Résumé
La relation médecin-patient a beaucoup évolué au cours de ces dernières années. Les causes en sont multiples, venant d’une part des transformations de notre société où se sont imposées, à l’occasion de crises sanitaires graves, les associations de malades comme des partenaires indispensables des soignants, et d’autre part la survenue de la culture « internet » dans chacun des foyers. La loi du 4 mars 2002 a concouru à rendre le patient moins dépendant en renforçant ses droits et celle du 13 août 2004 lui a donné la propriété de son dossier médical. Le médecin traitant a donc perdu l’exclusivité de la fourniture et de la détention des informations qui concernent le citoyen-patient. Le malade, dés le début de son affection ou aux décours de celle-ci a donc toute occasion de recueillir ailleurs que chez son médecin un certain nombre d’informations qui lui permettront d’établir un autodiagnostic.
Summary
The doctor-patient relationship has evolved enormously over the years. A series of health crises (‘‘ tainted blood ’’, asbestos, etc.) have led patients to distrust their doctors. Associations have been created to defend patients’ interests and to enable them to get the information they need. The internet has invaded most French homes, bringing direct information on health problems. New medical legislation has enhanced patients’ rights. All these changes have reduced patients’ dependency on their doctors, particularly when it come to information, and have led to the advent of ‘‘ self-diagnosis ’’ and ‘‘ selfprescription ’’. Georges Duhamel avait, avec pertinence, qualifié de « colloque singulier » comme la rencontre entre le médecin et son patient. Il exprimait ainsi une particularité (car c’est un colloque qui n’est pas uniquement verbal) et une spécificité qui perdure actuellement. Nous étions bien dans la rencontre d’une conscience et d’une confiance, comme l’a décrite quelques années plus tard Louis Portes. Dans le domaine de l’information, qui nous intéresse aujourd’hui, ce lien particulier faisait du médecin, choisi par son patient, l’informateur privilégié et le plus souvent unique, dans le domaine de sa santé. Mais rappelons-nous ce que disait Georges Canguilhem : « le couple médecin malade n’a été que rarement un couple harmonieux, dont chacun puisse se dire pleinement satisfait du comportement de l’autre ». Même si elle n’avait jamais atteint la perfection, cette relation médecin — patient avait une « couleur » humaniste évidente, mais ce lien « singulier » s’est transformé durant ces dernières années. Tous les protagonistes ont, en effet, changé : la société, les médecins, et les malades eux-mêmes : le ressenti de la maladie n’est plus le même, les informations que l’on en donne au patient ne sont plus de même nature et elles ne viennent plus des mêmes sources. Ces changements majeurs ont laissé un champ pour l’autodiagnostic et finalement l’auto prescription.
Évolution sociétale
Notre société est basée sur le Droit et les juristes ne pouvaient être indifférents à cette relation, soignant — soigné, qu’ils s’étaient appropriée en partie devenant ainsi un sujet d’études, de recherche et de réglementation. Mais le contenu qu’ils en donnent est bien différent du nôtre, comme le décrit Patrick A. Molinari, juriste québécois :
« On sait que l’expression colloque singulier abondamment utilisée par des juristes, mais aussi par les médecins, cherchait à décrire une relation juridique que l’analyse juridique classique plaçait dans le champ du contrat, postulant ainsi l’égalité des parties à l’acte juridique… ». À l’évidence, ce colloque singulier là ne procède plus de l’existence d’une confiance, mais bien de la rencontre de deux consciences et sa qualité médicale à proprement parler, peut en être menacée si la relation humaniste a tendance à s’effacer. L’information que donne le médecin lors de ce colloque peut donc devenir opposable, car devenue contractuelle. Son exclusivité ne peut aussi que diminuer sans que l’on puisse la regretter.
Les organismes d’assurances maladie sont des témoins intéressés de cette relation dont ils assurent les financements. Ce n’est pas indifférent tout particulièrement pour l’exercice des médecins généralistes. La formule du paiement à l’acte n’est en effet pas adaptée à une longue consultation si nécessaire à une information de qualité ; le malade, s’il se sent mal renseigné, a naturellement tendance à chercher ailleurs les éléments nécessaires à sa compréhension et à ses décisions. Des réflexions sont en cours pour corriger cette anomalie, préjudiciable à la fois au patient et son médecin.
De façon plus préoccupante, toute une série d’affaires, particulièrement celle du sang contaminé, ont ces dernières années altéré l’image positive que les médecins avaient dans la société, et la crédibilité de leur message en est naturellement atteinte.
Des associations de malades se sont ainsi créées dans un climat de méfiance envers le corps médical. Cette défiance ne pouvait, surtout lors des maladies graves, qu’inciter les patients à multiplier leurs sources d’information, en les recherchant en dehors de leur médecin traitant. Certaines associations sont devenues elles-mêmes d’ailleurs expertes dans leur domaine de pathologie. Parallèlement, les Français se sont massivement convertis à l’Internet, ce qui est venu à point pour faciliter les recherches sur leurs affections. D’après une étude de 2005, par Médiamétrie, un foyer sur deux est équipé d’un matériel permettant d’accéder à la « toile ». Quand on constate par ailleurs le succès des périodiques sur la santé, destinés au grand public, et de très inégales valeurs, on voit bien que le médecin traitant n’a plus l’exclusivité de l’information.
Changements chez les médecins
Alors que les patients recherchaient d’autres sources d’information que celle de leurs médecins, la loi du 4 mars 2002 dite « du droit des malades », a marqué la volonté du législateur de formaliser une démocratie sanitaire en précisant les droits, donc la citoyenneté des patients : ces droits correspondent souvent, en miroir, à des devoirs des médecins. Le devoir d’informer le patient en fait partie, tout spécialement l’information des risques encourus à l’occasion d’un geste ou d’une attitude thérapeutique. Le but ultime est d’être en capacité de donner un consentement éclairé. Art. L. 1111-2. du Code de la santé publique — « Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences… » « Des recommandations de bonnes pratiques sur la délivrance de l’information sont établies par l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé et homologuées par arrêté du ministre chargé de la santé. » Cette obligation légale n’est en fait pas nouvelle. Le Code de déontologie (Code de santé publique D.4127-35), dés 1995, précisait que « le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension… ». Le médecin devait même pouvoir prouver la réalité de cette information, comme le stipule en 1997 l’arrêt Hédreul de la Cour de cassation : « celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obligation particulière d’information doit rapporter la preuve de l’exécution de cette obligation » cet arrêt a reçu confirmation par le Conseil d’État en janvier 2000.
L’obligation, qu’elle soit morale ou légale, d’informer les patients n’a rien pour heurter le corps médical. Il est par contre utile de réfléchir sur les interférences entre ce que le patient a glané comme informations avant de rencontrer son médecin et le message du praticien lui-même, c’est l’objet de la communication associée du docteur Deau. Le travail du soignant peut en être soit facilité, soit alourdi, mais l’information globale du malade ne peut qu’y gagner, ne serait-ce que pour que le patient, qui a préparé sa consultation puisse poser les bonnes questions. Dans le cas de certaines maladies rares le professionnel peut d’ailleurs être dépassé par les connaissances d’un patient qui s’est adressé déjà à des bonnes sources…
Des nouveaux patients
La personne malade n’est plus la même. Elle sollicite ou elle exige une information précise sur son état, à laquelle elle a droit. Il est loin le temps de la consultation où le malade ne s’exprimait que pour décrire ses symptômes et où il se satisfaisait d’informations tronquées. L’arrêt du 21 février 1961 de la Cour de cassation montre bien l’évolution des idées « …à la recherche du consentement, le médecin doit employer une expression simple, approximative , intelligible et loyale, permettant au malade de prendre la décision qui s’impose… ». On mesure l’intérêt de l’approximation pour prendre une décision et on voit bien que cette décision ne s’imposait pas d’elle-même ! L’article L.1111-2 décrit maintenant bien tous les domaines de cette information et même oblige à informer des risques apparus longtemps après une thérapeutique.
De plus, le patient se verra attribuer dans l’avenir un dossier médical personnel, le fameux « D.M.P ». Article L1111-7 du CSP : « toute personne a accès à l’ensemble des informations qui la concernent » et article L1111-8 « les professionnels de santé ou les établissements de santé ou la personne concernée peuvent déposer des données de santé à caractère personnel… ». Les données du dossier demeurent la propriété du patient, son histoire médicale lui appartient et il peut y soustraire les éléments qui ne lui paraissent pas nécessaires, c’est le masquage si discuté… Le médecin traitant n’est plus qu’un conseiller en ce qui concerne le dossier médical du malade qui n’en divulguera que les éléments qu’il désire.
Par ailleurs, le patient n’est plus seul devant son médecin et le colloque singulier peut en être perturbé : « Art. L. 1111-6. — Toute personne majeure peut désigner une personne de confiance qui peut être un parent, un proche ou le médecin traitant, et qui sera consultée au cas où elle-même serait hors d’état d’exprimer sa volonté et de recevoir l’information nécessaire à cette fin. Cette désignation est faite par écrit. Elle est révocable à tout moment. Si le malade le souhaite, la personne de confiance l’accompagne dans ses démarches et assiste aux entretiens médicaux afin de l’aider dans ses décisions. ». « Lors de toute hospitalisation dans un établissement de santé, il est proposé au malade de désigner une personne de confiance dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Cette désignation est valable pour la durée de l’hospitalisation, à moins que le malade n’en dispose autrement. » On sait les craintes soulevées par cette mesure, spécialement vis-à-vis des personnes fragiles, jeunes adultes ou personnes âgées influençables, surtout dans des environ- nements sectaires. On a vu aussi comment les associations de patients pouvaient avoir une influence sur les échanges avec le médecin traitant. L’autodiagnostic, s’il survient, peut donc aussi être largement inspiré par l’entourage du patient que ce soit sa famille, sa personne de confiance, l’association dont il fait partie, ou la secte….
En conclusion
On voit donc comment la relation médecin malade s’est considérablement modifiée en transformant un rapport dont la hiérarchie était basée sur la supériorité ‘‘ technique’’ du praticien, (rapport considéré comme paternaliste), en un partenariat, dont le support est essentiellement juridique. Le colloque singulier demeure, même si le patient n’y est plus nécessairement solitaire, mais ses caractéristiques se sont modifiées du fait de sa formalisation juridique. Les malades, dans leur ensemble, gardent une grande confiance dans les praticiens qu’ils ont choisis, mais leur nouvelle autonomie leur permet de rompre plus facilement ce lien singulier et de chercher des solutions par eux-mêmes.
Il serait vain de regretter cette évolution, tant elle fait partie de celle plus large de notre société. Les médecins n’ont pu que subir passivement ces changements qui proviennent en réalité des immenses progrès techniques qu’ils ont réalisés et des espoirs parfois trompeurs qu’ils ont suscités chez leurs patients, qui en attendent souvent plus que ce les soignants peuvent tenir. C’est là que s’ouvrent les tentatives d’indépendance (de non-dépendance) des patients vers l’auto diagnostic et l’automédication.
« Le médecin est serviteur de l’acte médical. Le patient doit coopérer avec le médecin pour combattre la maladie » disait Hippocrate, c’est bien le patient qui a la clé de cette nouvelle relation. On pourra ainsi aller vers un nouveau contrat. Le médecin doit s’appuyer sur des vertus anciennes, mais avec une vision nouvelle. Il doit surtout retrouver du temps, du temps médical, du temps d’écoute, du temps d’éducation à la santé, car si le patient se réfugie dans un autodiagnostic ou une autoprescription, c’est le plus souvent car il pense que son médecin ne l’a pas assez écouté. Mais le malade doit maintenant assumer son autonomie, donc sa citoyenneté dans le domaine de la santé. Il doit refuser d’être un simple consommateur de soins en intégrant aussi les principes de solidarité. C’est dire que l’éducation en santé fait partie de son éducation civique, c’est là aussi où le corps médical doit résolument s’engager, c’est là où, une fois de plus, le malade doit trouver chez son médecin le temps nécessaire à sa prise en charge.
DISCUSSION
M. Pierre GODEAU
Le terme d’approximation ou d’approximatif naguère employé doit-il être banni ? En réalité, toute décision diagnostique — sauf rarissimes exceptions — n’est jamais qu’une approximation. Il n’y a pas de vérité vraie et la spécificité d’un tout n’est jamais de 100 %.
Certes il faut s’approcher le plus possible de la certitude mais laisser croire aux patients qu’il n’y a pas une part d’approximation est leur donner de dangereuses illusions.
Il y a aussi un danger à donner une information « approximative » à un patient, qui, d’après le même arrêt de la Cour de Cassation devait prendre ensuite « la décision qui s’impose ». Le terme du code de déontologie d’information « appropriée au patient » paraît largement préférable.
* Ancien président du Conseil National de l’Ordre des Médecins. Tirés à part : Professeur Jacques ROLAND, 2 rue de Berne, 75008 Paris. Article reçu et accepté le 15 octobre 2007.
Bull. Acad. Natle Méd., 2007, 191, no 8, 1491-1496, séance du 6 novembre 2007