (hormis les médicaments anticancé- reux qui en raison de leur toxicité ne sont étudiés que chez des patients cancéreux), des prélèvements systématiques d’ADN sont réalisés afin de chercher les facteurs génétiques qui pourraient expliquer soit une non-réponse pharmacologique soit, au contraire, une toxicité inattendue. Il serait effectivement indispensable de pouvoir individualiser chez l’homme, le plus tôt possible en phase 1, le rôle éventuel de ces facteurs génétiques dans la réponse à un médicament. Tout le monde aurait à y gagner si cela permet d’identifier sur des critères génétiques des populations de sujets ‘‘ répondeurs ’’ ou ‘‘ non répondeurs ’’ ou de sujets à risque de toxicité en présence d’un nouveau médicament. La deuxième partie de la question soulève le problème de la capacité des laboratoires de biologie de réaliser ces tests génotypiques. Les techniques biologiques évoluent très rapidement et le coût des examens diminue progressivement. On peut donc envisager qu’à l’avenir des réseaux de laboratoires regroupent d’une part des laboratoires de proximité capables de réaliser en routine les tests les plus courants et d’autre part des laboratoires centraux ou de référence dans lesquels seraient réalisés des tests plus complexes ou nécessitant une infrastructure adaptée. Ceci nous ramène à la réponse à la question du Pr BOULU.
M. Pierre RONDOT
A-t-on des données récentes concernant l’épuisement de certains médicaments chez un même patient en cours d’évolution ?
Le phénomène d’ ‘‘ épuisement des effets ’’ d’un médicament chez un patient en cours d’évolution de sa maladie est un phénomène complexe qui peut avoir plusieurs causes.
Certaines sont d’ordre pharmacodynamiques. C’est le cas des phénomènes de désensibilisation des récepteurs exposés à des concentrations élevées d’un médicament. Ceci est maintenant bien expliqué par la pharmacologie moléculaire. Mais certaines causes sont d’origine pharmacocinétique lorsque le métabolisme du médicament est auto-induit, c’est à dire lorsque les enzymes responsables du métabolisme du médicament sont activées par le médicament lui-même et le dégradent plus rapidement qu’en début de traitement. Enfin il existe des causes génétiques correspondant à l’apparition de mutations sur un site récepteur qui entraînent une variation de la réponse au traitement. Un tel exemple vient d’être publié par Kobayashi et al. montrant l’apparition d’une résistance au traitement par gefitinib dans un cancer du poumon, résistance qui serait expliquée par la survenue d’une mutation du site récepteur qui n’existait pas avant le début du traitement. Il reste à élucider le lien potentiel entre le médicament lui-même et la survenue de cette mutation.
* Service de pharmacologie, Hôpital Saint-Antoine AP-HP et Faculté de Médecine Pierre et Marie Curie Site Saint-Antoine, Université Paris 6, 27 rue de Chaligny 75012 PARIS, email : patrice.jaillon@upmc.fr Tirés-à-part : Professeur Patrice JAILLON, même adresse. Article reçu et accepté le 16 janvier 2006.
Bull. Acad. Natle Méd., 2006, 190, no 1, 25-36, séance du 31 janvier 2006