Publié le 16 mars 2021

Complications des tatouages : informations récentes justifiant la prise en charge de mesures urgentes

Organisateurs : Jacques Bazex et Christian Géraut

 

 

Dans son introduction, Christian Géraut, membre de l’Académie nationale de médecine, souligne la pratique ancestrale du tatouage cutané à la signification symbolique religieuse ou guerrière selon l’époque, et actuellement culturelle. Bien que 20% de la population française soient tatouées dont 30 % chez des sujets de moins de 35 ans, la toxicité des tatouages est méconnue du grand public, mal informé des risques encourus : infectieux, allergiques, dermatologiques, toxiques systémiques et même ophtalmologiques. Cette situation est aggravée par la mode des tatouages étendus ou corps entier polychrome, amplifiée par un fort effet médiatique, avec une quantité d’encre injectée importante (1 mg d’encre par cm2). Nombre de personnes tatouées (environ 30%) souhaitent, à un moment de leur existence, la suppression des tatouages.

Christian Géraut attire l’attention sur les allergies aux encres : paraphénylène diamine, fortement allergisant et capable d’engendrer des réactions bulleuses ou des accidents anaphylactiques, sensibilisations cutanées et développement d’allergies au chrome (pigment vert), au cobalt (pigment bleu), aux colorants des pigments rouges et jaunes. En conclusion, il convient de souligner la nécessaire information de la population sur les risques inhérents aux tatouages, en particulier lorsqu’ils sont étendus.

 

 

Complications des tatouages : classification clinique, histologique, physiopathologique, cinétique des particules. Martine Bagot, Hôpital Saint-Louis unité Inserm U976, Paris, Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine.

 

Les complications infectieuses des tatouages peuvent être aiguës ou retardées, parfois systémiques. Les mesures d’hygiène rigoureuses ont permis de diminuer les risques de transmission virale (hépatite B ou C, VIH). En revanche, les infections bactériennes restent fréquentes (10%) dominées par les staphylocoques, streptocoques, pseudomonas. Les complications non infectieuses sont essentiellement cutanées (67 % des cas). Elles peuvent se présenter sous forme de papulo-nodules touchant électivement la couleur noire. Les réactions allergiques se manifestent spécifiquement sur les zones de certaines couleurs, intéressant la totalité des zones de cette couleur ; elles sont chroniques, réfractaires aux traitements et liées à la formation d’un haptène à l’intérieur de la peau. La constitution de plaques, de lésions infiltrantes et hyperkératosiques sont l’apanage de la couleur rouge et ses dérivés rose ou violet.

Sur le plan histologique, il peut s’agir de réactions eczématiformes, psoriasiformes, de lésions nodulaires (granulome tuberculoïde, réactions sarcoïdosiques).

Toutes ces lésions sont corrélées à la nature chimique de l’encre ou de ses produits de dégradation, suggérant que la nature précise des pigments présents dans les encres devrait être connue des personnes tatouées et consignée par les tatoueurs.

Les demandes de détatouage sont en rapport avec des motivations personnelles, familiales, professionnelles ou médicales en cas de complications. La destruction des tatouages est difficile et souvent partielle, la multiplicité des pigments compliquant l’exérèse. L’irradiation par laser de certains pigments, notamment rouges, peut entraîner le relargage de produits cytotoxiques et génotoxiques ayant des propriétés carcinogènes (carcinomes épidermoïdes multiples). Il est important de délivrer une information grand public, de contrôler régulièrement les encres mises sur le marché ; une nouvelle réglementation de l’agence européenne des produits chimiques a été très récemment publiée.

 

Tatouage et réaction sarcoïdosique. Brigitte Dréno, CHU de Nantes, Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine.

 

Les réactions non-allergiques prévalent dans les tatouages noirs d’autant plus que la quantité d’encre injectée est importante ; elles se manifestent  sous la forme de lésions papulo-nodulaires. Les nanoparticules de noir de carbone s’agglomèrent dans le derme pour former des granulomes sarcoïdosiques. Il est souvent difficile de distinguer un granulome à corps étranger lié aux pigments où dominent histiocytes, fibroblastes et cellules géantes d’un granulome sarcoïdosique caractérisé par des foyers circonscrits de cellules épithélioïdes.

La sarcoïdose sur tatouage, dont le délai d’apparition est imprévisible, peut être déclenchée par des médicaments en particulier l’interféron alpha. Des réactions sarcoïdosiques ont également été décrites avec le sirolimus, l’entécavir,  la carbamazépine, l’amoxicilline. La sarcoïdose peut également atteindre d’autres viscères identiques à ceux de la sarcoïdose classique : œil, poumon ; une localisation particulière spécifique au tatouage, l’uvée, doit être systématiquement recherchée. La biopsie cutanée confirme le diagnostic et recherche un potentiel agent infectieux, notamment des bactéries commensales (Cutibacterium acnes) et des mycobactéries. Le traitement est le même que celui de la sarcoïdose classique.

Quelques conseils pratiques préventifs doivent être donnés aux patients :

– choisir soigneusement le studio de tatouage

– vérifier avec son médecin que les médicaments pris quotidiennement au moment du tatouage ne peuvent pas induire une sarcoïdose.

– savoir qu’un antécédent de sarcoïdose est une contre-indication au tatouage

– éviter de se faire tatouer sur une peau qui a des lésions

– s’abstenir de se faire appliquer des tatouages avec une teinture de couleur foncée principalement noire

– savoir que le tatouage « body art » augmente les risques de complications en raison de la surface tatouée, du nombre de pigments utilisés, d’aquarelles nécessitant de l’eau

– biopsier toute lésion papulo-nodulaire apparaissant sur un tatouage.

 

Uvéites et tatouages. Jacques Bazex, Membre de l’Académie nationale de médecine.

 

Les uvéites cliniques et histologiques sont une complication de connaissance nouvelle et spécifique des tatouages, survenant dans le cadre d’une réaction d’hypersensibilité retardée et/ou d’une réaction granulomateuse ; sa symptomatologie est fonction de la localisation anatomique de l’uvéite, le plus souvent antérieure. Trois tableaux cliniques peuvent être isolés : sarcoïdose avec granulome sur tatouage et uvéite, uvéite isolée avec granulome sur tatouage, uvéite après tatouage sans granulome sur le tatouage. La prévention des uvéites est mal connue ; elle impose de réaliser chez chaque sujet porteur d’un tatouage une enquête ophtalmologique, avec examen histologique pratiqué sur le tatouage et au niveau de l’œil, à la recherche d’une réaction granulomateuse autour des pigments déposés. Si l’uvéite se confirme, seront aussitôt prises en urgence des mesures préventives et thérapeutiques afin d’éviter une cécité, en priorité une corticothérapie générale à posologie élevée et prolongée. Si nécessaire, élimination chirurgicale du tatouage ou recours aux thérapeutiques majeures : immunosuppresseurs, cyclosporine, azathioprine, méthotrexate. Plusieurs arguments suggèrent que tatouage-uvéite et maladie de Vogt-Koyanagi-Harada (VKH) appartiennent au même groupe d’affections se développant sur un même terrain prédisposant, immunologique et génétique. De même, il semble que vitiligo et VKH partagent un même contexte génétique et dysimmunitaire, ces deux affections étant très proches. Ces complications nouvelles confirment  la gravité de l’utilisation d’encres non contrôlées, mélanges toxiques et sensibilisants, en particulier lors de tatouages colorés étendus.