Rapport
Session of 29 avril 2003

Sur la situation actuelle de la profession d’ophtalmologiste

MOTS-CLÉS : démographie. ophtalmologie. orthoptie.
Ophtalmological profession : the current situation
KEY-WORDS : demography. ophthalmology. orthoptics.

H. Hamard

Résumé

La démographie décroissante des ophtalmologistes va provoquer un changement à court terme du mode d’exercice de la profession. Les besoins de soins — glaucome, diabète, dégénérescence maculaire liée à l’âge — ne sont déjà pas suffisamment assurés, pas plus que le dépistage des troubles visuels de l’enfant et cette déficience va s’aggraver dans l’avenir du fait de l’allongement de la durée de la vie. Pour pallier ces difficultés une partie des actes techniques doit être transférée aux orthoptistes, collaborateurs naturels des ophtalmologistes, sous la responsabilité de ceux-ci. L’Académie nationale de médecine recommande, outre l’augmentation du nombre d’ophtalmologistes en formation et l’accroissement de celui des orthoptistes, la collaboration étroite entre ces deux professions et la création de réseaux de soins.

Summary

The decreasing ophthalmological demography will lead to short-term modifications in ophthalmological practice. Ocular diseases such as glaucoma, cataract, diabetes mellitus, age-related macular degeneration as well as visual dysfunction in children require detection and care that cannot currently be totally ensured. The increasing life expectancy will worsen this situation in the coming years. In order to overcome these difficulties, the performance of some technical procedures should be delegated to the ophthalmologists’ natural associates, the orthoptists, on ophthalmologists’ own responsibility. The National Academy of Medicine recommends to increase the number of students undergoing ophthalmological as well as orthoptical training, and suggests that these two professions closely collaborate to initiate of new care networks.

La profession d’ophtalmologiste traverse en France une période d’inquiétude quant à ses possibilités futures d’exercice compte tenu, en particulier, d’une démographie décroissante. Il s’agit ici d’analyser l’existant et de préciser autant que possible comment pourront être pris en compte, dans un avenir proche, les besoins de santé oculaire de la population.

L’ophtalmologie est une spécialité médicale, chirurgicale et optique : médicale , traitant outre les affections purement locales, elle est plus que toute autre concernée par la pathologie générale, qu’il s’agisse de maladies métaboliques, cardio-vasculaires, immunitaires, neurologiques et oncologiques par exemple, dont l’œil est souvent le miroir ; chirurgicale , elle traite non seulement les affections de l’œil mais prend également en charge celles des annexes :

orbite et paupières ; optique : il ne s’agit pas là seulement de la chirurgie réfractive tendant à pallier les inconvénients des vices de réfraction mais de l’étude de la réfraction oculaire qui est certes un acte technique alors que son interprétation est un acte médical qui engage la responsabilité du médecin et doit conduire à établir, par un examen ophtalmologique orienté, le caractère normal ou pathologique de l’organe de la vision ou du système visuel dans son ensemble.

Quels sont les besoins de soins en ophtalmologie ?

Les urgences sont actuellement difficilement assurées en activité libérale autant qu’hospitalière.

Toutes les affections ne peuvent être citées mais la situation est alarmante du fait de la nécessité d’actions de prévention.

Celles-ci concernent le glaucome : on estime à 5 à 700 000 le nombre de glaucomateux ignorés et/ou négligés en France ; la rétinopathie diabétique : les statistiques indiquent que le suivi ophtalmologique est insuffisant pour environ 800 000 diabétiques de type II ; la cataracte : les sujets les plus âgés ne bénéficient pas encore tous des possibilités chirurgicales ; le décollement de la rétine dont le nombre d’interventions a diminué du fait du traitement des lésions prédisposantes par le laser grâce au dépistage systématique de celles-ci ; la dégénérescence maculaire liée à l’âge touche 10 % de la population de plus de 70 ans et 20 % de celle de plus de 80 ans. Les nouveaux moyens de traitement vont rendre son dépistage précoce plus indispensable et les possibilités de rééducation de la basse vision ne sont pas actuellement à hauteur ni des compétences professionnelles des ophtalmologistes et des rééducateurs ni de la demande des patients ; les troubles visuels de l’enfant et l’amblyopie sont le domaine où la France a le plus grand retard : 1 enfant sur 5 a une mauvaise vision et l’INSERM constate que 40 % des troubles visuels du jeune enfant ne sont pas détectés faute de moyens suffisants ; l’aptitude à la conduite automobile n’est pas actuellement prise en compte puisque les statistiques montrent que 1/5 des titulaires du permis de conduire est en état d’inaptitude visuelle légale.

On ne peut donc que constater l’inadéquation actuelle entre les besoins de soins et la solution de ceux-ci et prévoir l’aggravation de cette disparité dans l’avenir du fait de l’allongement de la durée de la vie.

Quels sont les acteurs ?

Les médecins ophtalmologistes : ils sont actuellement 5 300 dont 86 % sont libéraux, issus maintenant du D.E.S. qui en forme en moyenne 50 par an contre 450 au temps du C.E.S. Leurs activités, pour ceux qui sont installés, sont pour les deux tiers à orientation médicale et optique. Bien que le D.E.S. leur permette de prendre en charge tous les aspects de la discipline, leur formation actuelle est essentiellement orientée vers la chirurgie oculaire, ce qui modifie la culture de la spécialité et accapare leur activité aux dépens de l’exercice proprement médical et des actions de dépistage. Toutefois il n’apparaît pas opportun de créer deux diplômes, l’un médical, l’autre chirurgical. Les dépenses sont évaluées à 530 millions d’euros.

Les orthoptistes sont au nombre de 1 770 en exercice après trois années d’étude dans une des 12 écoles existant dans les Facultés de Médecine ; une centaine est formée par an. Le décret de compétence du 2 juillet 2001 permet une extension de leurs activités vers des examens complémentaires, la détermination de l’acuité visuelle et les actions de dépistage. Les dépenses correspondantes sont évaluées à 33,5 millions d’euros.

Les opticiens-lunetiers sont au nombre de 24 000 exerçant dans 8 000 magasins ; ils sont formés en deux ans par un B.T.S., environ 250 chaque année, et leur poids financier est évalué à 2 milliards 700 millions d’euros.

Les optométristes (profession qui, au contraire de celle d’opticien-lunetier, n’a pas d’existence dans le Code de la santé publique) sont une centaine à recevoir chaque année un diplôme de contenu très variable en Faculté des Sciences. Leur souhait est d’effectuer le dépistage des anomalies de la vision, voire de contrôler les suites opératoires, pour le moment sans responsabilité thérapeutique. Ils entendent jouer ce rôle diagnostique tout en restant commerçants, déterminant les anomalies de la réfraction et vendant les moyens de correction optique. Or il est inacceptable de confier des malades à des techniciens formés ailleurs qu’en Faculté de Médecine.

L’articulation triangulaire fondée sur la collaboration actuelle entre les ophtalmologistes, les orthoptistes et les opticiens ne rend pas nécessaire l’introduction d’une quatrième catégorie professionnelle.

Quels sont les problèmes démographiques actuels et prévisionnels ?

Plusieurs enquêtes nationales permettent les évaluations suivantes.

Selon les statistiques de l’INED en 2002, confirmées par le Ministère de l’Emploi et la DRESS, le nombre d’ ophtalmologistes devait diminuer de 44 % d’ici 2020 alors que les troubles de la vue devaient augmenter de 15 %.

Cette baisse aurait dû être plus rapide que celle projetée pour l’ensemble des spécialistes français (moins 25 %) et la totalité du corps médical (moins 18 %).

La réalité est différente puisque sont ‘‘ validés ’’ chaque année environ 100 ophtalmologistes répartis pour moitié entre D.E.S. et étrangers autorisés à exercer en France et que le nombre d’ophtalmologistes continuant leur activité après 65 ans ne paraît pas diminuer ; de ce fait la démographie ophtalmologique ne devrait pas se réduire de façon aussi drastique que prévu, cependant, à l’horizon 2020, la diminution devrait avoisiner 23 % dans une hypothèse moyennement optimiste, les effectifs ne commençant à baisser qu’après 2013.

Or, nous sommes en 2003 et il faut 12 ans pour former un ophtalmologiste.

Les orthoptistes : leur densité théorique, 4 pour 100 000 habitants, est la plus forte du monde mais le ratio paramédical/profession médicale est très bas (0,44 orthoptiste/ophtalmologiste contre, par exemple, 4,8 orthophonistes/ ORL). Cela suppose une marge de progression potentielle importante : 200 à 250 orthoptistes partiront en retraite dans 10 ans, les besoins de formation seront de 2 500 à 3 000 sur les 10 prochaines années, ce qui laisse prévoir un doublement nécessaire de leur nombre.

Les opticiens : issus des écoles d’optique, répartis entre 65 % de salariés et 35 % de commerçants, leur densité moyenne en métropole est de 20 opticienslunetiers pour 100 000 habitants, cinq fois supérieure à celle des orthoptistes.

Il y a donc pléthore d’autant qu’une formation accélérée au B.T.S. permet de ramener à dix-huit mois leur formation.

La répartition géographique réunit ces différentes professions.

Seule celle des orthoptistes peut être contrôlée et elle est superposable à celle des ophtalmologistes. La densité de ceux-ci pour 100 000 habitants est de 13,3 en Ile-de-France, 12 en Languedoc-Roussillon contre 5,7 dans le Nord-Pas de Calais, à titre d’exemple. Celle des opticiens est anarchique.

Quelles solutions proposer ?

La première est incontestablement l’augmentation du nombre des ophtalmologistes en formation.

La seconde est l’accroissement du nombre et des compétences des orthoptistes étendant ces dernières à la pratique d’actes tels que l’activité de contactologie et la réalisation du bilan visuel chez le nourrisson.

L’implication d’autres médecins par la création éventuelle d’un D.I.U. d’Ophtalmologie pour les médecins généralistes ou le retour à un C.E.S. ne paraissent pas des solutions adéquates sauf à représenter un accès à la spécialité sans passer par la voie normale du D.E.S.

Apparaît alors une nouvelle culture dans la conception de l’exercice de l’ophtalmologie : pallier l’inadéquation entre les besoins de la population et le nombre d’ophtalmologistes, en respectant le Code de la Santé Publique et le

Code de Déontologie, par transfert d’une partie des actes techniques vers d’autres professions.

Les opticiens n’ayant pas de compétence médicale, les aides de l’ophtalmologiste sont tout naturellement les orthoptistes qui souhaitent rester une profession « prescrite » et à qui le décret de compétence de juillet 2001 donne le droit d’effectuer des examens complémentaires sur prescription. Contrairement aux opticiens, ils n’ont aucune implication dans un circuit commercial ; cette délégation de technicité vers les orthoptistes devra se faire sous la responsabilité des ophtalmologistes, ce qui multipliera les sécurités à l’égard du patient.

CONCLUSIONS

Le groupe de travail propose à l’Académie nationale de médecine d’adopter les recommandations suivantes nécessaires à l’amélioration de l’activité des ophtalmologistes :

1. Augmenter d’urgence le nombre de postes formateurs des médecins ophtalmologistes et, en attendant le résultat de cette augmentation, ne pas s’opposer au recrutement de médecins étrangers hors Communauté Européenne sous contrôle strict de qualification et autoriser les médecins retraités à exercer une activité périodique.

2. Habiliter des collaborateurs ayant une formation médicale à effectuer des actes techniques de la spécialité après avoir précisé quels sont ceux qui sont susceptibles d’être délégués et ce, sous la responsabilité des ophtalmologistes ; un tel partage des tâches ne devant être appliqué ni de manière brutale ni de façon définitive, ce qui suppose la mise en place progressive de périodes probatoires.

3. Amplifier le recrutement des orthoptistes, collaborateurs naturels des ophtalmologistes, dans le cadre législatif en place et sous condition de compléments de formation contrôlés.

4. Accroître la collaboration entre le secteur public hospitalier, lui-même en pleine mutation, et le secteur privé en sorte de développer leurs complé- mentarités et leurs synergies.

5. Favoriser par des mesures incitatives fortes l’installation des ophtalmologistes et des orthoptistes dans les zones à faible densité médicale, aider l’extension des réseaux de soins existants afin de les officialiser après évaluation locale des besoins et créer des centres de rééducation de basse vision.

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L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 29 avril 2003, a adopté le texte de ce communiqué à l’unanimité, moins une abstention.

* Composé de Messieurs G. Aflalo, Th. Bour, Ch. Corre, J. Flament, H. Hamard, Y. Pouliquen, J.-B. Rottier et J.L. Seegmuller.

Bull. Acad. Natle Méd., 2003, 187, n° 4, 773-777, séance du 29 avril 2003