« Faites-vous médecin vous-même », conseillait Béralde à Argan, dans Le Malade
Imaginaire de Molière. De longue date, certains malades ont souhaité se soigner eux-mêmes, en présence de symptômes qu’il juge « banaux », à tort ou à raison.
Qu’en est-il de l’automédication aujourd’hui ? Rêve d’indépendance vis-à-vis de la toute-puissance médicale ? Responsabilisation justifiée du malade ? Espoir commercial pour l’industrie pharmaceutique ? Ou, pour les pouvoirs publics et les organismes de prise en charge, espoir de réaliser de précieuses économies ?
Constat : l’automédication n’est pas sans danger
Les accidents de l’automédication sont connus de longue date, mais leur prévalence, insuffisamment évaluée, semble sous-estimée, comme celle de l’ensemble des accidents médicamenteux. Dans une enquête de l’APNET, prospective « un jour donné » et présentée dès 1992 à la tribune de l’Académie Nationale de Médecine, nous avions relevé huit cas d’accidents par automédication (9 % des accidents observés) [2, 3] : trois cas par prise d’aspirine sans mésusage patent, deux cas par prise d’AINS et trois cas par prise de psychotropes non appropriées, ces cinq derniers cas étant le fait de mésusages. Des accidents comparables ont été soulignés pour d’autres auteurs [5, 6, 8], de même que dans une autre étude de l’APNET [3, 7].
Parmi beaucoup d’autres exemples, citons :
— les hémorragies, parfois graves voire mortelles, induites par les AINS, l’aspirine (même à doses faibles), mais aussi par les antalgiques dits à tort « dérivés » des AINS (alors qu’ils sont d’authentiques AINS moins fortement dosés). Les exemples sont légions d’hémorragies graves à l’aspirine et aux AINS, pris isolément ou en association avec une antivitamine K ou un antiagrégant plaquettaire.
— les « céphalées quotidiennes chroniques par abus médicamenteux » affectant quelques trois cent mille personnes en France [6], avec une part conséquente de poly-automédications variées en antalgiques.
— les accidents liés aux psychotropes, aux « anti-aging drugs », à divers « médicaments de l’obésité » (avec entre autres la maladie des laxatifs), aux médicaments de l’érection, dont beaucoup sont achetés sur internet sans aucun contrôle, non obstant les médicaments falsifiés.
— les rhabdomyolyses induites par les statines, que certains se procurent par internet ou dans certains pays (vente libre), la maladie des laxatifs…
Quatre types de risques de l’automédication
Ces dangers, insuffisamment évalués existent. Ils sont essentiellement de quatre types :
— risques sans mésusage du médicament. Ainsi, l’automédication par aspirine ou les « AINS-antalgiques » qui peuvent, même en prise unique, déclencher une hémorragie grave (digestive, cérébrale…).
— risques par mésusages médicamenteux, de toutes formes :
— indication inappropriée , non respect des contre-indications, erreur de posologie, durée excessive, etc. Telle la prise anarchique de psychotropes, à partir de la pharmacie familiale, d’anciennes ordonnances ou d’internet.
— automédication par « anti-aging drugs », « médicaments amaigrissants »…
— dopage , redoutable, chez les sportifs, mais aussi hors du sport (cas fré- quent).
— risques par interactions médicamenteuses , notamment chez les malades polythé- rapés et/ou « à risques », personnes âgées notamment. Rappelons qu’un gramme d’aspirine ou un AINS à dose thérapeutique peut accentuer fortement les effets anticoagulants des AVK et entraîner des hémorragies graves, voire mortelles, en quelques heures.
— risques de retarder le diagnostic de la maladie en cause, notamment en cas d’automédication prolongée (1-4,7).
Conclusion
Des études cliniques et épidémiologiques, devront préciser la prévalence, les causes et les modalités préventives des accidents de l’automédication. Afin de conduire à un « bon usage de l’automédication », grâce à des actions concertées auprès des médecins, des pharmaciens et des autres professionnels de santé, mais aussi bien à l’égard de chaque malade et de chaque citoyen (et ce dès l’école).
BIBLIOGRAPHIE [1] QUENEAU P. et APNET — Automédication — Autoprescription — Autoconsommation – John
Libbey, 1999.
[2] QUENEAU P., CHABOT J.M., RAJAONA H., BOISSIER C., GRANDMOTTET P. — Iatrogénie observée en milieu hospitalier. A propos de 109 cas colligés à partir d’une enquête transversale de l’APNET — Analyses des causes et propositions de nouvelles mesures préventives — Bull.
Acad. Natle Med., 1992, 176 , 511-29 et 651-67.
[3] QUENEAU P. — Rapport de mission ministérielle.
La iatrogénie médicamenteuse et sa prévention, 1998.
[4] QUENEAU P., BANNWARTH B., CARPENTIER F., GULIANA F., BOUGET J., TROMBERT B. et l’APNET — Effets indésirables médicamenteux observés dans des services d’accueil et d’urgences français (Étude prospective de l’APNET et propositions pour des mesures préventives). Bull. Acad. Nat.
Méd., 2003, 187 (4), 647-70.
[5] GIROUD J.P., BAUWEENS, ROUVEIX B. — Intérêt et limite de l’automédication. Un comportement à risque. in Queneau P. et al. Automédication, Autoprescription, Autoconsommation. John
Libbey, Paris 1999.
[6] LANTERI-MINET et al . — Cephalalgia, 2005, 25, 1145-58 — Neurology, 2005 , 64 (supl.1) : A133.
[7] QUENEAU et al . — Emergency Department Visits Caused by Adverse Drug Events. Results of a
French Survey.
Drug Safety, 2007, 30 (1), 81-8.
[8] GIROUD J.P., HAGENE C.G. — Le guide de tous les médicaments avec ou sans ordonnance : toute la vérité sur plus de 400 symptômes et 9 000 médicaments, y compris les génériques, l’homéopathie et les plantes. Ed. Rocher, 2007.
NB : le texte complet de cette intervention est sous presse dans une autre revue.
* Membre de l’Académie nationale de médecine.
Bull. Acad. Natle Méd., 2007, 191, no 8, 1535-1537, séance du 6 novembre 2007