Publié le 17 novembre 2020

Mardi 17 novembre 2020

Séance dédiée : « Avancées thérapeutiques »

Organisateur : Gilles BOUVENOT

 

Réflexions sur le progrès thérapeutique médicamenteux par Gilles Bouvenot, Académie nationale de médecine, Service de médecine interne, gériatrie et thérapeutique (Prof. P. Villani), Hôpital Sainte Marguerite, Marseille

Progrès ou innovation ? Un progrès thérapeutique est induit par une innovation (nouveau mécanisme d’action, nouvelle galénique…) si trois conditions sont associées : constituer une nouvelle modalité de prise en charge d’une maladie, être susceptible d’apporter un progrès cliniquement pertinent en termes d’efficacité ou de sécurité d’emploi, répondre à un besoin non ou insuffisamment couvert.

Quantification du progrès. La meilleure appréciation d’un progrès résulte de la confrontation directe des performances de deux médicaments comparés dans un même essai dit de supériorité. Les essais thérapeutiques comparatifs dits de « non-infériorité » sont beaucoup moins convaincants. Les grands progrès, appelés progrès de rupture (ou disruption[1]) parce qu’ils transforment fondamentalement le pronostic et la prise en charge des patients comme dans le cas de l’utilisation de certaines thérapies géniques, sont rares.

La part d’incertitude et d’inconnu. Un développement précipité (à ne pas confondre avec un délai raccourci de l’instruction par les agences officielles d’évaluation, –fast track) se fait bien souvent au détriment de la complétude des informations nécessaires à une évaluation optimale. Un recul est indispensable. Il aura fallu, par exemple, plusieurs années pour passer de la démonstration de l’effectivité hypocholestérolémiante des statines à celle, autrement plus utile, de leurs bénéfices en morbimortalité en prévention secondaire. De même, quelques années ont été nécessaires pour découvrir que les effets indésirables cardiovasculaires graves des anti-inflammatoires coxibs imposaient leur retrait.

Accueillir le progrès avec une confiance prudente. En effet, si nombre de nouveaux produits confirment – voire amplifient- les espérances légitimes dont ils ont fait l’objet, d’autres ne révèlent leur part d’ombre que bien après qu’ils ont eu les faveurs – véritable lune de miel – des soignants et des patients. En médecine comme dans bien d’autres domaines de la science, il est des certitudes précaires. Il s’agit donc de se garder de l’enthousiasme comme du procès d’intention : ni zélateur ni procureur. Et, pour ceux à qui revient la tâche d’évaluer le progrès au nom de la collectivité, si l’innovation mérite d’être accueillie avec faveur, il importe qu’elle soit estimée la tête froide, d’autant que le contexte thérapeutique et de prise en charge des patients peut être rapidement évolutif et rendre l’innovation très vite obsolète.

 

Cellules humaines à usage thérapeutique : état de la question par François Guilhot, Inserm CIC 1402,

CHU de Poitiers, 2 rue de la Milétrie, 86000, Poitiers

Quatre approches cellulaires principales sont abordées.

Les cellules souches humaines pluripotentes induites. Mises au point par le chercheur japonais Yamanaka (Prix Nobel 2012), elles sont issues d’une reprogrammation génétique à partir de cellules adultes somatiques différenciées. Leur grand intérêt réside dans l’étude de cellules obtenues à partir de tissus pathologiques de patients permettant de comprendre la physiopathologie de la maladie (cas du syndrome d’ataxie et de tremblement lié à l’X fragile) et éventuellement de tester les molécules thérapeutiques d’intérêt. Leur application en clinique reste toutefois limitée par un risque carcinologique qui est atténué par l’adoption de techniques dites non intégratives.

Les cellules souches embryonnaires humaines. Également dotées de pluripotence, leur différenciation dirigée permet d’obtenir des cellules d’intérêt pour une réparation tissulaire spécifique, par exemple cardiomyocytes, cellules dopaminergiques, ou cellules bêta du pancréas. Leur application clinique, qui concerne les traumatismes de la moelle épinière, les pathologies oculaires de la rétine, la maladie de Parkinson, des affections cardiovasculaires et le diabète de type I, reste l’objet d’essais cliniques aux résultats très fragmentaires.

La thérapie génique. Elle consiste en l’introduction dans l’organisme d’un acide nucléique et donc d’un médicament biologique en vue de réguler, remplacer, ajouter ou supprimer une séquence génétique. Dans le domaine hématologique, elle a été un succès pour le traitement des hémophilies A et B, les hémoglobinopathies et les déficits immunitaires.

Cellules souches hématopoïétiques et cellules CAR-T (Chimeric Antireceptor-T cells). La greffe de cellules souches hématopoïétiques est un traitement standard des leucémies, cependant que les CAR T représentent un nouveau traitement prometteur, encore en cours d’évaluation, y compris dans les lymphomes et le myélome.

En conclusion, l’élaboration de véritables « cellules médicaments » a d’ores et déjà permis de transformer le pronostic de maladies du sang gravissimes. Leur utilisation clinique élargie requiert cependant de larges essais cliniques de phase III et soulève, du fait de leur caractère onéreux, de réels problèmes économique et sociétal.

 

Médicaments biosimilaires : Enjeux réglementaires et impacts médico-économiques par Philippe Lechat COMEDIMS APHP, AGEPS, 7 rue du fer à moulin, 75005 Paris.

Le concept de médicament biosimilaire a été lancé par les directives européennes de 2001 et 2004 avec les premières autorisations européennes de mise sur le marché (AMM) délivrées en 2006. Ce sont des « copies » de médicaments biologiques, pour la plupart des protéines. Compte tenu de la variabilité inhérente aux processus de « synthèse biologique » quelques variations de la structure chimique du produit fini peuvent être observées sur les résidus glycosylés mais pas sur la séquence d’acides aminés pour les protéines. Pour cette raison, le dossier de demande d’AMM de ces produits, contrairement aux génériques, doit comporter une démonstration d’équivalence thérapeutique dans au moins l’une des indications thérapeutiques du princeps. C’est l’arrivée des biosimilaires des anticorps monoclonaux qui a vraiment marqué leur avènement avec les biosimilaires d’infliximab, d’etanercept et d’adalimumab dans les domaines de la rhumatologie, gastro-entérologie et dermatologie, puis dans les domaines de la cancérologie avec les biosimilaires de rituximab, trastuzumab et enfin bévacizumab. Si l’arrivée des biosimilaires réduit le risque de ruptures d’approvisionnement des produits princeps, leur intérêt est principalement économique, permettant la réduction du prix des traitements face aux princeps biologiques coûteux. Avec l’expérience acquise, les réticences à l’interchangeabilité des produits se sont estompées.

 

Actualités thérapeutiques et innovations dans les maladies systémiques et auto-immunes par Loïc Guillevin, Académie nationale de médecine, 16 rue Bonaparte, 75006, Paris

Le traitement des maladies auto-immunes bénéficie depuis quelques années de nouveaux médicaments dont certains sont prometteurs. Les choix thérapeutiques et les objectifs de traitement sont cependant variables d’une maladie auto-immune à l’autre. Trois pathologies principales sont ici considérées.

Les vascularites nécrosantes associées aux ANCA (anticorps anticytoplasmiques des neutrophiles). C’est en ce domaine que les progrès médicamenteux les plus marquants ont été obtenus. Ainsi, en traitement d’entretien, le rituximab a montré sa franche supériorité par rapport à l’azathioprine et au méthotrexate. Une injection de rituximab à la dose de 500 mg tous les six mois permet de maintenir la rémission, d’arrêter les corticoïdes, sans majoration des effets secondaire. Ce schéma thérapeutique a été validé par les autorités de santé européenne (European Medical Agency) et américaine (Food and Drugs Administration), et retenu par la commission de la transparence de la Haute Autorité de Santé. Il s’impose donc comme le nouveau traitement d’entretien de cette catégorie de vascularites.

Le lupus. De nombreux médicaments ciblant des mécanismes pathogéniques spécifiques ont été étudiés, les trois approches principales étant le bélimumab, seule biothérapie à avoir obtenu une AMM dans le lupus, le rituximab qui cible la réponse lymphocytaire B et pourrait laisser la place à d’autres anticorps monoclonaux plus puissants, et les anti-interférons dont les essais ont donné des résultats discordants. Au total, peu de médicaments se distinguent comme étant d’un apport majeur pour la prise en charge de cette maladie.

La sclérodermie systémique. Les traitements symptomatiques se multiplient et sont partiellement efficaces (inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine dans la crise rénale sclérodermique, traitements de l’hypertension artérielle pulmonaire, traitement de la fibrose pulmonaire par le nintedanib). Le seul traitement de fond qui paraît apporter aujourd’hui un bénéfice dans la sclérodermie est la transplantation de cellules souches autologues.