Résumé
En France, l’incidence de la tuberculose est stable autour de 10 cas pour 100000 habitants depuis 1997 (10,2 en 2003). Cependant, l’évolution de la situation épidémiologique est très différente selon la zone géographique et les sous-groupes de population concernés. Ainsi, l’incidence de la tuberculose augmente chaque année pour les sujets nés dans un pays étranger alors que l’incidence a diminué régulièrement parmi les sujets nés en France jusqu’à une stabilisation au cours des dernières années. L’augmentation du nombre de cas porteurs de bactéries multirésistantes, l’augmentation du nombre de cas parmi les sujets de moins de 15 ans et les très hauts niveaux d’incidence parmi les sujets jeunes (15-24 et 25-39 ans) originaires d’Afrique sub-saharienne sont autant d’indicateurs permettent de décrire la situation épidémiologique de la tuberculose en France. Face à cette situation, de nouvelles recommandations ont été élaborées par les autorités sanitaires. La mise en œuvre effective de ces recommandations et des actions visant à améliorer la prise en charge des malades et de leurs contacts devra ensuite être évaluée afin que l’on puisse juger de leur impact sur l’épidémiologie de la tuberculose en France.
Summary
Tuberculosis is still a concern in France, especially in the Paris region and among people originating from highly endemic countries. In 2003, 6098 cases of tuberculosis were notified in France (10.2 per 100 000). The patients’ median age was 42 years, and 61 % of patients were male. Most cases involved pulmonary tuberculosis (71.7 %), but there were also 113 cases of tubercular meningitis (1.9 %). Among documented cases, 43.9 % were of foreign origin and 47.8 % of patients were born abroad. The incidence among people born in France declined year on year until 2003, but has increased in the last two years in the 0- to 14-year age group. At the same time the incidence of tuberculosis has been increasing among young people born in sub-Saharan Africa, and the number of cases due to multidrug-resistant strains is also increasing. Official guidelines have been updated in order to improve the prevention and control of tuberculosis. Enhanced surveillance and appropriately funded public health initiatives are needed to reinforce the fight against tuberculosis in France.
INTRODUCTION
La tuberculose est depuis 1964 une maladie devant faire l’objet d’une déclaration obligatoire (D.O). Depuis cette date, les données de surveillance montrent une baisse continue de l’incidence au niveau national jusqu’en 1997 avec des taux d’incidence divisés par six en trente ans (figure 1). Depuis 1997, l’incidence est stable, proche de 10 nouveaux cas pour 100000 habitants et par an [1]. Toutefois, cette stabilisation de l’incidence observée au niveau national cache en réalité une situation particulièrement dégradée parmi les populations les plus à risque et notamment les migrants en provenance de pays à forte prévalence, pour lesquels l’incidence augmente dans des proportions très importantes depuis 1997, particulièrement en Ile de France et à Paris [2].
Afin de mieux décrire la situation épidémiologique et les groupes à risque, les critères de déclaration et les informations recueillies ont été modifiés à partir du 1er janvier 2003 : profession à caractère sanitaire et social, sans domicile fixe (SDF), année d’arrivée en France pour les sujets nés à l’étranger. Par ailleurs, les infections tuberculeuses chez les enfants de moins de 15 ans doivent également être déclarées.
Dans ce contexte, cet article fait le point sur la situation épidémiologique de la tuberculose en France en 2003.
MÉTHODE
Définition de cas
Le critère de déclaration de la DO est basé sur la présence d’une tuberculose maladie ayant conduit à la mise en route d’un traitement antituberculeux (au moins trois antituberculeux). Dans le but de mettre en place les investigations à la recherche du contaminateur, les infections tuberculeuses de l’enfant de moins de 15 ans sont à déclaration obligatoire depuis le 1er janvier 2003 (Intra-dermo réaction positive sans signes cliniques ni para-cliniques : induration >15mm si BCG ou augmentation de 10mm par rapport à une IDR datant de moins de deux ans, ou IDR phlycténulaire).
Les infections dues aux mycobactéries atypiques ne doivent pas être déclarées.
FIG. 1. — Taux d’incidence de la tuberculose, France métropolitaine, 1972-2003.
Recueil de donnés
Tout cas de tuberculose maladie (quel que soit l’âge) et tout cas d’infection tuberculeuse chez un enfant de moins de 15 ans doivent être signalés sans délai à la Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales (DDASS). Ce signalement est ensuite transmis au service départemental de lutte anti-tuberculeuse du Conseil Général qui a la charge de réaliser les investigations autour d’un cas (dépistage de cas secondaires, identification du contaminateur) et de mettre en place les mesures pour contrôler la transmission de la maladie. Enfin, le signalement est suivi d’une notification par le renseignement d’une fiche à visée épidémiologique :
suivi des tendances de la maladie et de l’évolution des caractéristiques des groupes à risque. Un fichier informatique anonymisé est transmis annuellement par les DDASS à l’Institut de Veille Sanitaire (InVS). Les résultats présentés concernent les cas de tuberculose déclarés au cours de l’année 2003. Les données issues du recensement 1999 de l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques (INSEE) ont été utilisées pour les calculs des taux d’incidence nationaux et selon les caractéristiques démographiques (âge, sexe, nationalité ou pays de naissance).
Les différents groupes ont été comparés grâce au test du Chi-2 et par analyse de la variance (ANOVA) à l’aide du logiciel Epi info (version 6.04, Centers for Disease Control, Atlanta). Afin d’évaluer les tendances à moyen terme, les données d’incidence de 2003 ont été comparées à celles de 1997. Les variations annuelles moyennes
d’incidence entre ces deux années ont été obtenues par le calcul des moyennes géométriques.
RÉSULTATS
Evolution de l’incidence
En 2003, 6098 cas de tuberculose ont été déclarés en France (France métropolitaine : 5987 cas, départements d’outre-mer : 111 cas). Le taux d’incidence des cas déclarés de tuberculose en France métropolitaine en 2003 était de 10,2 cas pour 100000 habitants (figure 1) (10,5/105 en 2002).
En France métropolitaine, l’Ile-de-France avait un taux d’incidence trois fois et demi supérieur à la moyenne nationale hors Ile-de-France (24,8/105 vs 6,9/105), qui reste stable depuis 1997. Toutes les autres régions, sauf l’Alsace (10,2/105) et la Provence Alpes Côte d’Azur (10,2/105) avaient des taux d’incidence inférieurs à 10,0/105. Les données d’incidence par région ainsi que l’évolution annuelle moyenne depuis 1997 sont regroupées dans le tableau 1.
En 2003, 950 cas ont été déclarés à Paris (44,7/105) et 450 (32,5/105) en Seine-SaintDenis, ces deux départements ayant l’incidence la plus élevée en France métropolitaine.
Dans les départements d’outre-mer (DOM), les incidences étaient faibles, inférieures à l’incidence métropolitaine (<10,2/105).
Répartition par sexe et âge
Le taux d’incidence augmentait avec l’âge pour atteindre 20,7 cas pour 100000 personnes de 75 ans et plus en France métropolitaine. L’âge médian était de 42 ans et 61 % des cas étaient de sexe masculin. Les incidences les plus faibles concernaient les enfants de 0-4 et 5-14 ans (4,6/105 et 2,2/105 respectivement), cependant, pour ces deux classes d’âge, l’incidence augmente depuis 2001 parmi la population de nationalité française (Ile de France et hors Ile de France).
En Ile de France, les sujets étaient plus jeunes (âge médian : 36 ans) et 65 % des cas étaient de sexe masculin. L’incidence y atteignait 36,8 cas pour 100000 personnes âgées de 25 à 39 ans versus 6,9/105 pour le reste de la France métropolitaine hors Ile de France (p<0,01).
Répartition par nationalité et pays de naissance
La nationalité était renseignée pour 5428 cas (89 %) et les personnes de nationalité étrangère représentaient 43,9 % des cas de tuberculose déclarés (2385/5428) alors qu’elles constituaient moins de 6 % de la population totale.
TABLEAU 1. — Taux d’incidence de la tuberculose déclarée par région, 1993-2003.
Incidence pour 100 000 habitants Variation moyenne 1993 1997 2003 annuelle 1997-2003 (%) Alsace 13,9 11,4 10,2 -2% Aquitaine 7,8 8,4 4,4 -10% Auvergne 9,9 5,3 5,3 0% Basse Normandie 7,9 6,5 5,7 -2 % Bourgogne 10,4 7,5 6,6 -2 % Bretagne 16,4 12,6 8,4 -7 % Centre 10,9 8,7 7,8 -1 % Champagne-Ardennes 11,9 6,8 5,9 -2 % Corse 14,5 9,6 2,3 -21 % Franche-Comté 9,0 6,5 6,1 -1 % Haute Normandie 10,5 7,0 7,9 +2 % Ile de France 37,4 26,7 24,8 -1 % Languedoc-Roussillon 10,0 6,7 6,6 0 % Limousin 8,7 7,0 3,7 -10 % Lorraine 10,1 7,1 7,9 +2 % Midi-Pyrénées 7,1 4,9 6,3 +5 % Nord-Pas de Calais 13,8 6,7 5,7 -3 % Provence Alpes Côte d’Azur 16,6 10,8 10,2 -1 % Pays de Loire 11,8 8,0 5,5 -6 % Picardie 9,7 6,9 6,0 -2 % Poitou-Charentes 9,8 5,4 5,7 +1 % Rhône-Alpes 11,4 7,6 7,0 -1 % Total France métropolitaine 16,4 11,5 10,2 -2 %
Guadeloupe 7,2 5,1 8,1 +8 % Martinique 10,6 5,6 3,7 -7 % Guyane 68,8 14,7 10,2 -6 % Réunion 21,5 13,5 6,7 -11 % Total DOM 18,8 9,4 6,7 -6 %
Paris 60,6 48,7 44,7 -1 % Seine et Marne 12,8 10,0 12,4 +4 % Yvelines 18,0 12,8 9,7 -4 % Essonne 19,8 14,5 11,9 -3 % Hauts de Seine 36,9 25,7 19,7 -4 % Seine Saint Denis 55,3 37,4 32,5 -2 % Val de Marne 32,3 25,8 23,5 -2 % Val d’Oise 43,2 20,7 29,5 +6 % Total Ile de France 37,4 26,7 24,8 -1 %
TABLEAU 2. — Taux d’incidence de la tuberculose selon l’âge* et la nationalité*. France métropolitaine, 1997-2003.
Nationalité française Nationalité étrangère 1997 2003 1997 2003 Age
N Incidence**
n Incidence**
n Incidence**
n Incidence**
0-14 ans 175 1,7 182 1,8 51 6,8 83 18,7 15-24 ans 290 3,6 266 3,7 186 36,5 380 105,5 25-39 ans 857 7,2 559 4,7 667 69,6 962 110,0 40-59 ans 1157 9,4 750 5,3 444 46,5 585 55,8 >= 60 ans 1812 16,6 1252 10,5 236 58,1 340 63,4 Total 4291 8,1 3011 5,4 1584 44,2 2352 72,1 * âge et nationalité connus ** incidence pour 100000 En France métropolitaine, le taux d’incidence était de 5,4 cas pour 100000 personnes de nationalité française et de 72,1 cas pour 100000 personnes de nationalité étrangère (tableau 2). Les personnes de nationalité étrangère de 25 à 39 ans étaient les plus touchées avec un taux d’incidence de 110,0 cas pour 100000. Le taux d’incidence chez les jeunes de 15-24 et 25-39 ans de nationalité étrangère était très largement supérieur à celui observé chez les sujets de nationalité française du même âge (105,5/105 versus 3,7/105 et 110,0/105 vs 4,7/105 respectivement). Entre 1997 et 2003, le taux annuel moyen de variation était de —6 % chez les personnes de nationalité française et de +8 % chez celles de nationalité étrangère (figure 1bis). Le taux annuel moyen de variation entre 1997 et 2003 passait même à +18 % et +19 % pour les sujets de nationalité étrangère de 0-14 ans et de 15-24 ans respectivement (figure 2).
Les taux d’incidence les plus élevés chez les personnes de nationalité étrangère étaient observés en Ile de France (111,7/105) avec un taux de 183,3/105 à Paris.
En Ile de France, l’incidence chez les personnes de nationalité étrangère de 25 à 39 ans était de 171,7 cas pour 100000 soit près de trois fois celle observée au niveau national hors Ile de France dans cette population (59,9/105).
Le pays de naissance, meilleur indicateur de la provenance d’un pays d’endémie tuberculeuse que la nationalité, était connu pour 88,8 % des cas. Près de la moitié des cas pour lesquels le pays de naissance était connu étaient nés en France (52,2 %), 13,4 % en Afrique du Nord, 18,5 % en Afrique sub-saharienne, 6,6 % en Asie, 5,6 % dans un autre pays européen et 3,7 % sur le continent américain. L’incidence chez les personnes nées en France était de 5,3 pour 100000 habitants. Cette incidence atteignait 31,1 pour 100000 personnes nées en Afrique du Nord et 177,7 pour 100000 personnes nées en Afrique sub-saharienne. La répartition par âge indiquait que ce sont les adultes nés en Afrique sub-saharienne qui étaient les plus touchés et notamment ceux de 15 à 39 ans (figure 3). Les sujets nés à l’étranger pour lesquels
FIG. 1bis. — Taux d’incidence de la tuberculose selon la nationalité, France métropolitaine, 1993- 2003.
FIG. 2. — Taux d’incidence de la tuberculose selon l’âge et la nationalité, France métropolitaine, 1993-2003.
FIG. 3. — Taux d’incidence de la tuberculose par classe d’âge selon le pays de naissance, France métropolitaine, 2003.
nous disposions de l’information (280/2540) étaient en moyenne arrivés en France depuis 13 ans (médiane 4 ans) ; la médiane était de 3 ans pour les cas résidant en France métropolitaine hors Ile de France et de 4 ans pour ceux résidant en Ile de France.
Résidence en collectivité — Personnes sans domicile fixe
L’information concernant la résidence en collectivité était renseignée dans 90,5 % des cas et une résidence en collectivité était signalée pour 13,6 % [principalement en foyer d’hébergement collectif (5,9 %) ou en résidence pour personnes âgées (2,9 %)].
Quarante deux cas (0,7 %) séjournaient dans un établissement pénitentiaire. Les sujets nés à l’étranger représentaient 55,2 % des cas résidant en collectivité, et 48,2 % d’entre eux étaient des hommes nés en Afrique sub-saharienne.
L’information sur les cas de tuberculose sans domicile fixe est recueillie depuis 2003.
En 2003, 64 cas de tuberculose (1,0 %) ont été notifiés avec la mention « sans domicile fixe ».
Formes cliniques
Les formes pulmonaires isolées ou associées représentaient 71,7 % des cas et les formes extra-pulmonaires 26,6 % (1,7 % de cas non renseignés). Les formes pulmonaires isolées étaient plus fréquentes chez les hommes que chez les femmes (62,5 % vs 55,6 %, p<0,01). Une différence était également observée entre les patients nés à l’étranger, parmi lesquels 45,1 % avaient une localisation extra-pulmonaire isolée ou
associée et les patients nés en France, pour lesquels cette proportion était de 33,0 % (p<0,01). Les cas de tuberculose sans domicile fixe présentaient plus fréquemment des tuberculoses pulmonaires que les autres (86,0 %) (p=0,03).
En 2003, 113 méningites tuberculeuses (1,9 % des cas) ont été déclarées, dont trois chez des enfants de moins de 5 ans (deux vaccinés par le BCG, un statut vaccinal inconnu).
Par ailleurs en 2003, un antécédent de tuberculose traitée a été noté pour 485 cas (8,0 %). La proportion de cas déjà traités était plus faible pour les cas nés à l’étranger que pour ceux nés en France (7,5 % vs 9,1 % ; p=0.03).
Bactériologie
Le résultat de l’examen microscopique dans les localisations pulmonaires, marqueur de la contagiosité de la maladie, manquait dans 7,5 % des cas. Le résultat de l’examen microscopique était positif pour 60,4 % des cas renseignés. Le résultat de la culture, disponible pour 45,7 %, était positif pour 74,3 % d’entre eux (2076). Au total, à partir des informations recueillies par la DO, 59,3 % des cas étaient bacté- riologiquement confirmés par le résultat de l’examen microscopique et/ou de la culture. Sur le 2076 patients à culture positive, une notion de multi-résistance (résistance à l’isoniazide et la rifampicine) était mentionnée pour 23 d’entre eux, soit 1,1 %.
Profession à caractère sanitaire et social
En 2003, 95 cas de tuberculose ont été notifiés chez des personnes dont la profession était à caractère sanitaire ou social (infirmière, médecin, aide soignante, assistante maternelle, etc.). L’âge médian parmi ces cas était de 41 ans et 65 % étaient des femmes. Les formes pulmonaires isolées ou associées représentaient 82,1 % des cas.
Enfin, 65,3 % de ces cas étaient de nationalité française.
Infection tuberculeuse chez l’enfant de moins de 15 ans
En 2003, 225 cas d’infection tuberculeuse chez l’enfant de moins de 15 ans ont été notifiés en France avec 54,2 % de garçons et 45,8 % de filles. La nationalité était renseignée dans 93,8 % des cas et parmi eux, 52,4 % étaient de nationalité française.
Vingt sept enfants de moins de 15 ans vivaient en collectivité, dont vingt trois de nationalité étrangère.
Discussion
L’incidence de la tuberculose est stable en France depuis 1997. Plusieurs indicateurs témoignant d’une dégradation de la situation doivent cependant particulièrement attirer l’attention. En effet, l’incidence parmi les sujets de nationalité française se
stabilise et ne diminue plus autant que les années précédentes. Parallèlement, les niveaux d’incidence parmi les sujets nés à l’étranger, notamment ceux originaires d’un pays d’Afrique sub-saharienne n’ont jamais été aussi élevés (avec des taux proches de 250 cas pour 100000 pour les sujets de 15-39 ans nés en Afrique sub-saharienne). Enfin, cette dégradation de la situation épidémiologique ne touche pas seulement l’Ile-de-France mais s’étend à l’ensemble des autres régions françaises métropolitaines ; on note par exemple une augmentation de l’incidence chez les sujets de nationalité française de 0-14 ans, en France métropolitaine hors Ile-deFrance depuis deux ans. A cela s’ajoute l’augmentation du nombre de patients porteurs de mycobactéries multirésistantes (résistance à l’isoniazide + rifampicine) mise en évidence par le Centre National de Référence (CNR) de la résistance des mycobactéries aux anti-tuberculeux pour l’année 2002 [3].
Plusieurs hypothèses peuvent être évoquées pour expliquer les niveaux d’incidence observés et les tendances récentes. Les données utilisées pour les calculs des taux d’incidence sont celles du recensement de 1999 et il est probable qu’elles sous estiment les effectifs réels pour certaines populations. En effet, les données issues du Ministère de l’Intérieur font état d’une augmentation du nombre d’étrangers titulaires d’une autorisation de séjour en cours de validité et en résidence en France métropolitaine de 4,6 % entre 1997 et 2002 ( http : //www.interieur.gouv.fr/rubriques/ a/a4-publications/sejour2003, consulté le 26/10/2004 ). Pour les personnes originaires d’Afrique hors Maghreb, l’augmentation atteint même 44 %, laissant penser que les taux d’incidence calculés sur la base des données du recensement de 1999 sont surestimés pour cette population. Par ailleurs, les sujets en situation irrégulière ne sont pas comptabilisés dans le recensement ce qui pourrait participer à une surestimation des taux d’incidence observés. Quoiqu’il en soit, les tendances observées depuis 1997 pour les populations de nationalité étrangères sont très vraisemblablement réelles et pourraient être expliquées par l’immigration récente de patients infectés.
En effet, plusieurs études ont montré que le passage de l’infection à la maladie se fait plus fréquemment au cours des premières années après l’arrivée d’un pays à forte prévalence [4, 5].
Cependant, une étude récente réalisée aux Pays Bas fait état d’une incidence qui reste élevée parmi la population d’origine étrangère pendant les dix années qui suivent l’arrivée aux Pays Bas [6]. Il n’est donc pas exclu que la situation épidémiologique concernant les sujets d’origine étrangère en France ne s’améliore pas dans les années à venir, malgré le renforcement des mesures de lutte antituberculeuse pour cette population.
Un autre point préoccupant concerne la stabilisation récente de l’incidence dans la population de nationalité française de plus de 15 ans associée à l’augmentation de l’incidence chez les moins de 15 ans. Cela pourrait suggérer qu’il existe une plus grande circulation du bacille tuberculeux. Pour juger de l’importance de ce phénomène, les données de la DO concernant les infections tuberculeuses chez les enfants
de moins de 15 ans pourront apporter des éléments de réponse, mais il est cependant trop tôt pour tirer des enseignements à partir des seules données de l’année 2003, première année de recueil concernant les infections tuberculeuses chez les enfants de moins de 15 ans. Par ailleurs, pour déterminer dans quelle mesure l’augmentation du nombre de cas parmi la population d’origine étrangère pourrait avoir un impact sur l’augmentation de la transmission du bacille en France, il est nécessaire de disposer d’études d’épidémiologie moléculaire [7, 8]. De la même manière, il sera nécessaire de disposer d’un recul suffisant pour analyser de manière critique les nouvelles données recueillies (profession à caractère sanitaire et social, année d’arrivée en France, SDF…) et leur capacité à mieux décrire les populations atteintes.
Enfin, les données du CNR montrent une augmentation du nombre de cas porteurs de bactéries multirésistantes, avec une modification des caractéristiques épidémiologiques des cas. En 2002, sur les 72 cas de tuberculose à bacilles multirésistants signalés pour la première fois, plus de 80 % étaient originaires d’un pays étranger, contre 60,5 % pour la période 1992-2001. De même, les sujets déclarés en 2002 étaient plus jeunes et avaient moins souvent des antécédents de tuberculose traitée.
Comme le suggèrent Robert et al . [3], cela pourrait être dû à l’arrivée en France d’un plus grand nombre de malades venus de l’étranger pour se faire soigner et n’ayant pas d’antécédent de traitement (patients n’ayant pas été diagnostiqués dans leur pays d’origine ou ayant été diagnostiqués mais non traités). En tout état de cause, les données actuelles ne permettent pas de considérer cette augmentation du nombre de cas de tuberculose à bacilles multirésistants comme un indicateur de mauvaise prise en charge thérapeutique des cas de tuberculose en France dans leur ensemble, mais appellent à une vigilance accrue.
Pour mieux contrôler la maladie, les autorités sanitaires ont élaboré des recommandations sur la prise en charge et le traitement de la tuberculose [9]. D’autre part, la Société de Pneumologie de Langue Française (SPLF) a réuni un groupe d’experts et élaboré des recommandations sur la prise en charge de la tuberculose [10-12].
L’organisation de la surveillance épidémiologique doit être revue et les services de lutte antituberculeuse (SLAT) mis au centre d’un système regroupant l’ensemble des partenaires impliqués dans la lutte antituberculeuse (DDASS, Caisse Primaire d’Assurance Maladie, médecins et laboratoires, éducateurs et encadrements des foyers d’hébergement social, office des migrations…). Il est par exemple proposé que ces services aient connaissance de tous les cas de tuberculose mis sous traitement et des résultats des antibiogrammes afin de mieux documenter les cas index. Par ailleurs, il faut également améliorer l’identification, le dépistage et le suivi des contacts. Cela implique nécessairement des moyens importants et les experts réunis ont proposé un minimum d’une infirmière par service de lutte antituberculeuse pour cinquante cas annuels. Compte tenu des spécificités de l’épidémiologie de la tuberculose, il faut également mettre en place des stratégies appropriées de lutte antituberculeuse pour les migrants et les patients SDF. La mise en place de médecins référents dans les centres hospitaliers prenant en charge un grand nombre de cas de
tuberculose doit être favorisée, comme c’est déjà le cas dans les hôpitaux franciliens.
Une validation des données de la DO par le SLAT auprès des médecins déclarants peut être proposée afin d’améliorer la qualité des données recueillies (confirmation biologique, caractéristiques démographiques…). De même, l’item « souhaitez vous l’intervention du SLAT ? » de la fiche de DO pourrait être supprimé, impliquant ainsi que le SLAT ait systématiquement connaissance de l’ensemble des cas mis sous traitement.
Faisant suite aux recommandations du Conseil Supérieur d’Hygiène Publique de France (CSHPF), la Direction Générale de la Santé a constitué des groupes de réflexion devant proposer des mesures visant à améliorer l’observance, les enquêtes autour d’un cas, la lutte antituberculeuse appliquée aux migrants, ou l’information sur les résultats des issues de traitement. A ce titre, un réseau de surveillance des issues de traitement a été mis en place fin 2004 par l’InVS en partenariat avec l’association TB Info et les services hospitaliers prenant en charge des patients tuberculeux.
Ces différentes actions témoignent de la prise de conscience quant à l’urgence de renforcer notre système de surveillance et de lutte antituberculeuse pour l’adapter aux réalités épidémiologiques actuelles. La mise en œuvre effective des recommandations et des actions visant à améliorer la prise en charge des malades et de leurs contacts ainsi que leur impact sur l’épidémiologie de la tuberculose en France devront ensuite être évalués.
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DISCUSSION
M. Pierre PÈNE
Quel est le pourcentage des jeunes africains adultes qui, dépistés pour tuberculose en France, ont une séro-positivité VIH ?
Les dernières données disponibles concernent l’année 2002. Depuis le 1er janvier 2003 et la nouvelle procédure de déclaration obligatoire, l’information relative au statut VIH des personnes atteintes de tuberculose n’est plus recueillie. En 2002, sur 6322 cas de tuberculose, l’information relative au statut VIH était disponible pour 52 % des cas. 373 étaient séropositifs pour le VIH, soit 5,9 % de l’ensemble des cas et 11,3 % des cas renseignés. Les cas de tuberculose de nationalité étrangère étaient plus souvent séropositifs pour le VIH que les cas de tuberculose de nationalité française (10,6 % versus 3,4 % pour l’ensemble des cas et 14,8 % versus 7,4 % pour les cas renseignés).
M. Claude JAFFIOL
N’est-il pas illogique d’interrompre la vaccination par le BCG à partir d’une situation instantanée dont on ne peut prévoir avec certitude l’évolution après interruption de la vaccination ? Le coût induit par la probabilité d’une aggravation de l’incidence de la tuberculose après arrêt de la vaccination ne risque-t-il pas de réduire l’intérêt du bénéfice financier induit par l’arrêt de la vaccination ?
Les estimations de l’InVS sur l’impact futur de la réduction ou de l’arrêt des activités de vaccination BCG ont été faites sous l’hypothèse d’une incidence de la tuberculose persistant à son niveau actuel. L’incidence globale de la tuberculose est en effet stable depuis plusieurs années et les tendances à l’augmentation de l’incidence parmi les populations d’origine étrangère est un argument supplémentaire en faveur de stratégies vaccinales maintenant la vaccination des enfants vivant dans un tel environnement. Par ailleurs, les changements de la politique ou de la couverture vaccinale BCG ne sont pas susceptibles de modifier l’épidémiologie globale de la tuberculose, les cas pédiatriques ne participant pas à la transmission de la maladie. Par ailleurs, nous ne disposons pas d’une analyse de l’impact économique d’un arrêt de la vaccination par rapport à la situation actuelle mais il est clair que le bénéfice financier, qu’induirait l’arrêt de la vaccination
dans un contexte où les tests tuberculiniques et la revaccination sont déjà supprimés, est faible.
M. Paul LÉOPHONTE
On dispose de données épidémiologiques sur les cas de tuberculose déclarés. A-t-on une idée approximative de cas non déclarés en France ?
Les différentes estimations effectuées en France font état d’une sous notification de la tuberculose. On estime que 65 % des cas font l’objet d’une déclaration obligatoire. Cette sous notification est par ailleurs relativement stable dans le temps, ce qui autorise les analyses chronologiques .
* Institut de Veille Sanitaire, 12 rue du Val d’Osne, 94415 Saint Maurice cedex, 01 41 79 68 90, e-mail : d.che@invs.sante.fr Tirés à part : Docteur Didier CHE, adresse ci-dessus. Article reçu le 19 janvier 2005, accepté le 28 juin 2005.
Bull. Acad. Natle Méd., 2005, 189, no 6, 1257-1270, séance du 28 juin 2005