Communiqué
Séance du 25 janvier 2011

Sur la proposition de loi no 229 en date du 18 janvier 2011 relative à l’assistance médicalisée pour mourir, en prochaine discussion au Sénat

MOTS-CLÉS : éthique des médecins.. euthanasie. suicide assisté

Denys PELLERIN *

Communiquééthique des médecins., euthanasie, suicide assistéDenis Pellerin (au nom d’un groupe de travail)

Denys PELLERIN *

L’Académie nationale de médecine a pris connaissance du texte des trois propositions de loi qui ont été déposées sur le bureau de la Haute Assemblée et qui, sous trois intitulés différents plus ou moins explicites, font référence dans leur exposé des motifs à l’affaire Vincent Humbert. Elles appellent à nouveau sans ambiguïté à légiférer à fin de dépénalisation de l’ euthanasie. La première est relative à l’aide active à mourir , la seconde relative à l’euthanasie volontaire , la troisième relative à l’aide active à mourir dans le respect des consciences et des volontés.

Après leur passage devant le Commission des affaires sociales du Sénat, un texte unique de la commission sera présenté à la discussion de la Haute

Assemblée sous le titre

Proposition de loi relative à l’assistance médicalisée pour mourir .

L’étude de ces textes conduit l’Académie nationale de médecine à rappeler une fois encore solennellement sa position sur ce douloureux et difficile problème.

— Au-delà des actes de soins à visée thérapeutique, l’assistance à la fin de vie relève à l’évidence de la médecine. Elle fait partie des obligations du médecin, inscrite dans le code de déontologie.

La Loi relative à « la fin de vie et droit du malade » du 22 avril 2005 assure à la personne en fin de vie une assistance médicalisée, qui s’interdit tout acharnement thérapeutique, lui assure le respect de ses volontés librement exprimées, agit dans la collégialité des équipes de soins, en totale transparence avec les familles.

— L’Académie nationale de médecine ne voit aucune justification à la mise en place d’un cadre réglementaire nouveau, sauf à trouver là l’opportunité de faire voter une loi de dépénalisation à juste titre jusqu’alors refusée, qui permettrait à la personne en fin de vie de « demander à bénéficier dans les conditions prévues… d’une assistance médicalisée permettant, par un acte délibéré, une mort rapide et sans douleur » (Article 1er, du projet de la Commission — nouvel Article L. 1110-9 du code de la santé publique).

— L’Académie nationale de médecine n’avait pas manqué de relever — et s’en inquiéter — que l’une des propositions de loi, celle « relative à l’aide active à mourir dans le respect des consciences et des volontés » concernait à la fois « toute personne en phase avancée d’une affection grave et incurable » et « toute personne placée du fait de son état de santé dans un état de dépendance qu’elle estime incompatible avec sa dignité » (Propositions de loi No 65). C’est là une subtile confusion ou un habile amalgame entre deux situations totalement distinctes.

La première concerne la fin de vie (quelle qu’en soit la cause et à quelque âge qu’elle survienne), la seconde relève d’une demande d’ arrêt de vie, alors que la vie en elle-même n’est ni irrémédiablement parvenue à son terme ni immédiatement menacée. Dans ces circonstances l’aide à mourir , c’est-à-dire l’arrêt de vie en réponse à une demande volontaire à mourir ne peut être assimilée à un acte médical. Sans équivoque, quand bien même il s’agirait « seulement » d’une aide au suicide, il s’agit d’une euthanasie active .

— L’Académie nationale de médecine observe que le terme « aide à mourir » ne figure plus dans aucun article du texte de la proposition de loi émanant de la Commission des Affaires sociales du Sénat. Il lui est partout substitué celui « d’ assistance médicalisée pour mourir » . Rien ne saurait justifier, que puisse être autorisé par la Loi un «

Acte d’assistance médicalisée pour mourir (est) réalisé sous le contrôle et en présence du médecin traitant qui a reçu la demande et a accepté d’accompagner la personne malade dans sa démarche ou du médecin vers lequel elle a été orientée » (Nouvel Article

Art. L.1111-10- du Code de la santé publique selon la proposition No 65).

Ceci revient à faire porter sur les seuls médecins, en toutes circonstances, l’obligation de l’aide à mourir.

L’Académie nationale de médecine rappelle une fois encore que « Le médecin doit accompagner le mourant jusqu’à ses derniers moments… Il n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort » (Art.38 du Code de Déontologie Médicale). Il serait inacceptable que la relation de confiance entre le malade et le médecin, notamment quand elle concerne les personnes âgées, puisse être ébranlée par le pouvoir donné au médecin de mettre un terme à la vie de celui qu’il avait le devoir d’accompagner jusqu’à son terme » [1].

— L’Académie nationale de médecine a bien observé que le texte unique de la proposition de loi émanant de la Commission des Affaires sociales du Sénat ne fait nulle part mention de « personne placée du fait de son état de santé dans un état de dépendance qu’elle estime incompatible avec sa dignité » mais seulement de « toute personne capable, en phase avancée d’une affection grave et incurable ».

Cependant dès lors que l’une des propositions de Loi initialement déposée en traitait expressément, le risque de voir cette disposition réapparaître dans le texte final de la Loi ne saurait être méconnu.

— De plus, les articles qui traitent les conditions réglementaires de l’assistance médicalisée pour mourir, (Article 2, 3 et 4 du projet de la Commission) incluant l’institution d‘un « registre national automatisé tenu par la commission nationale de contrôle des pratiques relatives à l’assistance médicalisée pour mourir » sont presque intégralement repris des législations en place dans les pays européens qui ont légalisé la pratique de l’euthanasie sous toute ses formes.

Ainsi, dès lors que la France aurait voté une loi autorisant l’ assistance médicalisée pour mourir , quelles que soient les mesures d’encadrement réglementaires qu’elle y associe, la porte aura été ouverte à la dépénalisation de toutes les formes d’euthanasie à commencer par celle des personnes les plus vulnérables.

L’Académie nationale de médecine estime qu’il est de son devoir de dénoncer avec fermeté la menace d’une grave dérive de notre société qui pourrait en résulter.

— Dans l’immédiat, elle tient à rappeler au corps médical que si dans des circonstances particulières un médecin estimait en conscience devoir apporter à la personne qui le lui demande une aide active à son suicide, il doit savoir qu’il s’agirait là, sans ambiguïté, d’une transgression qui peut donner lieu à des poursuites pénales [2].

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Le texte de ce communiqué a été adopté par le Conseil d’administration du 24 janvier 2011.

BIBLIOGRAPHIE [1] PELLERIN D. — A propos de l’euthanasie.

Bull. Acad. Natle Med ., 2003 ; 187 : 1721-1722.

[2] PELLERIN D. — A propos de l’euthanasie.

Bull. Acad. Natle Med ., 2006 ; 190 : 239-252.

Ces deux communiqués sont également publiés sur le site internet de l’Académie en date du 9 décembre 2003 et du 6 janvier 2006. www.academie-medecine.fr

* Constitué de : Mme Aline MARCELLI, MM. Yves CHAPUIS, Jacques HUREAU, Jean-Marie MANTZ, Denys PELLERIN et André VACHERON. ** Membre de l’Académie nationale de médecine

 

Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, no 1, 213-215, séance du 25 janvier 2011