Résumé
La fibrose pulmonaire idiopathique (FPI) est un processus pathologique chronique, progressif et létal dont l’étiologie est encore inconnue. Le point de départ sous-pleural est une des caractéristiques de cette maladie. Aucun lien n’a pourtant été établi à ce jour entre la plèvre et la FPI. Dans un modèle de fibrose pleurale induite par le transfert du gène de Transforming Growth Factor (TGF)- β 1 aux cellules mésothéliales, nous avons montré une accumulation de collagène au niveau de la plèvre mais aussi dans la région sous-pleurale. Cette fibrose souspleurale est associée, in vivo, à une transformation des cellules mésothéliales en myofibroblastes (transformation mésothélio-fibroblastoïde). Cette modification phénotypique a également été obtenue in vitro sur des cellules mésothéliales traitées par du TGFβ 1 recombinant. Nos résultats suggèrent que la cellule mésothéliale puisse être une des cellules clés non seulement de la fibrose pleurale mais également de la fibrose pulmonaire idiopathique.
Summary
Idiopathic pulmonary fibrosis (IPF) is a chronic, progressive and lethal process of unknown etiology. The sub-pleural localization of fibrosis is a hallmark of early IPF, but no link between the pleura and IPF has been established yet. We developed an experimental model of pleural fibrosis induced by adenovirus-mediated gene transfer of transforming growth factor (TGF)- β 1 to mesothelial cells and observed collagen accumulation within the pleura but also in the sub-pleural parenchyma. This sub-pleural fibrosis was associated, in vivo, with a mesothelial — to — myofibroblast transformation (mesothelio-fibroblastoid transformation), a process similar to the epithelial-mesenchymal transition. This phenotypic modification was also observed in vitro in mesothelial cells treated with recombinant TGFβ 1. These results suggest that mesothelial cells may have a central role not only in pleural fibrosis but also in the onset and progression of IPF.
INTRODUCTION
La FPI est un processus pathologique chronique progressif et létal dont l’étiologie et l’histoire naturelle sont mal comprises. Cette maladie, habituellement fatale, se manifeste par une dyspnée avec hypoxie liée à un défaut de transfert de l’oxygène [1].
La recherche sur la FPI a principalement été centrée sur les facteurs déclenchants et les phénomènes précoces affectant l’organe. Le myofibroblaste, cellule contractile et sécrétrice, a été identifié comme un composant cellulaire majeur impliqué dans la synthèse du collagène et de la matrice extracellulaire. Cette cellule est caractérisée par une protéine du cytosquelette particulière, l’alpha-smooth muscle actin (α-SMA). Les myofibroblastes sont regroupés en amas lors de la fibrose pulmonaire et forment les foyers fibroblastiques. Le Transforming Growth Factor (TGF)-β1 est un facteur de croissance clé lors de la fibrogenèse. Il induit la prolifération des myofibroblastes et la synthèse du collagène. Beaucoup considèrent actuellement que l’épithélium alvéolaire pulmonaire joue un rôle important dans l’initiation de cette ‘‘ réparation anormale ’’ caractérisée par un défaut de dégradation de la matrice extracellulaire et une accumulation de collagène. Cependant, la maladie a pour caractéristique de débuter directement sous la plèvre viscérale dans les parties inférieures et postérieures du poumon. Les liens entre plèvre et FPI n’ont jamais été établis autrement que par la proximité anatomique. Nous étudions le rôle du mésothélium pleural dans la fibrogenèse pleurale et pulmonaire.
TRAVAUX
Nous avons développé un modèle expérimental de fibrose pleuro-pulmonaire induite par le transfert du gène de TGF-β1 à la plèvre au moyen d’adénovecteurs injectés dans l’espace pleural de rat [2]. Ce transfert transitoire de gène induisait la surexpression du facteur de croissance pendant une dizaine de jours par les cellules mésothéliales. Dès le quatrième jour un épaississement pleural était visible, caractérisé par une accumulation de collagène. Celle-ci augmentait progressivement et l’épaississement était majeur après deux mois (figure 1).
Aucune adhérence pleurale n’était observée. En histologie, le parenchyme souspleural était lui aussi anormal avec des zones riches en collagène. Des mesures histomorphométriques de la densité de collagène ont confirmé l’accumulation progressive de la fibrose à ce niveau.
Nous avons donc cherché à expliquer par quels mécanismes cette progression de la fibrose pleurale vers le parenchyme pulmonaire était possible. Une hypothèse récente concernant l’origine des myofibroblastes est la transition épithéliomésenchymateuse (TEM), phénomène déjà bien connu dans certaines étapes physiologiques de l’embryogenèse mais également impliquée dans certains processus
Fig. 1. — Deux mois après que TGF-β1 ait été transitoirement surexprimé par les cellules mésothé- liales, la plèvre est le siège d’une fibrose sévère avec une accumulation majeure de collagène (Trichrome de Masson, 200X). Notez que le parenchyme sous-pleural n’est pas normal (flèches).
Adapté d’après Decologne et al.
pathologiques comme le potentiel métastatique de tumeurs malignes et lors de maladies fibrosantes notamment la fibrose rénale, pulmonaire ou péritonéale [3]. La TEM peut être considérée comme la manifestation d’une plasticité extrême des cellules épithéliales, caractérisée par une perte de polarité et des marqueurs épithé- liaux, un réarrangement du cytosquelette et une transition vers la morphologie fusiforme de myofibroblaste [4] (figure 2).
Fig. 2. — Étapes schématisées de la transition épithélio-mésenchymateuse ou de la transformation mésothélio-fibroblastoïde sous l’influence de TGF-β1. 1) : perte des jonctions intercellulaires ; 2) :
dégradation de la membrane basale ; 3) : migration des cellules ; 4) : changement de phénotype.
(MMPs : métalloprotéinases de la matrice ; α-SMA : α-smooth muscle actin)
Nous avons donc recherché la présence d’une TEM dans notre modèle. Les cellules concernées étant des cellules mésothéliales, nous avons préféré parler de transformation mésothélio-fibroblastoïde (TMF). Nous avons pu accumuler plusieurs preuves d’une TMF. En effet, in vivo , TGF-β1 induisait — une perte des jonctions intercellulaires des cellules mésothéliales, — une augmentation de l’activité de métalloprotéinases de la matrice conduisant à la dégradation de la membrane basale, — la migration des cellules mésothéliales dans le parenchyme sous-pleural (figure 3A) et — un changement de phénotype des cellules mésothéliales qui, lors de leur migration, acquéraient un phénotype de myofibroblaste (figure 3B) [2]. In vitro , les cellules mésothéliales, sous l’effet d’un traitement par TGF-β1 recombinant perdaient l’expression de cadhérine E et surexprimaient l’α-SMA.
De plus, nous avons récemment montré que l’administration conjointe de bléomycine et de nanoparticules de carbone induisait également une fibrose pleurale et sous-pleurale et que l’administration de ces deux produits était responsable d’une TMF in vivo et in vitro (figure 4) [5] en augmentant l’expression de TGF-β1.
Fig. 3. A) les cellules mésothéliales migrent progressivement dans le tissu fibreux sous l’effet de TGF-β1. La coloration bleue (flèches) des cellules mésothéliales est obtenue par transfert du gène de la β-galactosidase (Nuclear Fast Red, 200X). B) sous l’effet de TGF-β1, les cellules mésothéliales expriment à la fois la cytokératine (CK18) et l’α-SMA (flèches), suggérant qu’elles sont en train d’acquérir un nouveau phénotype (Immunofluorescence, 400X). Adapté d’après Decologne et al.
Fig. 4. —
In vitro , après traitement par la bléomycine associée au noir de carbone, les cellules mésothéliales se transforment en myofibroblastes en perdant l’expression de cadhérine E et surexprimant fortement l’α-SMA (Immunofluorescence, 630X). Adapté d’après Decologne et al.
DISCUSSION
La FPI débute classiquement sous la plèvre puis les lésions fibreuses « envahissent » l’intérieur du parenchyme pulmonaire alors que la maladie progresse. La fibrose sous-pleurale est donc une des caractéristiques, au moins initiale, de cette FPI. Il a été rapporté récemment que les foyers fibroblastiques, présents dès le stade précoce de la maladie, constituent un véritable réticulum dont le point de départ est la région sous-pleurale, ce réseau s’étendant lentement dans le parenchyme pulmonaire [6].
Même si nous n’avons pas mis en évidence de réels foyers fibroblastiques, les résultats de nos travaux sont en accord avec ce concept. La diffusion de TGF-β1 de l’espace pleural vers les alvéoles présentes juste sous la plèvre pourrait contribuer à l’accumulation de collagène au niveau du parenchyme pulmonaire. Cependant, cela ne peut expliquer que partiellement la progression de ces changements au cours du temps puisque le facteur de croissance n’est surexprimé qu’une dizaine de jours.
Nous pensons que l’accumulation de collagène dans le parenchyme pulmonaire résulte d’une progression « autonomisée » de la fibrose pleurale vers l’intérieur du poumon. La transformation mésothélio-fibroblastoïde est un élément de cette hypothèse.
Les cellules mésothéliales sont des cellules totipotentes, capables de détecter et de répondre à de nombreux stimuli environnementaux. Nous pensons que, dans le poumon, les effets pro-fibrotiques de TGF-β1 ne s’appliquent pas seulement aux cellules épithéliales bronchiques et alvéolaires mais aussi aux cellules mésothéliales.
In vitro , il a été montré que la stimulation de TGF-β1 conduit les cellules mésothé- liales à synthétiser le collagène et d’autres protéines de la matrice en grandes quantités [7]. Nous avons montré, dans nos deux modèles expérimentaux, que les cellules mésothéliales sont capables d’acquérir un phénotype de myofibroblastes, sous l’effet d’une surexpression de TGF-β1. Nous pensons donc que lors de cette TMF, les cellules mésothéliales deviennent « agressives » et envahissent le parenchyme pulmonaire. La TMF est très difficile à mettre en évidence du fait de son caractère dynamique mais nous avons toutefois pu accumuler plusieurs arguments forts pour suggérer l’implication d’un tel phénomène [2, 5].
CONCLUSION
Nous avons démontré que la surexpression de TGF-β1 par les cellules mésothéliales induit une fibrose pleurale et sous-pleurale progressive. Cette fibrose est associée à une transformation mésothélio-fibroblastoïde. Ces travaux suggèrent que la cellule mésothéliale, en présence d’un milieu profibrosant riche en TGF-β, pourrait être une des cellules clés non seulement de la fibrose pleurale mais également de la FPI.
Même si cette hypothèse physiopathologique n’est manifestement pas univoque, elle devra être approfondie.
REMERCIEMENTS
Nathalie Décologne a été financée par le Comité Bourguignon de la Ligue Contre le Cancer (2004-2006), la Société de Pneumologie de Langue Française (2007) et l’Association pour la Recherche sur le Cancer (2008) et remercie très chaleureusement l’Académie nationale de médecine de lui avoir attribué le prix Albert Sézary en 2007. Guillaume Wettstein est financé par une bourse Européenne dans le programme du 7ème PCRD : EU 7th Framework Programme (2007-2013 agreement number HEALTH-F2-2007-202224 eurIPFnet. Nous remercions le Professeur Jack Gauldie, McMaster University, Hamilton, Ontario qui nous a fourni gracieusement les adénovecteurs.
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Bull. Acad. Natle Méd., 2010, 194, no 2, 383-389, séance du 2 février 2010