Communication scientifique
Session of 6 janvier 2009

Rôle de l’enveloppe GP 41 dans la préparation d’un candidat vaccin contre le VIH

MOTS-CLÉS : cellules tueuses naturelles. deficits immunitaires. vaccins.. vih
Towards a vaccine for HIV infection : role of the gp41 envelope protein
KEY-WORDS : hiv. immunologic deficiency syndromes. killer cells natural. vaccines

Patrice Debré, Dominique Costagliola, Roger Legrand, Vincent Vieillard *

Résumé

L’infection HIV conduit à une détérioration des fonctions immunitaires, liée à une déplétion progressive des lymphocytes CD4. Nous montrons qu’un ligand cellulaire du récepteur NKp44 des cellules naturelles tueuses (NK), le NKp44L, est exprimé sur ces cellules durant l’infection HIV-1. L’expression du NKp44L est corrélée à l’importance de la déplétion lymphocytaire CD4 et à l’augmentation de la charge virale. Les cellules T CD4+ qui expriment le ligand NKp44L sont hautement sensibles à l’activité lytique des cellules NK, médié par NKp44. Ce ligand est induit par un motif hautement conservé de l’enveloppe de la gp41 du HIV, appelé 3S. Les anticorps anti-3S observés contre les patients en phase initiale d’infection, peuvent protéger de la cytotoxicité des cellules NK contre les lymphocytes CD4, après leur incubation avec 3S. Le titre des anticorps est fortement corrélé avec le taux de CD4 et inversement avec l’expression du NKp44L sur ces cellules. Un vaccin avec ce peptide induit des anticorps qui, chez les singes macaques infectés par le SHIV , protège de la 162P3 chute des CD4 en pourcentage et valeur absolue, et de l’activation et cytotoxicité des cellules NK, sans avoir d’effet sur la réplication virale. Ces données soulèvent des questions originales sur l’infection par le HIV, et offrent de nouvelles opportunités pour des stratégies de vaccination préventive et thérapeutique dirigée contre sa pathogénèse.

Summary

HIV infection leads to a gradual deterioration in immune status. The mechanisms underlying CD4 T cell depletion in this setting are controversial. One of the most intriguing phenomena is that many uninfected CD4 cells die prematurely in HIV-infected subjects. We therefore investigated the possibility that these cells are killed by a collateral effector mechanism. Here we show that a cellular ligand for the natural cytotoxicity receptor NKp44 (NKp44L) is expressed during HIV infection, and that its expression correlates both with CD4 T cell depletion and with an increase in viral load. CD4+ T cells expressing the NKp44L ligand are highly sensitive to the lytic activity of NKp44+ NK cells. NKp44L ligand expression is strongly induced by the highly conserved 3S motif of the HIV-1 envelope protein gp41. Anti-3S antibodies, detected early in the disease, protect CD4+ T cells from NK-mediated lysis during incubation with 3S. In addition, anti-3S antibody titers correlate positively with CD4+ T cell numbers and negatively with NKp44L expression on CD4 T cells. To determine whether anti-3S immunization might prevent NKp44L expression on CD4 T cells in vivo and thereby prevent the decline in CD4 T cells, macaques were immunized with 3S and then infected with the simian virus SHIV . 3S peptide vaccina162P3 tion elicited antibodies that prevented CD4+ T cell depletion (percentage and absolute number), and also NK activation and cytotoxicity, without halting virus replication. These data raise new questions on HIV infection and point to novel preventive and therapeutic vaccine strategies.

Les liens entre les infections et les maladies qu’elles peuvent induirent restent un des principaux défis posés par les maladies infectieuses. Tandis que de nombreuses études épidémiologiques ou microbiologiques ont porté sur le pouvoir infectieux des microbes, pour nombre d’entre eux, des inconnues demeurent sur les mécanismes intimes de leur pathogénicité. Or, la connaissance du pouvoir pathogène des germes, permet aussi d’appréhender leur prévention, notamment par vaccin, ainsi que l’atteste l’exemple des antitoxines. Concernant les virus, si la pathogénèse peut être directement liée à leur pouvoir lytique, d’autres tels le HIV, continuent de susciter des interrogations d’ordre physiopathologique. Dans cette infection, le principal symptôme, le déficit immunitaire, est le fait d’une déplétion des lymphocytes CD4, qui en majeure partie cependant ne sont pas infectés [1, 2]. Or, si le rôle déterminant de ces cellules, qui régulent et amplifient les réponses immunitaires, font que leur diminution entraîne un déficit de l’immunité cellulaire et humorale, la mort de ces cellules non infectées reste en majeure partie inexpliquée, malgré de très nombreux travaux.

Tandis que des études impliquant la formation de syncitia ou la lyse par des lymphocytes CD8 sont évoquées pour expliquer la déplétion des cellules infectées, un effet « bystander » a été proposé pour évoquer celle des cellules non infectées.

Plusieurs séries de travaux ont mis en cause diverses protéines du HIV telle la gp120 ou les protéines Tat et Nef, qu’elles soient présentées par des virions ou produites par les cellules infectées [3, 4]. D’autres études soutiennent l’hypothèse qu’un haut niveau d’activation cellulaire en serait responsable, pouvant impliquer certaines voies de signalisation notamment à travers la molécule Fas [2].

D’un autre côté, il est admis que le système immunitaire, indépendamment des effets bénéfiques de son action, peut exercer un effet délétère. Les maladies auto-immunes, dont certaines sont d’origines infectieuses, montrent des exemples de pathologies induites par cellules immunocompétentes. C’est dans ce cadre qu’il a été possible de montrer un effet potentiellement délétère des cellules naturelles tueuses NK, principal médiateur de l’immunité innée, dont l’activité s’exerce par ailleurs pour détruire les cellules infectées et cancéreuses. Les cellules NK représentent une population particulière de cellules cytotoxiques dont l’activité ne s’exerce pas sur les cellules normales, car elles reçoivent de celles-ci des signaux inhibiteurs. Elles deviennent fonctionnellement actives, si, entre autre, des ligands apparaissent sur des cibles potentielles et stimulent leur récepteurs activateurs. Les principaux sont le NKG2D et les récepteurs de cytotoxicité naturelle NcRs, NKp30, NKp46 et NKp44 qui s’expriment à la membrane de ces cellules [5]. La particularité du NKp44 est son absence sur les cellules NK non activées et son induction après activation. Les ligands de ces récepteurs ne sont pas exprimés dans les tissus normaux mais peuvent être induits dans un certain nombre de circonstances pathologiques, incluant les infections virales. Les interactions entre les virus et les récepteurs NK sont encore mal connues.

Certains exemples soulignent le rôle des protéines virales telles les protéines IL-18 et IL-16 du CMV [6, 7], et la glycoprotéine E2 du virus de l’hépatite C [8], la protéine A39 du Pox virus [9] qui interagissent avec les récepteurs. Au cours de l’infection HIV, le rôle des cellules NK dans le contrôle de l’infection virale reste mal élucidé.

Une augmentation a été rapportée chez certains patients et il a été proposé qu’elle puisse contribuer à une protection contre l’infection. Inversement, plusieurs études montrent les altérations du nombre et fonctions des cellules NK lors de la progression vers le SIDA. Un récepteur activateur NK KIR3DSI est associé à une progression plus rapide de la maladie [10].

Les résultats présentés dans cet article montrent qu’un ligand spécifique du récepteur NKp44, le NKp44L, est spécifiquement induit sur les CD4 au cours de l’infection HIV et rend ces cellules sensibles à la lyse NK. Cette expression est corrélée avec la chute des CD4 et l’augmentation de la charge virale [11]. Le NKp44L est induit par un motif hautement conservé de 6 acides aminés de la gp41 [11]. Des anticorps contre ce ligand inhibent l’expression du NKp44L et la lyse consécutive des cellules NK [12]. Dans un modèle de singes macaques infectés par le SHIV, la vaccination par ce peptide de la gp41, inhibe la déplétion CD4, l’apoptose de ces lymphocytes, ainsi que l’activation et la cytotoxicité NK [13, 14].

Dans l’ensemble, ces résultats indiquent que l’enveloppe virale peut être (en grande partie) responsable du déficit immunitaire CD4 et qu’il est possible d’inhiber cet effet délétère par un vaccin approprié qui, sans effet neutralisant sur la réplication du HIV, prévient, après infection, la pathogénèse qu’elle induit.

Matériel et méthodes

Patients infectés par le HIV

Les prélèvements sanguins sont obtenus après information et consentement éclairé à partir des patients de l’hôpital Pitié Salpêtrière (Paris). Les tests de routine incluent la charge virale et la numération CD4. Les échantillons témoins sont obtenus à partir des donneurs non infectés de la Banque du Sang de la Pitié Salpêtrière. Les patients « progresseurs à long terme » proviennent de la cohorte française ALT [15].

Analyse cytofluorométrique

Les analyses cytométriques par Facs sont effectuées sur cellules fraîches. Des immunoglobulines de même isotype que les anticorps spécifiques (CD3, CD4, et anti-NKp44L) servent de contrôle. Les globules rouges sont lysés par solution de lyse appropriée. Au moins vingt mille leucocytes sont analysés sur Facs Aria.

Purification de lymphocytes exprimant le NKp44L

Un enrichissement par rosette (stem cell kit) a été utilisé pour isoler les populations CD4, les cellules CD4 exprimant le NKp44L sont sélectionnées positivement par séparation par billes magnétiques.

Isolement des NK primaires et cytotoxicité

Les cellules NK sont purifiées par système de séparation cellulaire (Stem Sep). Les cellules NK purifiées sont cultivées en présence d’IL-2 Roche. La pureté des préparations est évaluée par cytométrie de flux. L’activité lymphocytaire est étudiée par test de relargage des cellules infectées.

Test Elisa

Le test Elisa anti-44L est adapté à partir des méthodes Elisa classique. Les titres sont exprimés en unité arbitraire. Le test a une détection limite de 10 AU/ml.

Les peptides et pools de peptide

Les peptides synthétiques sont obtenus de la Société Epytop (Nîmes — France) avec une pureté de 80 % mesurée par HPLC.

Protocole de vaccination et infection de singes macaques

Dix macaques cynomolgus sont étudiés. Quatre animaux sont immunisés cinq fois avec 200 μg de 3S peptide couplé au KLH en adjuvant incomplet de Freund, à —55 —50 —46 —4 et 16 semaines avant infection par SHIV . Six animaux sont immu162P3 nisés par KLH seul en adjuvant incomplet de Freund. Seize semaines après la dernière injection, les animaux sont infectés IV avec 1 ml de pool de plasma de singes collectés au pic de la virémie durant une infection primaire par SHIV (46,6 × 108 copies de DNA par ml).

162P3 Résultats

Expression du NKp44L sur les CD4 de patients infectés par le HIV-1

Pour déterminer l’expression et/ou le rôle des ligands des cellules NK au cours de l’infection HIV, nous avons étudié leur détection dans les cellules de sang périphé- rique de patients infectés. NKp44L mais non NKp30 ou NKp46 s’exprime de manière différente des contrôles : l’étude des cellules du sang périphérique de patients infectés par le HIV, montre qu’une fraction importante des CD4, mais non des CD8, de patients infectés, exprime le NKp44L, totalement absent chez les sujets de contrôle. Le nombre de CD4 exprimant le NKp44L est significativement et inversement lié au taux de CD4 circulants. Le pourcentage est également corrélé avec la charge virale plasmatique. Afin de tester la sensibilité des CD4+NKp44+ à la lyse NK, ces cellules ont été purifiées, puis testées pour leur sensibilité ex vivo à la lyse des cellules NK autologues activées par IL-2. Les cellules CD4+ exprimant NKp44L sont fortement lysées, tandis que les cellules CD4+ NKp44L- ne diffèrent pas des cellules non infectées dans leur sensibilité à la lyse. L’ensemble de ces données indiquent que les cellules T CD4 exprimant NKp44L sont hautement sensibles à l’activité cytotoxique des cellules NK activées et suggère que ces cellules pourraient jouer un rôle clé dans la déplétion lymphocytaire CD4 [11].

Afin d’expliquer l’apparition du ligand NKp44L, nous avons recherché si il pouvait être induit par un motif particulier d’une des protéines du HIV-1. Testant l’ensemble des protéines de structure et/ou de régulation du HIV, nous avons montré que seule la protéine d’enveloppe gp41 et, au sein de celle-ci, seul un peptide de six acides aminés pouvaient être responsables de ce phénomène [11]. De fait, tandis que les cellules normales n’expriment pas NKp44L, l’incubation des CD4 de sujets de contrôle avec le peptide, peut entraîner son expression par jusqu’à près de 30 % des cellules. De manière parallèle, la sensibilité à la lyse des CD4 par cellules NK activées augmente fortement en présence du peptide et ne diffère pas significativement entre CD4 non traités ou traités par un peptide de contrôle [11]. Ce peptide, appelé 3S, car il comporte trois radicaux sérine, est hautement conservé parmi les souches de HIV-1 : Seules trois formes sont décrites correspondant à trois variantes de ce motif, toutes trois semblables pour leur capacité d’induire l’expression du NKp44L et la sensibilité à la lyse des CD4.

Étude des anticorps anti-3S au cours de l’infection HIV

Les résultats précédents indiquent clairement le rôle pathogène du motif 3S de la gp41. Pour rechercher la possibilité que des anticorps anti-3S puissent protéger les

Figure 1. — Représentation schématique de la déplétion en cellules CD4 par les cellules NK en relation avec le niveau d’anticorps anti-3S et l’expression du NKp44L au cours de l’évolution de l’infection.

cellules T CD4 de l’expression du NKp44L, et de la lyse secondaire, nous avons recherché la présence et fonction de ces anticorps chez les patients HIV. Deux séries d’études ont montré que la production d’anticorps chez les patients infectés était inversement liée au taux de CD4.

Dans une première étude, nous avons recherché la production et l’activité d’anticorps anti-3S chez des patients à différents stades évolutifs, comparées à des sujets de contrôle. Ces anticorps étaient significativement corrélés au taux de CD4 circulants (P<0.01) et inversement associés à l’expression du NKp44L sur les cellules T CD4 (P<0.007), résultats suggérant qu’ils peuvent moduler l’expression du NKp44L sur les cellules CD4 in vivo (figure 1). Le taux des anticorps anti-3S détectables, non observés chez les sujets de contrôle, ne sont pas corrélés à l’importance de la charge virale des patients HIV, suggérant l’absence d’effet neutralisant de ces anticorps sur la réplication virale. Par contre, in vitro , ces anticorps préviennent la lyse des lymphocytes CD4 par les cellules NK, après incubation par le peptide 3S [12].

Dans une seconde étude, afin d’étudier leur valeur prédictive sur la déplétion CD4, nous avons testé la présence et le taux d’anticorps chez quarante patients non progresseurs [15]. Ces patients qui avaient un taux élevé de CD4 et, ne recevaient pas de thérapie anti-rétrovirale, ont été suivis annuellement pendant au moins trois ans.

Utilisant un modèle statistique, il est montré que la pente des CD4 diffère selon la présence ou non d’anticorps (-0,98 cellules/mois contre —7,48 cellules/mois :

P<0.001). Ces résultats indiquent le taux de cellules CD4 diminue considérablement moins quand les anticorps anti-3S sont présents [12].

L’ensemble de ces résultats suggère fortement que les anticorps anti-3S pourraient protéger les patients de la déplétion CD4 observée après l’infection HIV (figure 1).

Figure 2. — Production d’anti-3S après vaccination par KLH-3S ou KLH seul (panel a). Effet sur la charge virale (panel b), sur l’expression du NKp44L (panel c) et sur le taux de CD4 (panel d) chez les macaques infectés par le SHIV (d’après VIEILLARD V et al Proc Natl Acad Sci USA 162P3 2008).

Afin d’apporter une explication expérimentale à cette hypothèse, des expériences ont été effectuées chez les macaques infectés par le virus SHIV.

Effet d’un vaccin anti-3S sur la déplétion CD4 : études expérimentales chez les singes macaques

Le SHIV , composé de l’enveloppe du HIV-1 et des gènes du SIV, permet une 162P3 réplication virale, et d’apprécier l’effet de la gp41 du HIV sur l’évolution de la maladie.

Dans une première étude, nous montrons que le SHIV , induit chez les maca162P3 ques une infection virale, et la chute des CD4, proche de celle observée de manière chronique chez les patients infectés par le HIV-1 : après une diminution précoce, le taux de CD4 remonte à un niveau identique aux valeurs de départ, puis diminue nettement de nouveau pendant les six mois suivants. De manière intéressante, et voisine de ce qui est observé chez l’homme, NKp44L est induit jusqu’à une valeur plateau d’environ 30 %, l’expression des CD4 étant inversement liée au taux des anticorps contre le peptide 3S [14].

Dans une seconde série d’expériences, nous avons testé l’effet d’un vaccin anti-3S sur l’évolution de l’infection par le SHIV et, la déplétion lymphocytaire ainsi induite.

L’injection du peptide 3S couplée à la protéine KLH, induit une forte réponse anti-3S, supérieure d’un log environ au taux d’anticorps naturellement observé après infection par le SHIV (figure 2 panel a). Les anticorps anti-3S produits dans cette après immunisation, ont la capacité fonctionnelle de prévenir l’expression « in vitro » du NKp44L sur les cellules ainsi que cela est rapporté chez les patients infectés par le HIV.

Comparant la charge virale entre macaques préimmunisés par 3S KLH où la protéine porte KLH seule, puis infectés par le SHIV, nous observons que la charge virale plasmatique des deux groupes d’animaux ne diffère pas, confirmant ainsi que les anticorps anti-3S n’ont pas d’effet neutralisant sur la charge virale (figure 2 panel b). En revanche, et de manière intéressante, l’expression du NKp44L diffère significativement entre les deux groupes d’animaux. Chez les animaux immunisés par KLH seul, le pourcentage de CD4 exprimant NKp44L augmente avec le temps (jusqu’à 40 % au 42ème jour) et restant constant par la suite. Au contraire, l’immunisation anti-3S précédant l’infection par le SHIV inhibe puissamment l’expression du NKp44L sur les cellules CD4 (figure 2 panel c). Dans l’hypothèse où les anticorps anti-CD4 pourraient secondairement inhiber le déclin des CD4, nous avons comparé le pourcentage et la valeur absolue des CD4 des deux groupes dans le sang et les ganglions. Le pourcentage des cellules CD4 observées en fonction du temps diffère significativement entre les deux groupes. Chez les animaux de contrôle, le pourcentage des CD4 du sang périphérique diminue progressivement. La différence comparée avec les valeurs basales augmente avec le temps. Chez les animaux immunisés, le pourcentage reste stable, ne différant pas significativement des valeurs observées avant infection. Des différences semblables sont observées entre les deux groupes dans les CD4 ganglionnaires. Les valeurs absolues des lymphocytes CD4 du sang périphérique reflètent ces différences. La comparaison avec le taux de départ montre que les CD4 chutent significativement chez les animaux de contrôle tandis qu’ils ne diffèrent jamais significativement des valeurs de pré-infection chez les macaques immunisés par le 3S (figure 2 panel d). A noter que l’absence de déplétion CD4 n’a pas de conséquence sur la virémie. Cela est du au fait que la réponse spécifique anti-SHIV est identique dans les deux groupes d’animaux, le taux de CD4 chez les animaux non vaccinés restant suffisant pour répondre à une stimulation antigénique forte liée à la réplication virale (données non publiées). Globalement, ces résultats, qui relient l’expression du NKp44L à la déplétion CD4, confortent l’hypothèse selon laquelle l’expression de cette molécule, en augmentant la cytotoxicité NK, pourrait être indirectement responsable de la déplétion CD4 [13].

Ces faits sont confortés par le fait qu’il existe une différence importante de l’apoptose lymphocytaire CD4 entre les deux groupes d’animaux : faible, voire nulle chez les macaques pré-immunisés par anti-3S, importante chez les sujets de contrôle [13].

Pris dans leur ensemble, ces résultats valorisent notre hypothèse selon laquelle l’expression du NKp44L, en augmentant la cytotoxicité NK, pourrait être indirectement responsable de la lyse des lymphocytes CD4 par un effet de dommage collatéral.

Pour vérifier cette hypothèse, nous avons comparé les cellules NK des animaux de contrôle et de ceux qui avaient été immunisés par le vaccin anti-3S. Bien que le nombre des cellules NK ne diffère pas dans les deux groupes, le degré d’activation et de cytotoxicité des cellules NK du sang périphérique et ganglionnaire est clairement plus faible chez les animaux immunisés par 3S que chez les animaux de contrôle.

Chez les animaux immunisés anti-3S, la fonction et l’activation des cellules NK ne différent pas de celles observées avant infection par le SHIV [13].

DISCUSSION

Nos résultats montrent de manière claire qu’après l’infection par le virus HIV, les cellules CD4 expriment NKp44L, un ligand du récepteur activateur NKp44, et sont sensibles à l’activité cytotoxique des cellules NK. L’expression du NKp44L est induite par un motif hautement conservé de la protéine d’enveloppe gp41. L’expression de ce marqueur est très liée positivement à la charge virale et négativement à la chute des CD4. Les anticorps anti-3S, observés au cours de l’infection HIV, inhibent ce phénomène in vitro . Le taux d’anticorps « in vivo » est prédictif de la chute des

CD4, confortant l’hypothèse selon laquelle ils peuvent avoir un effet protecteur sur la déplétion lymphocytaire. Les expériences effectuées chez le singe macaque infecté par le SHIV montrent qu’il est possible de protéger de la déplétion lymphocy162P3, taire par un vaccin anti-3S, ce qui apporte une preuve supplémentaire de l’effet pathogène du motif 3S de la gp41 et démontre la prévention possible de ce phénomène par immunothérapie.

A notre connaissance, ces résultats sont les premiers à prouver qu’un épitope particulier du HIV peut ainsi induire un tel phénomène pathologique. Ces données n’excluent pas que d’autres facteurs conduisent à la déplétion CD4. Ils confortent cependant l’hypothèse selon laquelle ce peptide viral de la gp41 joue un rôle majeur dans la dépression immunitaire du HIV et de l’infection par le SHIV. Ils apportent de nouvelles hypothèses pour comprendre l’absence de pathogénicité des infections par lentivirus de certaines espèces de singes, dont les singes verts, et sur les différents facteurs qui relient réplication virale et pathogénicité.

Ces résultats montrent également que l’immunisation anti-3S peut prévenir la déplétion CD4 observée au cours d’infection HIV. Des expériences supplémentaires sont nécessaires pour démontrer que des vaccins anti-3S, des anticorps monoclonaux ou leur association peuvent avoir un effet thérapeutique en phase chronique de l’infection. Les résultats que nous rapportons ouvrent de toute façon la voie à de nouvelles stratégies d’intervention immune, cherchant à contrôler la maladie.

Ainsi, plutôt que d’opposer une vaccination contre la pathogénicité, dont l’efficacité est démontrée par les exemples que nous fournissent les antitoxines, à une vaccination contre l’agent pathogène, nous proposons que ces deux approches soient appliquées à l’infection par le VIH de manière complémentaire, pour tout à la fois le neutraliser et diminuer ses effets potentiels. Plus généralement, l’originalité des résultats obtenus nous paraît ouvrir la voie à de nouvelles réflexions sur la pathogénicité du virus HIV et sa possible prévention.

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DISCUSSION

M. Jean-Jacques HAUW

La protection de la cytotoxicité des cellules NK a-t-elle été recherchée dans le liquide céphalo-rachidien ?

Il n’a pas été fait d’études dans le liquide céphalo-rachidien, et par conséquent il n’est pas possible de répondre avec certitude, mais il faudrait à priori deux conditions pour que le phénomène y soit visible : le passage de cellules lymphocytaires incluant des CD4 cibles et des cellules NK, et la production de virus.

M. Jean-François BACH

Peut-on envisager une immunothérapie passive qui permettent de tester l’hypothèse chez l’homme ? Il ne sera peut-être pas très facile d’obtenir des anticorps de haute affinité contre un hexapeptide chez des malades ayant un deficit immunitaire aussi important que celui observé dans le SIDA.

Il est tout à fait possible d’envisager tester l’hypothèse par immunothérapie passive ; ceci fait déjà l’objet d’expérimentations prévues dans les mois qui viennent chez les macaques.

En pratique clinique chez l’homme cependant, même si les essais d’immunothérapie passive peuvent s’envisager, il paraît plus aisé d’utiliser un vaccin dont le rythme d’administration est théoriquement plus faible. L’obtention d’anticorps devrait rester possible chez les patients infectés par le VIH, car il est question, en première indication, d’effectuer cette vaccination bien avant le stade SIDA, au moment où la déplétion lymphocytaire est encore modérée et permet des réponses immunitaires et leur mémoire.

Il s’agit, rappelons-le, de retarder l’évolution vers le stade SIDA.

M. Pierre CORVOL

Un peptide de 6 acides aminés est très court. Est-il spécifique de la protéine d’enveloppe virale du Sida ? Y a-t-il un risque de vaccination active contre ce peptide ?

La séquence du peptide est remarquablement conservée dans les différentes souches virales du VIH et n’est retrouvée qu’exceptionnellement dans deux espèces pathogènes, trypanosome et vibrion cholérique. Afin de favoriser l’immunisation, le peptide utilisé est flanqué de quelques acides aminés pour en agrandir la taille et protéger ainsi sa destruction, et couplé avec une protéine carrieur tel le KLH.

M. Marc GIRARD

Qu’en est-il chez les contrôleurs, et notamment les contrôleurs d’élite, qui maîtrisent remarquablement leur infection VIH ? Ont-ils des taux élevés d’anticorps anti-3S ? Chez l’animal, il y a aussi le modèle du chimpanzé, que l’on peut infecter expérimentalement sans qu’il perde ses CD4 : qu’en est-il des réponses à l’épitope 3S chez cet animal ?

Il existe deux ordres de contrôleurs, les élites qui contrôlent leur virus, et ceux qui contrôlent leur CD4 sans cependant contrôler le virus, qui est produit en faible quantité.

Concernant le premier cas, le phénomène d’expression du NKp44L sur les CD4 et de cytotoxicité NK n’est pas retrouvé. Concernant le second, il est en cours d’étude. Chez les chimpanzés, il n’a pas été possible de tester l’hypothèse car cette espèce de primates non humains est aujourd’hui protégée.

M. Jacques-Louis BINET

Où en êtes-vous des essais expérimentaux ? Des protocoles sont-ils en cours ? Sur quels types de patients ?

De nouveaux essais expérimentaux sont en cours chez les singes macaques infectés par le SHIV, immunisés en phase chronique (six mois après infection). Chez l’homme, des essais de phase I sont prévus. Les patients seront sélectionnés pour leur absence d’anticorps anti-3S, un taux de CD4 entre 350 et 500/mm3 et charge virale modérée, avant ainsi toute indication d’un traitement chimiothérapique éventuel. Le but de l’étude sera d’observer une différence dans la pente de décroissance des CD4 chez les patients vaccinés, comparés aux témoins.

<p>* Laboratoire Immunité et Infection, Inserm UMR 945, Hôpital Pitié Salpêtrière, Université Pierre et Marie Curie, 83 Bld de l’Hôpital — 75013 Paris ** Épidémiologie clinique et thérapeutique de l’infection à VIH, Inserm U720, Hôpital Pitié Salpêtrière, 56 Bld Vincent Auriol, BP 335-75625 Paris Cedex 13 *** Immuno-Virologie, Institut des maladies émergentes et des thérapies innovantes, CEA (Commissariat à l’énergie atomique), 18 Route du Panorama — 92265 Fontenay aux Roses Cedex Tirés à part : Professeur Patrice Debré, même adresse Article reçu le 21 novembre 2008, accepté le 24 novembre 2008</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2009, 193, no 1, 127-138, séance du 6 janvier 2009