Résumé
Le rétrécissement de la valve aortique (RA) constitue l’atteinte la plus fréquente des valves cardiaques et touche avec prédilection les tranches les plus âgées de la population. La sévérité du retentissement fonctionnel et le risque de mort subite justifient de larges indications opératoires. Ce travail rapporte les résultats chirurgicaux d’une série de 4 129 RA opérés à la Clinique chirurgicale cardiovasculaire et thoracique du CHU de Rennes de 1971 à 1997. L’âge s’étend de 13 à 91 ans (moyenne 68 fi 10) et la cause dégénérative est largement dominante (86 %). Le remplacement valvulaire sous circulation extracorporelle a fait appel à des valves mécaniques chez les plus jeunes (2 054 cas ; 50,2 % ou à des bioprothèses (2 075 cas ; 48,8 %) chez les sujets les plus âgés. Une revascularisation coronarienne par pontage(s) a été associée chez 670 patients (16 %). La mortalité opératoire a été de 7 % (303 patients) liée le plus souvent à une défaillance ventriculaire gauche (52 %). L’étude des résultats éloignés consignés dans la base de données comporte un recul maximum de 26 années pour la plus longue survie et représente un suivi cumulé de 21 533 années-patient. Onze cent huit décès tardifs sont survenus dans un délai moyen de 6,6 années (de 1 mois à 24 ans). Une réintervention a été nécessaire dans 136 cas. La survie actuarielle de la série — mortalité opératoire incluse — a été égale à 77 % à 5 ans et 56 % à 10 ans. La grande majorité des opérés a retiré un bénéfice fonctionnel considérable, 73 % étant asymptomatiques et menant une vie normale. L’étude des facteurs de risque — tant immédiats que secondaires — a confirmé le rôle de l’âge, du stade fonctionnel préopératoire, de l’urgence, de l’insuffisance cardiaque, des lésions coronaires et des comorbidités associées. Le choix de la prothèse valvulaire demeure controversé mais la qualité des résultats valide sans conteste le traitement chirurgical du RA qui constitue une affection invalidante menaçant le pronostic vital.
Summary
Aortic stenosis (AS) is the most common lesion currently encountered among valvular heart disease, particularly in elderly people. Severe functionnal impairment and risk of sudden death explain that surgical treatment is largely accepted. We report a retrospective analysis of institutional experience with aortic valve replacement (AVR) for AS from 1971-1997 in 4 129 patients. Age ranged from 13 to 91 years (mean 68 fi 10) and degenerative disease was largely predominant (86 %). For AVR, mechanical prostheses were used in 2 054 patients (50.2 %) and bioprostheses in 2 075 (48.8 %) in elderly group. Coronary artery revascularization was associated in 670 patients (16 %). Operative mortality was 7 % (303 pts) and main cause was left ventricular failure (52 %). Late results were studied with a maximum follow-up of 26 years. Total follow-up reprensents 21,533 pt-years. Late death occurred in 1 108 patients between 1 month and 24 years after operation (mean 6,6 years). Reoperation was necessary in 136 cases. Actuarial survival — including operative mortality — was 77 % and 56 % at 5 and 10 years. A large functionnal improvement was observed in the vast majority of patients, 73 % being I or II subgroups of the NYHA classification. Incremental risk factors for death (immediate as well as late) were older age, preoperative functionnal status, emergency, presence of cardiac failure, coronary artery lesions and associated morbidity. The choice of valvular prosthesis remains controversial, but the results show that AVR is the procedure of choice for the vast majority of patients wtih significant aortic valve disease.
Résultats du traitement chirurgical du rétrécissement valvulaire aortique calcifié :
à propos d’une série de 4 129 interventions
Results of surgical treatment of valvular calcified aortic stenosis : a series of 4 129 interventions
Yves LOGEAIS * Alain LEGUERRIER*, Claude RIOUX*, Hervé CORBINEAU*, Thierry LANGANAY*, Jean Philippe VERHOYE*, Marcel LAURENT **, Christian de PLACE**, Jean Claude PONY**
Le rétrécissement valvulaire aortique (RA) est devenu la forme la plus fréquente des atteintes valvulaires cardiaques, dans les pays industrialisés, en raison de la régression du rhumatisme articulaire aigu et de la prévalence du RA dégénératif dans les tranches d’âge les plus élevées. Le traitement chirurgical représenté par le remplacement valvulaire, demeure l’unique solution thérapeutique de cette affection et les indications opératoires doivent en être très larges devant cette valvulopathie invalidante qui menace la vie à la fois dans sa durée et dans sa qualité.
Les progrès de la cardiologie, en particulier ceux de l’échocardiographie, permettent aujourd’hui une évaluation précise du degré de la sténose aortique et de son pronostic. Une surface aortique égale à 0,7 cm2 caractérise un RA serré, très généralement symptomatique à l’effort et dont l’espérance de vie est limitée : 4 à 5 ans s’il existe un angor, 2 à 3 ans s’il existe des syncopes, moins d’un an lorsqu’apparaissent des signes d’insuffisance ventriculaire gauche [1]. La sévérité de ce pronostic est la justification du traitement chirurgical.
MATÉRIEL D’ÉTUDE
Tous les patients opérés de rétrécissement aortique à la clinique chirurgicale cardiovasculaire et thoracique du CHU de Rennes entre le 19 mai 1971 et le 31 décembre 1997 ont été extraits de la base de données générales de chirurgie à cœur ouvert (16 660 cas) et représentent 4 867 dossiers. Ont été exclus les patients qui ont eu en plus du traitement de la sténose valvulaire aortique, soit un remplacement valvulaire mitral, soit une plastie mitrale ou tricuspidienne, soit une intervention sur l’aorte ascendante (anévrismes associés), aboutissant à la sélection de 4 129 RA ayant fait l’objet d’un mono remplacement valvulaire aortique. Ont été conservés les patients porteurs de lésions coronaires associées, qu’ils aient eu ou non des pontages coronaires associés. Ces 4 129 patients constituent l’objet de cette étude.
Le sexe masculin est prépondérant (2 470 soit 59,8 % fi 1,5). L’âge s’échelonne entre 13 et 92 ans. Les tranches d’âge les plus représentées sont les septuagénaires (1 612, 39 %), puis les sexagénaires (1 361, 33 %), les quinquagénaires (496, 12 %) et les octogénaires (436, 11 %). L’âge moyen est de 68 ans (fi 10,4). En corrélation avec l’âge, la cause de loin la plus répandue est la sténose aortique dégénérative (3 568 patients, 86 %), suivie par la bicuspidie aortique (814, 20 %) ; la maladie rhumatismale ne représente que 4 % des cas et une insuffisance aortique est généralement associée à la sténose, définissant la maladie aortique.
Le rétrécissement aortique est rarement asymptomatique (97 cas : 2,3 %). Le signe fonctionnel le plus habituel est la dyspnée (3 444 : 83 %) suivie de l’angor d’effort (1 889 : 46 %), et des syncopes d’effort (849 : 21 %) et ces troubles peuvent s’associer entre eux. Dans les formes les plus évoluées, se rencontrent une insuffisance ventriculaire gauche (1 754 : 42 %) ou une insuffisance cardiaque globale par association d’une insuffisance ventriculaire droite (270 : 7 %). Ces troubles engendrent un net retentissement fonctionnel pour des efforts importants (stade II de la New York Heart Association classification, 1 462 ou 35 %) ou minimes (stade III de la NYHA, 2 233 : 54 %) aboutissant, dans les cas extrêmes, à une impotence quasi-complète par insuffisance cardiaque majeure (stade NYHA IV, 301 cas : 7 %).
Le rythme cardiaque analysé à l’électrocardiogramme est le plus souvent sinusal (3 714 : 91 %), plus rarement celui d’une fibrillation auriculaire ou d’une autre arythmie atriale (300 : 7 %), 49 malades (1,2 %) avaient un rythme stimulé par pace-maker implanté. Des troubles de la conduction intraventriculaire étaient présents dans 38 % des cas (1 576 patients).
Le diagnostic de sténose aortique fut confirmé par cathétérisme cardiaque dans les premières années de cette expérience (1 802 cas : 44 %). Dans les dernières années, le cathétérisme a été délaissé au bénéfice de l’échocardiographie transthoracique, examen non invasif dont la fiabilité remarquable permet à la fois le diagnostic du rétrécissement, la mesure des gradients aortoventriculaires gauches et l’étude de la fonction ventriculaire appréciée par la fraction d’éjection (FE) systolique du ventri-
cule gauche. Dans la série présentée, sur 1 426 cas mesurés, la FE VG était comprise entre 10 et 80 % avec une moyenne égale à 55 %, pour une normale à 65 % fi 0,08.
L’exploration des artères coronaires par coronarographie sélective a été utilisée de façon limitative dans les premières années de cette série en tenant compte des facteurs de risque et des signes d’appel de l’insuffisance coronarienne. Depuis la fin des années 80, elle a été effectuée plus largement et est devenue systématique en 1990, quel que soit l’âge. Elle a été réalisée dans 3 032 cas (73 %), montrant des lésions coronaires associées chez 1 323 patients (44 %). Elle était normale chez 1 709 (56,4 %).
MÉTHODES
L’intervention a été réalisée par sternotomie médiane verticale sous circulation extracorporelle (CEC) totale en hypothermie modérée à 28-30°c selon la technique de l’hémodilution, le circuit extracorporel étant rempli exclusivement de sérum (Ringer lactate et hydroxyéthyl amidon) à l’exclusion de sang, l’hématocrite per CEC se trouvant de ce fait abaissé au voisinage de 20 %. La durée moyenne de CEC a été de 73 fi 40 minutes.
Pendant le temps d’ouverture aortique au cours duquel le réseau coronaire se trouve exclu de la circulation et le myocarde en état d’ischémie, la nécessaire protection du myocarde a été assurée par l’injection — répétée si besoin toutes les 30 minutes — d’une solution cristalloïde (soluté de Bretschneider ou de Saint Thomas) refroidie à 4°c et enrichie en potassium (Kcl à 20 meq/litre) permettant la suppression totale de l’activité myocardique. La durée moyenne du clampage aortique a été de 51 fi 22 minutes.
Le remplacement de la valve aortique détruite par une calcification massive est toujours nécessaire. Il a été assuré soit par une prothèse mécanique (2 054 cas, 50,2 %) soit par une bioprothèse (2 075, 48,8 %). Une revascularisation coronaire fut associée chez 670 patients (16 %), qui reçurent de 1 à 4 pontages utilisant une veine du membre inférieur et/ou une artère mammaire interne (172 cas). Une sténose musculaire obstructive intraventriculaire gauche associée, décelée au cathé- térisme ou en échocardiographie fut levée par une myotomie associée dans 118 cas.
Il faut noter que 208 interventions (5 %) ont été réalisées en urgence en raison d’une altération majeure et menaçante de l’état hémodynamique.
Les résultats précoces et éloignés ont fait l’objet d’une saisie systématique et prospective dans la base de données du service qui comporte en particulier toutes les informations à distance qu’elles proviennent des cardiologues, des services hospitaliers, des médecins traitants ou des patients. Le suivi est actualisé autant que de besoin par des enquêtes systématiques. La tenue de la base de données justifie un personnel dédié. Les informations saisies sont immédiatement disponibles et éditées à volonté. Des logiciels spécialisés créés à façon permettent l’analyse instantanée de la survenue d’événements (courbes actuarielles et taux linéaires des complications
de prothèse et des décès). L’analyse statistique utilise une méthodologie classique :
les événements non liés au temps (pourcentages) sont comparés par l’étude du Chi2 ou le test exact de Fisher ; les événements liés au temps (courbe de survie, …) sont appréciés selon la méthode actuarielle et comparés par le test du log-rank ; les variables continues utilisent le test t de Student. Le seuil de signification est de p. < 0,05.
RÉSULTATS PRÉCOCES
La mortalité précoce
La mortalité opératoire (par convention, celle survenant à l’intervention ou dans le premier mois postopératoire ou au cours du séjour hospitalier) a été de 7 % (303 patients). La défaillance cardiaque, essentiellement ventriculaire gauche, avec ou sans infarctus myocardique, a été la cause largement prédominante (157 cas, 52 %).
Il faut aussi citer le rôle des complications abdominales (31 cas), cérébrales (22 cas), respiratoires (18 cas) et de l’infection (18 cas de médiastinite avec ou sans septicé- mie). Dans 8 cas, le décès relevait d’une thrombose de la prothèse. Une indication opératoire trop tardive a été considérée comme responsable dans 37 cas particuliè- rement évolués. Douze décès ont été attribués à une insuffisance rénale et à un trouble de la coagulation.
La morbidité postopératoire
La transfusion de sang homologue (allotransfusion) a été réduite autant que possible (577 opérés, 14 %) alors que l’autotransfusion à partir de sang épanché dans le système de drainage a pu être réalisée chez 969 patients (23,5 %). Les troubles du rythme supraventriculaires, généralement bénins et facilement réductibles, ont été très fréquents (1 458 patients, 35 %) ; des troubles de la conduction auriculoventriculaire ont été notés chez 703 malades (17 %) nécessitant l’implantation d’un pace-maker chez 84 d’entre eux (2 %). L’altération de la fonction ventriculaire gauche traduite par un syndrome de bas débit cardiaque est survenue dans 11 % des cas (448 cas), parfois sous-tendue par un infarctus myocardique (130 cas, 3 %). Cent neuf opérés (2,6 %) ont développé une infection locale ou générale (dont 38 médiastinites et 35 septicémies). Des complications diverses ont été observées chez 359 opérés (8,7 %) (pulmonaires, neurologiques, abdominales, rénales, digestives, hémorragiques).
La révision chirurgicale du médiastin a été nécessaire dans 5 % des cas (218 opérés) pour hémorragie (115) ou tamponnade péricardique (103). Des complications liées à la prothèse ont été notées dans 34 cas (18 désinsertions aseptiques, 10 accidents thrombo-emboliques, 2 infections, 2 dysfonctions). Une réintervention cardiaque proprement dite pour complication de prothèse (thrombo-embolie ou infection) a été nécessaire 5 fois (0,1 %).
L’assistance respiratoire par intubation trachéale, limitée en règle à quelques heures, a dû être prolongée au-delà de 24 heures dans 5 % des cas (211 patients).
La durée d’hospitalisation (sont exclus les décès postopératoires et les transferts dans des services de réanimation polyvalente) étudiée chez 3 804 opérés a été en moyenne égale à 17 jours (de 8 à 147 jours) sur l’ensemble de la période 1971-1997, marquée dans les dernières années par un net raccourcissement (en 1997 : 10,6 jours fi 3,6).
RÉSULTATS TARDIFS
L’étude du suivi a porté sur les 3 826 opérés survivant à l’intervention. Le recul postopératoire varie de 1 mois à 26,5 années (moyenne, 5,6 années). Le taux des patients perdus de vue est de 12 % ; le total du suivi — nécessaire au calcul des taux linéaires — est de 21 533 années/patient (moyenne 5,2 années fi 5).
Mortalité à distance
Le décès est survenu chez 1 108 patients, dans un délai moyen de 6,6 années (de 1 mois à 24 ans). Les causes myocardiques sont les plus fréquentes (299 décès, 30 %) et sont représentées par l’insuffisance cardiaque (169 cas), la mort subite (attribuée comme il est d’usage à une fibrillation ventriculaire) (78 cas) et l’infarctus du myocarde (48 cas). Les complications directes de la prothèse (infection, thrombose, embolies, hémorragies, altération, dysfonction) ne sont en cause que dans 22 cas, dont on rapprochera 10 accidents de traitement anticoagulant. Cependant, les complications potentielles sont considérées comme plus nombreuses conformément aux critères internationaux [2] et incluent les troubles du rythme ventriculaire et les accidents cérébraux de quelque nature qu’ils soient. Les accidents vasculaires cérébraux étaient en cause dans 156 cas (14 %), les cancers dans 189 cas (17 %), la sénilité et le marasme dans 96 cas (8,7 %) (à noter 25 suicides). Des causes diverses (infectieuses, respiratoires, abdominales, rénales, traumatiques) ont été retenues dans 148 cas. Enfin, on doit déplorer que la cause précise du décès soit demeurée inconnue dans 188 cas (17 %).
La survie totale de la série des 4 129 opérés — mortalité opératoire incluse — calculée en termes actuariels, peut être validée jusqu’à 15 ans après l’intervention, terme auquel 326 patients sont survivants. Elle s’établit à 89 %, 77 %, 56 % et 36 % respectivement à 1 an, 5 ans, 10 ans et 15 ans (Fig. 1).
Morbidité tardive et qualité de la survie
Deux cent dix-neuf opérés ont présenté une ou plusieurs complications de prothèse : 100 désinsertions aseptiques, 53 altérations (sur bioprothèses), 30 infections, 36 accidents thrombo-emboliques et 9 dysfonctions. Les désinsertions, souvent
FIG. 1. — Survie actuarielle des RA opérés-série globale : 4 129 interventions.
limitées, demeurent bien tolérées. Il n’en est pas de même des thromboses et des endocardites infectieuses dont le pronostic — même réopérées — demeure extrêmement grave. Quant aux embolies, leur pronostic est variable et tient à leur volume et à leur localisation. Des accidents hémorragiques, avec ou sans traitement anticoagulant, ont été observés 120 fois chez 110 patients. Au total, ces complications ont nécessité 136 réinterventions (3,5 %) pour remplacement de la prothèse. La liberté actuarielle de réintervention à 5 ans, 10 ans et 15 ans s’établit à 98 %, 95 % et 89 % (Fig. 2). Ces réinterventions ont été effectuées dans un délai de 2 mois à 20 ans (moyenne 7,5 années, cumul 7 361 années).
En dépit de cette morbidité, la très grande majorité des opérés a retiré de l’intervention un considérable bénéfice fonctionnel. Soixante-treize pour cent étaient asymptomatiques (groupe I de la NYHA) et 23 % ne présentaient qu’une gêne fonctionnelle très limitée pour des efforts importants (NYHA II). Au total, 96 % des opérés étaient considérés comme très améliorés et menaient une vie normale pour leur âge.
Le rythme cardiaque identifié à l’ECG était sinusal dans 81 % des cas.
COMMENTAIRES
La qualité du résultat obtenu par le remplacement valvulaire l’a depuis longtemps imposé comme le seul traitement du rétrécissement aortique serré, d’autant que le traitement médical est inopérant et que les autres tentatives — chirurgicales ou non — telles que la simple décalcification de la valve ou la dilatation de la sténose par
FIG. 2. — Incidence actuarielle des réinterventions tardives chez 4 129 RA opérés.
ballonnet introduit par cathétérisme ont été des échecs. Les progrès de la chirurgie, de l’anesthésie et de la réanimation ont permis d’en étendre l’indication à des sujets de plus en plus âgés [3]. L’indication opératoire doit cependant faire l’objet d’une discussion au cas par cas et la connaissance des facteurs péjoratifs est indispensable à l’appréciation du risque opératoire et à la qualité du résultat.
Mortalité opératoire
Plusieurs facteurs de risque de mortalité opératoire ont été mis en évidence par l’étude univariée : l’âge (mortalité de 3 % dans 715 cas âgés de moins de 60 ans, de 5,2 % entre 60 et 69 dans 1 360 cas), de 9,2 % entre 70 et 79 ans (1 612 cas) et de 11,4 % chez les 80 ans et plus (438 patients) [4, 5]. Sont également significatifs (p<0,05) l’état fonctionnel préopératoire (4,5 % aux stades NYHA I et II vs 9,2 % aux stades III et IV), l’urgence (18,7 % vs 6,7 %), l’insuffisance ventriculaire gauche (8,2 % vs 5,7 %), l’insuffisance cardiaque globale (16,5 % vs 5,7 %), les lésions coronaires présentes à la coronarographie (9,4 % vs 4,6 %), la chirurgie coronaire associée (11,9 % vs 6,9 %), les associations morbides (9,8 % vs 6 %). Une fraction d’éjection ventriculaire gauche mesurée inférieure à 30 % constitue un facteur très significatif.
Résultat tardif
Le rôle péjoratif de ces différents facteurs se retrouve dans l’étude de la mortalité à long terme. Exprimé en termes de survie actuarielle à 5 et 10 ans, on retrouve le rôle de l’âge : avant 70 ans, la survie est de 84 % et 70 % vs 68 % et 37 % après (Fig. 3).
Cette différence se retrouve chez les porteurs de prothèse mécanique dont l’âge moyen est sensiblement plus jeune (61,6 ans fi 8,9) que celui du groupe des bioprothèses (74,4 ans fi 6,9 ; p. <10 -9) et les survies respectives sont 83 % et 68 % vs 70 % et 42 % (Fig. 4). Sont également significatifs l’état fonctionnel initial (83 % et 66 % pour les stades NYHA I et II vs 72 % et 47 % pour les stades III et IV) et les lésions coronaires avec 83 % et 68 % si la coronarographie est normale vs 73 % et 48 % s’il existe des lésions coronaires (Fig. 5). Le rôle de la revascularisation coronaire par pontage apparaît plus discutable. Les patients pontés (71 % de survie à 5 ans, 43 % à 10 ans) ne font pas mieux que les non-pontés (74 % et 54 %). En fait, le pontage peut être considéré comme un marqueur des lésions coronaires les plus sévères, ce qui explique ce biais statistique apparent. Enfin les co-morbidités associées sont elles aussi significatives : 80 % et 61 % de survie actuarielle à 5 et 10 ans si elles sont absentes, vs 69 % et 43 % si elles sont présentes.
Ainsi, la connaissance de ces différents facteurs de risque est elle indispensable à l’établissement des indications opératoires [6, 7], qui demeurent extrêmement larges compte-tenu du double bénéfice apporté par la chirurgie tant en durée de vie qu’en qualité fonctionnelle, autorisant très généralement une existence et une activité normales pour l’âge.
Choix du substitut valvulaire
Le choix de la prothèse valvulaire continue de susciter la discussion [8, 9]. La prothèse idéale n’existe pas et chaque forme de substitut comporte des avantages et des inconvénients particuliers. L’homogreffe aortique cryopréservée est considérée comme le meilleur matériau, mais sa rareté en limite l’utilisation aux sujets jeunes et elle n’a guère de place dans le domaine du RA. En pratique, la discussion se limite aux deux formes de substituts classiques que sont les valves mécaniques, dont la durabilité est excellente, mais dont la thrombogénicité impose un traitement anticoagulant définitif avec ses risques d’accidents hémorragiques et les bioprothèses dont la faible thrombogénicité dispense de l’anticoagulation chronique mais dont la durabilité est limitée, leur détérioration survenant après une dizaine d’années environ et pouvant imposer une réintervention. La valve aortique de porc montée sur une collerette (stented valve) facilitant son implantation a été largement utilisée dans cette série et ailleurs [10]. La valve fabriquée à partir du péricarde bovin, et plus récemment les valves porcines sans armature (stentless valves) mimant la disposition anatomique de l’homogreffe humaine sont en évaluation et permettront, peut être, d’obtenir une meilleure durabilité.
Notre politique, établie de longue date et à laquelle nous sommes restés fidèles, a été de retenir les valves mécaniques chez les sujets les plus jeunes, réservant les valves biologiques aux sujets plus âgés. Le cap des 70 ans a longtemps constitué notre limite de démarcation. Cependant, l’accroissement régulier de l’espérance de vie nous fait préconiser une adaptation, 74 ans chez l’homme et 78 ans chez la femme représentant dans notre pays, selon les actuelles études démographiques, une espé- rance de vie égale à dix années.
FIG. 3.— Survie actuarielle des RA opérés en fonction de l’âge à l’intervention (n = 4 129).
FIG. 4. — Survie actuarielle des RA opérés (= 4 129) selon la prothèse utilisée.
FIG. 5. — Survie actuarielle des RA opérés (= 4 129) avec et sans lésions coronaires.
L’amélioration de la collecte et de la préservation des homogreffes, la mise au point des animaux transgéniques, l’anticalcification des bioprothèses [11], la recherche d’une meilleure hémocompatibilité des valves mécaniques constituent les axes de recherche qui font espérer, dans le futur, de nouveaux progrès dans le remplacement des valves cardiaques chez l’homme.
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DISCUSSION
M. Yves GROSGOGEAT
Existe-t-il une limite à l’indication opératoire chez un patient asymptomatique âgé de plus de 90 ans ? Eu égard à l’espérance de vie actuelle, ne doit-on pas reculer largement l’indication de la bioprothèse de manière à éviter d’avoir à réopérer un patient au cours de décennies extrêmes ? Quelle est la fréquence des embolies calcaires au cours du RA non opéré ?
Si un patient de cet âge est asymptomatique, il est raisonnable de s’abstenir. L’espérance de vie, en constante augmentation, doit faire reculer l’utilisation des bioprothèses. On peut proposer l’âge de 74 ans pour un homme, 78 ans pour une femme. L’idée est d’éviter de réopérer pour détérioration de valve à un âge avancé avec un risque majoré par une chirurgie de reprise. Des embolies calcaires ont été vues au fond d’œil. Dans d’autres territoires, elles peuvent être incriminées (éclipses cérébrales, accidents coronariens, ischémies périphériques, rein) mais sont difficiles à prouver, sauf vérification anatomique.
M. Michel BOUREL
Tous les RA sont-ils toujours calcifiés ? Quelles remarques sur les formes de la femme ?
Quelles causes aux foyers d’endocardite septique sur prothèse ? Quels animaux à l’origine des bioprothèses ?
Les RA de l’adulte, ici décrits, évoluent tous vers la calcification. Les RA de la femme ont un âge moyen plus élevé. Les endocardites septiques peuvent relever de tous les germes :
streptocoques, entérocoques, colibacille, staphylocoque doré redoutable par sa virulence, générateur d’abcès de la racine aortique… On peut aussi rencontrer des levures. La valve aortique de porc et le péricarde de veau sont les plus utilisés. Ce dernier a été mis en question à propos de l’ESB.
M. Pierre MAURICE
Reste-t-il encore, chez des sujets très âgés ou très affaiblis, des indications à la dilatation instrumentale de l’orifice aortique ?
La dilatation de la valve par cathétérisme au ballonnet a déçu les espoirs initiaux, car insuffisante, dangereuse pour l’anneau, délabrante pour la valve et souvent responsable
d’une IA mal tolérée. Elle n’est plus guère proposée qu’à titre de sauvetage temporaire dans des situations extrêmes inopérables (OAP et collapsus). Si la fonction VG peut être temporairement améliorée, la valve doit être remplacée quelques jours après.
M. Pierre GODEAU
N’y a t-il pas des sténoses serrées encore asymptomatiques justifiant la chirurgie ? La vitesse d’altération des bioprothèses est variable d’un sujet à l’autre, y a t-il des éléments prédictifs ? L’atteinte coronarienne tronculaire associée vous a conduit à faire un pontage dans 16 % des cas. Y a t-il une fréquence différente en fonction de l’âge des patients ?
Une sténose serrée est rarement asymptomatique car elle parle au moindre effort. Elle doit être opérée, sauf contre-indication formelle. Certains terrains accélèrent la détérioration des bioprothèses, tels l’enfance, l’insuffisance rénale chronique des dialysés qui sont des contre-indications. A un moindre degré, les adultes jeunes et actifs à débit cardiaque élevé, chez lesquels on préfère une prothèse mécanique. L’indication des pontages coronaires associés se fonde sur différents critères : localisation des sténoses aux troncs essentiels (tronc commun gauche, interventriculaire antérieure), leur caractère proximal, l’étendue du territoire desservi. L’âge du patient est aussi à considérer.
M. Jean NATALI
Faut-il opérer un patient de 80 ans dialysé porteur d’un rétrécissement aortique calcifié n’entraînant qu’une dyspnée modérée ?
Un tel patient peut être opéré si la RA est serrée (0,7 à 0,9 cm2). Il faut utiliser une prothèse mécanique.
* Clinique Chirurgicale Cardiovasculaire et Thoracique et ** Département de Cardiologie — Centre Cardio-Pneumologique, Hôpital Pontchaillou, CHU de Rennes, 2 rue Henri Le Guilloux — 35033 Rennes cedex 9. Tél : 02.99.28.24.90 — Fax : 02.99.28.24.96. Tirés-à-part : Professeur Yves LOGEAIS, à l’adresse ci-dessus. Article reçu le 5 juin 2000, accepté le 26 juin 2000.
Bull. Acad. Natle Méd., 2001, 185, no 1, 163-175, séance du 30 janvier 2001