Rapport
Session of 19 janvier 2010

10-02 Les formations médicales spécialisées en France

MOTS-CLÉS : compétences professionnelles, médecine. spécialité médicale
Specialist medical training in France
KEY-WORDS : professional competence, medicine. specialities, medical

Daniel Couturier (au nom d’un groupe de travail et de la Comission XV — Exercice médical en milieu hospitalier public et en milieu hospitalouniversitaire)

Résumé

La spécialisation en médecine est un processus évolutif qui accompagne le progrès des connaissances et des techniques d’investigation. La maîtrise de la spécialisation en médecine est nécessaire en raison de ses implications éthiques, organisationnelles et économiques. Un grand nombre de qualifications ont été individualisées. Elles donnent au praticien le droit d’exercer comme spécialiste ou une reconnaissance de compétence. L’accès à la spécialisation peut être obtenu par des formations spécialisées dans le cadre du troisième cycle des études médicales, elles confèrent le Diplôme d’Étude Spécialisé (DES). Des spécialisations peuvent être obtenues par des formations spécialisées plus courtes, Diplômes d’Étude Spécialisé Complémentaire (DES.). Enfin, la qualification et le droit d’exercer une spécialité peuvent être obtenus sur demande individuelle argumentée par un dossier, après avis d’une Commission de qualification sous l’autorité de l’Ordre des Médecins. La régulation du flux de spécialistes est imparfaitement contrôlée en dehors de quelques spécialités soumises à une filière spécifique nationale. L’acquisition d’une spécialité par les médecins de diplôme étranger acquis hors de l’Union Européenne a été réformée très récemment. La formation qui se rapproche de celle du DES est encadrée de la même façon, elle permet d’obtenir un diplôme et non une attestation comme antérieurement. La spécialisation a pu susciter des réserves dans la mesure où elle a été accusée de conduire à négliger la prise en charge du malade dans l’originalité de l’ensemble de sa personnalité. L’attrait prioritaire vers les spécialités a appauvri le recrutement vers la médecine générale qui est choisie par défaut. La spécialité de Médecine Générale a été instituée pour tenter de corriger ce déséquilibre. Des propositions ont déjà été formulées par l’Académie nationale de médecine et par les responsables universitaires pour pallier les défauts du dispositif de spécialisation. Elles sont approfondies et développées dans ce rapport.

Summary

Medical specialization is an evolving process that accompanies advances in knowledge and investigative methods. Medical specialization must be controlled, because of its ethical, organizational and economic implications. A large number of specialist qualifications have been developed, giving the practitioner the right to practice as a specialist or to be recognized as such. Specializations can be obtained through specific training during postgraduate medical education, leading to a Diploma in Specialist Studies (Diplôme d’Étude Spécialisé, DES), or through shorter specific training courses leading to a Diploma in Complementary Specialist Studies (Diplômes d’Étude Spécialisé Complémentaire, DESC). Finally, specialist qualifications and the right to practice a given specialty can be obtained individually through dossier-based applications, after approval by the Qualifications Commission of the French College of Physicians. Apart from a few specialties managed by specific national structures, specialization is inadequately controlled in France. Acquisition of medical specialties by physicians having graduated outside the European Union was recently reformed. The training program is similar to that of the DES and is similarly managed, and now leads to a diploma rather than to a simple certificate. Specialization has been criticized for leading practitioners to overlook the personal characteristics of each individual patient. In addition, specialization has led to a fall in recruitment to general practice, which is now often chosen ‘‘ by default ’’. A specialist qualification in general practice has been created in an attempt to correct this imbalance. Proposals have been made by the National Academy of Medicine and by academics to address the shortcomings of the current system. These proposals are described and developed in this report.

INTRODUCTION

La spécialisation a pour objet l’acquisition de connaissances approfondies dans un domaine délimité, c’est un processus qui accompagne le développement de tous les domaines de connaissance. L’étendue du champ d’action de la médecine et les progrès des connaissances ont imposé le développement rapide de la spécialisation. La spécialisation en médecine est un processus inévitable, qui conduit à individualiser des spécialités par l’organe, la technologie ou la population qu’elles concernent.

La méthode anatomo-clinique, qui fut longtemps un moyen privilégié de progrès des connaissances, a conduit à individualiser des spécialités en rapport avec des ensembles anatomiques ou anatomophysiologiques : les spécialités d’organe sont la base du découpage des spécialités médicales traditionnelles (cardiologie, pneumologie, gastro-entérologie…). Le développement des sciences biologiques et celui des technologies diagnostiques et thérapeutiques imposant un apprentissage et une capacité d’exécution ont entraîné l’individualisation de nouvelles spécialités (biologie, radiodiagnostic, spécialités chirurgicales). Il a fallu tenir compte enfin des populations auxquelles elle s’adresse et on a dû reconnaître des spécificités de pratiques médicales liées à la particularité des sujets concernés (gérontologie, pédiatrie, médecine du travail).

La spécialisation en médecine est un processus complexe et évolutif. Ainsi, les frontières entre les différentes activités médicales sont-elles mouvantes, dépendantes des développements technologiques : l’endoscopie interventionnelle rejoint certains actes de chirurgie ; les cardiologues partagent la cardiologie interventionnelle avec les radiologues et les chirurgiens…

En médecine, la spécialisation doit prendre en compte certaines particularités, elle comporte des impératifs organisationnels, techniques, déontologiques, voire éthiques qui imposent de maîtriser le processus avec précaution.

Concrètement la formation complémentaire et différenciée qui est demandée aux praticiens spécialistes impose des années supplémentaires de formation, une reconnaissance officielle assortie de conséquences économiques acceptées par la société et prise en charge par les organismes payeurs.

La distinction entre qualifications, compétences et spécialités

Les qualifications

Un très grand nombre de qualifications ont été individualisées et reconnues en France (tableau 1). On en dénombre plus de quarante et la vigueur des demandes pour en individualiser de nouvelles ne faiblit pas.

On est en droit de s’interroger sur la pertinence d’une liste aussi longue. Il y a, en première analyse, des redondances : Immunologie clinique et Allergie… On remarque aussi la tendance à l’individualisation de sous-ensembles à l’intérieur d’une spécialité plus vaste.

Notion de filières

Ce champ étendu de qualifications doit être confronté à des listes plus limitées qui sont offertes à l’étudiant dans son parcours vers une spécialité.

À l’issue du second cycle des études médicales, les étudiants choisissent leur orientation en fonction de leurs résultats à l’Examen Classant National (ECN).

Ainsi sont définies des filières qui, pour certaines, maintiennent la possibilité d’un large choix de pratiques spécialisées (spécialités médicales, spécialités chirurgicales, biologie médicale) et, pour d’autres, conduisent à une spécialité bien déterminée (tableau 2). Ce dispositif hétérogène peut surprendre : il résulte de décisions successives des pouvoirs publics cherchant à éviter l’appauvrissement de certaines spécialités.

 

TABLEAU 1. — Qualifications reconnues par l’Ordre National des Médecins.

Addictologie Médecine vasculaire Anesthésie-Réanimation Médecine du travail Cancérologie Médecine légale Cardiologie Néphrologie Chirurgie cardiaque Neurologie Chirurgie digestive Neurochirurgie Chirurgie générale Nutrition Chirurgie esthétique et réparatrice Ophtalmologie Chirurgie maxillo-faciale Pédiatrie Chirurgie orthopédique Pédopsychiatrie Chirurgie pédiatrique Psychiatrie Chirurgie thoracique Radiologie et imagerie médicale Chirurgie vasculaire Réanimation médicale Dermatologie Rééducation fonctionnelle Douleur et médecine palliative Rhumatologie Génétique Urologie Gérontologie Anatomie pathologique Gynécologie obstétrique Biologie et médecine du développement Gynécologie médicale et de la reproduction Hepato-gastroentérologie Endocrinologie Immunologie clinique Oto-rhino-laryngologie Allergologie Pneumologie Infectiologie Médecine générale Médecine interne Santé publique et Médecine sociale Médecine nucléaire Hématologie TABLEAU 2. — Les filières proposées après ECN.

Spécialités médicales Spécialités chirurgicales } qui chacune maintiennent un choix entre plusieurs spécialités Biologie médicale Médecine générale Anesthésie réanimation Gynécologie médicale Gynécologie obstétrique }quichacuneconduisentàunespécialitéprécise Pédiatrie Psychiatrie Santé publique Médecine du travail

En effet, c’est à ce niveau que s’effectue, jusqu’à présent, une véritable régulation du flux d’étudiants vers les différentes pratiques. Un nombre précis de places dans chaque filière est décidé à l’échelon national. Les étudiants choisissent leur filière d’orientation dans l’ordre de classement à l’Examen Classant National (ECN).

Au-delà de cette première orientation de fin de second cycle, l’Université met à la disposition des étudiants ayant opté pour une des trois filières générales des possibilités de formation spécialisée qui conduisent à l’obtention d’un Diplôme d’Étude Spécialisés (DES). Ce second choix est organisé au niveau interrégional. Ces formations spécialisées constituent l’essentiel du troisième cycle des études médicales. Il existe 28 spécialités comportant une formation universitaire conduisant au DES (tableau 3). Le contenu de l’enseignement délivré dans le cadre de chaque DES est précisé dans un document officiel.

Comme on le verra plus loin, les DES ne sont pas la seule voie d’accès à une pratique médicale spécialisée.

TABLEAU 3. — Liste des Diplômes d’Étude Spécialisés (DES)*

Spécialités médicales

Spécialités chirurgicales

Anatomie et cytologie pathologiques Chirurgie générale Anesthésie réanimation Neurochirurgie Biologie médicale Ophtalmologie Cardiologie et maladies vasculaires Gynécologie obstétrique Dermatologie et vénérologie Endocrinologie métabolisme Gastro-entérologie et hépatologie Génétique médicale Gynécologie médicale Hématologie Médecine générale Médecine interne Médecine nucléaire Médecine physique et de réadaptation Médecine du travail Néphrologie Neurologie Oncologie Pathologies cardio-vasculaires Pédiatrie Psychiatrie Pneumologie Radiodiagnostic et imagerie médicale Santé publique et médecine sociale * Ce dispositif est en cours de modification, les DESC chirurgicaux doivent être remplacés par autant de DES et le DES de chirurgie générale doit être supprimé.

 

Les pouvoirs publics et l’Ordre des médecins se sont efforcés de préciser les conditions d’exercice des pratiques médicales spécialisées. Ainsi sera reconnue une qualification , celle-ci conférant soit le titre de spécialiste soit la reconnaissance d’une compétence . Enfin, certaines qualifications procurent la possibilité d’exercer en tant que spécialiste ou en conférant une compétence.

Les qualifications appartenant à chacune de ces catégories sont mentionnées dans le tableau 4.

Pour chaque spécialité ou compétence sont précisés le caractère exclusif de l’exercice et/ou sa compatibilité avec certaines compétences pour les spécialistes.

TABLEAU 4. — Qualification, spécialisation, compétence.

1) Qualifications apportant la seule reconnaissance d’une compétence Allergologie, Angeiologie, Cancérologie, Chirurgie de la face du cou, Chirurgie maxillo-faciale, Chirurgie pédiatrique, Chirurgie plastique reconstructrice et esthé- tique, Chirurgie thoracique, Maladies du sang, Médecine appliquée au sport, Médecine exotique, Médecine légale, Médecine thermale et Climatologie médicale, Obstétrique, Orthopédie dento-maxillo-faciale, Phoniatrie, Réanimation, Urologie.

2) Qualifications ne pouvant être pratiquées que dans le cadre d’une spécialité.

Biologie médicale, Chirurgie générale, Chirurgie vasculaire, Gynécologie obsté- trique, Médecine interne, Oncologie médicale, Oncologie radiothérapique, Ophtalmologie, Oto-rhino-laryngologie, Radiologie option diagnostic, Radiologie option thérapie, Santé publique, Stomatologie.

3) Qualifications qui peuvent être exercées soit dans le cadre d’une spécialité soit en conférant une compétence dans le cadre d’un autre exercice.

Anatomie et Cytopathologie humaines, Anesthésie réanimation, Cardiologie et médecine des affections vasculaires, Chirurgie orthopédique, Dermatovénérologie, Endocrinologie et maladies métaboliques, Génétique médicale, Gynécologie médicale, Maladies de l’appareil digestif, Médecine nucléaire, Médecine du travail, Néphrologie, Neurochirurgie, Neurologie, Pédiatrie, Pneumologie, Psychiatrie, Psychiatrie option enfant et adolescent, Médecine physique et de réadaptation, Rhumatologie.

Le décret du 19 mars 2004 a autorisé les médecins entrés dans le troisième cycle des études à partir d’octobre 1982 à demander une qualification devant la Commission compétente. Cependant, la qualification obtenue impose l’usage exclusif. Ainsi, ce dispositif permet-il le passage d’un exercice spécialisé à un autre, mais il ne reconnaît pas à un spécialiste d’organe (gastroentérologue, gynécologue, ORL…) une compétence complémentaire à sa spécialité (cancé- rologie…). L’exercice exclusif dans le domaine d’une seule spécialité est imposé par les organismes payeurs qui bloquent tout remboursement hors la spécialité exclusive déclarée. C’est dans ce contexte que l’Ordre des médecins a pris l’initiative de recommander aux pouvoirs publics la mise en place d’un dispositif réhabilitant la compétence complémentaire venant s’ajouter à la spécialité.

L’accès à la spécialisation

La pratique médicale spécialisée est autorisée à l’issue de plusieurs types de formations universitaires.

Le diplôme d’études spécialisées (DES)

Ce diplôme assure l’accès aux principales spécialités médicales (tableau 3).

Comme on l’a vu, à la suite du choix d’une des trois grandes filières, les DES sont proposés aux étudiants dans le troisième cycle des études médicales. Les maquettes de formation imposent, sur quatre ans, et pour certaines spécialités sur cinq ans, la fréquentation de services qualifiants de la spécialité ou de services dont l’activité est complémentaire. Le temps de formation est imposé réglementairement. La formation sur le terrain sera d’autant plus efficace qu’elle comporte une fonction qui implique des responsabilités. Ainsi se pose la question de la nature de l’activité au sein du service, le jeune médecin en formation est-il étudiant ou membre actif et responsable ? Logiquement la délégation de responsabilité ne devrait intervenir qu’après une première période de formation [1]. Il serait nécessaire de distinguer officiellement deux périodes dans la formation, une période initiale d’acquisition des connaissances théoriques et d’apprentissage technique suivie d’une période de responsabilité où la fonction de « senior » soit reconnue. La fréquentation de services qualifiants au sein des hôpitaux généraux est requise. Des structures privées reconnues par les autorités universitaires devraient désormais être impliquées.

Les DES sont organisés dans chaque interrégion (figure 1). L’interrégion est opérationnelle depuis de nombreuses années dans le domaine de la formation des spécialistes. Dans la nouvelle loi HPST la notion de territoire de santé est évoquée à différents niveaux : région, Communauté Hospitalière de Territoire, mais l’Interrégion n’est mentionnée qu’en référence à l’organisation de la recherche. Si la reconnaissance des interrégions est nécessaire à l’organisation d’une recherche de niveau international et à certaines activités de haute technologie (transplantation d’organes) elle est aussi nécessaire dans la formation de spécialistes. Plusieurs CHU implantés dans un territoire plus étendu que la région doivent coordonner leurs moyens pour réunir un potentiel suffisant à la mise en œuvre de formations spécialisées de qualité. Les professeurs des universités coordonnateurs sont responsables de chaque DES interrégional. À leur initiative, des séminaires de formation complètent la formation théorique. Comme cela est indiqué plus haut, vingt-huit DES ont été

FIG. 1. — Carte des interrégions médicales.

reconnus officiellement. Le contrôle de la formation de chaque étudiant ne tient compte que de la participation effective aux stages dans les services qualifiants formateurs et aux séminaires d’enseignement théorique. La rédaction d’un mémoire marque généralement la fin de la formation, mais il n’y a pas d’évaluation directe des connaissances, de sorte que tout étudiant assidu obtient le DES.

Le diplôme d’études spécialisées complémentaires (DESC)

Il est obtenu à la suite d’une formation qui s’ajoute à une spécialisation initiale.

On distingue les DESC de groupe 1 qui attestent d’une formation spécifique sans conférer une véritable spécialité (il existe 19 formations de ce type) et les DESC de groupe 2 qui confèrent le titre de spécialiste (il existe 11 DESC de type 2 [tableau 5]). La formation en vue de l’obtention d’un DESC repose sur la fréquentation et la participation à l’activité de services qualifiant. Une durée de deux ans est généralement requise. La validation d’une formation par le temps passé dans un service qualifiant mériterait d’être reconsidérée. Il serait préférable qu’elle prenne aussi en considération une « validation par objectifs ».

TABLEAU 5. — Diplôme d’Étude Spécialisé Complémentaire (DESC) *

DESC du groupe 1 DESC du groupe 2 Alcoologie Chirurgie vasculaire Allergologie et immunologie clinique Chirurgie de la face du cou Andrologie Chirurgie pédiatrique Hémobiologie transfusion Chirurgie maxillo-faciale et stomatologie Orthopédie dento-maxillo-faciale Chirurgie orthopédique et traumatologie Cancérologie Chirurgie plastique reconstructrice et Dermopathologie esthétique Foetopathologie Chirurgie thoracique et cardiovasculaire Médecine d’urgence Chirurgie urologique Médecine de la reproduction Chirurgie viscérale et digestive Médecine du sport Gériatrie Médecine légale et expertises médicales Réanimation médicale Médecine vasculaire Néonatologie Neuropathologie Nutrition Pathologie infectieuse et tropicale, clinique et biologique Pharmacologie clinique, évaluation des thérapeutiques * Ce dispositif est en cours de modification, les DESC chirurgicaux du groupe 2 doivent être remplacés par autant de DES et le DES de chirurgie générale doit être supprimé.

Si l’on considère à part la gériatrie et la réanimation médicale, les DESC du groupe 2 correspondent à l’éventail des différentes spécialités chirurgicales. Le candidat chirurgien spécialiste, après avoir acquis une formation générale à la chirurgie, doit suivre une formation complémentaire DESC pour être reconnu chirurgien pédiatrique, chirurgien orthopédique, chirurgien urologique… Ce dispositif imposait aux chirurgiens spécialistes une longue période de formation générale à la chirurgie.

Un projet est actuellement en discussion qui prévoit l’individualisation de dix à douze spécialisations différentes (et autant de DES). Au lieu de consacrer plusieurs années à l’exercice chirurgical en général avant de s’orienter vers une activité spécialisée, le futur chirurgien serait amené à choisir une spécialité chirurgicale, dès la fin de la première année d’internat. Ce projet qui implique de facto l’extinction de la chirurgie générale est encore en discussion, l’Ordre national des médecins insiste sur les inconvénients d’une spécialisation chirurgicale très sélective d’emblée. Il est nécessaire de s’assurer que les maquettes de ces nouveaux DES permettent aux chirurgiens spécialistes d’avoir la capacité de réaliser les gestes chirurgicaux courants, notamment dans le domaine des urgences. La disparition de la chirurgie générale risque de rendre particulièrement difficile l’organisation de la continuité des soins chirurgicaux dans certains établissements [2]. La substitution de la chirurgie endocrinienne et digestive à la chirurgie générale, proposée récemment, suscite d’importantes objections.

La spécialisation en cours de carrière, indépendamment des formations universitaires

Les décrets et arrêtés de 2004 [2] permettent à tout médecin inscrit au tableau de l’Ordre, quel que soit le régime d’études médicales dont il relève, quelle que soit la nationalité de son diplôme, de constituer un dossier de demande de qualification. Les candidats sont appelés à faire valoir sur dossier leurs connaissances et leur expérience dans le domaine de la qualification demandée. La demande est examinée et jugée par la Commission de qualification qui autorise, le cas échéant, la pratique médicale en tant que spécialiste.

Chaque année, entre trois cents et quatre cents dossiers de demande de qualification sont étudiés par la Commission de qualifications de l’Ordre national des médecins. On doit s’interroger sur les modalités d’application de ce dispositif dans la reconversion de spécialistes qui, pour diverses raisons, désirent ou doivent changer de spécialité en cours de carrière.

En deçà d’une réorientation en cours de carrière, il faut envisager la possibilité pour le jeune médecin en formation spécialisée de faire un autre choix. Il est souhaitable de prévoir des « passerelles » permettant l’accès à une spécialité de second choix.

L’acquisition d’une spécialité par les médecins de diplôme étranger hors de l’Union européenne.

Elle vient d’être réformée par l’arrêté du 8 juillet 2008. À la notion d’Attestation de Formation Spécialisée (AFS) est substituée celle de Diplôme de Formation Médicale Spécialisée (DFMS). Cette terminologie, plus valorisante, est assortie de modifications de la maquette de formation. La durée est augmentée de deux semestres, elle est de six semestres, au lieu de quatre. La sélection des candidats est organisée l’année précédant le début de la formation par l’ambassade de France au moyen d’une épreuve unique de contrôle des connaissances portant sur le programme de l’ECN. L’inscription des candidats étrangers sur la liste nationale des candidats à la spécialité n’est obtenue qu’après contrôle d’une pratique suffisante de la langue française et l’établissement d’une convention bilatérale entre le pays d’origine et la France. Cette précaution montre clairement que les DFMS proposés par l’enseignement supérieur français aux étrangers hors Union européenne ne vient pas en concurrence avec les enseignements spécialisés de même nature qui peuvent être mis en œuvre à l’étranger. Le médecin en formation spécialisée bénéficie d’un poste de faisant fonction d’interne assorti de la rémunération correspondante dans les services formateurs de la spécialité convoitée. La formation est validée par le coordonnateur interrégional.

Les Diplômes universitaires (DU) et interuniversitaires (DIU) confèrent une reconnaissance d’expérience spécifique dans un domaine médico-technique très précis. Ils ne sont pas encadrés officiellement au niveau national. Ils ne confèrent pas, à eux seuls, une qualification et donc l’accès à la compétence ou à la spécialité.

Les inconvénients, les difficultés de la spécialisation

En cherchant à mettre à la disposition de la population des pratiques médicales spécialisées performantes et adaptées aux besoins, l’Université et les pouvoirs publics ont été confrontés à des difficultés de différentes natures. Les adaptations successives du dispositif et sa complexité en témoignent.

— La spécialisation en cherchant à obtenir des connaissances et/ou une technicité particulièrement avertie dans un domaine délimité, on peut redouter qu’un des principes intangibles de la médecine, la prise en considération du malade dans tous les aspects de sa personnalité et de son individualité, soit mise à mal. On conçoit que la question posée au spécialiste soit, par nature, réductrice si l’on prend en compte la primauté de l’abord du malade dans toutes les particularités de son histoire et de sa personnalité [3].

Accusée de transgresser le principe de la prise en charge du malade dans toute l’originalité de sa personne, la spécialisation en médecine a pu susciter une certaine méfiance.

— D’ailleurs, la spécialisation apparaît volontiers comme un processus logique et nécessaire pour mettre en œuvre les progrès de la médecine. À ce titre, elle se voit conférer un certain prestige. Cette tendance a été en quelque sorte officialisée quand l’accès aux spécialités a été réservé aux étudiants reçus au concours de l’internat (internat qualifiant). Dès lors, l’attrait vers les spécialités s’est exercé au détriment de la médecine générale. À titre d’exemple, le tableau de répartition de étudiants à la suite de l’E.C.N. 2005 illustre l’attrait des spécialités médicales [fig. 2].

FIG. 2. — Répartition des rangs de classement par discipline, selon la part d’étudiants classés dans les 1 500 premiers (ECN 2005). Près de 35 % des étudiants qui s’orientent vers les spécialités médicales sont classés dans les 500 premiers. Au-delà du rang 2000, aucun étudiant n’a la possibilité de s’orienter vers une spécialité médicale.

Au moment des choix des jeunes médecins en formation générale, on a constaté pendant de nombreuses années un attrait prioritaire vers les spécialités, la médecine générale étant ainsi une orientation par défaut, conséquence d’un mauvais classement à un examen (ECN). Pour pallier le déséquilibre d’attractivité entre les pratiques spécialisées et la médecine générale, un dispositif a été mis en œuvre qui confère la qualification de « spécialiste en médecine générale ». Cette solution paradoxale au premier degré tend à reconnaître à la médecine de premier recours la place essentielle qu’elle occupe dans la santé et à lui redonner le prestige qu’elle mérite. Ces nouvelles dispositions imposent de dégager de nouveaux moyens d’enseignement universitaire. Les pouvoirs publics font, ces dernières années, des efforts importants pour doter la médecine générale des moyens d’enseignement dont elle a besoin. Il est trop tôt pour savoir si l’intégration de la médecine générale au sein des autres spécialités permettra de corriger le déséquilibre d’attractivité constaté depuis de nombreuses années.

Mais on peut remarquer, à la suite des choix des étudiants classés à l’ECN 2009 que la spécialité de médecine générale n’est pas encore suffisamment attractive [fig. 3].

— La régulation des flux vers chacune des spécialités Des efforts ont été entrepris depuis de nombreuses années pour connaître la démographie médicale et préciser aux échelons national et régional les défauts

Nombre de candidats ayant choisi la médecine générale à la suite de l’ECN Classement 2004 2005 2006 2007 2008 2009 1 à 1000 53 44 51 66 82 56 1001 à 1500 81 88 64 92 85 68 1501 à 2000 126 105 mises à disposition dans chacune des interrégions pour chaque spécialité. On comprend qu’un décalage apparaisse entre les moyens de formation à l’hôpital et les besoins réels de la population. Il y a, dans de nombreuses spécialités, davantage de places d’interne offertes à la formation de jeunes spécialistes que de candidats de sorte que les places d’interne sont toutes pourvues dans les spécialités recherchées alors que beaucoup sont inoccupées dans les spécialités moins attractives. Ainsi la régulation de chaque spécialité à partir des grandes filières est approximative voire défaillante.

Les efforts en cours pour corriger les défauts du dispositif de spécialisation

Les propositions de la Conférence des Doyens des facultés de Médecine

La Conférence des Doyens des Facultés de Médecine, après avoir relevé les difficultés rencontrées et pris connaissance des attentes des coordonnateurs des spécialités de chacune des interrégions, a émis une série de propositions.

Elles concernent notamment :

— la simplification de la réglementation concernant les pratiques spécialisées ;

— la filiarisation fine de toutes les spécialités de façon à contrôler le nombre de spécialistes en formation en l’ajustant en fonction des besoins ;

— après un choix vers une filière générale, médecine, chirurgie, biologie, le cursus de formation comporterait deux périodes : la première période de deux années assurerait une formation générale, la spécialisation proprement dite n’intervenant que lors des deux ou trois années suivantes ;

— l’orientation vers la spécialité reposerait toujours sur un examen classant mais l’Examen Classant National serait remplacé par des classements dans chaque interrégion. L’évaluation des besoins et de leurs conséquences sur le nombre d’étudiants dans chaque spécialité serait confiée à des « Commissions Régionales de la Démographie Médicale » ;

— les trois années de formation spécialisée comporteraient un enseignement théorique, le niveau des connaissances serait soumis à un contrôle.

Ces propositions ont le mérite de corriger certaines dérives des modalités actuelles sans bouleverser les dispositions existantes. L’évolution vers une décentralisation reposant sur les interrégions constitue néanmoins une importante réorganisation.

Dans un récent rapport [1], l’Académie nationale de médecine a pris en considération certaines modifications à apporter à la formation des spécialistes.

Ainsi a été soulignée l’importance de considérer le spécialiste en formation 136 Bull. Acad. Natle Méd. , 2010, 194 , no 1, 123-139, séance du 19 janvier 2010 comme un étudiant pendant les deux premiers tiers de son cursus de formation avant de lui conférer des responsabilités, et la nécessité d’un contrôle réel du niveau de compétence avant d’accorder le titre de spécialiste. Le rapport insistait aussi sur le caractère inadapté de la répartition en trois grandes filières (médecine, chirurgie, biologie) et la nécessité de prévoir des passerelles qui permettent un changement d’orientation.

L’exemple de la Belgique francophone (annexe 2)

Confrontant ces propositions avec celle d’un pays voisin avec lequel les échanges culturels sont naturels, on peut remarquer qu’en Belgique wallonne le dispositif appliqué dès à présent se rapproche des propositions des Doyens français : une formation initiale d’interne est requise pour obtenir une spécialité médicale, les flux vers chaque spécialité sont contrôlés par un contingentement, une commission interuniversitaire assure un ajustement rigoureux entre le nombre de spécialistes attendus et le nombre de médecins en formation.

L’accès à la spécialisation repose sur un concours organisé pour chaque spécialité en quatrième année du second cycle. Au terme des deux premières années de la spécialité, le candidat spécialiste reçoit une attestation de formation universitaire spécifique. La formation du spécialiste fait l’objet d’une évaluation finale.

Au-delà de cet exemple emprunté à la Belgique, le contexte de l’Union européenne doit être envisagé. Des efforts ont été entrepris pour rapprocher les points de vue et les manières de faire des partenaires européens dans le domaine de la formation médicale. Un relevé général des effectifs et densités médicales a été réalisé par l’OCDE mais, jusqu’à présent, les effectifs des jeunes médecins en formation sont décidés indépendamment, dans chaque pays de l’Union. Les directives communautaires concernant la santé proviennent de la « Directive Services » ; elles ne concernent que des problèmes généraux : le temps de travail, l’assurance qualité par exemple.

Même si l’idée d’appliquer le schéma L.M.D. (Licence, Maîtrise, Doctorat) dans l’organisation des études médicales fait son chemin dans la plupart des pays, des disparités majeures subsistent entre les partenaires de l’Union. Des structures de rencontre et de dialogue entre spécialistes de l’Union européenne ont été créées (Union européenne des Médecins Spécialistes), leurs préoccupations concernent principalement la défense d’intérêts corporatifs.

Les étudiants en médecine français ne prennent guère en considération leur appartenance à l’Europe dans leur projet de formation. Quand ils envisagent une mobilité en Europe, c’est dans le cadre de projets de séjours courts, de formation complémentaire ciblée.

137 Bull. Acad. Natle Méd. , 2010, 194 , no 1, 123-139, séance du 19 janvier 2010

EN CONCLUSION

La spécialisation médicale en France a pris en compte les progrès des connaissances et des techniques spécialisées qu’elles impliquent. Il en résulte un dispositif complexe mais ouvert qui repose sur des formations universitaires réglementées et sur un processus ordinal de qualification. La régulation des flux vers chacune des spécialités est hétérogène, bien contrôlée pour certaines, elle est approximative pour la plupart.

Des propositions ont été récemment formulées par les responsables universitaires pour pallier les inconvénients du dispositif actuel.

RECOMMANDATIONS 1 — La reconnaissance officielle de nouvelles qualifications, spécialités ou compétences doit faire l’objet de la plus grande attention compte tenu des implications organisationnelles et économiques de la pratique médicale spé- cialisée.

2 — La régulation des flux à partir des grandes filières (médecine, chirurgie, biologie) s’avère approximative, voire défaillante. De façon à adapter le nombre de spécialistes aux besoins de la population, une régulation fine des flux vers toutes les spécialités doit être appliquée (filiarisation).

3 — Au contrôle national du flux de spécialistes, répartis en fonction des résultats à l’E.C.N., on devrait préférer une responsabilité interrégionale facilitant une régulation directement en rapport avec les besoins.

4 — Le médecin spécialiste prend en charge le malade à la suite d’une question précise. On peut redouter que cela le conduise à négliger dans sa pratique spécialisée d’autres approches pathologiques et thérapeutiques. Les formations spécialisées doivent impérativement être précédées d’une formation générale. En particulier, dans le domaine de la chirurgie, une formation de base destinée à permettre de répondre à des demandes courantes doit être impérativement respectée.

5 — Les maquettes de formation de spécialistes doivent comporter la fréquentation de services qualifiants et formateurs dans lesquels le futur spécialiste, après une formation initiale doit se voir confier des responsabilités.

6 — À l’issue de la formation spécialisée, une évaluation du niveau des connaissances théoriques doit être faite, un niveau suffisant conditionnant la remise du diplôme. À ce contrôle de l’acquis, il faudrait ajouter l’évaluation des capacités de synthèse ainsi que le goût et la possibilité de se familiariser avec l’innovation et inciter à la formation par la recherche.

 

Personnes auditionnées — Professeur Yvon ERLAND, Président de l’Université de la Méditerranée et Président de la Mission sur la démographie médicale des établissements de santé.

— Professeur Rolland PARC, Ordre national des médecins.

— Gabriel KO, Président du syndicat des Internes des Hôpitaux de Paris.

BIBLIOGRAPHIE [1] NICOLAS G. — Le corps médical à l’horizon 2015.

Bull. Acad. Natle Méd ., 2007, 191 , no 2, 413-423.

[2] BRANCHEREAU A., BENCHIMOL D. et le groupe de travail ‘‘ Formation ’’ pour le Conseil National de la Chirurgie — Projet de réforme des DES et DESC des disciplines chirurgicales. 2006.

[3] Arrêté du 22 septembre 2004 fixant la liste et la réglementation des Diplômes d’Études Spécialisées en Médecine. J.O. du 6 octobre 2004.

[4] GODEAU P., COUTURIER D. — Le diagnostic en médecine. Histoire — Mise en œuvre présente — Perspectives. Bull. Acad. Natle Méd., 2006, 190 , no 7, 1533-1550.

[5] Atlas de la démographie médicale en France. Situation au 1er janvier 2008. septembre 2008, Étude no 41, CNOM.

[6] LANGLOIS J. — La démographie médicale de 2003 à 2025. Difficultés présentes et à venir.

Bull. Acad. Natle Méd ., 2004, 188 , 675-693.

[7] Mission « Démographie médicale hospitalière ». Rapport présenté par le Professeur Yvon BERLAND, sept. 2006.

[8] BUDET J.M., PERICARD B., VIGNERON E. — Les territoires et la santé. Rapport pour servir le débat public autour du projet de loi « Hôpital, Patients, Santé, Territoires ».

*

* *

L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 19 janvier 2010, a adopté le texte de ce rapport à l’unanimité.

 

<p>* Membre de l’Académie nationale de médecine, e-mail : daniel.couturier@cch.aphp.fr ** Constitué de : Bernard CHARPENTIER, Daniel COUTURIER, Jean LANGLOIS, Jean-Louis MICHAUX.</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2010, 194, no 1, 123-139, séance du 19 janvier 2010