Communication scientifique
Séance du 29 mai 2018

Conclusion de la séance dédiée : « Les coûts des médicaments des cancers »

Michel HUGUIER*

L’auteur n’a aucun conflit d’intérêt lié au contenu de cet article.

L’évolution des connaissances, notamment génomiques et immunologiques, a bouleversé celles des cancers et de leurs traitements. De nouveaux médicaments entrainent des espoirs de survies et de guérisons jusque-là inespérés. En revanche, leurs coûts justifient la préoccupation des pouvoirs publics dans la mesure où ils sont pris en charge, en totalité ou presque par la solidarité nationale.

Néanmoins, la présentation de certains résultats est subtilement biaisée. Ainsi, des données tronquées comme la survie, au lieu de faire l’objet de courbes actuarielles sont transformées en variables quantitatives comme des taux de survie sans récidive à un an. Les effets adverses graves sont psychologiquement minorés en ne les assortissant pas de test statistique et en indiquant comme seul commentaire qu’aucun effet adverse nouveau n’a été observé [Eggermont].

Des flous concernent les prix affichés et les prix réels avec des rabais confidentiels, des rétro-commissions,  des accords de performances, etc. S’il est normal que les industriels cherchent le maximum de bénéfice pour financer de nouvelles recherches et développements, et pour rémunérer les capitaux investis, il faut être conscient que  la médecine est devenue une entreprise industrielle et commerciale. Ainsi, en 2015, l’homologation du nivolumab par la Food and drug administration pour le traitement de certains cancers du poumon avait porté la valeur de l’action en bourse à son plus haut niveau jamais atteint depuis 14 ans.

L’évolution des prix fait l’objet d’affirmations très divergentes entre les industriels et les financeurs. Les industriels montrent que « la part budgétaire des anticancéreux financés en sus des prestations d’hospitalisation est la même en 2016 qu’en 2010 ou que le prix moyen pondéré des traitements anticancéreux (12 318 €) est stable depuis 2012 » [Baseilhac]. Néanmoins, le coût moyen des anticancéreux à l’inscription sur la liste en sus pour les produits ayant fait l’objet d’une primo inscription, est passé de 6 152 euros en 2010 à 23 555 euros en 2016 [Baseilhac]. La caisse nationale d’assurance maladie a estimé que le prix moyen à payer pour une année de vie gagnée serait de 176 000 euros, en augmentation constante de l’ordre de 11% par an entre 1995 et 2016 [in Bouvenot].

Il est clair que la décision de prendre en charge ou non par la solidarité nationale doit tenir compte des bénéfices-risques médicaux, mais aussi d’autres données comme le coût incrémental par année de vie gagnée ajustée par la qualité (coût par QUALY) [Paris]. Ce n’est pas parce que ce type d’approche est mal accepté qu’il faut, pour autant, y renoncer. En effet,  dans des enveloppes financières qui ne peuvent être illimitées, ce qui est consacré au traitement onéreux d’une maladie ne pourra pas l’être à d’autres actions de prévention ou de traitement.

Nous conclurons en reprenant une proposition du rapport de 2016 de la Commission « Financement des dépenses de santé. Assurance maladie » de l’Académie qu’à côté de l’Agence européenne des médicaments[1],  soit créé d’une part une Commission économique européenne des produits de santé pour fixer des prix et d’autre part une Centrale européenne d’achats à l’image de la centrale d’achats des centres hospitaliers [Huguier]. Ces instances auraient probablement dans les discussions avec les industriels un poids supérieur à celui que chaque pays peut avoir isolément.

[1] Actuellement à Londres, doit être déménagée à Amsterdam.

RÉFÉRENCES

[1] EGGERMONT ANM, BLANK CU, MANDALA M, LONG GV, ATKINSON V, DALLE S, et al. Adjuvant pembrolizumab versus placebo in resected stage III melanoma. N Engl J Med 2018; 378:1789-801.

[2] BLAY JY, PEROL D, BACHELOT T, ZROUNBA P, MEEUS P, BEAUPERE S et al. Enjeux et difficultés de la gestion des médicaments onéreux non intégrés dans la liste en sus pour un hôpital traitant des cancers.  Bull Acad Natle Med 2018 ; 202 : sous presse.

[3] BOUVENOT G. Modalités et déterminants de la fixation des prix des médicaments des cancers en France. Bull Acad Natle Med 2018 ; 202 : sous presse.

[4] PARIS V. Le coût des anti-cancéreux : un défi pour les systèmes de santé des pays de l’OCDE. Bull Acad Natle Med 2018 ; 202 : sous presse.

[5] HUGUIER M, MILHAUD G, DENOIX de SAINT MARC R, BOUVENOT G. Observations et propositions sur le coût des nouveaux traitement et solidarité nationale. Bull Acad Natle Med 2016, 200 :623-37.

Bull. Acad. Natle Méd., 2018, 202, nos 5-6, 1025-1026, séance du 29 mai 2018