Communiqué
Séance du 19 mai 2009

Recommandations de l’Académie nationale de médecine concernant les boissons alcooliques : responsabiliser le consommateur

MOTS-CLÉS : alcoolisme, prévention et contrôle. boissons alcoolisées. consommation d’alcool. santé publique.. troubles liés à l’alcool

Roger Nordmann (Au nom de la Commission VI : Addictions)

Roger NORDMANN *

Les boissons alcooliques font actuellement l’objet d’informations multiples et souvent contradictoires. Ces messages, plus polémiques que sanitaires, ne facilitent pas l’adoption d’une attitude responsable, tenant compte des données validées sur les conséquences sanitaires, sociales et économiques de l’usage et du mésusage d’alcool.

L’Académie nationale de médecine s’est prononcée à de nombreuses reprises depuis 2003 [1] pour délivrer un message clair de santé publique à destination du consommateur afin de lui éviter un mésusage d’alcool.

En dépit de ces mises en garde ainsi que de celles des instances gouvernementales et associatives, la prévalence d’un tel mésusage demeure cependant inquiétante. En effet, selon des données récentes [2, 3] 37 % de la tranche 18-74 ans de la population française présenteraient une consommation d’alcool à risque.

Cette forte prévalence peut être liée, pour partie du moins, à la méconnaissance par le public des circonstances au cours desquelles l’alcool doit être totalement proscrit, ainsi qu’à l’ignorance par les consommateurs réguliers de leur positionnement par rapport à l’échelle des risques encourus. [1, 4] L’Académie nationale de médecine émet donc deux recommandations :

Intensifier la diffusion des messages précisant les circonstances au cours desquelles toute consommation d’alcool est dangereuse et doit être proscrite • Grossesse et allaitement (la consommation d’alcool par la femme enceinte représente un risque à la fois pour le bon déroulement de la grossesse et pour l’enfant à naître, l’alcool étant la cause majeure de retard mental d’origine non génétique ainsi que d’inadaptation sociale de l’enfant) [5-7].

• Enfance et préadolescence (période fragile de maturation cérébrale et de développement de la personnalité) [8].

• Association avec la prise d’autres substances psychoactives ou de certains médicaments, en particulier psychotropes ou antihistaminiques.

• Ponctuellement (en raison des effets de l’alcool sur la vigilance et l’attention) dans les heures précédant et pendant la conduite de véhicules [9], l’usage de machines dangereuses ou l’affectation à un poste de sécurité (l’alcool au volant est devenu, depuis 2006, la première cause de mortalité routière devant la vitesse, le défaut de port de ceinture et l’usage de téléphone portable [10]).

Préconiser à tout consommateur régulier de pratiquer périodiquement une auto-évaluation individuelle et volontaire des effets qu’il encourt en s’astreignant à une journée « zéro alcool ».

C’est l’occasion pour lui de se poser des questions simples qui lui permettront de tester (sans recourir d’emblée à une consultation médicale ou des examens biologiques complémentaires) si sa consommation demeure ou non dans le domaine du simple usage (pour lequel le risque, s’il n’est pas nul, apparaît acceptable pour l’individu et la société) et non du mésusage (caractérisé par des dommages prévisibles ou déjà présents d’ordre médical, psychologique ou social) [11] :

• Supporte-t-il sans aucun problème de vie personnelle ou professionnelle et sans aucun état de manque apparent cette abstention de vingt-quatre heures ?

Cette éventualité n’implique pas de modifier à court terme l’usage de boissons alcooliques, mais ne dispense pas de rester vigilant, en particulier en renouvelant à intervalles réguliers la pratique d’une journée sans alcool et le questionnement sur son ressenti.

• Éprouve-t-il, au contraire, une quelconque gêne, un désagrément ou une sensation d’être privé d’un élément qui semble concourir à son bien-être ?

Son entourage lui signale-t-il un comportement inhabituel au cours de cette journée sans alcool ?

Ces éventualités traduisent, presque à coup sûr, un mésusage d’alcool qui doit conduire à modifier profondément sa conduite d’alcoolisation.

Des conseils et un soutien sont alors indispensables. Ils peuvent être obtenus grâce à des lignes d’écoute téléphoniques spécialisées [12] et à des brochures destinées à faire le point sur la consommation d’alcool [13]. Le recours à un médecin généraliste ou à une consultation spécialisée en alcoologie s’avère cependant la méthode la plus efficace pour responsabiliser le consommateur face à l’alcool.

Le praticien pourra, en effet, détailler, sans culpabiliser, les conditions d’usage d’alcool dont les conséquences dépendent de multiples facteurs (sensibilité individuelle, modalités de consommation, nombre d’unités d’alcool consommées quotidiennement, relation avec les repas, etc.). Il pourra alors donner des conseils adaptés à chaque cas particulier, recommandant soit l’abstention, soit une consommation responsable en faisant appel, si nécessaire, à des consultations spécialisées, dont la disponibilité sur tout le territoire national a fortement progressé grâce notamment aux plans gouvernementaux 2004-2008 et 2008-2011 de lutte contre les drogues et les toxicomanies [14], ainsi qu’au plan 2007-2011 de prise en charge et de prévention élaboré par le Ministère de la Santé et des Solidarités [15]. Le praticien pourra également prendre en compte une éventuelle consommation associée d’autres produits psychoactifs, comme le tabac ou le cannabis, afin de mieux guider une démarche de responsabilisation globale. Il pourra aussi conseiller, le cas échéant, d’entrer en contact avec des associations particulièrement concernées par le mésusage d’alcool.

La responsabilisation du consommateur à l’aide du test d’auto-évaluation préconisé devrait contribuer à réduire la prévalence des conduites d’alcoolisation à risque dont les conséquences individuelles et sociétales demeurent considérables.

Une évaluation de l’efficacité des présentes recommandations devrait être réalisée à court terme.

BIBLIOGRAPHIE [1] www.academie-medecine.fr/sites_thematiques /alcool/default.htm [2] Baromètre Santé 2005. www.inpes.sante.fr [3] Bilan du plan gouvernemental de lutte contre les drogues illicites, le tabac et l’alcool 2004-2008. www.drogues.gouv.fr [4] HILLEMAND B. — Le message préventif de modération, un piège. Alcoologie et Addictologie, 2008, 30, 59-66.

[5] Recommandations de la Société française d’alcoologie : Les conduites d’alcoolisation au cours de la grossesse. Alcoologie et Addictologie, 2003, 25 (2 Suppl.), 47S-50S.

[6] NORDMANN R. — Consommation d’alcool, de tabac ou de cannabis au cours de la grossesse. Bull. Acad. Natle. Méd., 2004, 188, 519-521.

[7] GUILLEMONT J., ROSILIO T., DAVID M., LEON C., ARWIDSON P. — Connaissances des Français sur les risques liés à la consommation d’alcool pendant la grossesse. Évolutions, no 3, octobre 2006. www.inpes.sante.fr [8] NORDMANN R. — Évolution des conduites d’alcoolisation des jeunes : motifs d’inquiétude et propositions d’action. Bull. Acad. Natle. Méd., 2007, 191 , 1175-1184.

[9] CARA M. — Sur la médecine face aux accidents de la route. Bull. Acad. Natle. Méd., 2003, 187, 1169-1170.

[10] BORLOO J-L. et BUSSEREAU D. — Alcool au volant : premier facteur de mortalité.

Communiqué 18/12/2008. www.securite-routiere.gouv.fr [11] PAILLE F. — Alcool : épidémiologie, étiologie, clinique. In : Addictologie (LEJOYEUX M., Dir.), Masson, 2008, p. 71-112.

[12] Écoute Alcool : 0 811 91 30 30.

[13] Guide pratique pour faire le point sur votre consommation d’alcool. www.inpes.sante.fr [14] Plan gouvernemental 2004-2008 et 2008-2011 de Lutte contre les Drogues et les Toxicomanies. www.drogues.gouv.fr [15] La prise en charge et la prévention des addictions. Plan 2007-2011. Ministère de la Santé et des Solidarités. www.drogues.gouv.fr *

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L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 19 mai 2009, a adopté le texte de ce communiqué moins une voix contre et une abstention.

 

<p>* Membre de l’Académie nationale de médecine. Président de la Commission « Addictions ».</p>