Autre
Session of 6 novembre 2007

Synthèse et conclusion

Yves JUILLET*

Plutôt que de résumer chacune des interventions, il est préférable de proposer quelques idées-force :

Un constat : l’attitude des malades mais aussi leur statut, y compris juridique, a changé grâce ou au à cause du fait qu’ils ont maintenant un accès direct à l’information.

Dans une situation classique, le flux d’informations était vertical : du professionnel de santé vers le ‘‘ patient ’’ qui portait bien son nom, de ‘‘ celui qui sait ’’ vers ‘‘ celui qui écoute, qui accepte ’’, qui en pratique pose peu de questions et applique les consignes et les conseils du professionnel.

Nous évoluons vers une situation transversale, où le malade devient un acteur direct de sa santé grâce à ses sources personnelles d’informations. Il veut s’impliquer personnellement et se situer comme un acteur direct dans la décision qui est prise le concernant.

Ce souhait d’information peut être associé à la tentation par le malade d’une prise en charge directe de sa maladie et de sa thérapeutique. Cette attitude peut conduire à des erreurs liées tout d’abord à un autodiagnostic erroné, et quel que soit le diagnostic, à un choix inadapté du traitement.

En parallèle est également apparue la notion plus formelle de consentement éclairé aux soins :

Cette situation de fait a été encore accentuée par l’adoption de la Loi du 4 mars 2002 dite du ‘‘ Droit des malades ’’ conduisant à un devoir d’information pour le professionnel.

Les malades ont désormais un accès aisé à une information précise et détaillée mais souvent non validée , soit par l’intermédiaire des associations qui les représentent, soit en consultant l’une des nombreuses revues spécialisées, et surtout de plus en plus grâce à leur accès à Internet.

Il est important de prendre en compte que, contrairement à certaines idées reçues, les sources d’informations du public deviennent de plus en plus fiables, et même pointues : système des blogs et des wikies auxquels participent des spécialistes qui élèvent le niveau d’information à un degré parfois très satisfaisant.

— les blogs sont des espaces de dialogue permettant aux participants de donner des informations, d’exprimer leur opinion, et même de donner des conseils sous une forme très directe, adaptée aux questions qu’ils peuvent se poser.

— les wikies (Wikipedia, sorte d’encyclopédie virtuelle) permettent une mise en commun du savoir, thème par thème, grâce à une alimentation directe des participants.

Mais en pratique rien ne garantit au malade que l’information dont il prend connaissance est tout simplement exacte.

Une révolution à venir dans les pratiques

Cette situation nouvelle va conduire à une évolution nécessaire, parfois profonde, dans certains cas déjà en partie effectuée, des pratiques des professionnels de santé.

Il pourra se trouver que le malade puisse en savoir autant et même plus que les professionnels eux-mêmes, et ils auront à l’accepter. C’est le cas en particulier pour les maladies rares.

Face à cette situation, les professionnels de santé, après les premières réticences devront s’adapter, non seulement en partageant leur savoir avec leurs malades, en répondant bien sûr à leurs questions, mais aussi en étant plus proactifs, en suscitant le dialogue et même en acceptant de contrôler avec le malade ses sources d’informations et de vérifier en ligne qui a raison. Écouter, parler, respecter, informer sont quelques mots-clés à garder en permanence à l’esprit.

Mais compte tenu du fait que les informations recueillies peuvent être soit erronées, soit mal interprétées, les professionnels de santé seront de plus en plus amenés à clarifier les informations directement reçues, à corriger les mauvaises interprétations et à réorienter les malades vers une prise en charge médicale et thérapeutique adaptée.

Pour ce qui concerne l’automédication, les professionnels et en particulier les pharmaciens ont un rôle central pour identifier les effets indésirables et si possible les prévenir au moment de la délivrance grâce à des conseils adaptés. Il est à souligner que les produits d’automédication ne sont pas exempts de risques d’effets indésirables parfois graves mais aussi d’interactions médicamenteuses avec des médicaments prescrits par ailleurs.

Il est clair que ce nouveau mode d’exercice demandera beaucoup plus de temps aussi bien pour la consultation médicale que pour la délivrance des traitements. Ces changements profonds devront être pris en compte dans la manière dont les actes médicaux et la dispensation pharmaceutique seront rémunérés.

Ces évolutions vont également entraîner des modifications dans les relations entre les professionnels de santé eux-mêmes

Actuellement, en pratique, les échanges et les relations entre les professionnels de santé sont parfois trop limités (relation réduite souvent à une simple conversation téléphonique suite à une difficulté de déchiffrement de la prescription).

 

Le développement des complémentarités des professionnels pour un malade donné sera tout-à-fait nécessaire pour faire face à cette évolution.

L’utilisation d’Internet peut par ailleurs conduire à l’acquisition de traitements dont la qualité n’est pas assurée, voire de produits contrefaits

Cette éventualité est, dans notre pays, pour l’instant limitée grâce à l’existence d’une couverture sociale généralisée.

Cette tentation d’acquisition directe reste malgré tout très possible pour les médicaments dits ‘‘ de société ’’, pour des malades qui peuvent être tentés de ne pas solliciter de prescription et donc de s’acheter directement les produits dont ils pensent avoir besoin. Les utilisateurs d’Internet sont par ailleurs sollicités en direct régulièrement par des sites internationaux pouvant les engager dans cette voie.

RECOMMANDATIONS

Notre société évolue vers un monde de l’information partagée avec un développement de l’autodiagnostic et de l’automédication. Pour que les conséquences de cette situation nouvelle soient positives en matière de participation directe du malade à la gestion de sa maladie, il est d’abord nécessaire que les professionnels restent garants de la qualité du diagnostic, de la prescription et de la dispensation, en apportant au malade l’ensemble des informations lui permettant de gérer sa maladie dans les meilleures conditions.

Les Académies nationales de médecine et de pharmacie considèrent par ailleurs souhaitable le développement des relations nouvelles entre les professionnels de santé permettant une prise en charge optimisée du malade dans un réseau de professionnels aptes à le guider et recommandent conjointement :

À l’échelon professionnel

Que soient développées, dans le cadre de la formation professionnelle continue, obligatoire des formations multidisciplinaires associant médecins et pharmaciens, à mettre en place localement, autour des thèmes suivants :

— Conséquences de l’accès direct des malades à une information spécialisée, influence de l’autodiagnostic et de l’automédication sur l’exercice des professionnels de santé (nouvelles relations professionnels de santé et malades, nouvelles relations entre les professionnels eux-mêmes).

— Développement de synergies entre les professionnels de santé pour faciliter l’observance thérapeutique de la prescription à la dispensation et éviter sa dégradation en raison de l’interférence d’informations non validées acquises par ailleurs par le malade.

— Développement d’actions conjointes permettant d’améliorer la prévention de la iatrogénèse médicamenteuse et le bon usage du médicament autour de contrats de bon usage à mettre en place localement entre les professionnels.

Pour ce qui concerne la prise en charge des maladies à tître individuel

Il sera hautement souhaitable que le Dossier Médical Personnel (DMP) soit un véritable outil pour tous les professionnels de santé s’occupant d’un malade donné, et qu’une complémentarité sous une forme souple et adaptée soit développée entre le DMP et le Dossier Pharmaceutique (DP), tout en garantissant le rôle spécifique de chacun des professionnels concernés et la confidentialité des données individuelles.

Un certain nombre de malade risquent de s’exclure spontanément du réseau de professionnels, car pensant à tort bénéficier de données suffisantes pour prendre leurs décisions sans conseil, en particulier en raison de l’utilisation d’Internet.

— Pour ce groupe de malades il est souhaitable que les Pouvoirs Publics relaient sous une forme adaptée des messages de prudence auprès des malades et des consommateurs de soins, les invitant à s’autogérer avec précaution et à vérifier l’exactitude de leur autodiagnostic auprès des professionnels de santé, en particulier de leur médecin traitant.

— En ce qui concerne l’automédication, outre une incitation nouvelle à la sollicitation de conseils à demander au pharmacien, il est important que soient prises en compte et diffusées largement les mises en garde récemment développées par l’Académie nationale de pharmacie sur les risques de l’utilisation d’Internet en matière d’achat de médicaments.

* Leem — Les Entreprises du Médicament, 88 rue de la Faisanderie, 75116 Paris.

 

Bull. Acad. Natle Méd., 2007, 191, no 8, 1539-1542, séance du 6 novembre 2007