Publié le 30 novembre 2021

Les séances de l’Académie*

* Par Catherine Barthélémy, Pierre Brissot, Martin Danis, Vincent Delmas, Francis Michot

 

 

Infections à SARS CoV-2 chez le transplanté en France, Pr Sophie Caillard, Néphrologie  Transplantation, Strasbourg

 

Les patients transplantés ont été grandement affectés par l’infection à SARS CoV-2 en étant plus fréquemment atteints que la population générale et en faisant des formes plus graves. De plus, l’activité de transplantation a été officiellement stoppée pendant le premier confinement et l’activité de prélèvement d’organes a été impactée par les différents plans blancs. Dès le premier cas détecté à Strasbourg le 3 mars 2020 un registre national a été mis en place par la SFT. 606 cas de COVID ont été diagnostiqués pendant la première vague chez les 48812 transplantés rénaux (1,42%) : âge médian 61 ans, en moyenne 70 mois après la greffe, la plupart avec des co-morbidités. 122 patients sont décédés. Parmi les 411 patients hospitalisés qui ont pu être étudiés, 61% ont eu une insuffisance rénale aiguë, 37% ont présenté une forme sévère de relargage cytokinique nécessitant un passage en réanimation et 23% sont décédés. Le risque de décès chez le patient transplanté est multiplié par 6 ou 7, quel que soit l’organe. Les facteurs de risque de formes sévères sont un âge > 60 ans, un BMI >25, une maladie cardiovasculaire, une dyspnée, une CRP > 60 et surtout une mauvaise fonction rénale avec une créatinine sérique > 100 mcm/l. Lors de la deuxième vague la mortalité a été identique à 25%. La réponse vaccinale est mauvaise après 2 injections chez ces patients immunodéprimés (entre 18 et 48% de séroconversion). Aussi de nombreux cas de COVID (55) ont-ils été observés après ces 2 injections. Dans 25 cas la sérologie était négative. La symptomatologie était peut-être un peu moins sévère, 15 hospitalisés, 6 transferts en réanimation, 3 décès. Il s’en est suivi une modification du schéma vaccinal avec, chez les non répondeurs, une troisième (entre 49 et 69 % de séroconversion), voire une quatrième injection. Un espoir réside dans l’utilisation des anticorps monoclonaux dirigés contre la protéine spike du SARS CoV-2. Ce traitement a pu être étudié chez 80 transplantés entre février et juin 2021. Administré tôt après le diagnostic (en moyenne 3,8 jours), il réduit le nombre de passage en réanimation (2,5%) ainsi que celui des décès (1,25%).

 

 

Hypothermie Reperfusion, Pr Thierry Hauet, Biologie Transplantation, Poitiers

La greffe d’organes reste le traitement de dernier recours en cas de défaillance terminale d’un organe vital (poumon, foie, cœur, intestin) ou non vital (essentiellement le rein et le pancréas) pour lesquels il existe des traitements supplétifs. Elle reste la meilleure alternative que ce soit en termes de qualité et d’espérance de vie des patients, ou en termes de dépense de santé publique. Ces dernières années, en France, près de 5900 patients
bénéficient annuellement d’une transplantation d’organe, tandis que dans le même temps, environ 20000 patients sont candidats. En moyenne, seulement 25% environ des patients en attente de greffon sont transplantés chaque année. Cette situation de pénurie a conduit à envisager de nouvelles sources de donneurs (décédés par mort encéphalique à critères élargis ou décédés après arrêt circulatoire) avec un élargissement des critères de sélection. Ces organes sont sensibles aux conditions de conservation durant la phase d’ischémie et plus encore à celles de la reperfusion qui impactent le devenir du greffon à court et à long terme. Cette évolution rend nécessaire une prise en charge plus adaptée du don d’organe et l’optimisation des conditions de conservation. Dans cette revue générale, les différents aspects de la conservation sont envisagés. Initialement en hypothermie à l’aide de
solutions spécifiques, la conservation est en pleine évolution avec la perfusion oxygénée en hypothermie ou en normothermie permettant le maintien du métabolisme tissulaire. Ce temps de conservation est appelé à devenir un temps d’évaluation afin de pouvoir prédire la qualité de l’organe, de le réparer et d’optimiser le choix du receveur avec le concept des unités de perfusion et d’évaluation.

 

Nouveaux Immunosuppresseurs, Pr Gilles Blancho, Néphrologie Transplantation, Nantes

 

Les traitements immunosuppresseurs actuels ont été conçus pour prévenir la survenue de rejets cellulaires aigus par les lymphocytes T. Ils associent un anticalcineurine (généralement le Prograf) à un anti prolifératif (Cellcept ou Certican) et des corticoïdes. Ils ont fait preuve d’une très bonne efficacité pour prévenir le rejet aigu (moins de 10%, généralement réversible) et permettent une excellente survie des greffons (plus de 95% à un an et une demi-vie supérieure à 15 ans en transplantation rénale).

La qualité de ces résultats explique en grande partie l’échec des nouvelles molécules testées ces 20 dernières années. Ces molécules, ayant échoué à donner des meilleurs résultats ou présentant des effets secondaires inacceptables, ont été abandonnées ou redirigées vers d’autres indications thérapeutiques. Il en est ainsi des inhibiteurs de Janus Kinases utilisées dans les maladies rhumatismales, du FTY 720 qui séquestre les lymphocytes activés dans les ganglions utilisé dans la sclérose en plaques, du FK 778, des anti CD-40…

Néanmoins, contrastant avec ces grands progrès dans les premières années, la survie à long terme a peu progressé au cours des deux dernières décennies car ces traitements sont relativement inefficaces pour prévenir la survenue du rejet chronique. Le rejet chronique, principale cause de perte de greffons à long terme, est due le plus souvent à l’apparition d’anticorps dirigés contre les antigènes HLA du donneur (Donor Specific Antibodies ou DSA). Ceci souligne la nécessité d’utiliser de nouveaux immunosuppresseurs visant à bloquer la synthèse d’anticorps par les lymphocytes B et les plasmocytes. Il en est ainsi des anti IL-6, des anti CD38 dirigés contre les plasmocytes dont les premiers résultats semblent encourageants et dont la place reste à préciser. Il en est ainsi aussi des IdeS, enzymes détruisant les igG et des anti complément.

En outre, le blocage des molécules de co-stimulation B7 (CD 80 et CD 86) / CD 28 semble diminuer la production de DSA, comme le montrent les résultats à long terme de l’étude Bénefit avec le Bélatacept. Il pourrait en être ainsi dès l’utilisation d’un anti CD 28 antagoniste qui a l’avantage de ne bloquer que les récepteurs activateurs.

Enfin, la mise en évidence récente de nouveaux mécanismes de l’alloactivation dans le greffon par les cellules dendritiques du receveur ayant capté des antigènes HLA du donneur (par exemple par l’intermédiaire d’exosomes) ouvre de nouvelles perspectives thérapeutiques (anti SIRP ou anti CD-47). Il en de même des nouveaux mécanismes de rejet chronique comme la non reconnaissance du soi par les NK qui s’activent par une voie dépendant de mTor.

Mécanismes du Rejet Chronique, Pr Olivier Thaunat, Néphrologie Transplantation, Lyon

 

Les traitements immunosuppresseurs modernes ont grandement amélioré les résultats des premières années de la transplantation (environ 95% de survie des greffons à un an). Ils ont par contre un impact modéré sur la survie à long terme. La cause principale de perte des greffons est le rejet chronique caractérisé par une inflammation des micro vaisseaux. Le mécanisme principal est lié à l’existence et/ou à l’apparition d’anticorps dirigés contre les antigènes HLA du donneur (Donor Specific Antibodies ou DSA). Ces anticorps se fixent sur les cellules endothéliales du greffon, entrainant leur activation et/ou leur destruction en activant le Complément et/ou la cytotoxicité de cellules se fixant sur les anticorps par leur récepteur Fc (phénomène d’ADCC Antibody Dépendant Cellular Cytotoxicity), telles les cellules NK. Mais 50% des greffons présentant des lésions d’inflammation microvasculaire de rejet chronique et la présence de cellules NK n’ont pas de DSA détectés. L’hypothèse soulevée par Olivier Thaunat et son équipe est la non reconnaissance du soi par les cellules NK (par opposition à la reconnaissance du non soi par les allo anticorps). En effet les activités des cellules NK sont modulées par des récepteurs activateurs et inhibiteurs. Vis-à-vis de nos propres cellules (le soi) l’activité NK est inhibée par la reconnaissance de nos propres antigènes HLA de classe I. Par contre, dans un greffon allogènique, en l’absence d’identités des antigènes HLA de classe I entre donneur et receveur, cette activité n’est plus inhibée (absence de reconnaissance du soi) et les cellules NK peuvent agresser l’endothélium du receveur.  Ce nouveau mécanisme de rejet chronique ouvre de perspectives thérapeutiques innovantes car l’activation cellulaire semble impliquer mTor et pourrait donc être sensible aux inhibiteurs de mTor comme la rapamycine.

 

Conclusions, Pr Yvon Lebranchu, Tours, Membre de l’Académie nationale de médecine

 

La transplantation est une des grandes avancées médicales de la fin du 20ième siècle. Néanmoins un certain nombre de problèmes ne sont pas résolus et ont été abordés au cours de cette session :

 

1/ La pénurie d’organes est de plus en plus criante car, d’une part les succès grandissants incitent de plus en plus de patients à s’inscrire sur la liste d’attente, d’autre part le nombre d’organes prélevés augmente peu, en particulier parce que le pourcentage de refus de prélèvement reste élevé en France (entre 30 et 35%). Aussi l’âge des donneurs prélevés augmente régulièrement et le pourcentage de donneurs « à critères élargis » atteint presque 50%. Ces organes doivent être évalués avant transplantation et pourraient faire l’objet de traitements pharmacologiques et immunologiques pour en conserver ou en améliorer la qualité. Ainsi, la tendance est de passer d’une conservation statique à 4 degrés à une conservation dynamique hypothermique ou normothermique avec machines de perfusion.

 

2/ Le patient greffé a un déficit immunitaire le rendant plus susceptible aux infections et aux cancers. Un exemple en a été fourni par l’infection à Sars Cov2 qui est plus fréquente et plus grave chez le transplanté (20 à 25 % de décès chez les transplantés infectés). D’autre part la réponse vaccinale est plus faible, voire inexistante chez un grand nombre de transplantés, nécessitant une troisième, voire une quatrième injection pour éviter une infection grave. L’efficacité de l’administration rapide, après le contact ou dès les premiers jours de l’infection, des anticorps monoclonaux anti spike représente un espoir pour ces patients non répondeurs.

 

3/ Le rejet chronique, caractérisé par une inflammation des micro vaisseaux du greffon, est la principale cause de perte de greffons à long terme. Il est le plus souvent dû à l’existence d’anticorps dirigés contre les antigènes HLA du donneur présents à la surface de l’endothélium du greffon. L’activation du complément qui s’en suit ou un phénomène de cytotoxicité lié à la fixation de cellules ayant un récepteur pour le fragment Fc des IgG (ADCC) entraine progressivement des lésions microvasculaires et la perte du greffon. Un nouveau mécanisme de rejet chronique a été mis en évidence par O. Thaunat chez les patients sans DSA. Il s’agit d’une « non reconnaissance du soi » par les cellules NK qui, non inhibées, agressent l’endothelium par une voie dépendant de mTor qui pourrait être sensible aux inhibiteurs de mTor.

 

4/ Les traitements immunosuppresseurs ont permis une amélioration considérable des résultats de la transplantation. Néanmoins peu de progrès ont été accomplis ces 20 dernières années car la presque totalité des nouvelles molécules étudiées ont été abandonnées en raison d’une efficacité insuffisante ou d‘effets secondaires inacceptables (FTY 720, FK 778, inhibiteurs de JAK, anti CD 40…)

L’existence de rejets chroniques liés à l’apparition de DSA rend évidente la recherche de nouveaux traitements ciblant la production d’anticorps par les lymphocytes B et les plasmocytes à vie longue. Des stratégies utilisant les anti IL-6 et les anti CD 38 sont en cours d’évaluation. D’autre part, les inhibiteurs de la costimulation comme le Belatacept et les anti CD28 non agonistes pourraient diminuer l’apparition de DSA.

Enfin, la mise en évidence de nouveaux mécanismes de rejet chronique comme la non reconnaissance du soi par les NK et de nouveaux mécanismes de l’alloactivation dans le greffon par les cellules dendritiques du receveur ayant capté les antigènes HLA du donneur ouvrent de nouvelles perspectives thérapeutiques.