Publié le 29 mai 2018

Introduction : Jacques ROUËSSÉ, ANM

L’Académie de médecine a abordé cette question à deux reprises, dans des rapports, en 2011 « Mise au point sur la prescription des molécules onéreuses en cancérologie » par J. Rouëssé, G. Bouvenot, F. Meyer, L. Rochaix, M. Tubiana, M.-C. Woronoff-Lemsi, puis en 2016 « Observations et propositions sur le coût des nouveaux traitements et solidarité nationale » par G. Bouvenot, R. Denoix De Saint Marc, M. Huguier, G. Milhaud, où, parmi d’autres, le mélanome était cité. Depuis, les nouveaux anticancéreux, génétiquement orientés contre les cellules malignes et les immunothérapies, qui se développent en nombre et sont de plus en plus onéreux, impliquent une nouvelle réflexion.

 

Modalités et déterminants de la fixation des prix des médicaments des cancers en France, Gilles BOUVENOT, ANM.

L’incidence des cancers en France en 2017 est de 400 000 et la mortalité de 150 000. Le coût global de la prise en charge des cancers est de 16,8 milliards d’euros dont 3,6 pour les seuls médicaments. Le taux de survie à 5 ans varie de 4 à 98%, mais s’améliore pour beaucoup de cancers dans les 10 dernières années. Les traitements sont de plus en plus prolongés : certains cancers deviennent des maladies chroniques. Les immunothérapies ont obtenu des prix élevés, de l’ordre de 50 000 € par an, parfois plus. La « Commission de la Transparence » de la Haute Autorité de Santé (HAS) examine le dossier d’un nouveau médicament, transmis par l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) qui a délivré une autorisation de mise sur le marché (AMM), dossier où figurent en particulier les résultats des essais cliniques contrôlés et de la tolérance. En comparant les performances du nouveau médicament par rapport à ceux existants dans la même indication, la commission attribue l’un des 5 niveaux d’amélioration du service médical rendu (ASMR) : allant de I= majeure à V= inexistante. Pour être admis à demander la prise en charge un anticancéreux doit obtenir le niveau d’ASMR I, II ou III, mais on ne dispose le plus souvent que des résultats de l’évolution sans progression et pas de ceux de la survie globale, comparés aux produits anciens. C’est le Comité Économique des Produits de Santé (CEPS), organisme ne dépendant que du gouvernement, qui va négocier avec l’entreprise, en fonction du niveau d’ASMR, rarement meilleur que III, de la taille de la population cible, souvent faible car ces nouveaux traitements ciblent un sous-groupe moléculaire ou antigénique au sein d’un cancer, de la durée prévisible de traitement, qui s’accroît. Une concertation européenne (Allemagne, Royaume Uni, Espagne, Italie) a lieu. Aucune limite supérieure de coût de traitement n’est imposée, et le progrès thérapeutique, l’innovation révolutionnaire, doivent être récompensés par une augmentation de prix par rapport aux médicaments disponibles, d’où une spirale inflationniste qui risque de mettre en péril la pérennité du système d’assurance maladie. Les négociations au sein du CEPS sont peu transparentes. Ces nouveaux anticancéreux, qui ne sont pas pris en compte dans le forfait hospitalier des « groupes homogènes de soins » (GHS) des cancers, peuvent être inscrits par décret dans une « liste en sus » qui permettra leur prise en charge. Ces nouveaux traitements du cancer, le plus souvent en association avec les anciens, constituent un défi pour l’évolution du financement de l’assurance maladie. Ils représentent certes un progrès mais pas aussi important que prétendu et leurs effets indésirables, pour les immunothérapies, n’ont été découverts que dans un second temps.

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Le coût des anti-cancéreux : un défi pour les systèmes de santé des pays de l’OCDE, Valérie PARIS, Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE)

Les 35 pays membres de l’OCDE, dont beaucoup maintenant hors de l’Europe, ont des processus de fixation des prix des médicaments et de prise charge très divers. Lorsqu’un anticancéreux entre dans la « liste positive » il est remboursé, mais plusieurs pays font exception (Royaume Uni, Allemagne, USA,…). Au Royaume Uni, un indicateur « coût-efficacité » prenant en compte l’augmentation de la survie en la pondérant de la qualité de vie (QALY) a été introduit. Le National Health Service n’ayant pas la capacité de tout prendre en charge, un « Cancer Fund » a été créé en 2010. La comparaison des prix obtenus dans les pays de l’OCDE (benchmarking) montre une grande dispersion, la France se situant au milieu. Il apparait une déconnection entre prix, résultats et pays : prix élevés partout, mais moins chers dans les pays les moins riches, plus bas qu’en Allemagne. L’accessibilité à un nouveau produit est plus rapide en Europe de l’ouest, après les Etats Unis (46% de ventes aux USA, 20% en Europe). Ces indicateurs officiels ne tiennent pas compte d’accords confidentiels, à la baisse, passés entre un industriel et un pays, révisables en fonction des résultats d’efficacité.

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Entretien avec Mme Valérie Paris le 29/05/2018 à l’ANM :

 

Enjeux et difficultés de la gestion des médicaments onéreux non intégrés dans la liste en sus pour un hôpital traitant des cancers, Jean-Yves BLAY, Centre régional de lutte anticancer Léon Bérard, Lyon.

Depuis quelques années les découvertes de nouveaux mécanismes biologiques des cancers humains, déterminant de nouvelles classifications moléculaires et immunologiques, a conduit au développement de thérapeutiques personnalisées. Le cancer d’un organe est maintenant divisé en plusieurs sous types, chacun justifiable d’un des nouveaux traitements. Les cancers deviennent des maladies rares et la population de patients pouvant entrer dans un essai clinique de ces thérapies innovantes est faible et le groupe contrôle difficile à constituer. Moins de 25% des patients justifiables d’un nouveau traitement entrent dans un essai. Lorsqu’un traitement innovant ciblé, ayant un ASMR favorable, n’est pas entré dans la liste en sus, sa prescription sans couverture, payé par l’hôpital, est quasi impossible et met médecin et malade dans une situation intenable. Seuls 50% des nouveaux traitements, utilisés dans quelques pays, sont disponibles en France.

En conclusion : -l’oncologie est en transformation rapide, l’évaluation par les autorités de santé doit évoluer ; -la prescription sans remboursement n’est pas viable ; -une inéquité apparait ; -source d’épuisement pour les praticiens ; -comment renforcer les données ? -quels essais cliniques ? -éviter un décrochage, avec une médecine à deux vitesses.

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Entretien avec le Pr. Jean-Yves Blay le 29/05/2018 à l’ANM :

 

Prix et coûts des traitements anticancéreux : réalités, enjeux et perspectives, Éric BASEILHAC, Affaires Economiques, Les Entreprises du Médicament (LEEM).

La véritable révolution que constitue en oncologie l’arrivée des nouveaux anticancéreux s’accompagne de polémiques sur leur accessibilité et leur prix. Des rapports de l’Institut National du Cancer (INCa) et de l’Institut Curie évaluent de façon discordante les prix : INCa médicaments de la liste en sus en 2014 à 3 866 € par patient et par mois, Curie des coûts de 50 000 € par an pour les thérapies ciblées et de 85 000 à 116 000 € par an pour les immunothérapies. Mais les sources ne sont pas comparables et les prix discutables. Le coût des anti cancéreux représente 2% des dépenses totales de l’Assurance maladie. Le LEEM a réalisé une étude sur l’utilisation des 42 molécules anticancéreuses inscrites sur la liste en sus entre 2010 et 2016 à partir des données du Programme de Médicalisation des Systèmes d’Information (PMSI). Le prix moyen pondéré varie de 10 135€ en 2010 à 13 130 € en 2016. Ce prix a augmenté sensiblement entre 2010 et 2016 (de 6 152 € à 23 555 €). Le LEEM considère que ces prix ont augmenté en raison d’ASMR plus favorables et d’indications dans des populations réduites, mais qu’il a finalement peu évolué. Il faut en revanche alerter sur le retard d’accès aux médicaments en France : un délai moyen de 630 jours entre l’AMM et la publication du prix au JO est constaté pour les anti-cancéreux, en raison de la durée des négociations (286 jours pour l’ensemble des médicaments). Seuls les médicaments qui obtiennent une autorisation temporaire d’utilisation (ATU) de cohorte permettent un accès avant l’AMM, pour les patients dont le pronostic vital est engagé, lorsqu’il n’existe pas d’alternative thérapeutique. Le LEEM pense qu’il est difficile de chiffrer le prix d’un nouveau médicament innovant, sachant qu’il se passe 11 ans entre l’identification d’une molécule intéressante et sa commercialisation. La recherche et développement est compliqué à évaluer : 60% des nouveaux traitements ont été identifiés par des startups qui vendent leur découverte à une multinationale seule capable d’assurer le couteux développement. La seule approche possible est l’approche transactionnelle, par la négociation d’un prix résultant de la prise en compte des considérants de toutes les parties jugées légitimes à le négocier : l’industriel et le régulateur, bien sûr, mais aussi « la société » dont les récentes polémiques traduisent le besoin d’expression.

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Entretien avec M. E. Basheilhac le 29/05/2018 à l’ANM :

Conclusion : Michel HUGUIER, ANM

Il indique que les propositions du rapport 2016 de l’Académie pourraient être reprises : créer, à côté de l’Agence européenne du médicament, une Agence de fixation des prix et une centrale d’achats européenne qui auraient plus de poids dans les discussions avec les laboratoires pharmaceutiques que chacun des pays de l’Union.

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