Résumé
Les gammapathies monoclonales sont fréquentes (1 % dans la population générale). Cette fréquence augmente avec l’âge. Au plan nosologique, les gammapathies monoclonales de signification indéterminée (GMSI) sont les plus fréquentes. Les circonstances révélatrices correspondent aux situations cliniques ou biologiques conduisant à la prescription d’une électrophorèse des protides. Si le patient est asymptomatique cliniquement et biologiquement (hémoglobine, créatinine, calcémie normales) et que le taux de composant monoclonal est < 15g/l le diagnostic de GMSI peut être retenu. Par contre, en cas d’anomalies cliniques et/ou biologiques et/ou d’un taux de composant monoclonal > 15g/l, il faut rechercher un myélome multiple en cas d’Ig G ou d’Ig A ou une maladie de Waldenström en cas d’IgM. Les GMSI ne sont pas traitées mais doivent être surveillées de façon régulière et prolongée du fait du risque de transformation maligne (estimé aux environs de 1 % par an). Des facteurs prédictifs de l’évolution maligne ont été identifiés : isotype de chaîne lourde, taux de composant monoclonal, plasmocytose médullaire, dosage des chaînes légères libres sériques. La surveillance doit être annuelle, clinique et biologique (électrophorèse des protides, hémogramme, calcémie, créatinine).
Summary
Monoclonal gammapathy (MG) affects about 1 % of the general population, and its prevalence is higher in elderly subjects. Monoclonal gammapathy of undetermined significance (MGUS), the most common disorder, is asymptomatic and associated with normal hemoglobin, calcium and creatinine levels and a monoclonal component of less than 15 g/l. A B cell neoplasm should be suspected in patients with clinical manifestations and/or abnormal hemoglobin, calcium or creatinine levels, and/or a monoclonal component >15 g/l. Multiple myeloma tends to be associated with IgG or IgA MG, and Waldenstrom’s macroglobulinemia with IgM MG. Patients with MGUS do not need treatment but only yearly follow-up (symptoms, protein electrophoresis, hemoglobin, calcium and creatinine assay), as the estimated annual risk of malignant transformation is about 1 %. Factors predictive of malignant transformation include the type of serum monoclonal protein, the monoclonal protein concentration, bone marrow plasmocytosis, and the serum free light chain ratio.
Une gammapathie monoclonale (GM) désigne une immunoglobuline constituée d’un même type de chaîne lourde (alpha, gamma, mu,…) et d’un même type de chaîne légère (kappa ou lambda). Le terme de gammapathie monoclonale, introduit par Jan Waldenström [1] fait référence à la migration des immunoglobulines monoclonales au niveau de l’aire des gammaglobulines sur l’électrophorèse des protides.
Une gammapathie monoclonale témoigne de la prolifération d’un clone de plasmocyte producteur d’une immunoglobuline monoclonale et peut être révélatrice d’une hémopathie maligne (myélome, maladie de Waldenström, lymphome,…).
Cependant le caractère monoclonal n’est pas synonyme de malignité. Lorsqu’une hémopathie maligne est éliminée, l’appellation anglo-saxonne de MGUS (pour Monoclonal Gammopathy of Undetermined Significance) ou Gammapathie Monoclonale de Signification Indéterminée (GMSI) est retenue.
ÉPIDÉMIOLOGIE
La fréquence des gammapathies monoclonales est d’environ 1 % dans la population générale. Cette fréquence augmente avec l’âge : elle est de 3,2 % au-dessus de 50 ans, de 5,3 % au-dessus de 70 ans et de 7,3 % au-dessus de 85 ans dans une étude portant sur 21 463 sujets de plus de 50 ans réalisée par KYLE[2].
CIRCONSTANCES RÉVÉLATRICES
La découverte est souvent fortuite ou dans des circonstances cliniques ou biologiques conduisant à la réalisation d’une électrophorèse des protides sériques.
Cliniques :
— Altération de l’état général — Douleurs osseuses, fractures pathologiques, tassements vertébraux — Infections récidivantes — Syndrome tumoral (adénopathies, splénomégalie, hépatomégalie) — Syndrome d’hyperviscosité (asthénie, céphalées, vertiges, troubles de la conscience, saignements, …) — Manifestations systémiques dont les plus fréquentes sont cutanées (xanthomatoses, purpura vasculaire…) et neurologiques (neuropathies périphériques…) [3].
Biologiques :
— Syndrome sédimentaire avec élévation isolée de la VS sans syndrome inflammatoire — Hypercalcémie — Anémie — Insuffisance rénale — Protéinurie NOSOLOGIE DES GAMMAPATHIES MONOCLONALES
Les gammapathies monoclonales peuvent être classées en trois grands cadres nosologiques : gammapathie monoclonale de signification indéterminée (GMSI), hémopathies malignes, gammapathies associées à une pathologie non lymphoïde (tableau 1).
Tableau 1 . — Nosologie des gammapathies monoclonales :
Gammapathie monoclonale de signification indéterminée (GMSI)
Hémopathies malignes
Dyscrasies plasmocytaires malignes
Myélome multiple Amylose primaire AL Plasmocytome osseux ou extra osseux Syndrome lymphoprolifératif malin
Maladie de Waldenström Lymphome malin Leucémie lymphoïde chronique Gammapathie monoclonale associée à une pathologie non lymphoïde
Infection Maladie hépatique chronique Maladie auto-immune Déficit immunitaire Néoplasies viscérales Maladie de Gaucher
Gammapathie monoclonale de signification indéterminée (GMSI)
Elles représentent les cas les plus fréquents de gammapathies monoclonales (les deux tiers dans une population générale). Une GMSI est définie comme une gammapathie monoclonale sans aucun signe clinique ou biologique de myélome, de maladie de Waldenström ou d’une autre hémopathie maligne. Le terme souvent employé de gammapathie monoclonale bénigne doit être abandonné.
Les critères diagnostiques définis par Kyle sont principalement biologiques [4] :
— taux du composant monoclonal inférieur à 30 g/l (quel que soit le type d’immunoglobuline) — normalité de l’hémogramme, de la calcémie et de la créatininémie — chaînes légères libres urinaires inférieures à 1 g/24 heures — plasmocytose médullaire inférieure à 10 % — absence de lésions osseuses sur les radiologies standards (crâne, humérus, rachis dorsal et lombaire, bassin, fémurs) — suivi évolutif supérieur à un an Hémopathies malignes
Les gammapathies monoclonales de type Ig G et Ig A doivent être distinguées des gammapathies monoclonales de type Ig M.
Gammapathie monoclonale Ig G et Ig A.
Le principal diagnostic est le myélome multiple. Les critères diagnostiques sont basés sur la plasmocytose médullaire et le taux du composant monoclonal sérique ou urinaire. Les critères d’atteinte organique [5] sont la calcémie, la créatinine, l’hémoglobine et les radiographies osseuses. (Tableau 2). Si aucun critère n’est présent, il s’agit d’un myelome indolent. La présence d’un seul de ces critères fait retenir le diagnostic de myelome symptomatique.
Gammapathie monoclonale Ig M.
Le diagnostic de maladie de Waldenström indolente est retenu si le taux du composant monoclonal est supérieur à 30 g/l et/ou si l’infiltration médullaire est supérieure à 10 %. Le diagnostic de maladie de Waldenström symptomatique est retenu en cas d’infiltration médullaire supérieure à 10 % associée à des signes cliniques ou biologiques en lien avec l’infiltration médullaire ou la GM, quel que soit le taux du composant monoclonal.
Les autres hémopathies malignes associées à l’existence d’une gammapathie monoclonale sont résumées dans le tableau 1.
Gammapathies monoclonales associées à une pathologie non lymphoïde
Certaines pathologies non lymphoïdes ont été décrites comme favorisant l’apparition de gammapathie monoclonale. Les affections en cause sont principalement de
Tableau 2. — Résumé des critères diagnostiques définis par le Groupe International d’Étude du Myélome d’après[15].
Myélome
Myélome
GMSI asymptomatique symptomatique
Taux du composant < 30 g/l > 30 g/l Pas de valeur seuil monoclonal
Plasmocytose <10 % >10 % Pas de valeur seuil médullaire
Atteinte organique *
– – + Absence d’arguments clinique et biologique pour une hémopathie maligne B Tous les critères Un seul critère nécessaires nécessaire * Atteinte organique
Hypercalcémie >0,25 mmol/l par rapport à normale >2,75 mmol/l Insuffisance rénale
Créatininémie >173 mmol/l Anémie
Hémoglobine <2 g/dl par rapport à normale Hémoglobine <10 g/dl Lésions osseuses
Lacunes osseuses Ostéoporose avec fracture pathologique compressive Autres
Syndrome d’hyperviscosité Amylose Infection bactérienne à répétition (>2 épisodes en 12 mois) quatre types : infections, maladies auto-immunes, hépatopathies, certains déficits immunitaires Infections
Toutes les infections peuvent être associées à l’existence d’une gammapathie monoclonale. Les infections aiguës sont habituellement responsables de gammapathies monoclonales transitoires qui correspondent alors réellement à des gammapathies « bénignes ». En revanche, les infections chroniques peuvent être responsables de gammapathies monoclonales permanentes. Elles peuvent être d’origine bactérienne (endocardite, ostéomyélite, salmonellose), parasitaire et surtout virale. Trois virus semblent avoir un rôle privilégié : EBV, CMV (gammapathies monoclonales transitoires) et VIH (gammapathies monoclonales permanentes). Le virus de l’hépatite C est également fréquemment associé à l’existence d’une gammapathie monoclonale pouvant avoir une activité de type cryoglobulinémie.
Hépatopathies chroniques
La plupart des hépatopathies chroniques quelle qu’en soit l’étiologie (nutritionnelle, auto-immune, virale,…) peuvent s’accompagner d’une gammapathie monoclonale.
Maladies auto-immunes
La pathologie la plus souvent en cause est le syndrome de Goujerot-Sjögren primitif [6].
Déficits immunitaires
Un déficit immunitaire primitif ou acquis peut être associé à une gammapathie monoclonale.
Maladie de Gaucher
La maladie de Gaucher est fréquemment associée à une gammapathie monoclonale avec une prévalence pouvant atteindre 16 % dans certaines séries [7].
PRISE EN CHARGE INITIALE
Confirmation et caractérisation de la gammapathie monoclonale
L’électrophorèse des protides sériques (EPS) permet la détection des gammapathies monoclonales sous la forme d’une bande étroite migrant dans la région des gammaglobulines (figure 1) parfois dans la région des β, ou exceptionnellement dans les α2globulines. L’électrophorèse en gel d’agarose est la technique de référence. Plus récemment se sont développées des techniques d’électrophorèse capillaire de zone totalement automatisables. La sensibilité de l’EPS capillaire était meilleure que celle de l’EPS sur gel d’agarose (97,2 % contre 93,5 %) ; par contre la spécificité était moins bonne (93,7 % contre 98,9 %) [8]. L’EPS capillaire présente un avantage important car elle permet une meilleure quantification du pic d’immunoglobuline monoclonale[9].
L’immunofixation (figure 2) est indispensable pour confirmer l’existence d’une immunoglobuline monoclonale et pour sa caractérisation (type de chaîne lourde, type de chaîne légère). Elle a supplanté l’immunoélectrophorèse.
Enquête étiologique (figure 3)
L’examen clinique est une étape essentielle de l’enquête étiologique. Il doit rechercher des signes orientant vers une hémopathie maligne : adénopathies, splénomégalie, hépatomégalie, douleurs osseuses, altération de l’état général, sueurs nocturnes, infections à répétition, épistaxis, …
Fig. 1A. — Électrophorèse des protides sériques sur gel d’agarose Fig. 1B : Electrophorèse des protides sériques capillaire de zone
Fig. 2 A : Immunofixation normale B : Présence d’une gammapathie monoclonale Ig G lambda Lorsque le patient est symptomatique , des explorations complémentaires sont d’emblée nécessaires.
Chez un patient asymptomatique , la distinction entre GMSI et hémopathie maligne est parfois difficile.
Le bilan étiologique comporte en première intention un hémogramme et un dosage de la calcémie et de la créatininémie.
L’enquête étiologique [4] est ensuite poursuivie en fonction du caractère normal ou non de ces examens, du taux du composant monoclonal et du type d’immunoglobuline monoclonale.
Si le taux du composant monoclonal Ig G, Ig A ou Ig M est inférieur à 15 g/l et les examens biologiques de première ligne sont normaux :
• aucune enquête complémentaire n’est nécessaire dans l’immédiat, • le diagnostic de GMSI peut être retenu.
— Si le taux composant monoclonal est > 15g/l et/ou si au moins un des examens biologiques de première ligne est anormal , il est nécessaire de compléter l’enquête étiologique en se guidant sur le type de composant monoclonal :
• S’il s’agit d’une Ig G ou Ig A : myélogramme, bilan radiologique osseux • S’il s’agit d’une Ig M : biopsie ostéo-médullaire et/ou immunophenotypage lymphocytaire medullaire, scanner abdominal, recherche d’une cryoglobulinémie.
Fig. 3. — Algorithme décisionnel devant une gammapathie monoclonale
PRISE EN CHARGE AU LONG COURS DES GMSI
Les GMSI représente un état pré-néoplasique avec un risque de transformation maligne en hémopathie lymphoide B.
Dès 1978, Kyle décrivait l’évolution d’une cohorte de 241 patients avec un suivi de plus de cinq ans et observait 11 % d’évolution vers une hémopathie maligne [10].
Lors de la dernière mise à jour [11] la durée médiane de suivi était de 13,7 ans (0-39 ans). Seuls 14 patients (6 %) étaient encore en vie en avril 2003. Soixante-quatre patients (27 %) ont évolué vers une hémopathie maligne : 44 patients ont développé un myélome, 8 une amylose, 7 une maladie de Waldenström et 5 une hémopathie maligne lymphoïde (leucémie lymphoïde chronique, lymphome malin non hodgkinien,…). Le risque actuariel de transformation maligne était évalué dans cette cohorte à 17 % à 10 ans, 34 % à 20 ans et 39 % à 25 ans.
Afin de confirmer ces données sur une plus large population, les mêmes auteurs ont étudié une cohorte de 1 384 patients suivis pour une GMSI diagnostiquée entre le 1er janvier 1960 et le 31 décembre 1994 [12]. L’âge moyen au diagnostic était de 72 ans. La durée de suivi médiane était de 15,4 ans (extrêmes de 0 à 35 ans). Cent quinze cas (8 %) de transformation maligne ont été observés. Le risque relatif de développer un myélome était estimé à 25, une maladie de Waldenström à 46, une amylose à 8,4 et un LNH à 2,4. Le risque actuariel de transformation était estimé dans cette population à 10 % à dix ans, 21 % à vingt ans et 26 % à vingt-cinq ans, soit environ 1 % par an. Il persistait avec le temps.
Dans une étude personnelle [13], nous avons étudié rétrospectivement le devenir de 190 patients suivis pour une GMSI. La durée moyenne de suivi était de sept ans (extrêmes 1-20 ans). Le diagnostic de GMSI était maintenu chez 128 patients (67,37 %) avec une durée moyenne de suivi de quatre vingt-seize mois. Quarante et un patients (21,58 %) ont évolué vers un syndrome immunoprolifératif malin avec un délai moyen de survenue de quarante-neuf mois. Le risque actuariel de transformation maligne était estimé à 13,05 % à cinq ans et 25,14 % à dix ans.
À l’inverse des données récentes conduisent à penser que tout myélome serait précédé d’une phase de GMSI. Ainsi Landgren [14] a rapporté récemment dans une série de 71 myélomes la présence d’une gammapathie monoclonale dans 100 % et 82,4 % respectivement deux ans et huit ans auparavant.
Principaux critères prédictifs de transformation maligne
Isotype
Dès 1992, Blade signalait le rôle prédictif de l’isotype [15]. Sur une cohorte de 128 patients ils observaient cinq (23,8 %) cas de transformation parmi les 21 patients ayant une GMSI Ig A et huit (7,5 %) cas de transformation parmi les 107 patients ayant une GMSI Ig G ou Ig M (p<0,025). Ce résultat a été confirmé depuis sur de plus larges cohortes.
Dans sa cohorte de 1 384 patients, Kyle [12] observait que les GMSI Ig A et Ig M avaient un risque d’évolution plus élevé que les GMSI de type Ig G. Ce résultat a été également rapporté par Cesana [16]. Sur une cohorte de 1 247 patients Gregersen [17] évaluait le risque relatif de transformation maligne des Ig A et des Ig M respectivement à 1,8 et à 1,1 par rapport aux Ig G. Dans une étude épidémiologique ayant recensé 504 GMSI, Ogmundsdottir [18] évaluait le risque relatif de transformation des Ig A à 27,8 pour les hommes et à 62,1 pour les femmes par rapport à une population témoin. Parallèlement le risque relatif de transformation des GMSI Ig G était de 6,59 pour les hommes et de 16,5 pour les femmes.
Taux de composant monoclonal
Dans l’étude de Kyle [12], le facteur le plus discriminant était le taux de composant monoclonal. Le risque de transformation à vingt ans était évalué à 14 % lorsque le pic initial était inférieur à 5 g/L et à 49 % lorsque le pic initial était supérieur à 25 g/L.
Le risque relatif de transformation des patients dont le taux de composant monoclonal était supérieur à 25 g/L était de 4,6 par rapport aux patients ayant un taux de composant monoclonal inférieur à 5 g/L. Dans cette étude, les auteurs ne définissaient pas de valeur seuil.
Une valeur seuil du taux de composant monoclonal a été proposée par quelques auteurs. Van de Donk [19] fixait la valeur seuil à 10 g/L. Pour les patients ayant un taux de composant monoclonal inférieur ou supérieur à 10 g/L, le risque de transformation à dix ans était estimé respectivement à 4,76 % et 32,2 %. Cesana [15] définissait la valeur seuil à 19,2 g/L. Dans notre étude [13] nous avons fixé la valeur seuil à 15 g/L. Le risque de transformation maligne était évalué à 5,3 % à cinq ans et à 15,2 % à dix ans pour les patients dont le pic initial était inférieur à 15 g/L. Ce risque s’élevait à 12,1 % à cinq ans et à 33,7 % à dix ans lorsque le taux de l’immunoglobuline était supérieur à 15 g/L au diagnostic (Log Rank : 0,002).
Plasmocytose médullaire
Selon les recommandations de Kyle [4] la réalisation d’un myélogramme n’est pas nécessaire lorsque le taux de composant monoclonal est inférieur à 20 g/L en l’absence de signes cliniques ou biologiques évocateurs d’une hémopathie maligne.
Ainsi, un myélogramme n’a été réalisé que chez 12 % (160 patients) des 1 384 patients de leur cohorte [12]. Dans la plupart des études, un myélogramme a été réalisé chez une minorité de patients. De ce fait, la plasmocytose médullaire a été rarement identifiée comme facteur prédictif de transformation maligne.
Dans l’étude de Van de Donk [19] (102 patients), le risque actuariel de transformation maligne à dix ans était estimé à 0 % lorsque la plasmocytose médullaire était inférieur à 2 % contre 26,4 % lorsqu’elle était supérieure à 2 %. Pour Cesana [15] (1 104 patients), la valeur seuil était 5 %. Les patients ayant une plasmocytose médullaire entre 6 et 9 % avaient un risque relatif de transformation de 1,44 par rapport aux patients ayant une plasmocytose médullaire inférieure à 5 %. Tous les patients de ces deux cohortes ont bénéficié d’un myélogramme.
Dans une étude personnelle concernant 91 patients suivis pour une GMSI Ig G ou Ig A[20] nous avons identifié comme facteur prédictif de l’évolution maligne la plasmocytose médullaire avec une valeur seuil de 5 % (Log Rank : 0,031). Les patients ayant une plasmocytose médullaire inférieure à 5 % (65 patients) avaient un risque de transformation maligne estimé à 11,1 % à 5 ans et 19 % à 10 ans. Ce risque était plus important pour les patients dont l’infiltration médullaire était supérieure à 5 % (26 patients) : 28,2 % à cinq ans et 34,7 % à dix ans.
Dosage des chaînes légères libres sériques et rapport kappa/lambda
Les chaînes légères libres d’immunoglobulines sont présentes à de faibles concentrations dans le sérum de sujets sains. Leur demi vie sérique est courte car elles sont rapidement filtrées au niveau rénal. Du fait de leur réabsorption tubulaire importante il n’est pas possible de détecter les protéinuries de Bence-Jones avant que le seuil de réabsorption ne soit dépassé. Un nouveau test de dosage des chaînes légères libres sériques permet la quantification des chaînes légères libres sériques kappa et lambda dans le sérum et dans les urines [21]. L’étude du rapport kappa/lambda permet de distinguer les excès de synthèse polyclonale et monoclonale. Un rapport kappa/lambda anormal (normales 0,26-1,65) indique un excès d’un type de chaîne légère et témoigne de la présence d’une chaîne légère libre sérique monoclonale [22].
Rajkumar [23] a utilisé ce dosage sur le sérum de 1 148 patients de la cohorte de 1 384 patients décrite par Kyle [12]. Un rapport kappa/lambda anormal était associé à un risque de transformation maligne plus élevé. Le risque actuariel de transformation maligne des patients ayant un rapport kappa/lambda normal était estimé à 5,3 % à dix ans et 12,6 % à vingt ans. Pour les patients ayant un rapport kappa/lambda anormal (379 patients-33 %), ce risque s’élèvait à 16,7 % à dix ans et 35 % à vingt ans.
Perspectives d’avenir : les marqueurs génétiques
L’étude cytogénétique des plasmocytes dans le myélome et les GMSI a longtemps été difficile compte tenu de leur faible prolifération. La cytogénétique standard identifiait des anomalies chromosomiques quantitatives chez environ 30 % des myélomes. Avec le développement des techniques d’hybridation en interphase (FISH), des anomalies chromosomiques quantitatives et structurales ont été identifiées dans plus de 90 % des myélomes et dans au moins 50 % des cas de GMSI.
Les translocations 14q32 sont mises en évidence dans environ 60 % des myélomes [24]. Elles impliquent des partenaires chromosomiques variés dont certains sont récurrents (4p, 11q, 16q,…) et s’accompagnent d’une dérégulation de l’expression de certains gènes potentiellement oncogènes (Cycline D1, FGFR3,…). Ces translocations sont également observées dans les GMSI. Avet-Loiseau [2] a étudié 669 myélomes et 147 GMSI. Une translocation 14q32 était mise en évidence dans 73 % (447 cas) des myélomes et dans 48 % (69 cas) des GMSI. Les partenaires de ces translocations variaient en fonction du stade. Une translocation t(11 ; 14) était observée dans 20 % des myélomes et 13 % des GMSI. En revanche, la translocation t(4 ; 14) était observée dans 15 % des myélomes et 2 % des GMSI. D’autres auteurs trouvaient des résultats partiellement discordants. Ainsi, une translocation impliquant le locus 14q32 était mise en évidence dans 47/61 (77 %) cas de GMSI par Fonseca. Dans cette étude, la translocation t(4-14) était identifiée dans 9 % (5 patients) des GMSI [26].
La délétion du bras long du chromosome 13 est plus fréquente dans le myélome (36-50 %) que dans les GMSI (21 %) et semble plus fréquente dans les myélome post GMSI (70 %) [27]. Ces données ont fait évoquer un rôle de la délétion du chromosome 13 dans l’évolution des GMSI vers un myélome mais cette hypothèse reste débattue.
Ces données cytogénétiques confirment l’existence d’un lien entre GMSI et myé- lome. Le lien entre ces anomalies génétiques et l’évolution maligne n’est pas établi.
L’existence des ces anomalies génétiques ne suffit pas à rendre compte du potentiel évolutif malin des GMSI puisque seules 20 % d’entre elles vont évoluer vers un myélome sur vingt ans. D’autres événements oncogéniques sont nécessaires. Par ailleurs, faute de recul évolutif suffisant, il n’a pas été mis en évidence de lien entre ces anomalies et le risque évolutif des GMSI.
D’apparition récente, les techniques d’étude du profil d’expression génique ont fourni des résultats intéressants dans les tumeurs solides (cancer du sein notamment) et les hémopathies malignes (leucémies aiguës, lymphomes). La comparaison des profils d’expression génique des plasmocytes de sujets sains, de GMSI et de myélomes a permis d’identifier des gènes potentiellement impliqués dans la physiopathologie et l’oncogenèse du myélome[28]. L’utilisation de ces techniques appliquée aux GMSI pourrait permettre la mise en évidence de populations de GMSI différentes par leur profil d’expression et de définir les groupes de patients les plus à risque d’évolution. Cependant, à l’heure actuelle, ces techniques sont difficiles à mettre en œuvre, elles nécessitent des effectifs de patients importants et l’obtention de populations cellulaires homogènes.
Score prédictifs
L’évaluation du risque individuel des patients reste difficile. Chacun de ces facteurs prédictifs pris indépendamment ne permet pas de classer correctement les patients.
La définition d’une valeur seuil est toujours imparfaite car il existe un chevauchement des valeurs entre les groupes de patients. L’utilisation d’une combinaison de facteurs sous la forme de score pronostic permettrait de s’affranchir des limites de chacun.
Rajkumar [23] a proposé récemment un score prédictif tenant compte des trois facteurs de risques identifiés par cette équipe : isotype (Ig G ou non Ig G), taux de composant monoclonal (inférieur ou supérieur à 15 g/L) et dosage des chaînes légères libres sériques (rapport kappa/lambda normal ou anormal). Les auteurs définissaient ainsi quatre groupes de patients ayant des risques de transformation très différents. Les patients n’ayant aucun facteur de risque (449 patients soit 39,1 % de la cohorte) avaient un risque de transformation estimé à 5 % à vingt ans. Les patients ayant trois facteurs de risque (53 patients soit 4,6 %) avaient un risque d’évolution estimé à 58 % à vingt ans (soit 3 % par an) et un risque relatif de transformation estimé à 20,8 par rapport au groupe de patients n’ayant aucun facteurs de risque.
Dans notre étude concernant 91 GMSI Ig G et Ig A [13], nous avons proposé un score prédictif tenant compte du taux de composant monoclonal (valeur seuil 15 g/L) et de la plasmocytose médullaire (valeur seuil 5 %). Les 23 patients (25,2 %) ayant un taux de composant monoclonal inférieur à 15 g/L et une plasmocytose médullaire inférieure à 5 % avaient un risque évolutif faible estimé à 0 % à cinq ans et 12,9 % à dix ans. Dix-huit patients (19,8 %) avaient les deux facteurs supérieurs à la valeur seuil. Ce groupe avait un risque de transformation maligne élevé à 38,9 % à cinq ans et 49,1 % à dix ans. Un groupe intermédiaire composé de 50 patients (55 %) ayant un seul critère supérieur au seuil avait un risque intermédiaire : 7,1 % à cinq ans et 19,4 % à dix ans (Log Rank : 0,0009).
Ces différents résultats confirment la grande hétérogénéité des GMSI en terme de risque évolutif.
SURVEILLANCE DES GMSI
Le risque évolutif des GMSI est maintenant bien identifié. Les facteurs prédictifs sont de mieux en mieux connus et l’utilisation de scores prédictifs combinant plusieurs facteurs permettra probablement d’évaluer le risque individuel de chaque patient. Les scores proposés doivent être validées sur des études prospectives.
L’abstention thérapeutique est préconisée [4] sauf dans les cas où l’immunoglobuline monoclonale est responsable par elle même de manifestations pathologiques :
cryoglobulinémie, neuropathie périphérique,… La surveillance clinique et biologique doit être régulière et prolongée compte tenu de la persistance du risque évolutif avec le temps.
La surveillance doit être semestrielle initialement puis annuelle en cas de stabilité pendant deux ans. Elle est basée sur des critères cliniques (état général, douleurs osseuses, syndrome tumoral) et biologiques (hémogramme, calcémie, créatininémie, électrophorèse des protides, protéinurie). La répétition de l’immunofixation n’est pas nécessaire au cours du suivi. Le suivi du composant monoclonal est basé sur l’évolution du pic sur l’électrophorèse des protides et non sur le dosage pondéral des immunoglobulines. Ce dernier a pour seul intérêt d’étudier le taux des immunoglobulines polyclonales.
En cas d’apparition d’une symptomatologie clinique ou d’anomalies biologiques, l’enquête étiologique doit être reprise. L’évolution maligne pouvant être brutale [14], il est nécessaire de répéter les explorations en cas d’apparition de symptômes cliniques ou biologique quelque soit la date du dernier bilan évolutif.
Dans l’étude de Kyle [14], 72 % des patients sont décédés d’une cause indépendante (cardio-vasculaire principalement) après vingt ans de suivi. Le risque de décès de cause indépendante est donc plus élevé que le risque de transformation maligne. Ces données sont importantes car elle rappellent la nécessité de la prise en compte du terrain sous-jacent. Ainsi, chez un patient âgé ayant de gros facteurs de risque ou des pathologies sous-jacentes graves, l’enquête étiologique et la surveillance doivent être simplifiées.
Dans la mesure où il n’existe pas de moyens de prévenir l’évolution maligne, on peut s’interroger sur l’utilité du suivi systématique des GMSI. Kyle [14] soulignait qu’une surveillance régulière permet de diagnostiquer une évolution maligne précocement ce qui peut prévenir l’apparition de complications graves telles qu’une fracture pathologique ou une insuffisance rénale conduisant à l’hémodialyse.
CONCLUSION
Les gammapathies monoclonales représentent un problème fréquent en pratique clinique. Il paraît important d’établir des stratégies diagnostiques et de surveillance raisonnables afin de limiter les coûts humains et financiers engendrés par leur prise en charge. En l’état actuel des connaissances, plusieurs pistes pourraient être proposées :
— limiter le nombre de cas de gammapathie monoclonale de découverte fortuite en réservant la réalisation de l’électrophorèse des protides aux indications classiques et en évitant les examens systématiques.
— limiter les explorations initiales devant une gammapathie monoclonale car le diagnostic le plus probable est celui de GMSI. L’absence de symptomatologie clinique, d’anomalies biologiques associées (hémogramme, calcémie, créatininé- mie) et un taux modéré du composant monoclonal (inférieur à 15 g/L) permettent d’orienter rapidement le diagnostic et de limiter les investigations.
— adapter la surveillance des GMSI au risque individuel : une surveillance prolongée est théoriquement nécessaire ce qui induit un nombre de consultations et d’électrophorèses très important. L’utilisation de scores prédictifs permettra probablement de classer les patients en fonction de leur risque individuel et d’adapter la surveillance en conséquence BIBLIOGRAPHIE [1] Waldenström J. — Studies on conditions associated with disturbed gamma globulin formation (gammopathies). Harvey lect ., 1960-61, 56 , 211-231.
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DISCUSSION
M. Jean-Yves LE GALL
L’évolution naturelle des gammapathies monoclonales peut être considérée comme la succession de deux évènements mutationnels, le premier entraînant la prolifération anormale d’un clone, le second sa transformation maligne. Que sait-on des gènes en cause ?
Le myélome est caractérisé par une instabilité génétique qui augmente avec la progression de la maladie. Ainsi, de nombreuses anomalies chromosomiques ont été décrites dès le stade MGUS. Les événements initiaux incluent des translocations impliquant le gène des chaînes lourdes d’immunoglobulines (locus 14q32) avec certains partenaires récurrents ou une hyperdiploïdie. Cette phase initiale est ensuite suivie d’une instabilité complémentaire pendant la progression de la maladie qui inclut notamment des délétions ou des monosomies du chromosome 13, des activations d’oncogène, des translocations secondaires (telles que la translocation impliquant c-myc). Des amplifications ou des délétions de chromosome sont fréquentes et notamment l’amplification du bras long du chromosome 1 (gains de 1q) et la délétion du bras court du chromosome 17 (del17).
— L’anomalie la plus fréquente est représentée par les translocations impliquant la région 14q32 (t(14q32)) et, en particulier, le gène des chaînes lourdes d’immunoglobulines (IGH). Ces anomalies se retrouvent chez environ 60 % des patients (AvetLoiseau et al, 2002 ; Fonseca et al, 2003). Contrairement aux lymphomes malins (dans lesquels le partenaire de la translocation est spécifique du type histologique), les partenaires chromosomiques sont extrêmement variés dans le myélome multiple. A ce jour, plus de trente régions chromosomiques ont été rapportées. Néanmoins, seules certaines d’entre elles paraissent réellement récurrentes. Par ordre de fréquence décroissante, on retrouve la t(11 ; 14) (environ 20 % des patients), la t(4 ; 14) (∼15 %), la t(14 ; 16) (∼5 %), la t(6 ; 14) (<2 %) et la t(14 ; 20) (<3 %). Ces translocations entraînent la dérégulation de gènes spécifiques. Ainsi, la t(11 ; 14) dérégule le gène CCND1, conduisant à une hyperexpression de la cycline D1. La t(4 ; 14) n’a jamais été décrite dans d’autres pathologies, et entraîne la dérégulation de deux gènes (FGFR3 et MMSET) situés de part et d’autre du point de cassure sur le chromosome 4. La t(14 ; 16) dérégule l’oncogène MAF. La t(6 ; 14) et la t(14 ; 20) conduisent à une hyperexpression des gènes CCND3 (codant pour la cycline D3) et MAFB, respectivement. Cette disparité de partenaires chromosomiques explique en partie l’hétérogénéité de la pathologie. Ces anomalies chromosomiques impliquant le gène IGH sont très précoces dans l’oncogenèse de la maladie. En effet, lorsque l’on analyse des cas de MGUS, l’incidence de ces réarrangements illégitimes est globalement la même que dans le myélome multiple symptomatique, avec une moindre incidence de t(4 ;
14).
— La seconde anomalie en terme de fréquence est l’hyperdiploïdie (50 à 60 % des patients). La nature des chromosomes en excès n’est pas aléatoire et touche tout particulièrement les chromosomes impairs (3, 5, 7, 9, 11, 15, 19 et 21). Aucune explication n’a été avancée à ce jour pour expliquer ce biais dans la nature des chromosomes gagnés. L’hyperdiploïdie dans le myélome multiple représente une voie oncogénique distincte de celle liée aux t(14q32). En effet, les réarrangements récurrents impliquant la région 14q32 sont pratiquement incompatibles avec une hyperdiploïdie. De plus, tout comme les t(14q32), l’hyperdiploïdie a été démontrée dans les MGUS, montrant ainsi le caractère précoce de survenue de ces anomalies.
— La troisième anomalie est la perte de matériel chromosomique sur le chromosome 13.
Tout comme les précédentes anomalies, les anomalies du 13 ont été décrites dans les MGUS, avec une incidence similaire à celle retrouvée dans le myélome multiple, soit de l’ordre de 40-50 % et surviennent donc très probablement lors des premiers stades de l’oncogenèse plasmocytaire.
— La quatrième anomalie, par ordre de fréquence est représentée par les gains de copies supplémentaires du bras long du chromosome 1 (ou gains de 1q). Cette anomalie n’est pas spécifique au myélome. Elle a été décrite dans de très nombreuses hémopathies malignes, mais également dans de nombreux types de tumeurs solides. Récemment, une équipe américaine a démontré une très forte corrélation entre les gains de 1q et l’hyperexpression d’un gène dénommé CKS1B. Dans cette étude, tous les cas d’hyperexpression de ce gène étaient associés à la présence de une à quatre copies supplémentaires de ce gène. Le rôle biologique de cette anomalie n’est pas connu.
Cette anomalie ne paraît pas primitive puisque non retrouvée dans les MGUS, et à l’inverse, très fréquente en rechute. Cependant, la preuve formelle de l’implication de ce gène dans l’oncogenèse du myélome n’a pas été apportée à ce jour.
— La dernière anomalie récurrente est la perte du bras court du chromosome 17 (del(17p)). La cible principale de ces délétions n’est pas connue à ce jour. Toutes les études se sont focalisées de manière arbitraire sur le gène de la P53, situé en 17p13. Par analyse FISH, la plupart des études ont montré une perte de ce gène chez près de 10 % des patients atteints de myélome multiple, mais exceptionnellement dans les cas de MGUS. La perte d’un allèle de ce gène nécessiterait une mutation du second allèle pour avoir une implication biologique. Tout ceci plaide plutôt pour une cible autre que la P53, qui reste toutefois à découvrir.
— Parmi les translocations secondaires, les plus fréquentes sont celles qui impliquent le locus du gène c-myc. Les mécanismes de ces translocations sont multiples (t(8 ; 14), t(8 ; 22), autres partenaires,…). Dans une cohorte de 610 patients atteints de myélome ou de leucémie à plasmocytes, une translocation c-myc était mise en évidence chez 15 % des patients.
Bull. Acad. Natle Méd., 2009, 193, no 5, 1069-1087, séance du 19 mai 2009