Résumé
Les circonstances de l’apparition de l’obésité épidémique aux États-Unis vers les années 1980 sont brièvement rapportées. C’est principalement aux enfants que se rapportent les faits rassemblés par une abondante quête bibliographique. L’importance relative de la consommation de lipides, de protides et de glucides est soulignée, mettant en relief l’attrait de la saveur sucrée et le processus neuro-chimique du plaisir. En revanche l’auteur insiste sur le rôle singulier du lactose : à faible pouvoir sucrant, il n intervient pas dans ce circuit et ne provoque pas d’appétit du nourrisson. Ensuite les apports lipidiques et glucidiques aux enfants et aux adolescents sont souvent excessifs si une activité physique soutenue n’entraîne pas des dépenses équilibrées. Fruits et légumes sont insuffisamment présents dans le régime, surtout chez les populations peu fortunées. La sédentarité causée par la télévision et les jeux vidéo sont un facteur majeur du déséquilibre. Au lieu d’eau, les enfants boivent trop de boissons sucrées, apports de sucres en supplément non comptabilisé.
Summary
How the epidemic obesity appeared in the United States during the eightys. Respective intake of fats, proteins and saccharids in the diet is notified. Sugars such as sucrose provide pleasure and reward specially by infants and children. Lactose occurs in the life of the newborn with a peculiar situation ; its sweetening effect is weak and devoid of any neurochemical stimulation. The amounts of lipids and sugars in the daily diet are frequently excessive if physical activity is inappropriate. TVdinners are specially endangered. Eating too much snacks disrupts the physiological rhythm of the digestive economy. The carbonated soft beverages are used instead of water, affording large amounts of inapparent sugars. Ice creams are often too rich in sugars and lipids. Fruits and vegetable fibers fail in the diet.
Sans exclure d’éventuelles influences génétiques, qui prédisposeraient certains sujets, et sans écarter de possibles déséquilibres neuro-humoraux, il est rationnel, comme l’estiment de nombreux experts, de prendre en compte les changements des habitudes de vie survenus depuis une vingtaine d’années aux États-Unis [23, 29, 30], plus récemment dans d’autres pays dits industrialisés.
Schématiquement le surpoids résulte soit d’apports alimentaires excessifs, soit de dépenses réduites, soit encore de ces deux ensembles conjugués. La mise en réserve de lipides est un processus physiologique normal qu’il serait intéressant de mieux étudier, par exemple en physiologie comparée, chez les oiseaux migrateurs, les cétacés des mers froides, les camélidés… Ces graisses accumulées peuvent être comparées aux combustibles dont on charge les avions pour le fonctionnement des moteurs. Elles contribuent en outre à d’autres rôles : une isolation thermique, le modelage du corps, la protection mécanique contre les traumatismes. Un exemple trivial était naguère celui de porcs soumis à une suralimentation à base de céréales, betterave et pomme de terre, en vue de l’obtention d’une graisse abondante.
Dans l’histoire des hommes, la fonction d’épargne s’est souvent traduite par une considération flatteuse du surpoids — l’embonpoint était regardé comme un signe de richesse, de réussite, comme un modèle tel qu’on peut l’observer sur des statuettes de femmes callipyges de l’époque magdalénienne. En revanche on ignore l’obésité en période de famine…
Pour leur part, les dépenses sont dues au fonctionnement digestif, à l’activité nerveuse, à la thermogenèse, à la construction des tissus et organes, spécialement chez les sujets jeunes, au travail musculaire. Si une maigreur habituelle est le fait des déshérités, l’obésité est la sanction obligée d’une épargne excessive, caricaturale chez les nantis et les gloutons. Or, les variations journalières de l’alimentation sont larges (fi 23 %), à la différence des dépenses restant assez constantes, de fi 2 % [18].
Dans les conditions habituelles de la vie moderne, les estimations des dépenses ne sont pas toujours judicieuses, celles de la thermogenèse étant souvent surestimées :
la température ambiante des lieux de séjour et de travail est passée de quelque 15-18°C à plus de 20° C maintenant. D’autre part, du fait de l’urbanisation intensive, de la mécanisation systématique, de la multiplication des ascenseurs et des automobiles, de la généralisation du ramassage scolaire… les dépenses musculaires individuelles sont réduites.
De leur côté les entrées bénéficient souvent d’une propagande publicitaire abusive [21] qui influence trop souvent le comportement des enfants. Trop souvent sédentaires, possèdent-t-ils les mécanismes de régulation suffisants pour porter une attention raisonnable « d’une part aux aliments manufacturés à densité énergétique élevée et d’autre part aux aliments conçus pour ne pas nourrir, tout en ayant des propriétés sensorielles agréables ? » [2]. Or, contre toute logique, les enfants ont tendance à privilégier les aliments à fort pouvoir énergétique en délaissant légumes et fruits riches de fibres et pauvres en calories, ce que l’on constate habituellement dans les restaurants communautaires et même à domicile.
Pour apporter un complément à l’étude collective de notre Compagnie, deux séries de réflexions seront retenues ici : I — un bref exposé historique de l’apparition des premiers cas aux États-Unis. II — un essai d’analyse de plusieurs incidences alimentaires et physiologiques, touchant particulièrement les enfants.
Apparition de l’obésité épidémique.
En 1970, le saccharose passait pour favoriser une suractivité féconde, favorable au sportif (l’aliment du muscle) et à l’intellectuel (l’aliment du cerveau). Mais les cours mondiaux du sucre s’envolèrent brusquement, ce marché étant connu pour sa « volatilité », ce qui conduisit au renchérissement des produits alimentaires aux États-Unis (1972-1973).
Des raisons socio-économiques et politiques obligent alors le gouvernement amé- ricain à réagir alors au plus vite, en pleine guerre du Vietn am et à mettre sur le marché des produits alimentaires moins chers et accessibles aux plus pauvres, cela sans rompre l’équilibre entre la production intérieure et les achats [7]. La meilleure solution alors, paraît être l’importation massive de corps gras peu chers, d’origine tropicale. Malgré leur valeur nutritionnelle discutée, ils seront disponibles à bas prix.
Un second remède est, par application de travaux japonais antérieurs, la fabrication de glucose et de fructose par hydrolyse de l’amidon de maïs, produit en abondance.
Désormais les sirops de fructose et de glucose occuperont une large place sur le marché, en concurrence du saccharose traditionnel. Deux catégories majeures d’aliments sont donc devenus largement disponibles, favorisant la consommation générale. En outre l’introduction de fructose en sirop, à pouvoir sucrant supérieur à celui du glucose, aura pour conséquence de permettre aux fabricants de boissons de type coca d’accroître les volumes des flacons tout en réalisant de substantiels bénéfices [7].
Deuxième circonstance : une forte impulsion donnée aux restaurants fast foods .
Comme leur clientèle se réduisait, les promoteurs réagissent avec vigueur : plutôt que de procéder à des rabais, ils accroissent les rations avec des prix dégressifs . Le succès des plats géants est alors immédiat, conduisant vite à une fréquentation accrue et assidue. Bénéficiant de rations surabondantes et peu coûteuses, de nombreux clients adultes se mettent à les consommer de façon habituelle et prennent goût à cette gloutonnerie : sans en prendre conscience les clients deviennent boulimiques ! En 1999, à eux seuls, ils dépenseront 66 milliards de dollars sur les 110 obtenus au total par les entreprises de fast foods .
En observant ces gros mangeurs à allure de goinfres, apparemment comblés et en nombre croissant, les jeunes adultes [13] et les enfants, spécialement dans les couches mal nourries de la population, suivent ces modèles insolites, mais séduisants.
À cette époque (années 1980), le changement du comportement des enfants trouve en outre des racines profondes du fait de l’évolution des mentalités, en Californie, touchant le rôle de la mère de famille, la discipline des repas, le choix des aliments.
Les nouveaux penseurs conseillent de laisser les jeunes décider de leur alimentation, rejetant à leur guise les règles classiques jugées contraignantes [23, 29, 30].
Autre élément économique à retentissements sociaux, les progrès des industries agro-alimentaires font éclore en nombre croissant les snacks , c’est-à-dire des encas, viennoiseries et diverses friandises, riches en lipides et en glucides et dépourvus de fibres végétales. Leur succès grandissant concorde avec les conseils des puériculteurs d’avant garde qui recommandent une totale indépendance pour les choix alimentaires des enfants. Au lieu d’être des suppléments occasionnels aux repas à heures fixes, ces snacks deviennent les aliments presque exclusifs consommés de façon fantaisiste et répétitive [33]. Cette pratique contribuera largement à la désorganisation du schéma alimentaire habituel avec ses conséquences physiologiques et, en même temps, au déséquilibre des relations familiales [7].
Il faut souligner aussi le rôle néfaste de l’obéissance servile à la télévision qui s’accompagne de repas sans relief et d’une abondante prise d’aliments quelconques à toute heure ( TV dinners ) — tout cela les auteurs français le dénonceront également [2].
Aux États-Unis encore l’affaire des boissons sucrées se met bientôt à jouer un rôle majeur chez les jeunes. Après la découverte des vitamines et de leurs fonctions, une nouvelle industrie se développe : celle des jus de fruits. Peu à peu on se met à les sucrer, le succès de la saveur douce allant dans un sens inverse de celui de l’amertume. La consommation des soft drink est actuellement le fait d’environ 2/3 des filles et de 3/4 des garçons enfants et adolescents. Or la prévalence des jeunes en surpoids ou franchement obèses s’élève à 20 % de la population. On ne peut manquer de signaler la célèbre enquête de Ludwig & coll . [22], auprès d’adolescents de Boston :
ils consommaient cinq fois plus de boissons sucrées que le faisaient leurs devanciers en 1950. Quant au surpoids et à l’obésité, naguère rares, ils se sont régulièrement élevés, ces auteurs calculant que chaque verre supplémentaire de boisson sucrée quotidiennement absorbé augmente de 1,6 le risque relatif d’obésité associée.
Autre trait dominant de l’alimentation américaine, peut-être sous influence italienne : la forte consommation d’ ice creams. Riches en lipides (crème du lait), on les charge de sucre à haute teneur pour compenser l’effet du froid. Aromatisés surtout à la vanille, ils sont devenus les desserts presque obligés des restaurants collectifs.
Cet aromate à saveur doucereuse (vanilline) contribue-t-il à créer des circuits neurochimiques de plaisir, étant donné l’existence de récepteurs vanilloïdes et de relations avec le NMDA [9, 15] ?
Créant des émules par esprit d’admiration et d’imitation, ces habitudes passèrent en Grande-Bretagne vers 1985 et cinq ans après sur le continent [1].
Nouveaux regards sur les aliments et les nutriments
C’est le cas des jeunes enfants qui sera considéré en priorité ici. En ce qui concerne les lipides, dont l’accumulation sera en cause, retenons que les chaînes des acides
gras ne subissent souvent que peu de modifications au cours de la digestion, puis de la mise en réserve dans les adipocytes. D’un point de vue énergétique, les lipides couvrent environ la moitié des besoins du nouveau-né, puis du nourrisson. Ils passent pour responsables de l’appétence au lait maternel [16].
De façon générale, la grande palatabilité des aliments gras va généralement à l’inverse de leur pouvoir de rassasier, inférieur à celui des glucides et des protides, ce qu’on peut constater déjà chez des enfants âgés de quelques années [32]. Au cours de cette phase de la jeune enfance, on a d’ailleurs décrit une « hyperphagie due aux lipides », une suralimentation passive. Dans les restaurants collectifs en particulier, on peut constater la faveur accordée aux aliments frits, charcuteries grasses, mayonnaises et autres sauces ajoutées aux aliments carnés. Toutefois cette explication simpliste ne satisfait pas tous les auteurs.
Quant aux protides, leur rôle est peu fréquemment soupçonné, mais RollandCachera & coll. [27] l’ont souligné au début de la vie, avec une relation significative entre les apports protéiques à l’âge de 10 mois, l’IMC, l’indice de masse corporelle et la disposition des réserves lipidiques dans l’organisme à des âges plus avancés : un excès de protéines, venant de préparations de substitution au lait maternel favoriserait une future surcharge pondérale en même temps qu’une réduction de la sécrétion de l’hormone de croissance (hGH) et de la lipolyse.
On dénombre une vingtaine de travaux sur cette question. Parmi eux, une large enquête réalisée sur 10 000 enfants par des auteurs bavarois [19] montre que les enfants nourris au sein de façon prolongée ont significativement moins de chances de manifester surpoids et obésité que les enfants nourris par des laits de substitution.
Ces recherches devront être reprises parmi d’autres populations et pour déceler les causes de cet intéressant comportement.
Les sucres nous retiendront plus longtemps. Comme le souligne Fantino [11], l’attrait pour le sucré est présent dès les premières heures de la vie. La vitesse de succion du nouveau-né et le volume de son repas sont augmentés si du sucre est ajouté au lait du biberon. Dès ce moment peut s’installer un système de récompense bien connu en physiologie et en pharmacologie, sur lequel nous reviendrons. Certains sucres de la ration quotidienne occupent une place à part du fait que seule la saveur sucrée est liée à la notion de plaisir [4, 6, 8, 12]. Mais cette conception n’est pas partagée par tous les auteurs. Peut-être faudrait-il attacher plus d’importance à l’index glycémique, les aliments à index élevé ayant le pouvoir de favoriser l’hyperphagie des sujets adolescents obèses.
Quant aux oligosaccharides (plus de 100 ont été reconnus dans le lait humain), leur rôle commence à être mieux connu. Notre confrère Lestradet [20] insistait sur l’intérêt de l’allaitement pour protéger le nouveau-né de plusieurs infections digestives et respiratoires. Plusieurs auteurs, maintenant moins préoccupés par les immunoglobulines que naguère, montrent que ces dérivés glucidiques (en particulier des mucines) entravent la fixation des bactéries et virus sur les récepteurs des cellules épithéliales du jeune consommateur de lait. Ils pourraient bien
servir de modèles pour la synthèse imitative de médicaments anti-infectieux d’un nouveau style.
Apparemment sans secret, le lactose est pondéralement majoritaire [17, 25, 26, 28].
Dans la molécule de ce disaccharide, la portion galactose servira à la construction des galactolipides du cerveau, l’excès de cet hexose devant être isomérisé en glucose, nutriment de toutes les cellules, ultérieurement et de façon progressive, par un système enzymatique du nourrisson. Chez le fœtus, l’apport glucidique était assuré simplement sous forme de glucose, directement depuis le sang maternel. Dans le lait, l’apport glucidique, au rôle considérable, est assuré par le lactose qui est une sorte de proglucose , un transporteur discret à la fois de glucose et de galactose, à faible saveur sucrée (pouvoir sucrant relatif inférieur à 30 % de celui du saccharose). De la sorte le petit mammifère ignorera longtemps la saveur franchement sucrée, la seule pour laquelle il manifeste un réel attrait. Là se trouve probablement la raison du passage, surprenant d’un point de vue de l’économie énergétique, du glucose au lactose, dans la glande mammaire de la mère, puis de l’hydrolyse du lactose et de l’isomérisation du galactose chez son petit [9].
Nourri au sein, le nourrisson règle parfaitement sa consommation sans excès et, partant, la production mammaire de sa mère [26], à la différence de ce qui se produit au cours de l’alimentation au biberon qui peut entraîner plus facilement un surdosage.
Or on a admis, à la suite des travaux de Blass depuis 1988 [5], confirmés par plusieurs autres équipes, la notion que plusieurs sucres (saccharose, glucose, fructose) possè- dent des propriétés analgésiques. Outre cet effet, il faudrait parler de la sensation de plaisir procurée par l’absorption de sucre. Cela était connu confusément dans les traditions ancestrales de divers pays et de nombreuses infirmières spécialisées en pédiatrie. À la suite de nombreuses publications confirmant et précisant les premiè- res observations, peuvent être retenus les points suivants. Téter réduit la dépense d’énergie par suppression des cris et de l’agitation, diminue la fréquence cardiaque et la réactivité à toute stimulation éventuellement nuisible. Administrée par voie orale, une solution de saccharose (2 ml d’une solution 0,17 à 0,51 molaire, soit à 342 g de saccharose / 1 litre d’eau). chez le nourrisson et chez le Raton élève le seuil douloureux, réduisant des 2/3 l’intensité de la douleur. De type tout ou rien, la réponse se manifeste après un délai optimal de deux minutes. Glucose et fructose sont actifs à l’instar du saccharose. En revanche, à la concentration allant de 0,17 à 0,51 M, le lactose n’est pas analgésique [4].
Cette action paraît due à l’intervention d’opioïdes endogènes (bêta-endorphines) puisque, chez le Rat, l’effet est bloqué par l’administration de naloxone ou de naltrexone, antagonistes des récepteurs mu et que l’effet ne se manifeste pas si la mère de l’enfant avait reçu de la méthadone au cours de sa grossesse.
De la sorte l’administration de sucre est devenue le traitement analgésique le plus efficace et le plus anodin au cours des circoncisions, fréquentes aux États-Unis, et également des prélèvements de sang au talon. Cette première rencontre du jeune
enfant avec la saveur sucrée induit-elle la création d’un système d’information neurochimique définitif au cours de toute la vie, rejoignant ce que l’on savait déjà du système dopaminergique, dont il a été déjà question dans un exposé précédent ?
Il convient de souligner à ce point de vue le souci du législateur (arrêté du 11 janvier 1994) et des fabricants de laits de substitution du premier âge et des laits de suite d’apporter des sucres nécessaires à la nutrition, mais pour la très grande majorité dépourvus de pouvoir sucrant. C’est pourquoi on fait une si large place aux maltodextrines.
De nouveaux contacts avec les produits sucrés se produisent avec les préparations industrielles appelées « petits pots ». Avant de faire prendre ces produits par leurs jeunes enfants, il est fréquent que les mamans les goûtent et ce sont leurs références gustatives qui modulent le choix et guident les décisions des fabricants.
Cela explique que nombre des préparations à succès commercial sont plus sucrées qu’il ne conviendrait pour les jeunes enfants : teneur de 10 à 16 % en sucres assimilables pour des compotes, des plats de carottes et autres légumes, cela dès l’âge de quatre mois comme le soulignent les étiquettes. Le goût du sucre va donc s’ancrer dans le système sensoriel de l’enfant, à la différence de ce qui se serait passé si, selon le dispositif naturel, l’enfant avait continué de n’être alimenté que par allaitement.
Ensuite les étalages attrayants et les publicités alléchantes à la télévision inviteront de façon réitérée les enfants à consommer. Les données réunies par des organismes officiels en France [CREDOC, INSEE, SCEE, DGCCRS] et au cours de certaines enquêtes de journaux sont instructives en ce qui concerne ces aliments solides et les boissons.
Autres rencontre s
En effet les boissons sucrées ( sweet drinks, soft drinks, carbonated drinks, sodas) apparaissent comme un des facteurs prépondérants parmi les causes alimentaires.
Tandis que naguère les enfants se désaltéraient avec de l’eau, ils consomment maintenant surtout force jus de fruits et boissons rafraîchissantes , classées selon les catégories officielles actuelles. En France, la progression est importante : pour les jus sucrés et les colas respectivement (en millions de litres 287 et 355 (1988) ; 833 et 844 (1998) ; 882 et 866 (1999) (Service central des enquêtes et statistiques du ministère de l’Agriculture). La charge de saccharose par litre y atteint souvent 100 g, parfois 150 g. Or la pression osmotique de toute boisson fortement sucrée la rend moins désaltérante que l’eau et invite le buveur à réitérer. Comme les sucres dissous échappent à son attention, ils ne sont pas comptés dans la ration calorique [3]. Et les étiquettes sont-elles lues avec attention ?
En France, pour ne pas être de reste, on a multiplié les points de distribution de ces boissons, y compris dans les centres d’enseignement où elles contribuent parfois au financement des caisses scolaires…
La progression récente de l’obésité des enfants en Chine s’explique en grande partie par l’imitation que les petits Chinois font du modèle américain, absorbant en particulier des boissons sucrées, sodas et cocas à gros succès.
Autre remarque, l’étiquetage est notoirement insuffisant en ce qui concerne les boissons dites rafraîchissantes : les flacons et boîtes métalliques qui les contiennent sont loin de porter toutes les précisions désirées. On n’indique pas la teneur exacte en sucres à fonction édulcorante et en caféine. Quelle est la position administrative obligatoire ? Il semble en être de même dans le cas des barres de chocolat fourrées.
Le sucre récompense est un autre aspect, à la fois trivial et plus secret à regarder avec réalisme. Il est habituel chez les dresseurs d’animaux, herbivores tel que le cheval et même carnivores comme le chien. Ce type de gratification se retrouve lorsque, à un enfant, on promet, s’il est sage, une sucrerie — on retrouve le schéma signalé à propos des nouveau-nés souffrants. Fort étudiée chez le rat et chez le singe, cette récompense possède ses racines dans les organes du diencéphale avec la production de dopamine et d’endorphines. Puisque l’animal d’expérience est soumis à des contraintes orchestrées par la production et la mise en action de ces effecteurs, comment l’espèce humaine y échapperait-elle ? Bien que garantis contre une éventuelle pénurie, par leurs surabondantes réserves adipeuses, les obèses se précipitent goulûment sur toute sucrerie disponible, comme dominés par un besoin incoercible pour euxmêmes, une véritable dépendance.
Il conviendrait de regarder aussi la place privilégiée du chocolat qui associe divers facteurs à la présence de constituants pharmacologiquement actifs [6], la phénylé- thylamine à propriétés sympathomimétiques modestes et la théobromine (méthylxanthine). Il n’est pas étonnant que le chocolat soit une sorte de refuge, d’alimentmédicament, qui procure du plaisir par les circuits neuro-chimiques déjà présentés.
Il est particulièrement consommé par des jeunes femmes lors de moments périodiques de découragement et de légères dépressions.
Remarquable également est l’importance du café dans la vie des citadins actuels. Or c’est un agent pharmacologique à multiples effets que la caféine, trop fréquemment présente, à des doses non indiquées au consommateur, par exemple dans les boissons de type cola .
Vivant au contact de maîtres obèses, des animaux de compagnie sont eux-mêmes en surpoids, ce qui prouve la facilité des dérives alimentaires et rend moins plausible l’hypothèse étiologique d’une survenue de mutations.
Puisque des animaux (oiseaux, cétacés des mers froides) utilisent efficacement le système d’épargne des graisses, on peut espérer que l’homme, qui s’estime d’une essence supérieure, parvienne volontairement à rééquilibrer ses dépenses énergétiques. Jadis, au moment de son introduction dans la langue française (1354), le mot gourmand qualifiait celui « qui mange avec avidité ». Cette signification appuyée avait fait placer la gourmandise parmi les péchés capitaux de l’Église catholique. De nos jours, le sens s’est beaucoup affaibli dans le vocabulaire de la gastronomie. Il
n’en reste pas moins qu’une tentative de lutte contre le surpoids et l’obésité exige nécessairement un retour à la maîtrise de soi.
CONCLUSION
Peut-être des facteurs génétiques pourraient-ils intervenir en supplément, mais, par la simple observation de faits historiques, ce sont les facteurs alimentaires qui impriment puissamment leur marque dans l’installation et le maintien de l’obésité épidémique.
Si des mesures judicieuses ne sont pas rapidement prises, l’épidémie continuera de se répandre, touchant les enfants avant qu’ils deviennent des adultes obèses et les maladies provoquées par l’obésité se déchaîneront. Il est beaucoup plus facile de prévenir que de traiter.
Quelles mesures ? Respecter la régularité du rythme des repas, leur composition équilibrée avec l’indispensable présence de légumes et de fruits, proscrire le grignotage à toute heure, écarter les friandises et sucreries superflues, se méfier des aliments trop riches en calories si les dépenses physiques ne les réclament pas. Ne faire connaître au nourrisson la saveur sucrée que le plus tard possible. Prendre conscience de la création de circuits du plaisir difficiles à interrompre ensuite.
Encourager l’éducation physique, simplement la marche à pied, ne pas gaspiller un temps précieux devant les écrans de télévision et de jeux vidéos qui absorbent beaucoup trop les enfants et les rendent sédentaires.
Outre les excès alimentaires, manquent gravement des exercices physiques, adultes et enfants devenant trop sédentaires, en particulier à cause des heures très nombreuses passées devant le écrans de télévision.
Demander aux autorités et aux fabricants de l’industrie agro-alimentaire de préciser de façon bien lisible sur les étiquettes les teneurs en constituants énergétiques, particulièrement en glucides et en lipides et recommander aux consommateurs d’en tenir compte. Conseiller de réduire la teneur en sucres libres des aliments industriels comme le font maintenant des fabricants avisés.
Accompagner les règles matérielles de restriction des apports alimentaires d’un retour à une certaine rigueur dans le comportement.
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DISCUSSION
M. Gabriel BLANCHER
La saveur sucrée particulièrement intense de certains aliments consommés par le jeune enfant peut-il être un facteur d’apparition de l’obésité ?
D’après l’état des publications il semble qu’on n’ait pas enregistré de survenue d’un surpoids chez les nourrissons, mais la création de « circuits du plaisir » est faite trop tôt dans la vie de l’enfant. Ces circuits passent par la sécrétion d’endorphines depuis l’excitation des bourgeons gustatifs et la transmission à l’hypothalamus.
* Membre de l’Académie nationale de médecine, 16 rue Bonaparte — 75272 Paris cedex 06. Tirés-à-part : Professeur P. DELAVEAU, même adresse. Article reçu et accepté le 13 octobre 2003 .
Bull. Acad. Natle Méd., 2003, 187, no 7, 1379-1389, séance du 28 octobre 2003