Communication scientifique
Séance du 7 mai 2002

Sur l’épidémiologie de la cryptosporidiose humaine

MOTS-CLÉS : cryptosporidiose, épidémiologie. immunodépression.. zoonoses
About the epidemiology of human cryptosporidiosis
KEY-WORDS : cryptosporidiosis, epidemiology. immunosuppression.. zoonoses

J. Euzéby

Résumé

L’émergence de la cryptosporidiose dans l’océan de la pathologie a suscité nombre de travaux. Nous proposons une synthèse de ceux qui ont étudié l’épidémiologie de la maladie : caractères des parasites, espèces et génotypes isolés chez l’Homme, modalités de la dissémination des éléments infectants et de la contamination, réceptivité et sensibilité des personnes exposées au risque. De cette étude, ressortent des mesures de prophylaxie.

Summary

Cryptosporidiosis, as an emerging disease, has generated a tremendous amount of research. Our purpose is a survey of the epidemiology of this disease, emphasizing : the features of the parasites and the species and genotypes that may infect Man, the most frequent of which is

Les cryptosporidioses sont des infections très généralement entérotropes, dues au parasitisme de coccidies du genre Cryptosporidium , dont certaines sont communes aux animaux et à l’Homme et ont un caractère zoonosique.

Habituellement bénignes, voire asymptomatiques chez les individus normaux, elles sont particulièrement graves chez les sujets présentant un déficit immunitaire et sont causes d’un défaut d’absorption intestinale, entraînant l’émission d’une diarrhée massive.

* Membre de l’Académie nationale de médecine.

École vétérinaire de Lyon, BP 83 – 69280 Marcy-l’Étoile.

Tirés-à-part : Professeur Jacques Euzéby, à l’adresse ci-dessus.

Article reçu le 6 mars 2002, accepté le 29 avril 2002.

La cryptosporidiose de l’Homme , pour la première fois décrite en 1976 [1, 2] a pris une très grande importance [3] du fait de sa particulière gravité chez les sidéens, qui peuvent être atteints d’une forme fulminante, avec diarrhée cholériforme, mortelle dans 70 % des cas. Cette importance a été magnifiée par la survenue de vastes et sévères anadémies, dont la plus spectaculaire et la plus grave a été celle de Milwaukee (1993), rapportée en 1994 par Mac Kenzie et al [4] : plus de 400 000 cas, dont plus de 100 mortels. Toutes les maladies émergentes font l’objet de recherches intensives ; la cryptosporidiose n’a pas échappé à cette règle et de très nombreux travaux lui ont été dévolus, qu’il importe de synthétiser et de commenter. Tel est l’objet de la présente étude, que nous limiterons à l’épidémiologie de l’infection.

Toute enquête épidémiologique sur une maladie infectieuse suppose la connaissance du (ou des) agent(s) de l’infection, de la dissémination des éléments contaminateurs, des modalités de la contamination et de la réceptivité et de la sensibilité des individus exposés au risque. De cette enquête, doivent découler des mesures de prophylaxie rationnelle. Tel sera le plan de la présente étude.

LES CRYPTOSPORIDIES

Ce sont des sporozoaires du sous-ordre des Eimeriorina (coccidies stricto sensu), famille des Cryptosporidiidae [5, 6], dont deux caractères doivent être retenus :

— développement en position marginale, sous la membrane des cellules-hôtes, mais toujours au sein d’une vacuole parasitophore ;

— sporulation endogène, aboutissant à la formation d’ookystes mûrs à 4 sporozoï- tes nus, non contenus dans un sporocyste.

On a cité dans le genre Cryptosporidium Tyzzer 1910, jusqu’à 23 espèces [7] 1 1. Aujourd’hui, la biochimie, l’immunologie, la biologie moléculaire et les études génotypiques ont apporté quelques précisions et permettent de ne retenir que 11 espèces, que nous citons, dans l’ordre chronologique de leur identification : C. muris, Tyzzer 1907 ; C. parvum, Tyzzer 1912 ; C.

wrairi, Vetterling, Jervis, Merill 1971 ; C. felis, Iseki 1979 ; C. serpentis, Levine 1980 ; C. nasorum, Hoover, Hoerr Carlton 1981 ; C. bayleyi, Current, Upton, Haynes 1986 ; C. meleagridis, Slavin 1995 ;

C. saurophilum, Koudela et Modry 1998 ; C. andersoni, binôme créé par Lindsay [8] pour désigner le «

C. muris » de l’abomasum des bovins ; C. canis, Fayer, Trout, Xiao, binôme formé par Fayer et al. [9] pour désigner une espèce jusqu’alors innominée, C. parvum « type chien », isolée chez cet animal par Morgan et al . [10] . Ces espèces sont groupées sous sept génotypes : 2 génotypes pour

C. parvum ; un génotype pour C. felis , non infectant pour la souris et le cobaye ;

un génotype pour

C. wrairi, infectant pour le cobaye, la souris et le veau ; un génotype pour

Cryptosporidium sp. ; deux génotypes pour C. muris , mais le génotype A, parasite gastricole des bovins et des camélidés a été élevé au rang d’espèce par Lindsay [8] : il correspond à

C. a ndersoni ;

le génotype B, parasite les muridés, le hamster et les damans de rochers (

Procavia spp). D’autre part, du point de vue de la localisation élective de ses espèces, on divise le genre

Cryptosporidium en deux groupes : parasites gastricoles : C. muris, C. andersoni et C. serpentis ; parasites entérotropes :

C. parvum, C. felis, C. wrairi, C. meleagridis, C. baileyi, C. saurophilum. C. bayley peut aussi infecter la bourse de Fabricius des galliformes.

De la morphologie des cryptosporidies, nous ne retiendrons que les caractères des formes de dissémination du parasite, qui sont aussi celles dont la découverte dans les fèces permet un diagnostic de laboratoire, les ookystes sporulés : éléments globuleux, à paroi épaisse, de 3,5 à 7 µm de diamètre, contenant 8 sporozoïtes non enfermés dans un sporocyste ; ces ookystes sont acido-résistants, ce qui permet leur mise en évidence directe par la coloration de Ziehl-Neelsen.

Le cycle évolutif des Cryptosporidium est semblable à celui des Eimeriorina monoxè- nes, avec cependant, deux particularités :

— sporulation endogène des ookystes, de sorte que les fèces des individus parasités évacuent des formes parasitaires directement infectantes, donnée importante du point de vue de l’épidémiologie de la cryptosporidiose ;

— existence de deux types d’ookystes : ookystes à paroi épaisse, qui seront évacués et ookystes à paroi mince, qui évoluent dans l’intestin et s’ouvrent dans la lumière intestinale au niveau du duodénum.

Les sporozoïtes libérés sont à l’origine d’un nouveau cycle endogène (autoinfection), qui aggrave le processus pathologique (cf. l’auto-infection observée au cours de la strongyloïdose). Les schizozoïtes résultant de cette modalité évolutive peuvent être disséminés par les macrophages en des localisations exentérales, ce qui rend compte de la possibilité d’une cryptosporidiose pulmonaire, qu’on a pu confondre avec la pneumocystose. Les schizozoïtes sont les agents de dissémination endogène des parasites (contagion intercellulaire) et de la gravité de la cryptosporidiose ; les ookystes à paroi épaisse sont responsables de la dissémination externe (contagion interindividuelle).

La longévité des cryptosporidies chez leur hôte se termine normalement avec la formation des ookystes, environ le 6e jour ; mais la possibilité d’auto-infection peut l’allonger considérablement, jusqu’à 120 jours.

La prolificité des parasites est très grande [11] et elle se traduit par l’excrétion de millions d’ookystes par gramme de fèces chez les animaux parasités (cf. infra ).

Les ookystes sporulés des cryptosporidies, évacués avec les fèces, demeurent viables pendant 4 à 12 mois sur les sols humides et dans l’eau, à des températures de 20° C à 4° C et pendant une semaine à 35° C [12-14]. Ils sont très sensibles à la dessiccation et sont détruits, en milieu sec, en 3 jours en été et en 1 jour en hiver. Dans l’eau, ils perdent leur vitalité en 30 minutes à la température de 60° C et en moins de 5 minutes à 65° C [15, 16] . Le froid exerce aussi un effet létal sur les ookystes, mais à des températures relativement basses et maintenues : -10° C, pendant 7 jours ; mais à -15° C, la survie ne dépasse pas 1 jour [17] . Cependant, 70 % des ookystes survivent en milieu sec pendant 21 heures à la température de -22° C, lentement obtenue ; au contraire, la congélation brutale les détruit. Le matériel fécal met les ookystes à l’abri de la dessication et augmente l’imperméabilité de leur paroi aux molécules de petite taille, ce qui les rend moins exposés aux facteurs létaux de l’environnement
[18, 19]. Dans l’eau de mer, où ils peuvent être entraînés par les effluents, les ookystes survivent pendant au moins 8 à 12 semaines aux températures de 10° C et 20° C, même en eaux très froides (4° C) [18, 20]. Cette survie est à considérer quand on sait que les huîtres et autres mollusques aquatiques euryhalins peuvent être vecteurs de l’infection.

Mais, comme ceux de toutes les coccidies, les ookystes de Cryptosporidium sont très peu sensibles à l’action des agents chimiques : seuls le formol à 10 %, l’ammoniaque à 10 %, l’eau de Javel à 70 % ou le glutaraldéhyde à 3 %, concentrations inutilisables en pratique, peuvent altérer leur vitalité. Dans les milieux où se dégage de l’ammoniac, la viabilité des ookystes est altérée, voire supprimée ; ainsi, les lisiers ne sont-ils pas très polluants [21, 22] . Lorsque l’eau est traitée par chloration (11-12 mg de chlore résiduel par litre), et maintenue à 10° C, le pouvoir infectant des ookystes ne persiste pas au-delà de 4 à 8 semaines. La chaux vive, le sulfate ferrique et le sulfate d’aluminium altèrent la vitalité des ookystes, si le pH du milieu n’est pas corrigé [18].

Plusieurs espèces de Cryptosporidium isolées chez les animaux peuvent évoluer chez l’Homme : C. meleagridis, C. felis ; C. canis (le type « chien » de C. parvum ) ; C.

muris — et même C. bayleyi . Ainsi, la cryptosporidiose de l’Homme peut avoir une origine zoonosique, signalée dès 1983 [23].

C’est essentiellement Cryptosporidium parvum qui est mis en évidence chez l’Homme. Cette espèce affecte aussi de nombreuses espèces animales : bovins, petits ruminants, porc, lapin, carnivores domestiques, mustélidés, marsupiaux ainsi que la souris et le rat gris, Rattus norvegicus. C. parvum n’infecte pas les oiseaux, mais conserve son pouvoir infectant pour les espèces réceptives, après passage chez ces animaux ; ainsi, des oiseaux aquatiques migrateurs peuvent-ils disperser le parasite et polluer les eaux de surface [25]. C. meleagridis est très proche des souches zoonosiques de

C. parvum ; ainsi, les dindons peuvent-ils disséminer le parasite.

Cependant, l’analyse des isoenzymes ; la sérologie (profils antigéniques), la biochimie (protéines d’adhésion analogues de la thrombospondine : Thrombospondin Related Adhesive Proteins : TRAP) et surtout la biologie moléculaire ont mis en évidence l’ hétérogénéité de C. parvum et sa dissociation en génotypes plus ou moins adaptés à l’Homme et aux animaux. Ortega [26] puis Morgan et al [27, 27bis].

reconnaissent un génotype « veau », mis en évidence chez les bovins, les ovins, la chèvre, l’alpaga péruvien — et un génotype « Homme », qu’ils différencient par leur phosphomutase et par leur glucose-phosphate isomérase 2. Widmer et al . [28] isolent, au sein de

C. parvum un génotype « C » (« C attle »), commun à l’Homme et aux animaux, notamment bovins et souris (= génotype II) et un génotype « H » (Human) ou génotype I, propre à l’Homme [29], mais avec quelques exceptions. Ces deux génotypes sont caractérisés par deux doubles chaînes d’ARN, qu’on ne trouve que chez Cryptosporidium parvum et par l’étude du polymorphisme de la séquence

ADN. On connaît aussi des souches adaptées au porc, au cobaye, à divers singes ;

2. Certains auteurs considèrent C. meleagridis comme un génotype de C. parvum ; ce serait alors le génotype T (turkey).

certaines souches isolées chez l’Homme peuvent aussi infecter les porcelets. Hill et al. [30] et Morgan et al . [31] ont identifié le génotype humain chez un mammifère marin de l’ordre des Siréniens, le dugong (

Dugong dugon) . Il ne semble pas exister de recombinaison génétique entre ces deux génotypes ; mais au sein de chacun d’eux, existent des sous-génotypes, mis en évidence par un marqueur microsatellite : deux sub-génotypes pour « H » et quatre sub-génotypes pour « C » [32]. Le sub-génotype H1 est connu en Europe et en Amérique ; le sub-génotype H2, beaucoup plus rare, a été isolé au Japon ; le sub-génotype C1 est en cause dans 61,5 % des cas de cryptosporidiose humaine et on l’observe aux Etats-Unis et au Japon chez le veau, l’agneau et le chevreau ; C3 et C4 ne sont connus, respectivement, qu’aux Pays-Bas et en Italie du Sud, chez l’Homme et les animaux. Le génotype « Bœuf » est le plus souvent observé chez l’Homme et, réciproquement, on a mis en évidence la réceptivité du veau au génotype « Homme » [33]. Dans l’environnement, c’est surtout le génotype 2 (= C) qui est représenté : 65 % des cas [34].

Ces diverses observations rendent compte du caractère zoonosique possible, et fréquent, de la cryptosporidiose humaine. Les bovins en sont les sources principales.

Dans certaines régions des Etats-Unis, on a observé la présence de Cryptosporidium parvum dans 90 % des fermes d’élevage bovin, avec 50 % des veaux infectés [35], chez lesquels l’excrétion quotidienne d’ookystes peut atteindre dix millions [36] . L’excré- tion commence, chez le veau, à l’âge de 4 jours ; le pic se situe entre la 2e et la 3e semaine, avec des teneurs fécales de l’ordre de 7 000 000 et jusqu’à 25 000 000 par gramme, ce qui équivaut à l’excrétion quotidienne de 2 à 24 milliards d’éléments infectants ; le déclin commence environ la 3e semaine, mais certains animaux continuent de rejeter des ookystes jusqu’au 4e mois de leur vie et en quantité encore importante jusqu’à l’âge de deux mois environ [37]. Les veaux peuvent évacuer quotidiennement jusqu’à 1010 ookystes pendant 14 jours. Chez les chevreaux, on a compté de 15 000 000 à 200 000 000 d’ookystes par gramme de fèces. Chez la chèvre et chez la brebis, mais pas chez la vache, on observe une élévation de l’évacuation ookystale après le part. Mais des isolats très pathogènes pour l’Homme le sont peu pour le veau, tandis que des isolats peu pathogènes pour l’Homme sont causes de cryptosporidiose sévère chez le veau. Ces différences permettent de considérer que la différenciation des souches animales et humaines de C. parvum est récente et que leur adaptation à l’Homme ou aux animaux est encore imparfaite : ainsi, observet-on que la période d’excrétion des ookystes est plus longue chez l’Homme, lorsque le parasitisme est le fait du génotype « H » que lorsque l’infection est l’œuvre du génotype « C » [38]. Il n’en demeure pas moins que des ookystes de C. parvum évacués par des animaux, particulièrement par les bovins mais aussi par les petits ruminants et le chien et le chat, sont agents possibles d’infection cryptosporidienne non seulement pour les animaux, mais aussi pour l’Homme. Ces sources de parasites sont d’autant plus dangereuses que les animaux parasités peuvent n’avoir qu’une infection crypto-symptomatique [39]. La vaccination des veaux contre la cryptosporidiose, qui inhibe le développement du parasite, serait donc de nature à protéger non seulement les animaux, mais aussi, indirectement, l’Homme ; un vaccin cons-
titué d’un nombre fixe d’ookystes (25 000 000), inactivés par lyophilisation, est utilisé aux États-Unis [40].

Mais il existe aussi une origine humaine intrinsèque de la cryptosporidiose, due au génotype « Homme » et rendue possible par les ookystes directement infectants évacués avec les fèces : un sujet parasité peut évacuer jusqu’à 107 ookystes par jour.

Cette différence épidémiologique engage les taxinomistes à élever au rang d’espèces les deux génotypes « Bœuf » et « Homme » [41]. Cependant, le génotype humain intervient beaucoup moins souvent que le génotype zoonosique : 1 % des isolats [34]. Lorsqu’il est à l’origine de l’infection, il s’agit de contaminations d’origine fécale (cf. infra ).

Du point de vue épidémiologique, et en vue de l’organisation d’une prophylaxie rationnelle, il peut être important de préciser l’origine des parasites contaminateurs par l’identification des génotypes en cause. Cette identification repose sur des investigations biochimiques (équipement iso-enzymatque) et antigéniques (sérologie) et surtout sur l’utilisation des méthodes de la biologie moléculaire.

La dissémination des ookystes infectants s’accomplit par les matières fécales des animaux parasités, surtout celles des jeunes veaux. Ainsi, l’épandage de lisiers et de fumiers non assainis peut-il entraîner la pollution des prairies. De même, on trouve des ookystes vivants dans les effluents non traités : jusqu’à 14 000 par litre et jusqu’à 150 000 par litre dans les effluents d’abattoirs [12, 42]. La submersion des terrains agricoles peut entraîner la pollution des cultures maraîchères par des ookystes de cryptosporidies [14, 22]. Cependant, la végétation exerce sur les oocystes un effet protecteur, leur évitant l’action létale des variations de température et d’humidité.

De plus, les parasites peuvent être revêtus d’une couche de sol qui les protège, jusqu’à ce qu’un processus d’érosion (pluies, piétinement) les découvre et que les eaux de ruissellement les dispersent [43, 44]. Ainsi peuvent être souillés les végétaux cultivés sur des terrains fertilisés par des eaux résiduaires et des boues d’épandage.

Dans la nature, les eaux de ruissellement disséminent le contage et ces eaux sont surtout dangereuses quand elles procèdent de fortes précipitations, qui désagrègent les fèces et en libèrent les ookystes [45]. Les eaux de ruissellement sont surtout contaminées par les génotypes humain et bovin de C. parvum ; elles peuvent polluer les nappes superficielles, surtout si leur ruissellement est rapide — et les nappes phréatiques voisines, surtout si la pente des terrains est faible et le ruissellement lent, ce qui permet une meilleure imprégnation des sols. Dans les régions littorales, la pollution peut atteindre la mer, qui sert parfois d’exutoire pour les stations d’épuration côtières ; il en résulte la contamination des estuaires [15] et des parcs de conchyliculture. C’est le génotype 2 (= C), le plus fréquent dans l’environnement, qui est ainsi dispersé et on le trouve dans les hémocytes et les branchies de mollusques dulçaquacoles : Corbicula fluminea et marins : huîtres ( Crassostrea virginica ) et moules (

Mytilus galloprovincialis) [46], qui peuvent être des sentinelles de la pollution du milieu et, consommés crus, sont des vecteurs possibles de contamination pour l’Homme.

L’infection de l’Homme par les cryptosporidies procède de modalités différentes, selon l’origine des parasites.

Dans le cas d’une origine zoonosique, ce sont essentiellement des cryptosporidies d’origine bovine et ovine, qui sont à l’origine de la pollution : les souches zoonosiques de C. parvum représentent plus de 65 % des parasites isolés chez l’Homme [34].

La contamnation résulte : de phytophagie , de carpophagie , de malacophagie et d’hydropinie. En matière d’hydropinie, ce ne sont pas seulement les eaux sauvages de surface qui peuvent être vectrices d’ookystes, mais aussi les eaux finies, celles que distribuent les réseaux d’adduction urbains ; tel était le cas lors de l’anadémie de Milwaukee. En effet, les ookystes ne sont pas toujours arrêtés par les systèmes de filtration utilisés dans les stations de traitement des eaux de consommation ni détruits par les agents chimiques (Cl, O3) ou physiques (UV) mis en œuvre pour assurer l’assainissement. L’infection contractée par inhalation a été évoquée [48, 49].

Cette voie est très improbable et son implication résulte peut-être d’une confusion entre la localisation métastatique de la cryptosporidiose et la pneumocystose.

Dans le cas de contagion interhumaine, les ookystes évacués étant immédiatement infectants, l’infection peut se réaliser selon les modalités habituelles des infections liées au péril fécal ou résulter de pratiques homosexuelles. L’ingestion accidentelle d’eau des piscines publiques en est une autre modalité (« accidents fécaux ») ; cette eau peut avoir un taux de pollution de 50 à 80 ookystes par litre [50]. Dans les hôpitaux, l’infection peut procéder de l’utilisation de matériels d’exploration et de perfusion non stérilisés par la chaleur 3, ainsi que de toutes les manipulations effectuées avec des mains souillées.

La réceptivité de l’Homme à la cryptosporidiose dépend :

de facteurs extrinsèques :

espèce du parasite à laquelle il est exposé : c’est Cryptosporidium parvum qui se développe le plus souvent chez l’Homme. D’autre part, les sujets immunocompé- tents sont réceptifs aux génotypes « Homme » et « Bœuf » de C. parvum, tandis que les individus immunodéprimés sont réceptifs et sensibles non seulement à

C.

parvum , mais encore à C. felis , C. canis [51], C. meleagridis , C. muris, C. baylei et peut-être à

C. wrairi et C. saurophilum ;

conditions de vie : cf. le cas des animaliers en contact avec les déjections des jeunes veaux et chevreaux ; des personnes vivant ou voyageant en pays à hygiène générale déficiente ; des chercheurs et techniciens de laboratoire, appelés à travailler sur les effluents, les boues résiduaires, les échantillons d’eau à analyser ; des homosexuels ;

3. L’ouverture des ookystes infectants ne s’effectuant que dans le duodénum, seules les sondes gastro-duodénales peuvent être dangereuses, à l’exclusion du matériel utilisé pour les colonoscopies.

• de facteurs intrinsèques, notamment de l’âge : les jeunes enfants sont plus réceptifs que les adultes. Mais le facteur âge intervient moins chez l’Homme que chez les animaux où la cryptosporidiose est surtout une maladie néonatale.

Mais, outre la réceptivité, l’infection cryptosporidienne ne devient une maladie que si les individus réceptifs sont, aussi, sensibles au parasite.

La sensibilité est essentiellement fonction de l’état immunologique des individus contaminés.

Normalement, la cryptosporidiose est une infection dont la durée est spontané- ment limitée (self limiting disease) : l’évolution des parasites se termine avec la fécondation et la formation des ookytes, et les schizontes de deuxième génération sont immunigènes (processus d’hypersensibilité de type IV, dépendant des lymphocytes intra-épithéliaux CD4αβ), de sorte que les schizozoïtes procédant de réinfections exogènes ou résultant du processus d’auto-infection précédemment signalé, sont rejetés par les individus immuns. Mais en cas d’immunodépression, ces schizozoïtes persistent et sont multipliés par l’auto-infection, d’où résulte une cryptosporidiose très sévère ;

— l’incidence de la dose infectante dépend de la compétence immunologique : en cas d’immunodépression, un seul ookyste peut déterminer une infection clinique chez la souris. Mais chez des sujets immunocompétents eux-mêmes, l’infection est possible, même avec de très faibles contaminations, de l’ordre de 30 ookystes ;

elle est le plus souvent cryptosymptomatique, mais peut être cause d’un syndrome entéritique [52, 53].

Toutes les données ci-dessus évoquées nous conduisent à la formulation de quelques données rationnelles de prophylaxie 4.

— la prophylaxie offensive, comporte un contrôle très strict des stations d’épuration, des nappes phréatiques, des systèmes de distribution des eaux de consommation, des piscines publiques, etc. Plusieurs méthodes et techniques de recherche et numération des ookystes sont possibles, notamment en ce qui concerne les réseaux de fourniture d’eau potable, la méthode de séparation immunomagnétique, qui permet la concentration simultanée des ookystes de Cryptosporidium et de Giardia lamblia et, associée à l’immunofluorescence directe (anticorps monoclonaux), permet l’identification des parasites. L’AFNOR (2001) a précisé les modalités d’exécution de ces manipulations. Cependant, l’inactivation des ookystes, n’est pas toujours fiable, car ces éléments sont très résistants aux agents de destruction, physiques et chimiques, utilisés pour l’assainissement et, en raison de leur petite taille, ils ne sont pas toujours arrêtés par les filtres des stations de traitement.

4. Nous ne faisons qu’ébaucher les mesures de prophylaxie, qui ne sont qu’un appendice de la présente revue ; ces mesures sont exposées en détail dans une autre publication [54].

L’évitement de l’infection nosocomiale exige la désinfection par la chaleur ou par les radicaux oxygénés libres 5 des matériels exposés à la souillure ;

— mais c’est sur une prophylaxie défensive qu’il faut insister. Il importe que les personnes sensibles ne s’exposent pas aux risques de contamination : éviter la consommation de végétaux crus, de fruits poussant au ras du sol, d’eau de puits ou d’eau sauvage non stérilisée par la chaleur et même, parfois, en périodes d’inondation, d’eau du robinet (qu’il faudra assainir par ébullition) ; éviter les baignades dans les eaux de surface et même dans les piscines collectives.

L’AFNOR (2001, in réf. 54) va jusqu’à recommander aux techniciens de laboratoire de grandes précautions, lors de l’analyse des eaux, voire de s’abstenir de procéder à ces analyses. Dans les hôpitaux, outre les précautions classiques pour éviter les risques liés au péril fécal, il faut tenir compte des recommandations du Conseil Supérieur d’Hygiène Publique de France (Circulaires no 97/413 du 30 mai 1997 et no 97/655, du 30 septembre 1997) et ne fournir aux malades immunodéprimés que de l’eau convenablement filtrée ou des eaux minérales provenant de sources agréées.

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DISCUSSION

M. Claude JAFFIOL

Pouvez-vous apporter des informations complémentaires sur l’épidémiologie, la répartition géographique de la maladie et le rôle des eaux de boisson dans la transmission de l’infection ?

La cryptosporidiose est cosmopolite, mais particulièrement fréquente dans les pays peu policés, où les règles élémentaires d’hygiène sont négligées et où on ne prend pas en considération le péril fécal ; avec l’isosporose, la giardiose, les dysenteries amibienne et bacillaires… elle est un des facteurs étiologiques du syndrome « Diarrhée des voyageurs ». Cependant, les pays développés n’en sont pas à l’abri, car l’« eau finie » des réseaux de distribution peut aussi être polluée, comme l’a montré l’anadémie de Milwaukee. Outre la contamination directe, à partir de l’Homme lui-même et des animaux, possible puisque les ookystes sont immédiatement infectants, la cryptosporidiose est surtout contractée par hydropinie. Les sujets à risque ne devraient boire que des eaux minérales provenant de forages autorisés.

M. Henri LECLERC

Cryposporidium parvum est considéré comme un risque infectieux majeur lié aux eaux d’alimentation. Compte tenu des doses infectieuses très faibles de ce protozoaire, de sa répartition hétérogène dans les eaux d’alimentation, de sa résistance élevée au chlore et des difficultés de la détection à faible taux, ne pensez-vous pas qu’il existe assurément un risque endémique important en relation avec la consommation des eaux de distribution ?

Ce risque est très réel et la très sévère anadémie survenue à Milwaukee après consommation d’une eau considérée comme potable, en a administré la preuve. Quant à la détection, elle est possible avec une grande précision et l’AFNOR a recommandé, dans une circulaire de 2001, l’analyse par ISM (ImmunoSéparationMagnétique) couplée à l’immunofluorescence directe utilisant des anticorps monoclonaux spécifiques. Cette méthode permet l’identification, en une seule opération, de Cryptosporidium parvum et de

Giardia intestinalis (= Giardia lamblia ) .

M. Pierre AMBROISE-THOMAS

La cryptosporidiose est une des parasitoses émergentes dont on ignore les conditions d’apparition chez l’Homme. C’est une affection opportuniste dont la gravité dépend de la résistance immunitaire du sujet infesté. Comme vous le soulignez, la cryptosporidiose peut être transmise par l’eau de boisson, ce qui entraîne de très difficiles problèmes de dépistage et de désinfection. La transmission par le matériel médico-chirurgical a été soupçonnée ;

elle est certainement très rare et on peut souhaiter que, étant donné son caractère exceptionnel, voire illusoire, elle ne donnera pas lieu à des contraintes réglementaires démesurées pour la stérilisation du matériel médicochirurgical, comme cela a été le cas pour le prion.

Il est certain que la contamination par hydropinie, même par consommation d’ « eaux finies » est la cause majeure de l’infection. Les eaux de consommation sont généralement analysées et je viens d’évoquer l’activité de l’AFNOR. Quant à l’assainissement de l’eau,
elle est très aléatoire : les ookystes infectants peuvent traverser les filtres usuels (seule la microfiltration sur filtres de 0,25 µm est vraiment efficace) et ils ne sont pas toujours détruits par la chloration, sauf à concentration élevée (qui peut engendrer la formation de trihalométhanes et de halo-aécétonitriles, altérant les qualités organoleptiques de l’eau et pouvant la rendre toxique). L’ozonation est plus efficace et l’association ozone+chloramine exerce un effet synergique. En ce qui concerne le matériel médicochirurgical, seul celui destiné à l’exploration du duodénum devrait présenter un risque, puisque les ookystes ne peuvent s’ouvrir que dans le duodénum. La stérilisation chimique, particulièrement par le glutaraldéhyde, est inutilisable aux concentrations utilisables. La chaleur humide (30 minutes à 65° C) est efficace, comme les radicaux oxygénés libres, formés, dans une chambre à plasma, par ionisation sous vide de l’eau oxygénée.

M. Jean-Claude PETITHORY

Y a-t-il une explication au fait que les cryptosporidies ont été découvertes en 1907 et que les premiers cas de cryptosporidiose humaine n’ont été signalés qu’en 1976, soit soxante-six ans plus tard ? Quelles sont les possibilités de traitement de la cryptosporidiose ?

Si la cryptosporidiose-maladie a été identifiée si tardivement, c’est que l’infection cryptosporidienne était asymptomatique ou ne se manifestait que par un syndrome banal, jusqu’à ce que les états d’immunodépression, d’origine pathologique ou thérapeutique, en révèlent la gravité. J’ai le souvenir des récriminations des étudiants lorsque, après avoir évoqué les cryptosporidies, j’ajoutais qu’on doutait de leur pathogénicité. Les coccidioses banales, dont la gravité repose sur la pathogénicité des schizontes de deuxième génération, ne sont pas justiciables d’un traitement spécifique, lorsque le diagnostic coproscopique a été établi, puisqu’à ce stade, les éléments pathogènes ont disparu ; ces coccidioses sont auto-stérilisantes et si leur symptomatologie se prolonge, c’est un traitement symptomatique qui peut leur être opposé. Dans la cryptosporidiose, la possibilité d’une auto-infection endogène, due à l’ouverture dans l’intestin des ookystes à paroi mince et qui persiste après l’évacuation des ookystes à paroi épaisse, impose une thérapeutique spécifique. Cette thérapeutique est celle des coccidioses : sulfamides à électivité intestinale, antibiotiques (spiramycine, paromomycine), quinazolinones (halofuginone), nitazoxanide, dérivés de l’acridine, β-cyclodextrines. On a, plus récemment, vanté l’efficacité de l’ivermectine. Mais ces médications sont d’effet incertain chez les sujets immunodéprimés. On a proposé, pour diminuer la sévérité de l’inflammation, un inhibiteur des sites d’action de la substance P, dipeptide histaminogène par dégranulation des mastocytes et résultant d’interactions neuro-immunologiques : le composé LY303870, une neurokinine. Quant à la vaccination, elle est utilisée en médecine vétérinaire, chez les veaux, dans les deux jours suivant la naissance : (administration orale d’ookystes lyophilisés). Expérimentalement, on a pu vacciner la souris avec un vaccin ADN, administré par instillation nasale. Mais, à ma connaissance, l’immunisation n’a pas fait l’objet d’études chez l’Homme. En revanche, il faudrait penser à la détection des porteurs cryptosymptomatiques de cryptosporidies : coproscopie (acido-résistance des ookystes), et recherche des antigènes fécaux (chez les veaux, des IgA salivaires sont décelables à J+36).

Mme Jeanne BRUGÈRE-PICOUX

Chez les jeunes bovins, ce n’est qu’à partir des années soixante-dix qu’on a démontré que la cryptosporidiose pouvait être fréquemment à l’origine d’une entérite. Ne peut-on pas penser
qu’il en est de même chez les jeunes enfants, où la cause d’une diarrhée bénigne n’est pas systématiquement recherchée. Seules l’épidémie du Wisconsin et les diarrhées sévères observées chez les sujets immunodéprimés ont démontré l’importance de la cryptosporidiose humaine.

Les enfants de moins de cinq ans, dont le système immunitaire est encore immature, sont particulièrement exposés à la cryptosporidiose, assez sévère chez eux pour justifier la recherche du parasite.

Bull. Acad. Natle Méd., 2002, 186, no 5, 837-850, séance du 7 mai 2002