Publié le 14 février 2023

Résumés des séances de l’Académie*

* Par Brigitte Dréno, François Guilhot, Pierre Miossec, Jean-Baptiste Ricco, Dominique Vuitton

Séance dédiée :

« Limitations et arrêts de traitement en réanimation »

Organisation : Jean-Roger LE GALL et Bertrand GUIDET

Introduction par Jean-Roger LE GALL

Communications

 Limitation des traitements actifs en réanimation pour les patients âgés. Perspectives européennes par Bertrand GUIDET (Réanimation médicale, Hôpital Saint-Antoine, APHP, Paris. Membre correspondant de l’ANM).

 Les patients âgés en situation critique sont de plus en plus nombreux dans les pays occidentaux. Cela se traduit par un pourcentage plus élevé de patients âgés admis dans les services de réanimation, d’où des questions organisationnelles et éthiques concernant les critères d’admission de ces patients âgés et l’intensité des traitements actifs pendant le séjour en réanimation. Ainsi la ventilation mécanique ou l’épuration extrarénale peuvent ne pas être débutées (limitation) ou arrêtées. Ces décisions sont regroupées sous le terme général de « limitation et arrêt des traitements » (LAT) avec des conséquences importantes sur la politique d’admission en réanimation, l’organisation des soins, la satisfaction de la famille et de l’équipe médicale.

Les patients âgés sont vulnérables, cette vulnérabilité réduit la capacité à faire face à une agression comme un sepsis, un traumatisme, ou une intervention chirurgicale urgente. Dans cette perspective, en cas de réponse défavorable au traitement de la défaillance d’organe, la décision de LAT est une option d’autant que près de 50 % des patients âgés décèdent ou perdent leur autonomie fonctionnelle 6 mois après la sortie de réanimation. Par ailleurs, on estime que la proportion de patients très âgés admis en réanimation augmentera jusqu’à 30 % en 2050. Compte tenu de la mortalité élevée des personnes âgées en réanimation et des ressources limitées, la société sera confrontée à un défi concernant l’offre de soins pour les personnes âgées dont une des réponses serait une politique plus agressive de LAT.

Dans ce contexte, les décisions peuvent être de ne pas renforcer le niveau de traitement (limitation) ou d’arrêter des traitements en cours comme la ventilation artificielle si le pronostic attendu est mauvais. De toute évidence, ces décisions posent des problèmes éthiques, religieux, et culturels qui expliquent en partie les variations des politiques de LAT chez les patients âgés dans différents pays.

Une mortalité plus élevée après décision de LAT peut-être secondaire à la décision plus qu’à l’état intrinsèque du patient. Les médecins pensant que le malade va décéder limitent les traitements, ce qui induit le décès et la justification a posteriori de la décision de LAT. Les facteurs habituellement rapportés comme déterminants des décisions de LAT sont nombreux. L’âge est l’un des facteurs utilisés par les cliniciens pour la prise de décision de LAT, mais la plupart des experts (77 %) sont en désaccord sur le fait que l’âge soit utilisé comme seul critère pour décider d’une LAT. Les facteurs indépendants associés à la décision de LAT sont l’admission non programmée, la fragilité évaluée par le « Clinical Frailty Scale » (CFS), l’âge et la gravité de la pathologie.

Par ailleurs, l’implication des patients et des familles dans le processus de décision doit être soulignée et les directives anticipées doivent prévaloir sur toute autre opinion non médicale, mais elles sont rarement disponibles, non mises à jour et rarement assez précises quant au niveau de soins souhaité.

À l’heure actuelle, lorsqu’un patient âgé est admis en réanimation, le traitement le plus approprié doit être administré. Si, lors de la prise de décision partagée, certains traitements comme la ventilation mécanique invasive sont jugés disproportionnés ou si certains traitements sont refusés par le patient, ces traitements ne doivent pas être imposés. Dans. Ce contexte, la planification d’une réanimation d’attente a émergé ces dernières années. Elle résulte d’un accord entre les cliniciens, le patient et sa famille pour définir l’intensité des traitements sur une période définie. Si l’état du patient s’améliore, le traitement est poursuivi. Si l’état du patient se détériore, une décision de LAT est prise avec comme objectif d’obtenir la fin de vie la plus apaisée possible. L’équipe de soins palliatifs peut être très utile à ce stade pour aider à la décision de LAT.

En conclusion, la décision de LAT doit s’inscrire dans un modèle de décision partagée, tout en intégrant des spécificités culturelles et religieuses.

Pratique en Espagne avec un focus sur l’insuffisance respiratoire aiguë par Antonio ARTIGAS RAVENTÓS (Servicio de Medicina Intensiva, Hospital de Sabadell, Espagne. Membre correspondant étranger de l’ANM)

Aspects éthiques des décisions par Emmanuel HIRSCH (Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Saclay. Membre correspondant de l’ANM)

 C’est à l’évolution du contexte d’exercice des pratiques ou des droits reconnus à la personne malade dans le cadre de la législation relative à la fin de vie, que doit s’attacher notre approche éthique des diverses formes de limitation des traitements. On rappelle que la personne malade, en dehors d’un processus de décision collégiale, peut exprimer le choix d’une limitation et arrêt des traitements (LAT) qui est mis en œuvre lorsque le patient atteint d’une affection grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme présente une souffrance réfractaire aux traitements. Le critère de recevabilité de la demande de sédation profonde et continue jusqu’au décès est la souffrance insupportable, une notion qui fait l’objet d’appréciations, et d’adaptations évolutives dans différents pays.

À ce propos, le 3e alinéa de l’article de la loi de 2016 précise, « Lorsque le patient ne peut pas exprimer sa volonté et, au titre du refus de l’obstination déraisonnable mentionnée à l’article L. 1110-5-1, dans le cas où le médecin arrête un traitement de maintien en vie, celui-ci applique une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès, associée à une analgésie. »

Mais est-on toujours certain que la décision de LAT est la plus adaptée au regard de l’intérêt direct de la personne ? D’autres facteurs conjoncturels n’entravent-ils pas parfois ce principe ? Au moment où ont été évoquées encore récemment des notions comme celles de triage et de déprogrammation « recevoir les soins les plus appropriés » relève-t-il d’une règle inconditionnelle avec laquelle les équipes soignantes ne doivent jamais transiger ?

Un autre article de la loi introduit la notion de consentement de la personne, ou d’association de la personne de confiance au processus décisionnel. On observe qu’en réanimation les circonstances peuvent rendre difficile l’approche personnalisée de l’arbitrage décisionnel. Elle conditionne cependant son acceptabilité tant pour les proches que pour l’équipe soignante.

Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. Il est évident que toute perspective de LAT devrait relever d’une concertation avec la personne malade, parfois anticipée. En réanimation, cette concertation avec la personne malade n’est pas toujours possible, et la loi du 4 mars 2002 précise : « Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, aucune intervention ou investigation ne peut être réalisée, sauf urgence ou impossibilité, sans que la personne de confiance prévue à l’article L. 1111-6, ou la famille, ou à défaut, un de ses proches ait été consulté ». Une décision du Conseil d’État le 24 juin 2014 présente une synthèse éclairant le processus de LAT en détaillant la définition et l’appréciation au cas par cas de ce qu’il conviendrait de désigner comme relevant d’une obstination déraisonnable. Ce texte précise que prendre une telle décision en fonction de l’appréciation de la situation est la mission reconnue au médecin, en conscience et en compétence, dans le cadre d’un examen collégial des données médico-scientifiques et des approfondissements relatifs à l’histoire de la personne et aux valeurs qui importent pour elle. C’est dire que l’approche éthique des LAT doit concilier la rigueur d’une décision médicalement fondée avec l’exigence du respect de la personne dans son intégrité, et ses Droits fondamentaux.