Communication scientifique
Séance du 4 février 2003

Résultats de la transplantation cardiaque : expérience de 233 greffes

MOTS-CLÉS : cardiomyopathies.. insuffisance cardiaque. transplantation
Long term outcomes after cardiac transplantation an experience of 233 cases

Y. Logeais, B. Lelong, T. Langanay, H. Corbineau, C. Rioux, A. Leguerrier) — Centre Cardio-

Résumé

Par sa fréquence et sa gravité, l’insuffisance cardiaque est un sujet d’actualité. Ce travail rapporte les résultats d’une série de 233 transplantations cardiaques chez 222 patients. Les cardiomyopathies primitives (123 cas) et les cardiomyopathies ischémiques (87 cas) étaient les plus fréquentes. Tous les malades étaient aux stades III ou IV de la classification fonctionnelle NYHA. L’âge moyen était de 51 ans et le sexe masculin prédominant (184 cas, 83 %). Trente-trois décès (14,8 %) sont survenus pendant l’hospitalisation, 24 (73 %) relevant d’une défaillance hémodynamique. Le suivi représente 1 157 annéespatient (moyenne 6,2 fi 5 années, maximum 16 ans). Soixante décès ont été observés au cours de cette période, dont les causes les plus fréquentes étaient les cancers (21), la défaillance cardiaque (13) et l’infection (13). Onze retransplantations ont été effectuées, avec 6 décès postopératoires (54 %). La survie actuarielle de l’ensemble de la série est de 75 %, 66 % et 50 % à 1, 5 et 10 ans respectivement. La transplantation cardiaque apporte un résultat de bonne qualité ainsi qu’une survie appréciable, sensiblement supérieure à celle des traitements médicaux. Les progrès de l’immunosuppression ont diminué l’incidence et la gravité des rejets aigus. Deux obstacles majeurs demeurent à vaincre — la maladie vasculaire du greffon, expression du rejet chronique, et les cancers — qui devraient bénéficier d’une meilleure compatibilité HLA autorisant une immunomodulation moins agressive. Quant à la pénurie des greffons, elle incite à définir des standards de prélèvement susceptibles d’améliorer la qualité et le nombre des greffons.

Summary

Background : Heart failure is one of the leading causes of hospitalization and death.The aim of this study was to evaluate long term outcomes after cardiac transplantation. Methods : A retrospective review of 222 consecutive cardiac allograft recipients who underwent 233 transplantations between 1986 to 2000 was undertaken. Cardiomyopathy (123) and ischemic heart disease (87) were the most common indications. Mean age was 51 years fi 11, and male gender was predominant (184). Results : 33 patients (14.8 %) died in the post operative period, mainly from graft failure (24 pts). During the follow-up period (total 1157 pt/yrs, mean 6.2 fi 5 yrs, max 16 yrs), 60 late deaths occurred from cancer (21), graft failure (13),infection (13), and miscellaneous (13). Retransplantations were performed in 11 patients. The actuarial survival of the entire cohort was 75 %, 66 % and 50 % at 1, 5, and 10 years respectively.Conclusions : Cardiac transplantation gives satisfactory long term results for patients with end-stage heart failure, providing good exercise tolerance and survival for 10 years or more in a large number of patients. Improvement in immunosuppression therapy is responsible for decrease in acute rejection rate. Reduction in HLA mismatch should allow for better immunomodulation and decreased incidence of cardiac allograft vasculopathy and malignancies . KEY-WORDS (Index Medicus) : HEART, CONGESTIVE. HEART FAILURE TRANSPLANTATION. MYOCARDIAL DISEASES. Avec le vieillissement de la population, l’insuffisance cardiaque concerne en France plus de 500 000 personnes et devient une question d’actualité. L’Académie nationale de médecine y consacrait récemment une séance thématique [1]. Plusieurs voies thérapeutiques se sont ouvertes au fil des années, dont beaucoup restent à évaluer. C’est en particulier le cas de l’assistance mécanique de longue durée. La transplantation cardiaque a des effets positifs reconnus mais voit son développement limité par la pénurie des donneurs. Dans ce contexte, il nous a paru intéressant de reprendre l’étude de ses résultats à la lumière de notre expérience.

MATÉRIEL

Du 23 octobre 1986 au 31 décembre 2000, 222 malades arrivés au stade terminal de l’insuffisance cardiaque ont été opérés d’une greffe cardiaque à la Clinique de Chirurgie Thoracique et Cardiovasculaire du CHU de Rennes. Cette expérience représente 233 transplantations, 11 malades ayant subi au cours de leur évolution une seconde transplantation.

Les données démographiques et cliniques sont exposées au Tableau 1. La prédominance masculine est nette avec 184 hommes (83 %). L’âge moyen est de 51,3 ans. Les cardiopathies en cause étaient dominées par les cardiomyopathies primitives [123 cas, soit 55 %, dont 117 cardiomyopathies dilatées non obstructives (CMNO)] et les cardiomyopathies ischémiques (87 cas, 39 %). Neuf patients étaient atteints d’une cardiopathie valvulaire et 3 avaient une cardiopathie congénitale complexe.

TABLEAU 1. — Données cliniques préopératoires Tous les malades avaient par définition une atteinte majeure de la fonction cardiaque responsable d’une importante invalidité fonctionnelle et étaient aux stades les plus évolués de la classification fonctionnelle de la New York Heart Association :

NYHA III 97 cas (43,7 %), NYHA IV 125 cas (56,3 %) menaçant la vie à court terme en dépit d’un traitement médical bien conduit et en l’absence de toute possibilité d’autre traitement chirurgical. La dyspnée, l’angor et l’insuffisance cardiaque gauche ou surtout globale étaient les signes les plus constants. La tension artérielle était anormalement basse, témoin de l’altération de la fonction ventriculaire (maximale à 113 mm Hg et minimale à 70 mm Hg).

L’ancienneté de la cardiopathie était très variable avec des extrêmes allant de quelques jours (insuffisances coronariennes aiguës et infarctus gravissimes) à plusieurs années, ce qui était le cas de la plupart des cardiomyopathies primitives. Les cardiopathies valvulaires et congénitales avaient déjà été opérées une ou plusieurs fois, avec de bons résultats pendant de nombreuses années mais présentaient finalement une grande déchéance myocardique. La durée moyenne d’évolution des cardiopathies se situait à 5,5 fi 6 années.

Les résultats des explorations complémentaires préopératoires sont exposés au Tableau 2. La fraction d’éjection du ventricule gauche (FEVG), mesurée à l’échocar-

TABLEAU 2. — Examens complémentaires préopératoires diographie était fortement diminuée (moyenne 17 %, minimale 10 %). Les diamètres diastolique et systolique du ventricule gauche (moyenne 72 et 68 mm) fortement augmentés traduisaient la dilatation et l’hypocinésie ventriculaire. Cinquante-six patients présentaient une insuffisance mitrale fonctionnelle associée.

Le cathétérisme confirmait la sévérité de l’atteinte cardiaque. Les pressions artérielles et capillaires pulmonaires étaient fortement augmentées. Les résistances artérielles pulmonaires basales hors épreuves pharmacodynamiques étaient comprises entre 0,47 et 6,6 unités Wood (moyenne à 2,2 fi 1,2 pour une normale à 0,87).

Chez les coronariens, la coronarographie mettait en évidence des lésions sévères inaccessibles au pontage et/ou à la dilatation. Dans le groupe des cardiomyopathies primitives, elle montrait parfois des lésions de moindre degré considérées comme des lésions de rencontre.

Les antécédents chirurgicaux, les facteurs de risque de l’athérosclérose et la morbidité associée figurent au Tableau 3. Trente-trois patients (14,8 %) présentaient un ou plusieurs antécédents de chirurgie cardiaque, datant de 4 à 19 ans avant la greffe. Tous les malades avaient été soumis à une évaluation psychologique préopé- ratoire.

TABLEAU 3. — Antécédents chirurgicaux et morbidités associées MÉTHODES

Les donneurs étaient le plus souvent de sexe masculin (185 hommes, 83 %). Ils étaient âgés de 11 à 59 ans (moyenne 33). Les causes de décès, connues dans 192 cas, étaient 120 fois de nature traumatique (62 %) et relevaient 96 fois d’un accident de la voie publique. Un accident vasculaire cérébral était responsable dans 64 cas. Le recrutement des greffons était local (22 %), régional (36 %) ou plus éloigné (42 %).

Le recrutement des CHU représentait 176 cas (77 %). La durée d’ischémie froide du greffon fut en moyenne de 160 minutes (de 56 à 331 minutes). La protection du myocarde contre l’ischémie fut réalisée par une cardioplégie froide au Breitschneider à 4°c, enrichi en potassium et, depuis 1998, par le Celsior [2].

Le traitement immunosuppresseur initial a utilisé les corticostéroïdes (CS), la globuline antilymphocytaire (GAL) pendant 3 à 5 jours, la ciclosporine (CyA) introduite à J3-J4 et l’azathioprine (AZA) qui fut remplacée en 1999 par le mycophénolate mofétyl (MPM).

En traitement de fond, les 50 premiers malades ont reçu une bithérapie (CS et CyA), les suivants une trithérapie (CS, CyA, AZA puis MPM) [3]. Les rejets ont été traités suivant les protocoles classiques : vérification du taux de ciclosporinémie, majoration des CS, introduction de GAL ou plus rarement d’OKT 3. Une prophylaxie anti cytomégalovirus (CMV) a été utilisée au cours des trois premiers mois.

L’intervention était initiée après confirmation de la bonne cinétique du greffon.

La circulation extracorporelle (CEC) a été conduite en hypothermie modérée à 28° C. La durée moyenne de la CEC a été de 126 fi40 minutes.

Toutes les transplantations ont été effectuées selon le mode orthotopique. L’exérèse du cœur a initialement conservé les oreillettes (technique de Lower et Shumway) et a évolué depuis 1997 vers une cardiectomie subtotale, avec anastomose bicave permettant d’obtenir des volumes atriaux proches de la normale optimisant la fonction cardiaque.

La reprise hémodynamique du greffon était facile dans 156 cas (70 %), sous couvert d’une faible dose de dopamine (5 gammas / kg/min). Le sevrage de la CEC nécessita dans 32 cas la poursuite momentanée de la CEC ou la mise en place d’une assistance mécanique.

Une transplantation rénale simultanée fut associée dans deux cas.

RÉSULTATS

MORTALITÉ OPÉRATOIRE (Tableau 4 ). Trente-trois malades (14,8 %) sont décédés au cours du 1er mois ou durant l’hospitalisation en chirurgie (4 décès en salle d’opération, 29 dans les suites opératoires). Vingt-quatre décès (72,7 %) relevaient d’une défaillance hémodynamique. Les assistances circulatoires droites-droites ou biventriculaires ne permirent aucun succès durable. Les autres causes sont exposées au Tableau 4.

MORBIDITÉ OPÉRATOIRE

Chez les 189 survivants à l’intervention, le saignement était compris entre 200 et 3 710 ml (moyenne 780 fi 410). La compensation fut assurée chez 44 opérés par autotransfusion, avec des extrêmes de 160 à 875 ml (moyenne 420 ml) et/ou par allo transfusion de sang compatibilisé de 350 à 9 000ml (moyenne 1 380 ml).

TABLEAU 4. — Causes de la mortalité opératoire Un bas débit cardiaque (index cardiaque < 2 l/min/m2) a été observé dans 21 cas (dont 1 infarctus myocardique), des troubles du rythme auriculaire dans 17 cas (15 fibrillations auriculaires et 2 flutters), des troubles de la conduction à type de bloc sino-auriculaire dans 20 cas (avec implantation de pace-maker chez 12 d’entre eux).

Ces blocs sino-auriculaires n’ont plus été observés depuis qu’a été adoptée la résection complète des oreillettes.

On a noté 15 complications infectieuses dont 3 médiastinites et 5 septicémies, 12 insuffisances rénales, 9 complications pleuro-pulmonaires, 19 ventilations prolongées au-delà de la 24e heure et 4 hémorragies digestives.

Certaines complications ont nécessité 27 réinterventions : 6 vérifications de l’hémostase, 19 évacuations d’épanchement péricardique, 1 cholécystectomie pour cholé- cystite aiguë et 1 insuffisance tricuspidienne majeure corrigée par plastie.

La durée moyenne d’hospitalisation a été de 27 jours. À la sortie du service, tous les opérés étaient en rythme sinusal, sauf les porteurs de pace-maker. La fonction ventriculaire était normale : FEVG égale à 65 % (de 50 à 86), diamètre diastolique à 49 mm (de 43 à 56), diamètre systolique à 30 mm (de 15 à 38).

RÉSULTATS ÉLOIGNÉS

Le suivi est de 100 % et représente un total de 1 157 années-patient, soit une moyenne égale à 6,2 fi 5 années (extrêmes de 1,5 mois à 16 ans).

TABLEAU 5. — Causes de la mortalité tardive Mortalité tardive (hors réintervention)

Soixante décès sont survenus au cours de la période d’observation, 9 pendant les 2ème et 3ème mois, 51 entre le quatrième mois et la douzième année (en moyenne 3,9 fi 3,7 années). Ils représentent une survie cumulée égale à 237 années/patient.

Les causes de la mortalité tardive sont exposées au Tableau 5. Elles sont représentées au premier plan par les cancers (21 décès, 33 %) dont 3 lymphomes et un sarcome de Kaposi.Viennent ensuite à égalité la défaillance cardiaque et l’infection (13 décès chacune, soit 21,6 %).

Les défaillances cardiaques ont été observées 8 fois dans le cadre d’un rejet aigu, 5 fois dans celui d’un rejet chronique caractérisé 4 fois par des lésions coronaires progressives et sévères responsables d’une altération irréversible de la fonction cardiaque. Un autre cas de rejet chronique se traduisait par une constriction cardiaque d’origine péricardique et le décès survint avant la réintervention.

Parmi les 13 décès d’origine infectieuse, on relevait 4 septicémies, une péritonite, et diverses infections opportunistes dont 4 aspergilloses (2 formes cérébrales, 1 pulmonaire et 1 septicémie aspergillaire), 1 toxoplasmose cérébrale, 1 infection méningopulmonaire à mycobactérie aviaire et 1 faux anévrisme mycotique rompu développé sur l’anastomose aortique.

Réinterventions

Dix-neuf réinterventions ont été nécessaires dans un délai de 4 mois à 9,5 années (moyenne 4 ans) dont 11 retransplantations.

Onze retransplantations ont été effectuées pour une altération progressive et sévère du greffon, dans un délai de 6 mois à 9,5 années (moyenne 3,8 fi 3,1 années). Dans 6 cas, il s’agissait de lésions coronaires de rejet chronique, alors que 4 autres patients présentaient des rejets aigus répétitifs et réfractaires et qu’un patient présentait une épicardo-péricardite constrictive itérative après péricardectomie. Six sont décédés dans les suites opératoires (54 %) de complications diverses : 1 défaillance du greffon, 1 rejet suraigu, 1 insuffisance rénale majeure avec défaillance multiviscérale, 1septicémie, 1 hémorragie, 1 mycose digestive généralisée avec perforations intestinales. Un décès est survenu 5 ans après la retransplantation de rejet aigu. Quatre survivants ont un bon résultat 4 à 9 ans après la seconde greffe.

Huit autres réinterventions ont été réalisées plus de 3 mois après la greffe : 1 assistance mécanique biventriculaire pour rejet aigu et choc hémodynamique entreprise sans succès 4 mois après la transplantation, 3 plasties pour insuffisance tricuspidienne, 1 fermeture de communication interauriculaire (CIA), 2 péricardectomies pour constriction. Une patiente a bénéficié d’un pontage coronaire sur l’interventriculaire antérieure 9 ans après la transplantation. Huit autres patients ont subi une ou plusieurs angioplasties coronaires.

Résultat fonctionnel et survie

Après une ou deux transplantations, un total de 100 décès (y inclus la mortalité opératoire et l’ensemble des réinterventions) laisse 122 opérés survivants représentant un recul de 895 années-patient (moyenne 7,3 années fi 4). Le premier opéré de la série a un excellent résultat 16 ans après l’intervention.

La survie actuarielle globale (Fig. 1), incluant la mortalité opératoire est de 66 % à 5 ans et de 50 % à 10 ans.

Le résultat fonctionnel est de bonne qualité et assure une bonne tolérance à l’effort.

Cent dix patients (90 %) ont un statut fonctionnel normal (NYHA I), 9 ont une légère limitation pour des efforts importants (NYHA II) et 3 pour des efforts minimes (NYHA III). Le rythme cardiaque est sinusal chez 93 % des survivants.

COMMENTAIRES

L’analyse des causes de mortalité opératoire fait ressortir le rôle prépondérant de la défaillance hémodynamique (24 cas). L’explication précise n’en est pas toujours possible car plusieurs éléments sont souvent intriqués. Sans s’attarder sur d’éven-

FIG. 1. — Transplantation cardiaque : survie actuarielle des 222 opérés.

tuelles embolies gazeuses coronaires dont la prévention relève de la purge très soigneuse du greffon, il peut s’agir d’une défaillance primaire d’un greffon dont la qualité initiale peut être médiocre : donneur âgé [4], lésions coronaires, coma prolongé, utilisation d’inotropes à doses élevées, voire défaut de protection myocardique et/ou allongement de la durée d’ischémie au-delà du seuil convenu des 4 heures. Ce dernier facteur est apparu significatif dans notre série (p < 10-2) avec une mortalité de 33 % (3 cas sur 9) mais 2 de ces cas étaient des retransplantations. On en retiendra que la transplantation cardiaque demeure tributaire de la contrainte temporelle et constitue encore une « urgence ischémique ».

Dans les défaillances secondaires, le rôle du rejet aigu a pu être surestimé et dans notre série, il n’a été retenu que 3 fois sur les 24 décès hémodynamiques.

La notion d’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) résiduelle occupe une place centrale pour toutes les situations chroniques dans lesquelles de longues années d’insuffisance ventriculaire gauche et d’HTAP ont pu entraîner des lésions artérielles pulmonaires. C’est souligner le défi hémodynamique que constitue la greffe cardiaque pour le ventricule droit, celui-ci ne fournissant à l’état normal qu’un faible travail à la mesure de résistances 6 fois inférieures aux résistances systémiques rencontrées par le ventricule gauche [5]. Déterminer l’importance des lésions arté- rielles pulmonaires fixées est l’une des préoccupations majeures du bilan préopératoire [6, 7]. Les épreuves pharmacodynamiques doivent permettre de distinguer les parts respectives pré et post capillaire des résistances artérielles pulmonaires.

Des résistances égales ou supérieures à 5 unités Wood (normale de 0,6 à 1,5) constituent une contre-indication formelle. Pour des niveaux moins élevés, on peut s’aider des drogues vasodilatatrices et du monoxyde d’azote. Il serait utile aussi de
disposer d’un greffon surdimensionné. On évaluera soigneusement les gabarits respectifs du donneur et du receveur, en sachant que chez la femme le poids n’est pas un bon indicateur du volume cardiaque [8].

L’analyse statistique des facteurs de mortalité opératoire a retrouvé le rôle de l’âge après 50 ans (p<0,05), du stade fonctionnel NYHA IV (p<0,05), de l’étiologie de la cardiopathie au bénéfice des CMNO et au détriment des coronaropathies (p<0,05) et surtout des résistances pulmonaires (p<0,005). Les interventions en urgence (regroupant les malades hospitalisés en USI et ceux placés sous assistance circulatoire) constituent aussi un risque significatif (p<0,05). Ont été aussi soulignées l’importance pronostique de la qualité hémodynamique du greffon en fin de CEC (p<0,0001), ainsi que d’une réintervention postopératoire sans CEC (p<0,05) ou plus encore avec CEC (p<0,00002) et des retransplantations (p<0,001).

Les causes de la mortalité tardive se répartissent de façon plus équilibrée et trois sont prépondérantes : la défaillance cardiaque (22 %), les infections (22 %) et les cancers (33 %).

Sur 13 décès par défaillance cardiaque, 8 relevaient d’un rejet aigu et 5 d’un rejet chronique.

Le rejet chronique, véritable vasculopathie du greffon [9-10], se caractérise par des lésions coronaires immunes responsables d’une dysfonction endothéliale et d’une hyperplasie myointimale concentrique. La présence de lymphocytes T, la corrélation avec les rejets aigus, la stricte limitation des lésions au tissu greffé, leur absence dans les isogreffes confirment le rôle du conflit immunitaire. D’autres éléments s’y associent, tels que les facteurs habituels de l’athérosclérose et en particulier le taux du LDL cholestérol et des lipides, mais aussi les infections à CMV, l’âge et le sexe du donneur. Les lésions débutent dès la première année et se développent à vitesse variable. Leur fréquence est généralement estimée à 10-15 % à un an et 35 à 50 % à cinq ans. Nous les avons observées 23 fois.

L’angor est rare (15 %) [11] en raison de la dénervation du greffon ; un infarctus myocardique est possible, mais le plus souvent la clinique est celle d’une altération progressive de la fonction cardiaque, signant des lésions importantes qui ne doivent pas être attendues pour évoquer le diagnostic. Des examens systématiques de dépistage font partie des protocoles de surveillance : coronarographie annuelle, souvent en défaut en raison du caractère homogène et concentrique des lésions, échocardiographie de stress, scintigraphie au thallium. C’est l’échographie endocoronaire [12] qui est reconnue comme la méthode la plus sensible. Cette vasculopathie est la principale cause de la perte secondaire des greffons conduisant au décès ou à la réintervention (40 %) pour Gallo [10] et Fraund [13]. Sa gravité justifie la mise en route d’un traitement préventif : suppression énergique des facteurs de l’athérosclé- rose par le régime et les statines, utilisation des anticalciques, des inhibiteurs de réduction du coenzyme A et des antiagrégants plaquettaires. L’angioplastie transluminale (avec stent en général) et la chirurgie du pontage sont rarement possibles [11]. En dernier ressort se discute la retransplantation dont l’indication ne peut
échapper à une discussion éthique compte tenu de ses résultats aléatoires et de la pénurie des greffons.

La maladie vasculaire du greffon soulève la question de la compatibilité HLA jusqu’à présent peu prise en compte dans l’allocation des donneurs en raison de l’urgence qu’impose la durée de l’ischémie acceptable (4 heures) et des délais nécessaires à l’établissement du groupage tissulaire. Dans une étude rétrospective du Registre International de l’UNOS comportant plus de 14 000 transplantations cardiaques, Thompson [14] trouve que moins de 30 % ont un appariement HLA satisfaisant. Les progrès en précision et en rapidité intervenus récemment dans les techniques de groupage modifient ces données. La possibilité de se fonder sur les cellules du sang périphérique, l’utilisation de réactifs monoclonaux, le typage de l’ADN en biologie moléculaire devraient désormais permettre à de nombreux laboratoires d’effectuer le typage en 2 à 4 heures : HLA conventionnel A et B, HLA —DR, groupe de réactivité croisée, pourcentage de réactivité contre le panel. L’étude de Thompson a par ailleurs confirmé le rôle sur la survie de la concordance HLA-DR mis en évidence par d’autres auteurs [15-17] ainsi que le rôle néfaste de l’assistance circulatoire mécanique qui s’accompagne d’une sensibilisation aux antigènes HLA avec un panel d’anticorps positif dans 33 % des cas (taux spontané entre 1 et 8 % en l’absence d’antécédent de transfusion). Ainsi les nouvelles techniques de typage et de cross-match devraient rendre désormais possible, en transplantation cardiaque, l’adjonction du groupage HLA dans le protocole d’attribution des donneurs, permettant d’espérer une amélioration des résultats éloignés en termes de survie et de rejet [14].

Au cours de notre série, des progrès ont été enregistrés dans l’utilisation des traitements anti-rejet. Après les 50 premiers cas, nous avons remplacé la bithérapie à base de ciclosporine et de corticostéroïdes dont les doses ont pu être diminuées grâce à l’utilisation d’une trithérapie par adjonction d’azathioprine [18] . La ciclosporine reste la référence. Ses nouvelles présentations facilitent l’administration et assurent des taux sanguins plus constants, permettant une posologie relativement réduite et diminuant l’incidence de l’insuffisance rénale. Le tacrolimus dont le mécanisme d’action est identique à celui de la ciclosporine a été peu utilisé dans notre série. L’introduction du mycophénolate mofétyl que nous utilisons depuis 1999 au lieu et place de l’azathioprine a permis une très sensible diminution des rejets aigus.

L’analyse du fichier ADICAP des anatomo-pathologistes portant sur plus de 6 000 biopsies nous a permis de définir un « indice biopsique » annuel qui divise le nombre des biopsies par le nombre d’années/patient. Nous constatons ainsi, comme d’autres auteurs [19], la diminution au cours des années du nombre des biopsies. En 1988, 227 biopsies étaient réalisées sur 35 patients représentant 19,4 années d’exposition au risque, soit un indice égal à 11,7. En 2000, 440 biopsies pour 89,9 années d’exposition définissaient un indice égal à 4,89. Parallèlement, nous avons noté la diminution régulière des rejets significatifs ou sévères (degré 1B à 4), les rejets absents ou faibles (degré 0 ou 1A) passant dans les mêmes années de 74 % à 89 %.

Les infections ont constitué l’une des trois grandes causes des décès tardifs (13 sur 60, 22 %). Leur caractère opportuniste a été confirmé dans 7 cas : 2 toxoplasmoses cérébrales, 3 aspergilloses cérébrales et/ou pulmonaires, 1 mycobactérie aviaire, 1 mycose digestive extensive et perforative, sans compter plusieurs cas de Pneumocystis carinii retrouvé au lavage bronchoalvéolaire qui ont pu être traités efficacement.

Les cancers ont été la cause la plus fréquente des décès tardifs (20 cas, 33 %). Quatre étaient spécifiques de l’immunodépression : 1 sarcome de Kaposi et 3 lymphomes pour lesquels a été retenu le rôle de l’OKT3 ou du virus d’Epstein Barr. Les autres cancers étaient banals, en rapport avec un terrain prédisposé : cancers bronchiques, ORL, oesophagiens, pancréatiques et un cancer de l’ethmoïde chez un menuisier.

Plusieurs cancers cutanés ont été traités. La fréquence des cancers est largement retrouvée dans la littérature [10, 13].

Diverses complications étaient liées au terrain et au traitement : complications artérielles favorisées par l’HTA, la ciclosporine et les corticoïdes (anévrisme de l’aorte abdominale, thrombose emboligène de l’aorte horizontale, artérite des membres inférieurs, colite ischémique), insuffisance rénale (9 patients en dialyse chronique et 2 greffes rénales). C’est souligner le rôle d’une discipline de surveillance et de régime ainsi que de l’ajustement optimal de la ciclosporinémie et expliquer que la plupart des séries [18-23] font état de résultats meilleurs avec les cardiomyopathies primitives qu’avec les cardiomyopathies ischémiques. Ce que confirme notre expé- rience, qui n’atteint pourtant pas le seuil de signification statistique.

L’analyse statistique de la mortalité tardive a montré que l’existence d’un diabète préopératoire non insulinodépendant avait un rôle significatif (p<0,05) et vient rappeler la contre-indication constituée par le diabète insulinotraité. La durée d’ischémie du greffon et le rapport poids du donneur — poids du receveur, ne sont pas significatifs. La survie actuarielle globale de notre série (66 % à 5 ans et 50 % à 10 ans) est conforme à la littérature [13] et au Registre International [16]. La survie des CMNO primitives (71 % et 52 %) est supérieure à celle des CMNO ischémiques (59 % et 46 %) mais la différence statistique (test du log rank) n’est pas significative.

La survie des cardiopathies valvulaires est la meilleure (77 % et 62 %) mais leur nombre est trop faible pour que soit atteinte la significativité.

La survie actuarielle des malades ayant subi une deuxième transplantation calculée à partir de la date de retransplantation est sensiblement inférieure (42 % à 1 an et 25 % à 5 ans, différence statistiquement significative, p< 0,05). L’âge supérieur à 60 ans n’est pas un facteur significatif, non plus que le sexe ni l’urgence, ni l’existence d’une morbidité associée.

Les chiffres de survie doivent être appréciés dans le contexte de gravité des cardiopathies qui conduisent à la transplantation. Au cours des 9 dernières années, la mortalité des patients inscrits en liste d’attente a été en moyenne de 9,6 % (de 4 à 13 % selon les années, culminant à 22 % en 2001), pour une durée d’attente moyenne de 37 jours, la durée la plus longue étant de 51 jours.

Les 2 patients qui avaient subi une double transplantation simultanée cardiaque et rénale ont eu une survie de qualité de 6,5 et 7,2 années. Une femme de 61 ans atteinte d’une coxopathie très invalidante a pu subir quelques semaines après la greffe une arthroplastie qui lui était jusqu’alors refusée. Elle mène une vie normale 7 ans et demi après.

CONCLUSION

Les résultats de la transplantation cardiaque se sont beaucoup améliorés dans les deux dernières décennies : nombre croissant des survies atteignant ou dépassant 10 ans, bonne tolérance à l’effort et bonne qualité de vie chez des sujets autrement condamnés. Comparativement, les résultats des traitements médicaux pour des patients aussi évolués sont très décevants.

Trois obstacles majeurs restent à vaincre. Pour la vasculopathie du greffon et le développement des cancers, une meilleure concordance dans le système HLA permettant la modulation du traitement immunosuppresseur laisse entrevoir une perspective d’amélioration. Quant à la pénurie des greffons, elle nécessite d’optimiser les prélèvements. Il conviendrait de définir des standards de qualité permettant d’éliminer les cœurs suboptimaux tout en élargissant les critères de prélèvement. Les médiocres résultats des retransplantations ne manquent pas d’obliger à une réflexion éthique.

Au total, la transplantation cardiaque constitue une arme thérapeutique efficace contre les insuffisances cardiaques majeures et rebelles des sujets jeunes dont elle transforme et l’espérance de vie et les conditions d’existence [15].

REMERCIEMENTS

L’auteur adresse ses remerciements à H. LECOULS, J.P. LENORMAND, C. FELIX, M. SELLIN, J. BOULVARD, P. MENESTRET, J.PH. VERHOYE, D. NOURY, B. TURLIN, M.P. RAMEE, J. CHAPERON, K. LIGIER, A. BOULVARD, R. FAUCHET, N. LECLERC, S. MAUGENDRE, D. PAPE, G. SEMANA, R. TARDIVEL, L. BOIROUX, M. LESAGE, S. MARIE, F. PERNES, F. PINAULT, R. SAULNIER, Y. CHALEM.

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DISCUSSION

M. Christian CABROL

Concernant le préoccupant problème du manque de greffons, en dehors des solutions techniques que vous suggérez, ne croyez vous pas qu’il faudrait imiter en France le gouvernement espagnol qui satisfait à ses besoins en greffes (la solution existe donc !) en créant comme il l’a fait une vingtaine d’emplois de médecins plein-temps chargés d’une très importante information du public et des médecins sur le don d’organes et ne pensez-vous pas que notre Académie pourrait émettre un vœu officiel à ce sujet et dans ce sens ?

Vis-à-vis du recrutement des donneurs, l’organisation espagnole a fait la preuve depuis des années de son efficacité. Toutes les actions qui pourraient être entreprises, dans ce sens ou dans d’autres, par l’Académie et son Groupe de Travail « Transplantation » seraient certainement utiles pour combattre cette pénurie.

M. Iradj GANDJBAKHCH

L’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) est un facteur de pronostic opératoire.

Quelles explorations pratiquez-vous pour les patients avec résistances pulmonaires supé- rieures à 4 unités Wood ? Quand et quelle machine d’assistance circulatoire utilisez-vous chez les patients très graves ?

L’HTAP constitue en effet un risque opératoire majeur dans la mesure où le ventricule droit du greffon n’y est pas préparé, fournissant jusque-là un travail limité, six fois inférieur à celui du ventricule gauche (ratio normal entre les résistances pulmonaires et systémiques). Une appréciation fine des résistances pulmonaires est donc indispensable, d’autant plus que les pressions pulmonaires sont trouvées élevées au cathétérisme basal.

Le cathétérisme doit donc être couplé avec des épreuves pharmacodynamiques faisant varier les deux termes de l’équation : augmentation du débit cardiaque par les inotropes (dobutamine), diminution des pressions pulmonaires par les vasodilatateurs (prostacycline et monoxyde d’azote). Les variations obtenues permettent de discriminer au sein des résistances, la part post-capillaire, accessible à la transplantation, et la part pré- capillaire largement fixée. Nous n’utilisons plus guère les pompes centrifuges, insuffisantes dans les formes sévères et avons recours aux assistances pneumatiques pulsatiles extracorporelles de type Thoratec qui fournissent un support puissant et une large gamme de débit.

M. Daniel LOISANCE

La pénurie d’organes pose, outre des problèmes éthiques majeurs, un problème quotidien.

De quelle manière gérez-vous ce problème lors de la discussion préalable à l’inscription sur la liste d’attente, et lorsqu’un greffon est disponible, l’allocation de ce greffon à un donneur ?

L’inscription sur la liste d’attente est déterminée avant tout par les critères cardiaques :

atteinte profonde et irréversible de la fonction, en l’absence de contre-indication d’ordre général. En présence d’un greffon, les critères de compatibilité (gabarit, groupe sanguin, sexe,…) exercent une sélection souvent déterminante. Sinon, il est tenu compte du degré de gravité : status I A (support mécanique, réanimation lourde), status I B (stabilité sous assistance ou inotropes), status II (hors hôpital), ainsi que de l’âge.

M. Michel BOUREL

Quel mécanisme pour une cholécystite aiguë ? Quels motifs pour une double transplantation cardiaque et rénale ? Quelle différence dans la série entre les résultats de la transplantation avec conservation des oreillettes et la transplantation avec cardiectomie totale ?

Un cas de cholécystite aiguë a été observé. C’est une complication exceptionnelle mais néanmoins connue dans les suites de la chirurgie cardiaque, sans spécificité vis-à-vis de la transplantation. La conservation des oreillettes du receveur, première technique historique de Lower et Shumway, reposait sur un argument de facilité technique mais imposait une capacité atriale supplémentaire et anormale au détriment de l’hémodynamique. Sur ce plan, la résection totale de l’OD et subtotale de l’OG, désormais adoptée, est un meilleur concept. Dans notre série, elle a correspondu aussi à la disparition des blocs sino-auriculaires.

M. Yves GROSGOGEAT

Existe-t-il des variations régionales à la liste d’attente et à l’accès à la greffe ? Les troubles du rythme et spécialement le flutter auriculaire peuvent-ils être le premier indice d’un rejet ?

Certains troubles du rythme graves et rebelles à tout traitement peuvent-ils constituer une indication à la transplantation ?

Il existe au sein des 7 régions françaises des variations, tant en termes de donneurs recensés, de donneurs prélevés que de receveurs greffés. Si l’on veut considérer l’égalité d’accès à la greffe, l’analyse des chiffres — même rapportés au million d’habitants — est compliquée par l’existence de glissements inter-régionaux. Bien qu’elle ne soit pas spécifique, la survenue de troubles du rythme auriculaire est toujours à prendre en considération et doit, par principe, faire rechercher un rejet.

M. Jean-Luc de GENNES

En ce qui concerne les lésions de la paroi artérielle, ces lésions correspondent-elles à des lésions ressemblant fortement à l’athérosclérose ou sont-elles différentes avec des composantes distinctes, notamment auto-immunes ? Y a-t-il plus de lésions coronaires de type
athérosclérose dans les cœurs greffés quand le receveur appartient au groupe des cardiopathies ischémiques ?

Les lésions artérielles reconnaissent essentiellement un mécanisme immunologique et font parler de rejet chronique. Elles ne sont pas spécifiques de la transplantation cardiaque et sont désignées de façon plus générale sous le terme de vasculopathie du greffon ou de maladie vasculaire de l’allogreffe. Ces lésions sont représentées par un épaississement intimal concentrique à développement progressif et diffus qui intéresse toute l’allogreffe, non seulement les artères coronaires mais aussi les veines, les gros vaisseaux (aorte et artère pulmonaire) et leurs vasa vasorum . Initialement, l’atteinte intimale est surtout cellulaire : lymphocytes T, macrophages, cellules musculaires lisses. Ultérieurement, la cellularité devient moins riche et des cristaux de cholestérol peuvent être retrouvés. A long terme, les lésions peuvent être celles d’une athérosclérose ordinaire. C’est dire qu’au mécanisme immunologique initial se surajoutent les facteurs de l’athérosclérose (hypercholestérolémie, HTA, diabète,..). C’est pourquoi ces lésions sont plus fréquentes dans le groupe des cardiomyopathies ischémiques dont les résultats éloignés sont en général inférieurs à ceux des CM primitives ou valvulaires.

M. Jean-Daniel SRAER

Depuis le traitement préventif du CMV, la survie du greffon a-t-elle augmenté ? Comment peut-on différencier l’artériopathie dite « de rejet » d’une toxicité vasculaire de la ciclosporine ? L’état de la fonction rénale antérieur à la greffe modifie t-il l’état fonctionnel du greffon ?

La nocivité de l’infection à CMV, favorisant entre autres le rejet, a été reconnue de longue date et il est admis qu’un traitement préventif par l’acyclovir pendant plusieurs mois est nécessaire. Nous avons, quant à nous, adopté cette pratique dès le début de notre expérience. L’artériopathie du rejet possède une spécificité histologique témoignant de son caractère immun. Les insuffisances rénales sont parfois susceptibles de régression grâce à l’amélioration des conditions hémodynamiques. À l’inverse, une agravation peut survenir au cours de l’évolution, liée à la toxicité de la ciclosporine. Une insuffisance rénale sévère est une contre-indication à la transplantation, sauf si l’on peut réaliser une double transplantation, ce que nous avons réalisé deux fois avec des survies de 6 et 7 années.

M. André VACHERON

Avez-vous eu dans votre série des cancers probablement induits par les traitements immunosuppresseurs ? Le typage HLA diminuera t-il ces complications ? Certaines équipes en ont elles déjà l’expérience ? La défaillance des greffons dans votre série était elle le fait d’organes provenant de sujets âgés, peut être atteints de cardiopathie ischémique méconnue ?

Les cancers constituent la cause principale de la mortalité tardive dans notre série (21 sur 60 décès, 35 %). Quatre cas étaient liés à l’immunosuppression (3 lymphomes et un sarcome de Kaposi). La majorité ne revêtait pas de caractère particulier et était liée au terrain plus qu’au traitement. Plusieurs études rétrospectives ont montré que les résultats étaient d’autant moins bons que le nombre de discordances HLA A, B, et surtout DR était plus important. Concernant l’âge des donneurs, l’analyse statistique de notre série
n’a pas retrouvé de caractère péjoratif. Dans la littérature, les résultats à ce sujet sont discordants, même s’il est généralement admis qu’il faut éviter les donneurs âgés de plus de 50-55 ans. Nous avons pu parfois, dans ce contexte, effectuer des coronarographies qui nous ont conduit à refuser ces donneurs en raison de lésions importantes.

M. Denys PELLERIN

Vous avez exprimé votre espoir dans l’utilisation de la xénotransplantation. Pensez-vous que l’application du principe de précaution (risque de rétrovirus, prion,…) qui a porté un coup d’arrêt au développement de cette technique a quelque chance d’être bientôt levée ? Vous avez souligné les singularités de votre groupe qui bénéficie quelquefois de la proximité donneur-receveur dans le cadre de la région Ouest. Avez-vous pu distinguer quelle est la motivation et le mode d’expression du refus du don ? Ne pensez vous pas qu’au-delà de la notion d’autonomie de la personne dérivant directement de la Déclaration des Droits de l’Homme il conviendrait maintenant de mettre l’éclairage sur la « personne » membre du corps social, et au-delà de ses droits, son devoir social de solidarité, ici si clairement représenté par un don d’organe ?

Sans même envisager l’hypothèque virale, la xénotransplantation ne saurait être, dans l’état actuel de la recherche, présentée comme la solution d’avenir. À l’inverse, elle ne saurait non plus être écartée. Les équipes impliquées dans ces travaux considèrent que les résultats actuellement acquis dans le contrôle du rejet vasculaire (survie médiane de 72 jours et maximale de 103 jours dans la greffe abdominale de cœurs de porcs transgéniques chez le babouin) laissent entrevoir une possible application clinique prochaine. Le refus constitue encore aujourd’hui la cause première des non-prélèvements. Il s’agit très rarement d’un refus personnel inscrit au Registre National (près de 40 000 inscriptions au 31.12.1999) mais plutôt d’un refus familial. Cette notion incite à améliorer l’information du public en soulignant le devoir social de solidarité.

Bull. Acad. Natle Méd., 2003, 187, no 2, 325-343, séance du 4 février 2003