Résumé
Le développement et la rapidité des transports et des communications créent des opportunités pour la diffusion et l’implantation de maladies infectieuses. A côté d’évènements comme le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), le syndrome respiratoire aigu sévère lié à un coronavirus (SRAS), le chikungunya, le virus de la grippe A H1N1v pandémique, il faut signaler le risque de diffusion de bactéries pathogènes résistantes aux antibiotiques. Le rapatriement de français en provenance de l’étranger, et la prise en charge sanitaire d’étrangers en France, expose la population française à des bactéries multirésistantes par une transmission interhumaine. La surveillance et le contrôle de la diffusion de pathogènes émergents multirésistants aux antibiotiques importés en France fait partie des priorités de sécurité sanitaire.
Summary
The spread of multidrug-resistant bacteria has become a major problem in France in recent years, owing to increasing antibiotic exposure, growing international exchanges, repatriation of hospitalized French patients, and treatment of French and foreign travelers in French hospitals. This article examines how different pathogens may become endemic in France.
Les êtres humains jouent un rôle important dans l’introduction de maladies infectieuses. En effet le développement et la rapidité des transports et des communications, les modifications de l’environnement et des comportements créent des opportunités pour la diffusion et l’implantation de maladies infectieuses.
Des infections récentes virales ont eu une diffusion très rapide, comme le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), le syndrome respiratoire aigu sévère lié à un coronavirus (SRAS), le Chikungunya, et actuellement le virus de la grippe A H1N1v pandémique.
Le premier cas de Sida (Syndrome d’immunodéficience acquise) a été notifié aux Etats-Unis en juin 1981. Le VIH a émergé en Afrique et a diffusé de façon ponctuelle et modérée jusqu’en 1960. Il a ensuite diffusé de l’Afrique à Haïti et au continent nord-américain, puis à l’Europe et à l’Asie.
Le premier cas de SRAS est apparu à la mi-novembre 2002 en Chine puis la pandémie s’est développée jusqu’à juillet 2003, favorisée par les transports aériens, cause de 8 098 cas avec 744 décès notifiés par 28 pays affectés dont la France. Cette épidémie, dont l’alerte a été donnée par l’Organisation Mondiale de la santé (OMS) le 12 mars 2003, a été rapidement endiguée grâce à des mesures d’isolement et de quarantaine.
L’introduction du virus chikungunya à La Réunion et à Mayotte en 2005 s’est traduite par une épidémie de forte ampleur qui a sévi jusqu’en avril 2007, date à laquelle les deux îles sont entrées dans une phase inter-épidémique, caractérisée par une circulation sporadique du virus. Hormis les cas importés ayant acquis une infection à chikungunya dans une zone de circulation du virus, aucun cas de chikungunya autochtone n’a été observé dans les départements métropolitains. Le risque d’infection à chikungunya dans les zones géographiques indemnes dépend d’une part du risque d’introduction du virus par l’arrivée de personnes virémiques et d’autre part du risque de transmission par des moustiques compétents. Le 30 août 2007, les autorités sanitaires italiennes avaient rapporté une épidémie de chikungunya dans la province de Ravenne. Cette épidémie atteste de la réalité du risque de transmission vectorielle du virus chikungunya dans certaines zones d’Europe du sud. La région où avait sévi l’épidémie possède des caractéristiques climatiques assez proches de celles des départements français où Aedes albopictus est implanté,
Alpes-Maritimes, Haute-Corse, Corse du Sud et Var.
Quant à l’actuelle pandémie de grippe A H1N1v, elle a débuté par des cas groupés au Mexique en avril 2009 avec une alerte de l’OMS le 24 avril. De fait ce virus avait été isolé dans le sud de la Californie au début de l’année 2009. Le premier cas confirmé en France date du 30 avril.
Toutes ces infections, très médiatisées, ne doivent pas sous-estimer d’autres risques comme l’introduction en France de bactéries résistantes. En effet l’apparition de bactéries pathogènes devenues résistantes aux antibiotiques et leur diffusion constituent un des phénomènes émergents majeurs de ces trente dernières années.
Certaines espèces bactériennes sont devenues résistantes à plusieurs antibiotiques et parfois à l’ensemble des antibiotiques disponibles : on parle alors de bactéries multirésistantes, de bactéries extrêmement résistantes ou de bactéries panrésistantes [1-3]. Ces terminologies expriment l’évolution de la mulitrésistance et concernent des bactéries cause d’infections associées aux soins pouvant, dans certains cas, aboutir à des impasses thérapeutiques [4].
Les niveaux très élevés de la résistance qui sont observés actuellement résultent de l’exposition massive aux antibiotiques à laquelle ont été soumis les humains et les animaux au cours des cinquante dernières années. Les résistances aux antibiotiques affectent non seulement les bactéries pathogènes mais aussi, et probablement même beaucoup plus, les bactéries commensales qui colonisent les individus (humains et animaux) et qui sont beaucoup moins facilement repérables car le portage ne s’associe à aucun signe clinique. Toutefois, selon les spécificités locales de la pression de sélection et des modes de vie des populations, les niveaux de résistance ne sont pas égaux dans tous les pays. A partir d’une zone où elle a émergé, la diffusion de cette résistance est ensuite facilitée par l’intensité des échanges internationaux et la mondialisation.
Si les déplacements des animaux, voire de produits de l’agriculture jouent un rôle dans la dissémination mondiale de la résistance, nous allons ici analyser des évènements infectieux liés aux déplacements des populations humaines.
En France, les brassages de population sont importants. Notre pays est le numéro un mondial des arrivées de touristes avec plus de 80 millions de voyageurs étrangers chaque année. Dans la même période, 19,4 millions de français voyageaient à l’étranger [5]. Par ailleurs, 1,4 million de français vivent à l’étranger dont 48 % en Europe, 20 % en Amérique, 15 % en Afrique, 8,5 % en Asie-Océanie et 6,6 % au Proche et Moyen Orient [6]. Le rapatriement sanitaire de français hospitalisés à l’étranger, mais aussi les simples retours de voyage et la prise en charge sanitaire d’étrangers en voyage en France, quelle que soit leur nationalité, expose donc la population française à des bactéries multirésistantes aux antibiotiques qui auraient pu être acquises dans des zones de haute prévalence de résistance. Ce risque d’émergence et de diffusion à partir des brassages de population est mal évalué quantitativement à l’heure actuelle en France. On sait toutefois qu’il est réel et des évènements sporadiques ou épidémiques ont été observés concernant des pathogè- nes tels que Mycobacterium tuberculosis multirésistant, Clostridium difficile de ribotype 027 , Klebsiella pneumoniae productrice de carbapénèmase, Acinetobacter baumannii multirésistant, Staphylococcus aureus résistant à la méticilline commu- nautaire producteur de la leucocidine de Panton-Valentine ou entérocoques résistant à la vancomycine. Dans ce contexte, la question se pose de savoir quel degré de priorité de sécurité sanitaire doit être attribué à la surveillance et au contrôle de la diffusion de ces pathogènes multirésistants aux antibiotiques importés en France, à l’occasion du retour d’un voyage ou du rapatriement de patients hospitalisés à l’étranger.
Mycobacterium tuberculosis multitirésistant aux antibiotiques
Plus de 5 500 cas de tuberculose ont été notifiés en 2007 [7]. La situation française est étroitement dépendante de l’endémie dans les pays en voie de développement, et de la situation de l’infection par le VIH, facteur de risque important pour transformer une infection latente en tuberculose maladie. En effet, l’analyse de la situation épidémiologique témoigne des risques élevés de cette maladie dans certains groupes de population, notamment ceux venant de pays à forte prévalence de tuberculose.
En 2007 en France, 47 % des patients avec une tuberculose déclarés étaient nés à l’étranger [8], avec un taux de déclaration environ huit fois supérieur à celui observé chez les personnes nées en France (42,0 vs . 5,1/100 000 habitants). Le risque de tuberculose diminue à mesure que l’ancienneté de l’arrivée en France augmente, avec un taux de déclaration de 237,9/100 000 habitants chez les personnes arrivées moins de deux ans avant la déclaration de la tuberculose et de 15,8/100 000 habitants chez les personnes arrivées depuis plus de neuf ans. Cette différence de taux de déclaration se retrouve dans d’autres pays à faible incidence de tuberculose et s’explique en grande partie par le risque d’exposition dans le pays d’origine mais aussi par les conditions de vie ou d’accès aux soins dans le pays d’immigration. De même, l’incidence des cas de tuberculose à bacilles multirésistants (souches résistantes à l’isoniazide et à la rifampicine) est passée de 20 à 50 cas à plus de 70 entre 2002 et 2005, les cas primaires de multirésistance étant principalement importés de pays étrangers à forte prévalence de tuberculose (Afrique subsaharienne, Europe de l’Est) [9]. Devant ce risque d’importation et de développement de souches multiré- sistantes, voire extrêmement résistantes [10], certains pays comme les Etats-Unis, ont adapté leur politique de dépistage systématique de la tuberculose lors de l’immigration, notamment chez les immigrants originaires des pays présentant des taux de déclaration supérieurs à 250 cas/100 000 habitants. Le renforcement de l’efficacité des programmes anti-tuberculeux dans les pays à forte endémie, au travers d’initiatives telles que celles du Fonds Mondial ou bien d’accords entre pays, doit contribuer à réduire l’impact des migrations sur la transmission de la tuberculose et de la multirésistance dans les pays de faible incidence comme la France [11].
Clostridium difficile de ribotype O27
En octobre 2006, l’Institut national de Veille sanitaire (InVS) diffusait une alerte sanitaire concernant l’émergence en Europe d’une souche de Clostridium difficile de ribotype O27, associée à une morbidité et une mortalité supérieure aux souches habituellement isolées [12]. Cette souche a été importée en Europe depuis le Canada et les États-Unis en 2003 [13, 14] et a été impliquée dans de nombreuses épidémies dans plusieurs pays d’Europe du Nord. Plusieurs épidémies ont été observées au Royaume-Uni dès octobre 2003, notamment à l’hôpital de Stocke Mandeville avec des décès dans plus de 10 % des cas [15], et une incidence des cas d’infection évoluant de 1 000 en 1990 à 35 500 en 2003 à travers le pays. Cette souche épidémique a été ensuite décrite aux Pays-Bas en juillet 2005, puis a diffusé, par proximité géographique et les passages transfrontaliers, en Belgique en septembre 2005 et a été cause d’épidémies dans onze hôpitaux en 2006 [16, 17].
En France, des cas groupés d’infections à C. difficile (ICD) ont été signalés en mars 2006 dans deux hôpitaux du Nord de la France avec des incidences augmentées de 13 à 116 cas pour 10 000 journées-patients entre janvier et mars 2006 dans des services gériatriques [18]. Si la souche 027 de C. difficile était la souche prédominante lors des épidémies survenues au Québec, elle n’était cependant pas la seule souche cause de l’augmentation de l’incidence observée dans les différents pays.. En particulier, une souche toxine A négative/toxine B positive a causé des épidémies d’ICD dans plusieurs hôpitaux d’abord au Canada [19], aux Pays-Bas [20] et en Irlande [21], associant également une résistance aux fluoroquinolones et aux macrolides. Il est probable que la forte augmentation de l’utilisation des fluoroquinolones dans les années qui ont précédé a favorisé ce phénomène. Aussi, la surveillance et le contrôle des ICD est devenue une priorité nationale depuis 2006 afin d’identifier les cas liés à la souche épidémique mondiale et de maîtriser sa diffusion en France.
Klebsiella pneumoniae productrice de carbapénèmase (KPC)
L’émergence d’entérobactéries résistantes aux carbapénèmes depuis le début des années 1990 est inquiétante, laissant entrevoir des impasses thérapeutiques [22]. Les carbapénèmes étant utilisés dans le traitement des infections sévères à entérobacté- ries productrices de β-lactamases à spectre étendu (E-BLSE), l’explosion de l’épidé- miologie des E-BLSE est ainsi à l’origine de l’émergence des bactéries résistantes aux carbapénèmes. Leur large utilisation crée une pression de sélection qui favorise ensuite l’émergence des souches d’entérobactéries qui y sont résistantes. Les souches d’entérobactéries résistantes aux carbapénèmes ainsi sélectionnées appartiennent essentiellement à l’espèce Klebsiella pneumoniae mais aussi à d’autres espèces comme
Escherichia coli . La première souche de Klebsiella pneumoniae a été isolée aux Etats-Unis en 1996, en Caroline du Nord et dénommée KPC-1. Par la suite, d’autres souches de KPC ont été décrites à travers les Etats-Unis (KPC-2 à KPC-7) sur des modes sporadiques ou épidémiques [22-24]. La première épidémie de KPC en dehors du territoire américain a été rapportée en Israël, à partir de voyageurs et/ou de patients ayant transité entre les deux pays [25]. Depuis, de nombreux continents ont rapporté l’émergence de KPC, comme l’Amérique du Sud, et l’Asie.
En Europe, le phénomène semble rare mais les KPC ont été isolées de manière sporadique en Suède, en Irlande, au Royaume-Uni [26] et en Grèce qui représente
Fig. 1. — Proportion de
Klebsiella pneumoniae productrice de carbapénèmase (KPC) en Europe en 2008. Source : http://www.rivm.nl/earss/database/ actuellement une zone de haute prévalence [2,27] (Figure 1). En France, plusieurs cas sporadiques ont été isolés chez des voyageurs, rapatriés des États-Unis après avoir été hospitalisés [28, 29], mais d’autres cas ont été importés en provenance d’autres pays de la Communauté européenne, notamment de Grèce [30]. Une attention toute particulière doit être portée à l’importation en France de ce type de bactéries multirésistantes, n’ayant pas encore diffusé sur un mode épidémique, à partir de voyageurs rapatriés et ayant été hospitalisés à l’étranger, a fortiori dans un pays de haute prévalence. Le Haut Conseil de Santé Publique s’est saisi de ce problème.
Acinetobacter baumannii multirésistant
La diffusion de la multirésistance chez
Acinetobacter baumannii dans le monde semble différente de celle des pathogènes commensaux. Il s’agit d’une bactérie saprophyte de l’homme mais qui vit essentiellement dans l’environnement et son épidémiologie varie d’un pays à un autre et d’un établissement à un autre [31].
L’espèce A. baumannii est naturellement résistante à de nombreux antibiotiques. En outre, dans les conditions de pression de sélection antibiotique à l’hôpital, des souches ayant acquis des mécanismes de résistance supplémentaires sont souvent sélectionnées. Certaines sont panrésistantes à tous les antibiotiques disponibles, exposant à des impasses thérapeutiques. C’est notamment le cas pour les souches d’ A.baumannii résistantes à l’imipénème. Les infections à A.baumannii concernent principalement des patients hospitalisés en réanimation, où elle peut diffuser sur un mode épidémique et causer des infections sévères. Cependant, le risque de régionalisation de la diffusion de souches multirésistantes épidémiques est réel, comme on a pu l’observer dans plusieurs hôpitaux du Nord de la France en 2005 [32]. Le nombre de pays déclarant des épidémies à A . baumannii résistant à l’imipénème est important et concerne l’Europe [2]. Par ailleurs, plusieurs épisodes d’importation de souches d’ A. baumannii multirésistantes ont déjà été rapportés, dans des situations particulières, lors de désastres naturels [33] ou de situations de guerre, notamment chez des soldats canadiens et américains au retour d’Afghanistan ou d’Irak [34].
Ainsi, même si le risque d’importation de souches d’ A. baumannii multirésistant semble difficile à évaluer compte tenu du fait que des clones porteurs de gènes de résistance circulent déjà en France, il convient d’être vigilant sur les possibilités d’introduction de souches multi- ou pan-résistantes d’ A. baumannii , dans les services d’hopitalisation à partir de voyageurs et ou de français hospitalisés à l’étranger, puis rapatriés dans nos établissements de santé.
Staphylococcus aureus résistant à la méticilline (SARM) producteur de la leucocidine de Panton-Valentine (LPV) Les SARM communautaires ont émergé aux États-Unis à la fin des années 1990, dans des populations jeunes, sans facteur de risque. Ces souches étaient génétiquement différentes de celles provenant des hôpitaux et provoquaient principalement des infections cutanées et des pneumopathies nécrosantes [35], souches dont la virulence est liée à la présence de la toxine de Panton-Valentine. La diffusion des différents clones de SARM communautaire est complexe et mal élucidée. Le clone le plus répandu est le clone américain USA300, particulièrement épidémique. Cette souche USA 300 est présente en France, mais le clone principalement détecté sur notre territoire est le clone européen ST80. Si le clone ST80 n’était détecté, en Europe, seulement en France et en Suisse avant 2003 [35], on le retrouve maintenant dans de nombreux pays, comme la Belgique, le Royaume-Uni, l’Écosse, la Suède, la Norvège, la Finlande, la Grèce, la Roumanie, l’Allemagne, la Croatie, les Pays-bas, le Danemark, la Slovénie, mais aussi en Algérie et à Singapour [36]. D’autres clones sont également présents en France (ST5, ST8, ST59, ST377). Il est donc bien difficile de prédire l’évolution de la circulation des différents clones à travers le monde, à partir des voyageurs et des français hospitalisés à l’étranger et rapatriés dans les établissements de santé en France. Il convient cependant d’être particulièrement vigilant vis-à-vis des patients atteints d’infections d’allure staphylococcique et revenants de zones à risque car les traitements anti staphylococciques habituels risquent d’être inefficaces.
Fig. 2. — Proportion d’
Enterococcus faecium résistants à la vancomycine en Europe en 2008.
Source : http://www.rivm.nl/earss/database/
Entérocoques résistants aux glycopeptides (ERG)
Les entérocoques sont des bactéries commensales de la flore digestive cause d’infections hospitalières rares et peu sévères. Leur résistance aux glycopeptides a émergé d’abord aux États-Unis et plus récemment en Europe. Si la dissémination des ERG est inquiétante, c’est d’une part parce que les ERG sont en pratique panrésistants aux antibiotiques disponibles et les rares infections qu’ils causent très difficiles à traiter, mais d’autre part et surtout parce que les ERG sont une source potentielle de gènes de résistance aux glycopeptides qui sont la dernière ligne de traitement des infections à SARM, espèce bien plus virulente. Les ERG représentent actuellement plus de 30 % [37] des cas d’infections à entérocoques aux États-Unis. En Europe, la situation est hétérogène [38], comme le montrent les données du réseau EARSS de 2008 (European Antimicrobial Resistance Surveillance System) (Figure 2). La proportion d’ Enterococcus faecium résistants aux glycopeptides, isolés de bactérié- mies, était supérieure à 20 % au Portugal, en Israël, au Royaume-Uni et en Grèce, pour atteindre 35 % en Irlande. Les pays participants au réseau EARSS qui avaient la plus faible prévalence de cette résistance (<1 %) étaient notamment la Finlande, la Norvège, les Pays-Bas, le Danemark et la France. Il est probable que l’interdiction de l’utilisation des dérivés des glycopeptides comme promoteurs de croissance en élevage depuis 1997 et l’utilisation plus parcimonieuse de la vancomycine en médecine humaine, a protégé la France d’une explosion des ERG où seuls de rares cas de colonisation étaient signalés. Cependant, depuis 2004, plusieurs épidémies ont été rapportées dans des établissements de santé français, notamment dans les interrégions Est et Paris-Nord [39, 40]. L’émergence des souches d’ERG paraît imprévisible et tous les établissements peuvent être concernés. La mise en œuvre rapide et coordonnée des mesures recommandées en 2005 par le Comité Technique des Infections Nosocomiales et des Infections Liées aux Soins (CTINILS) demeure indispensable afin de stopper la diffusion de la résistance à partir d’un cas sporadique, ou de réduire son importance en cas d’épidémie installée [41]. A la différence d’autres bactéries multirésistantes aux antibiotiques, comme les SARM ou les entérobactéries productrices de β-lactamases à spectre élargie (BLSE), déjà largement implantées sur notre territoire, le contrôle de ce phénomène émergent doit être considéré comme un enjeu de santé publique. Compte tenu de l’échec du contrôle de la diffusion des ERG aux Etats-Unis après des recommandations émises tardivement [42] et de l’évolution de leur prévalence dans certains pays d’Europe, le risque d’importation d’ERG en France, à partir de patients hospitalisés à l’étranger et rapatriés en France, ou de voyageurs étrangers sur notre territoire nécessitant une prise en charge médicale hospitalière, doit être évalué et signalé à l’InVS. Là encore des recommandations du Haut Comité de Santé Publique (HCSP) doivent être bientôt publiées.
Discussion
Depuis une dizaine d’années, les autorités sanitaires internationales ont dû faire face à l’émergence et à la diffusion rapide à travers le monde de nouvelles souches de virus grippal, du syndrome de détresse respiratoire aiguë, du chikungunya, et de la tuberculose multirésistante aux antibiotiques… Les transports modernes et l’augmentation du tourisme, les voyages d’affaires et l’immigration ont contribué à la dissémination de ces pathogènes à haut impact épidémique [43, 44].
Les bactéries multirésistantes aux antibiotiques représentent aussi un risque important [45, 46]. L’augmentation des voyages internationaux de populations à haut risque infectieux, nécessitant une prise en charge médicale ou chirurgicale, et de migrants recherchant des soins spécifiques n’existant pas dans leur pays d’origine, a déjà des implications internationales dans l’émergence et la diffusion de la résistance bactérienne aux antibiotiques [47]. Les données de la littérature sur le dépistage systématique de patients hospitalisés à l’étranger et rapatriés dans leur pays d’origine sont peu nombreuses et relativement anciennes. Cependant, elles apportent des éléments de réflexion intéressants sur la prise en charge des patients hospitalisés à l’étranger et rapatriés et sur la diffusion de souches mulitrésistantes de pays à pays [48, 49]. Cette réflexion doit être intégrée dans les politiques nationales de diminution et de contrôle de la diffusion de la résistance bactérienne aux antibiotiques. Des recommandations du HCSP dans ce domaine pourraient apporter un cadre précis à ces mesures.
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DISCUSSION
M. Pierre GODEAU
Quelle est la responsabilité d’une antibiothérapie préalable inadaptée dans la sélection d’entérocoques résistants ?
Une large utilisation de céphalosporines favorise l’émergence d’entérocoques. Il est probable que l’interdiction de l’utilisation des dérivés des glycopeptides comme promoteurs de croissance en élevage depuis 1997 et l’utilisation plus parcimonieuse de la vancomycine, notamment orale, en médecine humaine ont protégé la France d’une explosion des entérocoques résistants aux glycopeptides. De plus des recommandations ont été rédigées par le Comité Technique des Infections Nosocomiales et des Infections liées aux Soins (CTINILS) en 2005 pour stopper la diffusion de la résistance à partir d’un cas sporadique ou de réduire son importance en cas d’épidémie installée.
Bull. Acad. Natle Méd., 2009, 193, no 8, 1821-1833, séance du 24 novembre 2009