Publié le 21 octobre 2022

Résumés des séances de l’Académie*

* Par Brigitte Dréno, François Guilhot, Pierre Miossec, Jean-Baptiste Ricco, Dominique Vuitton

Mardi 18 octobre 2022

Sous la Présidence des Pr. Henri BOUNAMEAUX, Président de l’ASSM, et du Pr. Patrice TRAN BA HUY, Président de l’ANM

Thème 1. Leçons à tirer de la Covid-19

Anne-Claude Crémieux, Académie Nationale de Médecine

En dépit du plan proposé en 2007 par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) au décours de la pandémie due à SARS-Cov-1 pour ‘Un avenir plus sûr’, l’expérience de l’infection à SARS-Cov-2 a montré que les plans les mieux établis étaient déjoués, pour des raisons qui tiennent aux biais cognitifs inhérents à la préparation de ces plans, à une sous-estimation de données scientifiques pourtant disponibles et aux tensions entre politiques et scientifiques.

L’utilisation du modèle des pandémies grippales, comme canevas de rédaction des plans de lutte en cas de pandémie en général, a été une des principales causes du retard de la plupart des pays, mais surtout de l’OMS, à réagir devant la diffusion de la Covid-19. Elle a fait privilégier une politique inadaptée d’atténuation du risque. Le confinement, par exemple, ne faisait partie initialement d’aucune des stratégies des pays occidentaux.

Le retard important à la mise en place de mesures simples de prévention de la diffusion du virus dans la population, comme le port du masque ou l’aération des locaux, a été d’abord associé au refus par les ‘experts’ médicaux de l’OMS de reconnaitre les travaux scientifiques sur la dispersion du virus par les aérosols, réticence qui a pu servir d’excuse en France à la non-préconisation de ces mesures en raison de la pénurie de masques et de la peur d’inquiéter les personnels soignants. On note cependant la position de l’Académie de Médecine en faveur du port du masque, dès avril 2020.

En dépit de la volonté des politiques de s’appuyer sur des données scientifiques et sur l’avis des spécialistes, la tension entre politiques et scientifiques s’est rapidement manifestée. On a assisté à une affirmation progressive du leadership politique de la crise, le politique étant parfois même ‘en avance’ sur le scientifique pour certaines décisions, comme la mise en place du ‘Pass sanitaire’. De fait, on peut constater que les politiques, confrontés à l’incertitude scientifique, mais aussi aux conséquences économiques et sociales de la crise, ont appris la gestion de crise en temps réel, pendant la crise.

Scientifiques et politiques doivent inévitablement faire l’apprentissage de l’humilité face à l’imprévisible. La préparation et l’agilité dans les décisions devraient prévaloir sur les plans.

 

Prof. Marcel Tanner, Académie suisse des sciences médicales

Beaucoup des observations faites en France sont applicables à la Suisse qui n’était pas mieux préparée à réagir à cette crise. La décentralisation cantonale a pu être responsable d’une perte de temps dans les décisions et leur mise en application. Une crise du type de celle de la Covid-19 réunissant de façon indissociable un problème de santé, mais aussi des conséquences économiques et sociales, a accentué l’opposition, de plus en plus sensible, entre la dimension collective qui demande des décisions solidaires et applicables à tous, et la dimension individuelle qui est de plus en plus privilégiée par les citoyens, en particulier en Suisse.

La pandémie de Covid-19 a aussi révélé l’hétérogénéité à la fois territoriale et populationnelle des risques (en fonction de l’âge, des co-morbidités). La gestion de la crise Covid montre l’intérêt du monitoring dans l’espace et dans le temps, également important pour la communication en direction des populations pour faire accepter des mesures adaptées à la situation hic et nunc. En effet, efficacité n’est pas efficience, et des mesures dont les pourcentages d’efficacité peuvent être excellents n’ont qu’une efficience très limitée si leur raison d’être n’est pas comprise par les populations et si certains individus ne veulent pas, délibérément ou par ignorance, en tenir compte. Cet aspect des choses est certainement important pour l’équité de la prise en charge.

De grandes questions restent posées. Elles concernent la signification et la prise en charge des COVID longs, les conséquences de la crise sur le fonctionnement du système de santé, sur le travail et sur l’éducation. Elles concernent enfin la perte de confiance dans les autorités, le politique, la science, induite pendant ce temps de crise, et invitent à un dialogue renforcé entre science, politique et social.

 

Yves Buisson, Académie Nationale de Médecine (Commentaires)

Quelques points méritent d’être soulignés concernant la gestion de la crise de la Covid-19. D’abord le retard de la prise en compte de l’importance de la crise par l’OMS. Le ‘modèle grippal’ a aussi influencé le retard de la mise au point et de la pratique des tests. D’autres paramètres intéressants pour le suivi de la pandémie, comme les mesures de la charge virale dans les stations d’épuration, ont été en revanche, sous-estimés, peu financés, et négligés.

Les avis de l’Académie Nationale de Médecine plaidaient pour une vaccination ‘universelle’ qui aurait pu amener à une résolution plus précoce de la crise et surtout à épargner des vies. Cette recommandation a rencontré des obstacles, du fait de l’hésitation vaccinale dans la population, des mouvements antivax, et de la pusillanimité des décideurs. En général, la mise en œuvre des moyens préconisés, en particulier par l’Académie, a toujours eu un temps de retard.

La gestion de la communication en cas de crise est certainement un des aspects les plus difficiles à maîtriser. Il est difficile, en France, de ne pas évoquer le débat sur l’hydroxychloroquine qui a eu un effet négatif de dévalorisation du discours scientifique. ‘L’infodémie’ est vite devenue un problème majeur, la diffusion des publications scientifiques en pré-print compliquant certainement pour les scientifiques eux-mêmes la maîtrise des éléments de connaissance rapportés, et pour le grand public leur interprétation et la compréhension des décisions gouvernementales.

 

 

Thème 2. Médecine de demain

Pr. Antoine GEISSBÜHLER, Académie suisse des sciences médicales

Le numérique et l’intelligence artificielle ne sont pas près de remplacer le médecin, mais nous avons certainement beaucoup à gagner, à l’avenir, d’une complémentarité bien comprise entre les capacités du cerveau humain et de l’informatique. On connaît les limites du cerveau humain : taille limitée de la mémoire de travail, mémoire à long terme limitée, biais dans l’estimation des probabilités, et vigilance limitée de l’individu lui-même. L’outil informatique a lui-même ses limites : sans représentation du ‘bon sens’, et encore moins de l’empathie, il ne sait qu’imiter le comportement des experts. Mais on peut jouer avec la synergie ‘humain-machine’, et parler de l’IA (intelligence artificielle) comme d’une ‘ intelligence augmentée’.

Depuis 2010 la généralisation de l’utilisation des téléphones portables a permis la participation active des patients et de leurs proches. Grâce à des outils conversationnels de plus en plus intelligents, une réelle coopération patient-soignant peut désormais s’établir, avec le déclenchement d’actions thérapeutiques adaptées avant même l’arrivée aux urgences et la mise en place d’un suivi dès le retour à domicile. La télé-échographie est largement utilisée dans les zones rurales africaines éloignées et maintenant dans nos pays, et la télémédecine permet le déplacement de l’expertise sans déplacement des patients. De plus, les données recueillies permettent non seulement la prise en charge individuelle des patients mais aussi l’utilisation de ces données à des fins de santé publique.

Le traitement des données par l’IA prend sa place au sein d’une ‘high performance medicine’, qui associe la révolution digitale à la révolution génomique. Les applications à l’imagerie sont utilisées pour la classification des tumeurs, et peuvent être mises en œuvre à partir d’images prises par le patient lui-même sur son téléphone portable, accélérant la prise en charge par un dermatologue spécialisé.

La généralisation de l’utilisation de l’IA doit rendre les médecins vigilants quant à ses aspects éthiques. La méthodologie des réseaux de neurones essaie d’imiter la complexité du cerveau humain ; on entraîne le réseau neuronal avec des millions d’exemples, donc, en santé, de très grandes quantités de données issues des patients. Or des biais de sélection peuvent rendre l’application tout à fait hasardeuse. La plupart des algorithmes ne savent pas expliquer leur fonctionnement ; et des erreurs grossières peuvent apparaître. Il est important de mettre en place des processus d’audit et de certification des algorithmes et de se préparer à des mutations dans les professions de la santé (délégation de tâches, etc.). L’initiative nationale du Swiss Personalized Health Network, sous l’égide de l’ASSM, œuvre dans ce sens.

 

Pr Bernard Nordlinger, Académie Nationale de Médecine

L’intelligence artificielle (IA) est de plus en plus fondée sur l’apprentissage automatique (machine learning) des ordinateurs sans programmation a priori. Permettant l’analyse très rapide de grandes quantités de données, elle a largement participé aux avancées de la recherche au cours des deux dernières décennies et elle envahit progressivement tous les domaines de l’exercice médical.

Dans l’aide à la décision médicale, l’investissement a été considérable, avec des réussites, mais aussi des désillusions et des échecs qui ont amené les GAFAM à réviser leurs stratégies. Les obstacles tiennent à la confiance accordée à cette technologie qui fonctionne actuellement comme une ‘boîte noire’ où le cheminement de la décision n’est pas expliqué à l’utilisateur. Les avantages de l’aide à la décision par l’IA sont évidents, en particulier dans les déserts médicaux des pays développés et dans les pays où l’éloignement des populations et les limitations du système de santé rendent l’accès aux soins difficile. Les limites sont aussi claires : elles tiennent à l’absence d’examen clinique, à la limitation de la ‘couverture internet’, au problème de confidentialité. En France, la télémédecine est remboursée par l’Assurance maladie ; les risques de dérive et d’abus sont réels. Se pose aussi le problème de la responsabilité des erreurs.

Les ‘robots chirurgicaux’ ne sont que des télémanipulateurs qui convertissent les mouvements du chirurgien en mouvements plus précis ; cependant l’arrivée de l’IA dans ces robots est inéluctable. Pour qu’ils deviennent réellement autonomes, ils devraient ‘voir, penser et agir’ sans intervention humaine ; les systèmes actuels vont plutôt vers l’amélioration des procédures et la réduction de la variabilité des gestes humains, donc vers une complémentarité ‘chirurgien-robot’.

Un grand domaine d’application est celui des analyses d’images et toutes les disciplines dans lesquelles l’imagerie est importante en bénéficient. Mais l’IA, par les agents conversationnels, est aussi appliquée dans des disciplines bien différentes, comme la pédopsychiatrie ou la gériatrie. Enfin, la prévention des maladies est un immense champ d’application de l’IA, avec des utilisations aussi variées que l’analyse génétique des gènes de prédisposition et l’analyse d’images spatiales des zones à risque de transmission des maladies à vecteur.

L’IA a un apport majeur en recherche. La France bénéficie d’un atout important dans le domaine de l’IA appliquée à la santé : le SNDS (système national des données de santé) qui ouvre à la recherche, via le ‘Health Data Hub’ d’accès très réglementé, les données publiques de santé de l’assurance maladie.

L’invasion de l’IA dans le domaine de la santé pose bien évidemment des problèmes éthiques qui doivent être pris en compte. En matière d’IA comme pour la médecine en général les principes généraux de bienveillance, de non-malveillance, d’autonomie des humains, de justice, s’appliquent. S’y ajoute le problème crucial de la protection des données. À ces conditions l’IA est un outil formidable qui impose de former les professionnels à son usage et de développer la confiance du public vis-à-vis d’un nouveau type de médecin, non pas ‘automatique’, mais ‘augmenté’.

 

 

Thème 3. Fin de vie

Samia Hurst, Académie suisse des sciences médicales

Le cadre légal suisse concernant la fin de vie a été débattu il y a plus de 100 ans. La question posée était le statut légal du suicide, jusqu’alors pénalisé. La réflexion avait abouti à une dépénalisation et à un statut juridique fédéral. Se posait alors le problème de l’assistance au suicide, considéré auparavant comme une complicité de crime. Le débat qui opposait la compassion à l’immoralité a généré un consensus qui en 1918 a abouti à tolérer « l’assistance au suicide ‘altruiste’ » et à pénaliser « l’assistance au suicide sur motif ‘égoïste’ ». L’euthanasie, considérée comme un « meurtre sur demande de la victime », est toujours illégale en 2022 en Suisse.

La loi s’inscrit dans le cadre général du ‘Droit à la liberté’. La condition sine qua non de l’assistance au suicide est la lucidité de la personne qui la demande. Le cadre pénal est très libéral, mais il n’est pas, dans les faits, utilisé ‘tel quel’. L’assistance au suicide n’est licite que quand elle est fondée sur un avis médical concernant les circonstances qui l’autorisent : maladie incurable, souffrance insupportable liée à cette maladie. Bien que l’avis médical soit indispensable, l’assistance au suicide elle-même n’est pas réservée aux médecins. Il n’y a pas de sélection des ‘assistants’ ni d’accréditation ou de contrôle des associations qui interviennent, une position qui témoigne de la grande confiance des institutions suisses dans les individus et les associations. Le point crucial concerne la décision de la personne qui requiert assistance : la demande doit être réfléchie par une personne capable de réflexion ; la maladie psychiatrique n’est pas une contre-indication, mais les demandes sont examinées au cas par cas.

On constate, en Suisse, une progression du taux des suicides assistés jusqu’en 2015 ; ce taux est actuellement stable. À l’inverse, la pratique de la sédation palliative continue jusqu’à la mort (prérogative médicale) a plus que triplé de 2001 et 2015. Dans les pays où les soins palliatifs se sont développés après la légalisation de l’assistance au suicide, on peut observer que les deux attitudes ne sont pas antinomiques, et que la demande de suicide assisté est même une incitation pour les structures médicales à renforcer la prise en charge en soins palliatifs.

Les débats qui demeurent concernent la pratique du suicide assisté dans les hôpitaux, le problème du suicide assisté en Suisse pour les étrangers non résidents, et certains cas particuliers, quand l’aide va au-delà de la fourniture du produit létal pour des patients incapables physiquement de déclencher l’injection (‘l’état de nécessité’ a été invoqué dans un cas récent), ou quand la demande d’assistance au suicide est faite par des personnes ne souffrant d’aucune maladie. Mais globalement les dérives sont rares et la population suisse, y compris les professionnels de santé, est satisfaite de la situation actuelle.

 

Pierre Le Coz, Académie Nationale de Médecine (Commentaires)

La propension suisse à faire confiance aux individus et aux associations est une piste pour nos réflexions, même si la tendance française à réglementer et contrôler la rend un peu illusoire. Cependant, en mai 2022, le tribunal correctionnel d’Angers a relaxé un vétérinaire qui avait aidé un ami atteint de maladie de Charcot à mourir, et comme en Suisse, a été invoqué ‘l’état de nécessité’. L’importance que les Suisses accordent maintenant à la sédation profonde jusqu’au décès est aussi une source de réflexion dans le contexte actuel, en particulier l’Avis 139 du Comité national d’éthique français qui dit que cette pratique autorisée par la loi Claeys-Léonetti n’est pas suffisante pour toutes les situations.

En France, on ne fait pas de différence entre suicide assisté et euthanasie. Cette manière de présenter les choses masque l’écart important entre les deux attitudes ; on y perd la différence totale de nature entre les deux actes. Dans l’euthanasie, la personne fait appel à un tiers (un médecin le plus souvent) et les conséquences psychologiques et morales peuvent être importantes, dans un pays qui, par ailleurs, a aboli la peine de mort. La société pourrait s’emparer de la question pour ‘démédicaliser’ l’acte. Mais le médecin reste la personne qui est responsable de l’authentification de la demande du malade. La question clé qui demeure pourrait être posée ainsi : « Qu’est-ce qu’être bienfaisant dans ces situations de mort souhaitée ?».

 

Jean-François Mattéi, Académie Nationale de Médecine

En 1994, l’euthanasie avait été écartée des sujets abordés par la loi de Bioéthique. Dans les débats

du conseil de l’Europe sur la fin de vie, rien d’unanime n’avait émergé, donc le sujet avait été également écarté. Dans la convention d’Oviedo, le sujet de la fin de vie n’a pas été non plus abordé.

La considération de la fin de vie, dans la loi française, remonte à 1999, au premier projet de loi qui définit le droit à l’accès aux soins palliatifs. En 2002 est défini le droit des malades à donner leur avis sur leur prise en charge médicale, avec la notion de ‘consentement éclairé’. La Loi Léonetti, en 2005, qui consacre la possibilité d’éviter une ‘obstination thérapeutique déraisonnable’, et insiste sur le développement des soins palliatifs, annonce la Loi Claeys-Léonetti de 2016, qui instaure le droit de tous les citoyens à bénéficier de soins palliatifs, et reconnaît la possibilité d’utiliser dans ce contexte une ‘sédation profonde et continue jusqu’à la mort’.

On s’achemine en France vers une nouvelle loi, avec l’argument que la loi Claeys-Léonetti ne couvre pas tous les cas, et que la société réclame une nouvelle loi qui les prendrait en compte. Mais en dehors de quelques centres actifs et bien organisés, dispersés sur le territoire national, il n’y a pas eu d’action significative pour améliorer les soins palliatifs ; il existe encore des départements où il n’y a pas de centre de soins palliatifs. Les financements qui devaient être consacrés à la montée en puissance des soins palliatifs en France ont souvent été utilisés pour d’autres actions « en direction des vivants qui ont besoin de soins ». Les mourants ne seraient donc pas considérés comme des vivants ! Or « Quand on ne peut plus soigner, il reste à prendre soin ».