Publié le 19 février 2019

Séance dédiée : « La lutte contre l’antibiorésistance : une volonté politique »
Organisateurs : Anne-Claude CRÉMIEUX et Yves BUISSON

L’introduction est assurée par Anne-Claude CRÉMIEUX (Membre correspondante de l’Académie nationale de médecine) qui expose l’enjeu de santé publique et de volonté politique que constitue le problème de l’antibiorésistance, et présente les oratrices et orateurs des quatre communications de la séance.

Communications

Antibiorésistance : la situation en France et dans le monde. Dr Bruno COIGNARD, Santé publique France.

L’antibiorésistance est une des principales menaces pour la santé publique en France et dans le monde, car elle limite les possibilités de traitement des infections communautaires et est de nature à faire régresser les progrès de la médecine moderne, progrès rendus possibles par la prévention ou le traitement des infections associées aux soins. Si la situation en France peut être qualifiée de contrastée, avec de bons résultats dans la maîtrise des Staphylococcus aureus résistant à la méticilline ou des pneumocoques de sensibilité diminuée à la pénicilline, ces progrès restent lents et fragiles et sont contrebalancés par l’essor des entérobactéries résistantes aux céphalosporines de troisième génération, et à l’émergence de celles résistantes aux carbapénèmes. Il existe en Europe un gradient Nord-Sud de l’antibiorésistance, avec des indicateurs généralement meilleurs en Europe du Nord. La situation dans le reste du monde reste imparfaitement documentée, mais les données disponibles témoignent de l’importance parfois majeure du problème dans la plupart des pays. Le contrôle et la prévention de l’antibiorésistance reposent sur des règles d’hygiène permettant de limiter la transmission croisée des bactéries, sur le bon usage des antibiotiques et, pour certains pathogènes, sur la vaccination. Ces mesures sont urgentes et doivent être mises en œuvre dans chaque pays et de manière coordonnée au niveau international. Les données de surveillance doivent être disponibles et largement partagées : elles sont essentielles pour évaluer l’impact de ces mesures.

 

La compréhension actuelle de l’antibiorésistance : rôle de la pression de sélection des antibiotiques et de l’environnement. Laurence Armand-Lefèvre (en place d’Antoine Andremont). Service de bactériologie. Groupe hospitalier Bichat-Claude Bernard. IAME, UMR 1137, Université Paris-Diderot

Les antibiotiques, lors de leur avènement, ont correspondu à un véritable miracle thérapeutique. Mais il est progressivement apparu qu’il existait une formidable capacité d’adaptation des bactéries due à la plasticité du génome bactérien. En fait, il n’existe aujourd’hui aucun antibiotique contre lequel les bactéries n’ont pas trouvé de stratagème pour lui résister ! L’exemple le plus marquant est celui du développement de la résistance chez Escherichia coli. La pression de sélection provient en particulier de l’impact des antibiotiques sur le microbiote intestinal qui s’avère être le premier réservoir de résistance. Il s’agit d’un problème mondial, en particulier favorisé par le recours des antibiotiques comme promoteurs de croissance chez les animaux d’élevage. La prospective d’une consommation animale mondiale d’antibiotiques nettement en hausse est à cet égard préoccupante. Les conditions d’hygiène sont également essentielles à prendre en compte avec, comme exemple, le rôle démontré en Inde des effluents d’une usine de traitement des eaux usées. Le tourisme dans les zones à risque d’hygiène est un facteur important à considérer, une étude récente ayant démontré un taux d’acquisition global d’E-BLSE (entérobactéries sécrétrices de bêta-lactamases à spectre étendu) de près de 51 % dans une série de voyageurs en zone intertropicale. En conclusion, l’antibiorésistance est un problème de santé publique à l’échelle mondiale, au moins autant « écologique » que « médical », vis-à-vis duquel il faut agir en diminuant la pression de sélection sans oublier les actions sur l’hygiène et la transmission.

 

Rôle de la transmission croisée dans la résistance aux antibiotiques; contrôle dans les hôpitaux français. Vincent Jarlier, Sorbonne Universités, Faculté de Médecine Pierre et Marie Curie, Centre d’Immunologie et des Maladies Infectieuses, UMR 1135 ; Laboratoire de Bactériologie-Hygiène Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière-Charles Foix, Paris ; Délégué aux infections nosocomiales, Direction de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris.

La résistance acquise aux antibiotiques est la conséquence directe de deux causes synergiques : l’utilisation massive d’antibiotiques qui entraîne la sélection des bactéries les plus résistantes (évolution darwinienne), et la dissémination des bactéries résistantes ainsi sélectionnées, par transmission au sein des populations humaines et animales (« transmission croisée »), et via l’environnement. Les programmes de lutte contre la résistance bactérienne doivent donc associer des mesures visant à contrôler la transmission croisée aux mesures visant à diminuer la consommation des antibiotiques. Des programmes de contrôle de la dissémination des bactéries multirésistantes ont été progressivement mis en place dans les hôpitaux de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris (APHP) depuis 1993 puis dans l’ensemble des hôpitaux français depuis 1999. Ces programmes ont permis d’obtenir une forte diminution des taux de staphylocoques multirésistants et de garder très bas les taux de bactéries hautement résistantes émergentes : entérobactéries résistantes aux carbapénèmes (β-lactamines les plus récentes) par production de carbapénèmases et entérocoques résistants aux glycopeptides. Ces résultats ont été obtenus alors même que la consommation d’antibiotiques n’avait pas diminué de façon notable dans nos hôpitaux durant la période considérée montrant l’impact positif des mesures d’hygiène.

La recherche en stratégies antibactériennes : nouvelles pistes, nouveaux enjeux ? Marie-Cécile Ploy, Université Limoges, INSERM, CHU Limoges, UMR 1092

À l’heure où l’arsenal thérapeutique antibactérien est de plus en plus menacé par l’émergence croissante des résistances, la recherche doit plus que jamais apporter des solutions. Dans un contexte où la découverte de nouvelles molécules est difficile et où le marché économique des antibactériens est précaire, la recherche doit aujourd’hui faire face à de nouveaux enjeux et explorer des pistes innovantes pour les résoudre. Les principaux défis de la recherche en stratégies antibactériennes sont les suivants: (i) inscrire la recherche dans une démarche globale et coordonnée, (ii) développer de nouveaux antibiotiques ciblant des pathogènes prioritaires, (iii) sortir du « tout antibiotique » en développant des stratégies thérapeutiques innovantes (anticorps, peptides antimicrobiens, phages), (iv) développer des approches complémentaires ayant pour objectif de réduire l’utilisation des antibiotiques via des stratégies de prévention, de diagnostic ou de limitation de la persistance bactérienne, (v) soutenir la recherche et revitaliser le marché des antibactériens via de nouveaux outils économiques et (vi) faciliter et optimiser le processus de développement clinique. Tous ces enjeux appellent les chercheurs, développeurs, cliniciens, patients, vétérinaires et autorités politiques à travailler de concert et à opérer le changement de paradigme nécessaire pour lutter efficacement contre l’antibiorésistance.

Conclusion par Yves Buisson (membre de l’Académie nationale de médecine).

Le constat de base est qu’après l’embellie partielle des années 2000 l’antibiorésistance est en nette hausse. Les actions à entreprendre sont : i) d’assister les prescripteurs confrontés à des situations complexes (rôle de médecins référents hospitaliers et de centres de conseil régionaux et développement d’outils d’aide à la prescription) ; ii) contrôler les prescriptions et user de mesures incitatives (ROSP : rémunérations sur objectifs de santé publique) ; iii) renforcer l’hygiène à l’hôpital et dans la communauté ; iv) motiver la recherche : TRODS (tests rapides d’orientation diagnostique), nouveaux agents anti-infectieux ; v) promouvoir la vaccination et appliquer les calendriers vaccinaux. La mise en œuvre de ces actions doit comporter : i) une reconnaissance de grande cause nationale avec un engagement politique visible ; ii) l’engagement d’une campagne de communication « grand public » ; iii) la création d’un réseau national « cliniciens-microbiologistes-épidémiologistes » ; iv) le développement d’une surveillance de l’antibiorésistance qui se doit d’être à la fois plus réactive sur le territoire et élargie (environnement, Pays du Sud).