Communication scientifique
Session of 26 janvier 2010

Sauvetage des membres atteints de sarcome localement évolué. La triade innovante : perfusion de membre isolé sous CEC, TNF α et transplant microchirurgical

MOTS-CLÉS : microchirurgie. reconstructions chirurgicales. transplants.. tumeurs des tissus mous
Locally advanced soft-tissue sarcomas. An innovating triad to avoid amputation : isolated limb perfusion, TNFα, and free microsurgical flap
KEY-WORDS : microsurgery. soft tissue neoplasms. surgically-created structures. transplants

Michel A. Germain, Sylvie Bonvalot, Françoise Rimareix, MarieChristine Missana

Résumé

Le but de cette étude rétrospective est de montrer les trois progrès récents dans le traitement des sarcomes des tissus mous des membres : la perfusion de membre isolé avec circulation extracorporelle (CEC), l’apport du TNF α (facteur de nécrose tissulaire) associé au melphalan, et les transplants microchirurgicaux de couverture après exérèse. De 2000 à 2008, 37 patients ont nécessité une perfusion de membre isolé pour traiter des sarcomes évolués des tissus mous. Il s’agissait de 22 femmes et de 15 hommes. L’âge moyen était de 45 ans (15 à 78 ans). Le sarcome siégeait aux membres inférieurs (n = 26), ou supérieurs (n = 11), avait une taille moyenne respectivement de 15 cm et 12 cm, était multifocal (n = 8) ou récidivé (n = 15). Dix-sept patients ont reçu une chimiothérapie néo adjuvante. L’exérèse tumorale a nécessité dans dix cas un geste opératoire complémentaire (pontage vasculaire ou réparation nerveuse). La couverture du site a été réalisée par un transplant libre de latissimus dorsi (n = 31), de grand droit de l’abdomen (n = 4), un transplant libre ante brachial (n = 2). Une radiothérapie postopératoire a été réalisée chez 25 patients. Trois apports majeurs ont été récemment apportés : la perfusion de membre isolé sous CEC, avec le TNF α (facteur de nécrose tissulaire) et le melphalan, l’exérèse du résidu tumoral deux mois plus tard et la couverture du site opératoire par transplant libre vascularisé. Aucun décès péri opératoire n’est survenu. La durée opératoire moyenne a été de sept heures. Sur les 37 cas, deux transplants ont nécrosé et ont nécessité un second transplant avec succès. L’exérèse est classée en trois stades : R0 est une exérèse avec une marge de tissu sain, R1 est une exérèse avec un résidu microscopique au contact de la berge d’exérèse, R2 est une exérèse avec un résidu macroscopique de tumeur sur la berge d’éxérése. L’exérèse était R0 (n = 29), R1 (n = 7), R2 (n = 1). Avec un recul médian de cinq ans, aucun patient R0 n’a eu de récidive locale, et le taux de survie global est de 65 %. Treize patients ont présenté des métastases pulmonaires, et sept d’entre eux en sont décédés. La perfusion de membre sous CEC avec TNF α et melphalan, puis l’exérèse du résidu tumoral deux mois plus tard et la couverture du site par transplant libre ont permis de réaliser une exérèse plus large des sarcomes, d’éviter l’amputation du membre chez 78 % des patients et de réaliser une irradiation postopératoire précoce chez 25 malades. Ces résultats sont permis grâce à la prise en charge multidisciplinaire avec des compétences extrêmement spécialisées : chirurgiens, chimiothérapeutes, radiothérapeutes, et améliorent le pronostic des sarcomes des tissus mous localement évolués.

Summary

We retrospectively studied the benefits of isolated limb perfusion combined with TNF alpha administration and free flap reconstruction in locally advanced soft-tissue sarcomas of the limbs. Between 2000 and 2008, we treated 37 patients (22 women and 15 men) with locally advanced soft tissue sarcomas. The sarcomas were located in the lower and upper limbs in respectively 26 and 11 cases, and had a mean diameter of 15 cm and 12 cm, respectively. They were multifocal in 8 cases and recurrent in 15 cases. Seventeen patients received neoadjuvant chemotherapy. Sarcoma excision was combined with a complementary procedure in 10 patients (vascular graft or nerve anastomosis). Reconstruction was performed with free flaps of the latissimus dorsi (n = 31), transverse rectus abdominis myocutaneous flaps (n = 4) or free forearm flaps (n = 2). Early postoperative radiotherapy was administered in 25 cases. Three major improvements were made in recent years, namely isolated limb perfusion, TNF alpha administration, and free flap reconstruction two months after resection of residual sarcoma. There were no early postoperative deaths. The procedure lasted a median of 7 hours. Two free flaps necrotized, and a new free flap was created with success. Tumor excision was stage R0 in 29 cases (clean margins), R1 in 7 cases (microscopic residue), and R2 in one case (macroscopic residue). With a median follow-up of 5 years, there were no local recurrences in R0 patients, and the overall survival rate was 65 %. The limb was preserved in 78 % of cases. Thirteen patients developed pulmonary metastases and seven of them died between the first and fifth years of follow-up. Isolated limb perfusion and free flap reconstruction permitted more extensive tumor excision. Amputation was avoided in 78 % of our 37 patients, and early postoperative radiotherapy was possible in 25 cases.

Le traitement des sarcomes des tissus mous a considérablement évolué depuis dix ans, permettant le sauvetage des membres, grâce à trois apports : la perfusion de membre isolé sous circulation extracorporelle (CEC), l’utilisation de TNFα (facteur de nécrose tissulaire) associé au melphalan, et la reconstruction du site opératoire par un transplant libre après exérèse du sarcome. Le constat initial est que, même après amputation de membre, 30 % à 40 % des malades développent des métastases pulmonaires, conduisant au décès dans la majorité des cas [1]. En 1975, Suit [2], observait des taux de survie équivalents chez les patients ayant une radiothérapie après simple exérèse et chez les patients amputés. Aussi, depuis 30 ans, on observe un recul des interventions mutilantes. La première grande avancée correspond au développement de la chimiothérapie néo adjuvante pour les sarcomes. En plein essor après 1989, son but principal est de diminuer le volume tumoral pour permettre secondairement une chirurgie conservatrice. Des taux de réponse objective de 30 % à 50 % sont rapportés [3] mais les possibilités d’intervention conservatrice en cas de tumeur évoluée restent limitées. Dans tous les cas la chirurgie doit être carcinologique avec des règles strictes afin d’éviter des exérèses itératives, pouvant majorer le risque métastatique [4]. Les objectifs chirurgicaux sont d’obtenir des marges histologiques saines, d’éviter toute effraction tumorale et de maintenir la fonction du membre [5]. La recherche progresse tant pour la découverte de nouvelles molécules que pour leurs modes d’administration. Ainsi la perfusion de membre isolé avec du melphalan seul s’avère efficace sur les mélanomes ou les sarcomes de petite taille, mais elle est inefficace sur les sarcomes évolués. L’addition de facteur de nécrose tumorale alpha a transformé la situation. Un taux élevé de réponse et de sauvetage des membres a été obtenu, grâce à une ‘‘ qualité ’’ de régression tumorale compatible avec une exérèse chirurgicale carcinologique. L’utilisation de TNFα avec circulation extracorporelle a été initiée par Lejeune et Liénard à Bruxelles en 1989.

Sur une série de 19 mélanomes et cinq sarcomes, des réponses très rapides ont été obtenues. L’utilisation de TNF avec CEC est devenue une nouvelle méthode de ‘‘ bio ’’ chimiothérapie pour les sarcomes des membres avec 20 % à 30 % de rémission complète et 50 % de rémission partielle. Surtout, la perfusion de TNF par CEC conduit à une nécrose massive du sarcome et deux mois après CEC, une résection du sarcome à marge saine est possible et l’amputation évitée. Cette étude a pour but d’analyser l’apport de la perfusion de membre isolé avec TNF et melphalan et de la chirurgie reconstructrice après exérèse.

PATIENTS ET MÉTHODES

Patients

L’étude concerne 37 patients traités entre 2000 et 2008. Ils présentaient un sarcome des tissus mous des membres localement évolué, ne relevant plus classiquement que d’une chirurgie mutilante : amputation ou désarticulation. Seuls les sarcomes des membres font l’objet de cette étude et ce nombre représente le dixième des patients opérés d’un sarcome des tissus mous durant la même période par le même opérateur.

Il s’agissait de 22 femmes et de 15 hommes. L’âge moyen était de 45 ans (15 ans à 78 ans). La localisation tumorale concernait le membre inférieur dans 26 cas et le membre supérieur dans 11 cas. La dimension médiane de la tumeur était de 15 cm au membre inférieur et de 12 cm au membre supérieur. Le sarcome était multifocal chez 8 patients. Le grade histo-pronostique a été défini selon la classification de la fédération nationale des centres de lutte contre le cancer (FNCLCC). Grade I : 7, grade II : 16, grade III : 14. Les sous-groupes histologiques sont précisés dans le Tableau I. Parmi les sarcomes indifférenciés (n = 12) sont inclus les histio cyto fibromes malins (n = 2), selon la nomenclature moderne. Parmi les 37 patients, 22 n’avaient pas été opérés, 11 étaient en récidive locale après intervention et 4 nécessitaient une reprise d’exérèse systématique après chirurgie initiale inadaptée avec présence de reliquat tumoral. Douze patients avaient reçu une radiothérapie complémentaire à la dose de 40 Gy [6], 6 pour récidive en territoire déjà irradié, 4 pour poursuite évolutive en cours d’irradiation après chirurgie initiale inadéquate, 2 pour traiter un sarcome radio induit. Dix sept patients avaient reçu une chimiothérapie néo adjuvante par voie générale : soit doxorubicine seule, soit l’association adriamycine-ifosfamide, à raison pour chaque alternative de trois cures à trois semaines d’intervalle, avec réponse à la chimiothérapie peu ou pas efficace puisque sept malades étaient en progression tumorale, neuf étaient juste stabilisés, et un seul avait une réponse objective.

Tableau 1. — Sous-groupes histologiques.

Sarcomes indifférenciés n = 12 liposarcomes n = 8 Radio-induits n = 3 Fibrosarcomes n = 5 Sarcomes à cellules claires n = 3 Schwannomes malins n = 2 Rhabdomyosarcome n = 1 Léïomyosarcomes n = 3 Méthodes

Tous les patients (n = 37) ont eu une perfusion de membre isolé avec TNF et melphalan, puis ont été opérés deux mois plus tard pour exérèse du résidu tumoral avec reconstruction dans le même temps par un transplant libre de couverture. Les séquelles de la radiothérapie ne sont pas une contre-indication à la technique présentée, puisqu’il est possible de revasculariser le transplant à distance de la zone irradiée.

L’évaluation initiale

Le diagnostic clinique de sarcome est évoqué sur des signes précis et doit être envisagé devant une tuméfaction de plus de 3 cm, douloureuse et profonde.

L’imagerie pour bilan est réalisée au mieux par IRM : c’est l’examen de référence avec les séquences T1 et T2 et l’injection de gadolinium. L’échographie avec les appareils de nouvelle génération est un examen utile. La biopsie est obligatoire, avant toute décision thérapeutique. Elle est pratiquée avec une grosse aiguille (aiguille de ‘‘ true cut ’’ ou trocart) et il faut tatouer la zone de biopsie à l’encre indélébile. Certains prélèvements sont fixés au formol pour l’examen histologique conventionnel, d’autres sont conservés frais pour l’examen de biologie moléculaire.

La perfusion de membre isolé et sa technique

La perfusion de membre isolé (ILP) permet de délivrer directement dans la zone tumorale des concentrations de médicaments quinze à vingt-cinq fois plus élevées qu’après administration systémique et ceci sans effet nocif grave. L’exclusion du membre est réalisée en clampant et en canulant l’artère et la veine majeures du membre, en aval du tourniquet avec connection à un circuit d’oxygénation extracorporelle, ligature des branches collatérales et application d’un garrot pneumatique à la racine du membre (Fig. 1). Le tourniquet est gonflé à une pression de 40 mm de mercure, de façon à isoler totalement le membre perfusé : l’exclusion vasculaire est totale. Une injection de TNF-alpha (1 mg) est réalisée à la trentième minute, suivie d’une injection de melphalan (10 mg/litre au membre inférieur et 13 mg/l au membre supérieur) dix minutes plus tard. Après 90 mn de perfusion, un lavage soigneux du membre est effectué avec une solution d’électrolytes : Eloes®, de cinq litres (aux membres inférieurs comme aux membres supérieurs). La température tissulaire doit être de 39°, l’hyperthermie augmentant l’efficacité des médicaments injectés. Elle est surveillée par des thermo sondes cutanées. De l’albumine de sérum humain marquée au technétium 99 m ( 2 00 MBq) est injectée dans la perfusion pour détecter les fuites éventuelles dans la circulation systémique, grâce à une sonde de scintigraphie précordiale, ce qui prouve l’étanchéité du montage. Des circuits héparinés sont utilisés, avec injection d’héparine.

La perfusion de facteur de nécrose tumorale α associé au melphalan permet des réponses élevées au niveau du sarcome [7].

L’évaluation préopératoire immédiate

Une IRM du membre est réalisée un mois, puis deux mois après la perfusion, et juge de l’efficacité du traitement. Une imagerie plus sophistiquée peut être utile, qui utilise l’injection vasculaire de produit de contraste, ce qui permet une étude dynamique de l’efficacité du traitement.

L’exérèse du résidu tumoral

Indispensable, elle est réalisée deux mois plus tard : résection en bloc pour éviter toute effraction tumorale. En effet, en cas de non exérèse, la récidive est la règle car il reste toujours des cellules tumorales viables. L’exérèse tumorale peut nécessiter (n = 10) un geste opératoire complémentaire (pontage vasculaire : n = 3, ablation d’un tronc nerveux majeur : n = 5, ablation d’un lambeau pédiculé : n = 2).

La reconstruction avec un transplant libre microchirurgical

Elle est effectuée dans le même temps opératoire que l’exérèse du résidu. Parmi ces patients atteints de sarcome de membre, s’il n’y avait pas eu de possibilité de

Fig. 1. — Schéma de la perfusion de membre isolé avec circulation extracorporelle.

couverture par un transplant libre, 29 sur 37 (78 %) auraient eu impérativement une amputation ou une désarticulation. Trois patients auraient eu une exérèse seulement marginale. Un patient présentant un sarcome radio induit du membre supérieur aurait été inopérable (désarticulation). Les indications de couverture sont détaillées dans le Tableau 2.

La couverture du site d’exérèse a été réalisée par une équipe de chirurgiens de reconstruction.

Tableau 2. — Indications de couverture.

Envahissement cutané étendu n = 26 Récidive sur lambeau pédiculé n = 2 Cicatrice présente inadéquate :

n = 3 — transversale de membre — parallèles multiples — en ancre de marine Espace mort important n = 3 Couverture d’axe vasculaire en terrain irradié n = 3

Trente et un transplants de latissimus dorsi, quatre transplants de grand droit de l’abdomen, deux transplants antébrachiaux radiaux ont été utilisés. Le site de branchement du transplant libre était situé sur un pédicule du site d’exérèse chez 32 patients ou à distance chez cinq patients (creux axillaire 3, pédicule épigastrique 2). Une anastomose nerveuse a été réalisée cinq fois entre le nerf moteur du latissimus dorsi et le nerf moteur du muscle interrompu. La réinnervation du transplant a été démontrée par électromyogramme chez deux patients.

L’évaluation histologique de la pièce opératoire et ses marges

La qualité de l’exérèse « R » a été définie selon les critères de l’Union internationale contre le cancer (UICC), avec une marge de tissu sain minimum précisée en millimètres sur la pièce fixée sur un liège : R0 pour une exérèse aux marges saines, R1 pour une exérèse marginale avec résidu histologique, R2 pour une exérèse macroscopiquement incomplète. La réponse complète (RC) est définie comme la disparition ou la nécrose complète de la tumeur, la réponse partielle (RP) comme une diminution de plus de 50 %. La réponse objective (RO) est la somme des RC et RP.

Le traitement oncologique pré et post-opératoire

La chimiothérapie . Parmi les traitements associés, 17 patients ont reçu une chimiothérapie néo adjuvante. La chimiothérapie adjuvante est indiquée selon le grade tumoral et l’âge du malade.

La radiothérapie . Douze patients ont reçu une radiothérapie préopératoire. Vingtcinq patients ont eu une radiothérapie postopératoire [6] (dont 2 ayant eu une poursuite évolutive en cours d’irradiation qui a été achevée après la reprise d’exé- rèse), et donc 12 patients ont reçu une radiothérapie pré et post-opératoire, avec une dose totale de 65 Gy. Douze patients n’ont pas eu de radiothérapie : 10 patients dont l’exérèse était R0 > 2cm, et deux patients qui avaient nécrosé leur transplant.

Lorsque l’exérèse était R0, la radiothérapie post-opératoire n’a pas fait la preuve de son efficacité : elle a été utilisée pour des indications particulières, précisément après chirurgie initiale incorrecte.

Résultats

Résultats immédiats

La durée moyenne d’intervention a été de sept heures. Aucun décès per ou postopératoire n’est survenu. Deux transplants sur 37 ont nécrosé et ont nécessité un nouveau transplant avec succès. Le premier patient âgé de 75 ans présentait une tumeur multifocale et l’exérèse était R2. L’autre patient avait une quatrième récidive en territoire irradié au niveau de la cuisse, au contact de l’axe fémoral superficiel et a thrombosé précocement. Un second transplant a été réalisé avec succès dans les deux cas.

 

Résultats à distance

Ce sont les résultats carcinologiques. L’exérèse était R0 chez 29 malades (78 %) avec R0> 10 mm dans dix-huit cas et R0< 10 mm dans onze cas. L’exérèse était R1 chez sept patients : six cas en récidive multifocale (avec progression sous chimiothérapie pour 3), et un cas en quatrième récidive au contact de l’origine de l’axe vasculaire fémoral en territoire préalablement irradié. Un patient a eu une exérèse R2 (tumeur primitive grade III, multifocale avec des nodules en transit locorégionaux, avec impossibilité de chimiothérapie néo adjuvante en raison de l’âge). Avec un recul médian de cinq ans, aucun patient ayant eu une exérèse R0 n’a eu de récidive locale, ni de métastase pulmonaire. Treize patients (35 %) ont présenté des métastases pulmonaires : cinq grade III, deux sarcomes radio induits, et six récidives, (toutes des 2ème, 3ème ou 4ème récidives). Parmi ces patients, l’un ayant eu une exérèse R1 pour une 4ème récidive d’un sarcome de la cuisse a eu une 5ème récidive locale ; un opéré de sarcome radio induit a eu une 2ème localisation à distance de la première, mais dans le même champ d’irradiation. Le patient ayant eu une exérèse R2 est décédé en poursuite évolutive locale, associée à des métastases pulmonaires. Sept patients (18 %) sont décédés de leurs métastases pulmonaires. Celles-ci constituent un élément majeur et péjoratif du pronostic. Elles étaient uniques et unilatérales dans quatre cas, et ont été réséquées (segmentectomies). Elles étaient multiples dans neuf cas et non opérées. Dans ce cadre nosologique gravissime, il serait concevable de réaliser une exclusion-perfusion pulmonaire par CEC, mais nous n’avons pas connaissance d’une telle réalisation. L’un de nous a en effet réalisé des exclusionsperfusions du pelvis pour des cancers pelviens, après expérimentation sur le veau avec utilisation d’une combinaison anti G, comme celle des pilotes d’avion de chasse.

Tous les patients le justifiant ont été irradiés dans des délais inférieurs au mois (n = 25), et sans complication vasculaire sur le lambeau, ni radionécrose. La dose moyenne était de 50 Gy. Lorsque survenait une radiodermite, c’est systématiquement la peau résiduelle du patient qui était touchée et non le transplant. La radiothérapie post-opératoire a un intérêt prouvé dans les exérèses R1, R2, dans les sarcomes de haut grade, et dans les récidives.

Discussion

Intérêt de la technique de perfusion de membre isolé

L’ILP a pour but de court-circuiter la circulation systémique pour administrer des produits efficaces au niveau loco régional, sans leurs effets généraux. L’indication de la perfusion de membre isolé est la topographie distale de la tumeur. Cette perfusion est techniquement impossible en cas de sarcome situé à la racine du membre [7].

La perfusion de membre isolé a été considérée comme responsable de lésions intimales des veines profondes pouvant expliquer certaines thromboses : en fait les études histologiques réalisées sur les pièces opératoire chez nos patients n’ont pas confirmé cette hypothèse. Cette perfusion entraîne toutefois des complications locales : neurologiques, paresthésie, œdème, raideur du membre nécessitant une rééducation.

L’apport du TNF α (facteur de nécrose tumorale), et du melphalan

La perfusion de membre isolé sous CEC avec du TNFα (facteur de nécrose tumorale) associé au melphalan a révolutionné la prise en charge des sarcomes des membres localement évolués. Bonvalot [8] a précisé la dose optimale efficace de TNF avec le moins d’effets secondaires et à un prix accessible sur une série de cent patients, en comparant cinq doses, de 0,5 mg, 1, 2, 3, et 4 mg. Les doses faibles de TNF (1 mg) associé au melphalan donnent les mêmes taux de réponse et de conservation des membres que les doses plus élevées, et avec une toxicité moindre.

La qualité de la chirurgie secondaire deux mois plus tard était évaluée avec la classification de l’UICC. Le TNF associé au melphalan donne des taux élevés de réponse qui permet d’éviter l’amputation dans 78 % des cas dans notre série.

Le TNF a un effet précoce et un effet tardif : il augmente la pénétration de certains médicaments anti tumoraux, dont le melphalan, dans le sarcome pendant la perfusion de membre. Le TNF augmente initialement la perméabilité des vaisseaux permettant une accumulation du melphalan dans le sarcome, tandis qu’il n’y a pas de modification des tissus normaux. Secondairement, il a un rôle essentiel dans la destruction sélective de la néo vascularisation tumorale entraî- nant une nécrose tumorale [9], bien précisée par l’IRM. Cette induction permet la résection de tissu tumoral résiduel deux mois après la perfusion de membre, et la reconstruction de la perte de substance par un transplant microchirurgical. Le TNF représente l’exemple majeur thérapeutique à effet vasculaire quelque soit la taille et le type de sarcome. La toxicité tardive du TNF comporte une atrophie musculaire, un œdème, des paresthésies. Aucune toxicité générale n’a été observée dans notre série grâce au lavage efficace du membre à la fin de la CEC.

— Le melphalan (moutarde à l’azote) est utilisé, car, malgré sa toxicité hématologique par voie systémique, il est l’un des agents les plus efficaces, les mieux tolérés au niveau tissulaire, avec une faible toxicité régionale. La tolérance hématologique est bonne lors de la CEC. La tolérance hématologique de ces deux médicaments est bonne, grâce au lavage efficace du membre.

Avantages des transplants microchirurgicaux

La justification des transplants libres est double : elle est carcinologique et fonctionnelle.

Les procédés de reconstruction, en particulier avec le transplant libre microchirurgical, ont permis aux chirurgiens oncologues d’effectuer les exérèses les plus larges et les plus carcinologiques possibles. La variété des transplants libres disponibles, en taille et en constitution, rend possible l’apport d’une couverture adaptée sur le site d’exérèse. Le chirurgien peut effectuer d’emblée l’exérèse optimale R0, sans la préoccupation de la fermeture qui se fait sans tension. Ainsi l’exérèse carcinologique (R0) a été réalisée dans 78 % des cas, et le taux de survie globale est de 65 % à cinq ans. Ce sont les transplants myocutanés qui ont été essentiellement utilisés (latissimus dorsi, ou grand droit de l’abdomen), deux cas seulement de transplant fascio cutané ont été utilisés. En dehors de la technique que nous décrivons, qui est la référence dans les centres spécialisés, la seule chirurgie possible aurait été une amputation ou une désarticulation du membre. Il s’agit d’une chirurgie coûteuse, mais justifiée par la bonne qualité de vie des malades.

L’éventail de formes de reconstruction par transplant libre a rendu l’exérèse R0 possible même en cas de reprise après un geste initial inadéquat, tel que drainage tumoral pour diagnostic erroné avec envahissement secondaire de la peau, liposuccion avec envahissement des zones décollées, exérèse endoluminale ou encore cicatrices étagées ou transversales. En effet, la reprise d’exérèse dans les cas de poursuite évolutive impose la double contrainte d’effectuer l’exérèse de la cicatrice précédente et de l’inclure dans la cicatrice d’exérèse finale élargie qui doit toujours être pratiquée au plan carcinologique dans l’axe du membre [10]. Les récidives se propageant le long des cicatrices, il est indispensable de pouvoir couvrir le site d’exérèse par un transplant microchirurgical. Sans couverture par transplant libre, l’exérèse carcinologique aurait été impossible ou aurait nécessité le sacrifice du membre [11]. Le développement des indications des transplants microchirurgicaux dans notre expé- rience a d’ailleurs été initialement dicté par la difficulté des reprises de patients qui avaient eu des gestes initiaux inadaptés (souvent sans imagerie) et par la volonté d’être conservateur [12].

Notre série groupe des patients de mauvais pronostic : poursuite évolutive sous traitement radiothérapique ou chimiothérapique, taille lésionnelle importante, haut grade, récidive, terrain irradié, lésions multifocales. Le transplant libre, taillé sur mesure, permet d’éviter les décollements cutanés excessifs, la fermeture sous tension et les espaces morts, sources potentielles de récidive locale, d’infection et de désunion cutanée.

Les transplants libres permettent une reconstruction en territoire irradié (12 patients dans notre série) : la revascularisation est faite à distance des tissus irradiés, sur vaisseaux sains.

Après la mise en place d’un transplant libre, l’irradiation postopératoire, lorsqu’elle est indiquée, a été possible dans le délai d’un mois. L’apport de tissus bien vascularisés est indispensable pour éviter la désunion de cicatrice et permettre la couverture des axes vasculaires ou des pontages. Ils les protègent de la radiothérapie. La cicatrisation est rapide et ne retarde pas l’irradiation post-opératoire. L’apport d’un tissu bien vascularisé évite le risque de radionécrose (Fig. 2). Plus la taille de la cicatrice est petite, plus le champ d’irradiation est limité.

Le prélèvement d’un transplant libre fait à distance du site du sarcome, par une équipe indépendante, met à l’abri de localisation tumorale et même de contamination accidentelle au site de prélèvement.

Fig. 2. — Sarcome du membre inférieur : résection carcinologique deux mois après perfusion de TNF α + melphalan. Couverture par un transplant libre de latissimus dorsi.

 

Au plan fonctionnel, le transplant libre, par comparaison au lambeau pédiculé de proximité, permet de ne pas aggraver la fonction du membre déjà altérée par l’exérèse chirurgicale, et de ‘‘ réanimer ’’ la région grâce à une anastomose nerveuse du nerf du transplant avec un nerf moteur de muscle excisé. Cette possibilité de réinnervation est spécifique au transplant libre et très utile sur le plan fonctionnel.

Les transplants libres sont toujours réalisables, éventuellement grâce à des pontages vasculaires (deux cas dans notre série), même dans des régions où des lambeaux pédiculés ne seraient pas disponibles. Ils peuvent être taillés sur mesure et orientés de façon optimale au niveau de la perte de substance, car ils sont libres de toute attache à un pédicule vasculaire.

Le taux de viabilité des transplants libres est de 95,5 % dans notre expérience [13].

La réalisation de ces interventions à double équipe opérant simultanément permet de diminuer la durée opératoire.

Place des traitements adjuvants

La chimiothérapie . Le développement des chimiothérapies néo adjuvantes pour les sarcomes des tissus mous a débuté avant 1989, avec un plein essor dans la décennie suivante. Un des objectifs était de diminuer le volume tumoral afin de permettre secondairement une chirurgie conservatrice avec des marges histologiques saines. Des taux de réponse objective de 30 % à 40 % ont été rapportés [3].

La chirurgie doit cependant être impérativement carcinologique afin d’éviter des exérèses itératives pouvant aboutir à des gestes mutilants. La toxicité générale de produits actifs sur les sarcomes des tissus mous limite leur utilisation à dose optimale efficace et empêche la diminution maximale de la taille tumorale. Habituellement, pour les sarcomes évolués, la réduction tumorale obtenue par chimiothérapie néo adjuvante par voie générale ne permet pas de chirurgie conservatrice du membre, obligeant à l’amputation ou la désarticulation. La perfusion isolée de membre avec TNFα et melphalan apporte dans ce domaine une bien meilleure réponse, notamment grâce à la qualité de la régression tumorale qui permet une exérèse carcinologique plus sûre.

Si le sarcome est d’évolution lente et de bas grade histopathologique, il n’y a pas lieu de réaliser une chimiothérapie néo adjuvante, inutile dans ce cas.

La radiothérapie postopératoire est nécessaire dans la majorité des cas, c’est-à- dire dans les exérèses R1, R2, ou dans les récidives, dans les hauts grades, ou les lésions multifocales, soit 25 cas au total. Elle est rendue possible à des doses thérapeutiques grâce à l’utilisation des transplants libres qui sont bien vascularisés.

Elle n’est pas justifiée dans les exérèses R0 s’il s’agit d’une exérèse initiale.

Les facteurs de pronostic

La qualité de l’exérèse (marges saines, sans effraction tumorale) est le facteur pronostic essentiel du contrôle local [9]. Les patients dont l’exérèse était R0, n’ont pas eu de récidive locale malgré des facteurs péjoratifs : c’est le facteur pronostique dominant du contrôle local. Dans les autres cas, les récidives locales survenaient dans le site opératoire des interventions précédentes, les orifices de drainage, les zones de décollements chirurgicaux. Cela doit inciter à ne pas utiliser de lambeau pédiculé contigu à la zone d’exérèse.

Les métastases pulmonaires .

Elles sont fréquentes (13 cas sur 37 dans notre série). C’est la cause de décès habituelle. Le haut grade de malignité et la taille importante du sarcome sont des facteurs de métastase, de même que les récidives locales [11].

Les facteurs de pronostic péjoratif.

Les facteurs de risque de récidives locales sont : des marges chirurgicales insuffisantes et les récidives. Afin d’éviter des gestes inadaptés sur une tumeur des tissus mous (drainage, liposuccion, effraction tumorale, cicatrice ectopique), il est nécessaire de réaliser en priorité et impérativement la biopsie sur le trajet de la future exérèse afin d’adapter d’emblée le geste chirurgical au diagnostic histologique Ces facteurs comportent aussi la poursuite évolutive sous traitement (radiothérapie ou chimiothérapie), la taille de la tumeur, le haut grade histologique, le terrain déjà irradié, les lésions multifocales.

CONCLUSIONS

L’utilisation de la perfusion de membre avec TNFα et melphalan a été initiée par Lejeune et Liénard à Bruxelles en 1989 [14]. Le TNF a été approuvé en Europe dans l’indication des sarcomes en 1998. Cette technique est nouvelle et son efficacité a été prouvée dans plusieurs centres européens avec 20 à 30 % de rémission complète et 50 % de rémission partielle. L’utilisation de transplants libres dans la chirurgie des sarcomes localement évolués permet de réaliser une exérèse chirurgicale plus large, carcinologique et aussi fonctionnelle, en évitant des amputations dans 78 % des cas. L’apport de tissu bien vascularisé permet d’envisager, lorsqu’elle est indiquée, une irradiation post opératoire précoce sans risque de radionécrose. Le transplant libre permet d’éviter la mise en contact du site d’exérèse et du site de prélèvement du transplant, ce qui diminue le risque de récidive et permet de réduire le champ d’irradiation. La réanimation motrice du groupe musculaire est permise grâce à la réalisation d’anastomose nerveuse du transplant, ce qui autorise une exérèse carcinologique associée à une bonne qualité de vie. « Action du TNF alpha associé au melphalan, potentialisation de l’effet thérapeutique par perfusion du membre isolé et possibilités de reconstruction par transplant libre avec ré-innervation » : l’association synergique de ces trois facteurs constitue une triade thérapeutique innovante dans le traitement des sarcomes des tissus mous des membres. Elle évite l’amputation et rétablit la fonction motrice du membre. La réussite de telles interventions dépend d’une bonne collaboration entre anatomo- pathologistes, chirurgiens, oncologues, radiothérapeutes, et chirurgien de reconstruction. La prise en charge multidisciplinaire des sarcomes des tissus mous est indispensable, car elle demande des compétences multiples extrêmement spécialisées. Elle garantit un meilleur pronostic local et général, tout en optimisant la qualité de vie.

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DISCUSSION

M. Yves CHAPUIS

Dans le cas des sarcomes de la loge antéro-externe de la cuisse vous avez montré un remplacement prothétique de l’artère fémorale emportée par l’exérèse. C’est aussi le cas de la veine fémorale. Avez-vous une expérience de reconstruction veineuse, avec tous les doutes qui ont plané longtemps sur la pérennité de ce geste ? Si je pose cette question c’est que j’ai eu l’occasion, il y a quelques années, opérant de concert avec Méary à Cochin, de devoir ponter après exérèse tumorale non seulement l’artère, mais aussi la veine avec, pour cette dernière, la persistance de la perméabilité vingt ans après l’intervention.

En cas de sarcome des tissus mous au contact du pédicule vasculaire, voire l’envahissant, il est nécessaire de pratiquer l’exérèse en bloc du résidu de sarcome et du pédicule vasculaire, en l’occurrence fémoral. Dans ces cas de volumineuses tumeurs, la veine fémorale est comprimée et devient non fonctionnelle. Une importante circulation collatérale s’établit alors : la veine saphène interne a un calibre de quelques centimètres. Si le pontage de l’artère fémorale est indispensable (trois cas dans notre série), celui de la veine ne l’est pas et nous n’avons jamais ponté celle-ci.

M. Jean DUBOUSSET

Quelle est la différence, si elle existe, entre les cas primitifs (mais très évolués quasi inopérables avec conservation avant la triade innovante) et les cas secondaires déjà opérés et mal opérés où l’on ne connaît pas l’étendue de la dissémination chirurgicale survenue lors de la première chirurgie ?

Il existe une différence importante entre les sarcomes opérés initialement après CEC + TNFα et les cas déjà opérés et traités dans d’autres centres : quinze cas dans notre série dont onze récidives locales et quatre reprises d’exérèse après chirurgie initiale inadaptée.

Dans huit cas des métastases pulmonaires sont apparues, et six cas ont présenté des récidives locales (toutes des deuxième ou troisième récidives). C’est souligner l’importance de réaliser le traitement chirurgical initial d’emblée adapté après IRM et biopsie, puis perfusion de membre isolé.

M. Christian NEZELOF

Existe-t-il des troubles sensitifs post-opératoires ? Je voudrais, d’autre part, souligner les difficultés de distinguer l’évolutivité des « lésions nécrotiques », nécrose liée à l’ischémie, la chimiothérapie, à l’éventuelle radiothérapie…, où l’analyse morphologique est souvent prise en défaut. Pourquoi 39° c ?

 

Après perfusion de membre isolé avec TNF α + Melphalan, il existe de façon habituelle plusieurs conséquences : atrophie musculaire, œdème, paresthésies, raideur du membre nécessitant une rééducation, syndrome pied-main en partie prévenu par la compression du pied ou de la main durant la perfusion avec un bandage élastique avant l’injection des médicaments. Il faut souligner la difficulté de distinguer en anatomopathologie l’évolutivité des lésions nécrotiques. C’est dire l’importance de pratiquer l’exérèse du résidu tumoral deux mois après la perfusion de membre isolé. La température du membre perfusé doit être de 39° C car l’hyperthermie augmente l’efficacité des médicaments perfusés, d’où l’utilité de surveiller cette température en permanence grâce aux thermosondes appliquées sur les membres. L’élévation thermique favorise la pénétration intracellulaire des agents antimitotiques. Des températures plus élevées (41° C ou 42° C) entraînent des lésions tissulaires importantes.

M. Jean-Daniel PICARD

Les métastases ganglionnaires sont exceptionnelles dans les sarcomes des parties molles, je le sais. Combien de vos patients avaient une atteinte ganglionnaire ?

Les métastases ganglionnaires des sarcomes des tissus mous sont exceptionnelles : deux patients sur trente-sept dans notre série, ce qui correspond à moins de 5 % des cas.

M. Charles-Joël MENKES

Le synovialosarcome a-t-il un pronostic particulièrement défavorable ?

Les sarcomes des tissus mous comportent un nombre important de sous-groupes histologiques (trente) et les synovialosarcomes n’ont pas en soi un pronostic péjoratif ; c’est le grade histologique et la taille du sarcome qui sont les facteurs déterminants.

M. Jacques ROUESSE

Pratiquez-vous cette perfusion des membres en cas de sarcome déjà irradié ? Vous avez évoqué la nécessité d’irradier en post-opératoire les sarcomes de haut grade. À mon avis, les sarcomes des extrémités ne relèvent pas de cette indication en raison de sa très mauvaise tolérance ? Qu’en pensez-vous ?

En cas de sarcome déjà irradié, soit douze patients dans notre série, il n’y a pas de contre-indication à pratiquer la perfusion de membre isolé ; et la revascularisation du transplant se fait à distance de la zone irradiée. Nous utilisons et recommandons la radiothérapie post-opératoire en cas de sarcome de haut grade y compris pour les exérèses R0, pour éviter les récidives. La radiothérapie est contre-indiquée sur les extrémités : mains et pieds, en raison de sa très mauvaise tolérance locale.

M. Yves LOGEAIS

Compte tenu de l’indispensable agressivité de la chimiothérapie locale, je m’interroge sur le caractère complet de l’exclusion vasculaire du membre inférieur, pensant à la voie ischiati- que ou « grand courant postérieur de la cuisse ». Avez-vous recherché un passage du Melphalan dans la circulation systémique ?

L’exclusion vasculaire du membre perfusé doit être totale en raison de la toxicité surtout du TNFα. Un garrot pneumatique est placé à la racine du membre durant la perfusion.

De l’albumine de sérum marquée au Technétium 99 m (200 MBq) est injectée dans la perfusion pour détecter les éventuelles fuites, grâce à une sonde de scintigraphie précordiale. Une fuite de 1 % est observée, puis elle passe à 3 % après rinçage du membre, et lors du rétablissement de la circulation de celui-ci. Durant la perfusion du membre, l’os reste vascularisé ce qui peut entraîner une fuite très minime. Il est peu probable en raison du garrot qu’il existe une fuite par le grand courant postérieur de la cuisse. Nous n’avons pas dosé le Melphalan ni le TNF α dans la circulation systémique, la scintigraphie précordiale avec enregistrement est suffisante pour la surveillance.

M. Jean-Daniel SRAER

Cette thérapeutique a-t-elle déjà été utilisée dans d’autres types de tumeur en particulier le rein ?

Cette thérapeutique a été utilisée dans d’autres types de tumeur : perfusions pelviennes sous circulation extra-corporelle pour cancers pelviens localement évolués, grâce à une combinaison anti G au dessus des canulations aortique et cave, en utilisant Melphalan et TNF α (22 patients dans notre série à l’IGR), avec une réponse efficace. À notre connaissance, cette thérapeutique n’a pas été utilisée dans les tumeurs du rein.

M. Jean-Jacques HAUW

Existe-t-il des contre-indications vasculaires (artériopathie diabétique par exemple) à la perfusion de membre isolé ?

Les artériopathies sévères sont une contre-indication à la perfusion de membre isolé. En ce qui concerne d’éventuelles conséquences vasculaires après cette perfusion, en particulier sur les veines, décrites dans la littérature, nous avons fait pratiquer des examens histologiques d’artères et de veines de pièce opératoire après perfusion de membre :

aucune anomalie n’a été observée.

 

<p>* Département de chirurgie oncologique, Institut Gustave Roussy, 39, Rue Camille Desmoulins, F 94805 Villejuif cedex., e-mail : m.a.germain@orange.fr Tirés-à-part : Professeur Michel A. Germain, même adresse. Article reçu le 9 juin 2009, accepté le 12 octobre 2009.</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2010, 194, no 1, 51-67, séance du 26 janvier 2010