Publié le 1 février 2022

Les séances de l’Académie*

* Par Catherine Barthélémy, Pierre Brissot, Martin Danis, Vincent Delmas, Francis Michot

 

Séance dédiée :

Prise en charge des séquelles des accidents ischémiques cérébraux

Organisateur : Christian-François Roques-Latrille

au nom de la commission XIII (Autonomie/dépendance – Vieillissement)

 

 

Dans son éditorial introductif, Christian-François Roques-Latrille, membre de l’Académie nationale de médecine, souligne que les accidents vasculaires cérébraux (AVC) constituent un ensemble emblématique de l’évolution des concepts et des modalités de la prise en charge des conséquences des maladies; ils doivent relever un quintuple défi:

– défi de santé publique: l’AVC est la première cause de handicap acquis de l’adulte et la troisième cause de décès (40 000 par an); ils ont été responsables en 2019 de 53 735 séjours médicalisés d’une durée moyenne de 45 jours. Leur coût global a été évalué à 8,6 milliards € en 2007.

– défi paradigmatique imposant l’aménagement du domicile, l’attribution des aides matérielles ou humaines liées aux droits contributifs et/ou à la solidarité nationale, l’amélioration de l’accessibilité de la ville et des transports publics.

– défi médical en raison d’une pathologie complexe avec de nombreux problèmes potentiels.

– défi technique, la rééducation cherchant à tirer parti des principes de neuro-facilitation dans une prise en charge précoce et multidisciplinaire au sein de structures spécialisées de rééducation.

– défi sociétal ayant pour objectif une réduction significative de la mortalité, de la dépendance et du risque d’institutionnalisation grâce à une organisation des soins adaptée.

 

 

Récupération de la motricité après accident vasculaire cérébral. Facteurs pronostiques et rééducation. Alain Yelnik, Service de médecine physique et de réadaptation, Hôpital Lariboisière-Fernand Vidal, Université de Paris.

La récupération de la motricité après AVC dépend des capacités de plasticité cérébrale pour la récupération des déficiences et des capacités de compensation pour celle des activités. La récupération des déficits se mesure à l’examen clinique et par des tests spécifiques à chacun d’entre eux. Elle relève de la récupération spontanée de zone en pénombre ischémique et des capacités de plasticité cérébrale lorsque les lésions sont installées: elle sera alors fonction de la taille et du siège de la lésion, du parenchyme restant sollicité en suppléance, de la stimulation visant à forcer cette plasticité dans le but de récupérer la fonction altérée, du délai après l’AVC de la rééducation, la meilleure période se situant dans les premières semaines et les premiers mois. La récupération des fonctions et des activités doit être travaillée une fois l’essentiel de la récupération des déficits obtenus ou chaque fois qu’une récupération des déficits paraît encore possible.

De nombreuses techniques de rééducation permettent de cibler ces objectifs, elles sont choisies principalement en fonction de la sévérité des déficits et du délai après l’AVC.

Les outils de la rééducation motrice font intervenir des professionnels spécialisés (kinésithérapeute, ergothérapeute, psychomotricien, professeur d’activité physique adaptée)  au sein de structures adaptées: unité hospitalière, à domicile, en établissement de santé, dans un service de médecine physique et de réadaptation, en hôpital de jour, en ambulatoire.

L’essentiel de la récupération des déficits moteurs est fait dans les six premiers mois, sachant

poursuivre le travail de récupération encore six à douze mois dans les paralysies sévères et mener parallèlement l’indispensable travail de compensation pour redonner le plus d’autonomie.

Les techniques utilisées ont pour objectifs l’entraînement du mouvement, la stimulation des interactions sensitives et motrices, le renforcement de la conscience du geste, une stimulation cérébrale directe, un renforcement musculaire sélectif, la prévention et la correction de la désadaptation à l’effort.

 

L’enjeu cognitif post AVC : focus sur les troubles du langage et les troubles dysexécutifs. Sophie Jacquin-Courtois, Département de Neuroréhabilitation, Hospices civils de Lyon, CNRS 5292, Lyon. 

L’atteinte cognitive après AVC est fréquente à la phase aiguë et persiste à distance pour une proportion significative de patients. Elle est cependant souvent négligée comparativement aux autres éventuels déficits présents alors même que l’enjeu est majeur avec un impact crucial en termes de qualité de vie, de réadaptation-réinsertion et socio-économique.

Les troubles cognitifs vasculaires ont deux expressions cliniques:

– les troubles du langage: l’aphasie traduit une atteinte des aires cérébrales de l’hémisphère gauche (vaste réseau fronto-temporo-pariétal) chez les droitiers, affectant à divers degrés l’expression, la compréhension orale comme écrite. Certaines lésions de l’hémisphère droit peuvent également produire des troubles de la pragmatique du langage, expliquant des difficultés de communication. Les facteurs de récupération du langage sont mal déterminés, les données d’imagerie suggèrent un rôle complémentaire des deux hémisphères cérébraux impliquant la zone péri-lésionnelle, les zones épargnées du côté gauche, les régions homologues contra-lésionnelles droites.

– le syndrome dysexécutif: les fonctions exécutives sont des fonctions de contrôle permettant de gérer des situations nouvelles, conflictuelles ou complexes incluant stratégie, planification, maintien de l’attention, flexibilité mentale, inhibition. Elles sont sous-tendues par un vaste réseau fronton-sous-cortical. Leurs altérations constituent le plus souvent un handicap invisible, leur tableau clinique est souvent hétérogène (fatigabilité, lenteur, troubles de l’humeur se manifestant sous forme comportementale ou cognitive) ; leur prévalence est élevée (plus de la moitié des patients à un délai moyen de 92 jours).

L’évaluation comme les interventions doivent se positionner sur les trois niveaux d’expression de la maladie (déficit, limitation d’activité et restriction de participation) et faire intervenir des professionnels spécialisés. Les propositions de rééducation et réadaptation se doivent d’être pluridisciplinaires adaptées selon le délai post-lésion et les attentes du patient. Le développement de l’offre ambulatoire paraît particulièrement pertinent dans ce contexte permettant d’optimiser le transfert des nouveaux acquis aux situations de vie quotidienne dans un objectif d’autonomisation.

Les avancées sur la compréhension des mécanismes de récupération et de plasticité cérébrale poussent à poursuivre le développement de programmes d’intervention dédiés sur la base de données scientifiques avec une association synergique de différentes approches : entraînement, compensation, métacognition, sollicitation de la participation sociale.

Réadaptation après accident vasculaire cérébral : retour et maintien à domicile, vie quotidienne. Jean-Christophe Daviet, Service de médecine physique et de réadaptation, CHU de Limoges.

Après un accident vasculaire cérébral, le retour à domicile permet de réinsérer le sujet dans son environnement en situation réelle de vie: c’est le moment où le patient et ses proches vont réellement prendre conscience des situations de handicap liées aux séquelles. La restriction de la participation sociale du patient est liée à la gravité de l’AVC et aux séquelles limitant ses activités en particulier la mobilité; la vitesse de marche, la capacité à utiliser les transports sont des éléments centraux de la restriction de participation. Les troubles cognitifs, la dépression jouent également un rôle délétère. Des facteurs contextuels interviennent comme les adaptations du milieu de vie et surtout le soutien par l’entourage familial. Lors du retour à domicile, les troubles cognitifs peuvent se manifester par des troubles du comportement. Le soutien des proches, une fonction de «social support» (capacité à trouver les ressources nécessaires du quotidien dans la société) sont primordiaux permettant une meilleure participation sociale mais peut aussi conduire à un épuisement, la dépendance du patient étant vécue comme un fardeau, soulignant l’importance de prendre soin du patient. Le retour à l’emploi, possible en moyenne dans 44% des cas, est important pour la réinsertion sociale. Les besoins d’éducation sont au premier plan, les proches sont une cible de cette éducation pour apprendre à aider le patient et s’adapter à sa situation. Des mesures d’accompagnement existent dans le domaine sanitaire : éducation thérapeutique du patient, visite à domicile, aide à l’organisation du retour à domicile, équipes mobiles de rééducation, retour à l’emploi.

 

En conclusion, Marie-Germaine Bousser, membre de l’Académie nationale de médecine, précise que la récupération fonctionnelle n’est jamais linéaire et souligne l’importance de distinguer les hémorragies cérébrales des infarctus cérébraux et des thromboses veineuses cérébrales. Les caractéristiques du patient sont essentielles: âge, état cognitif préalable, type psychologique susceptibles de rendre plus difficile le diagnostic de dépression en cas d’aphasie. Le déclin cognitif est rarement la conséquence directe de l’AVC mais le plus souvent cache une dépression dont témoigne une récupération lente en réalité liée à une atteinte préalable et méconnue du cerveau.

Elle insiste sur:

-la nécessaire qualité d’un environnement médical adapté et spécialisé dans la phase aiguë de l’AVC, son insuffisance constituant une perte de chance pour le patient.

-l’importance de l’environnement familial, indispensable pour le patient sachant que celui-ci peut devenir un fardeau pour son entourage.

-la mauvaise perception sociétale persistante de l’AVC.