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Session of 9 avril 2002

Recherche à bord de la Station Spatiale Internationale

Claudie HAIGNERÉ *

InformationC. Haigneré

 

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Recherche à bord de la Station Spatiale Internationale

Claudie HAIGNERÉ *

L’accès à l’Espace a ouvert de nouvelles frontières à la recherche scientifique et aux projets d’exploration humaine. Dans des laboratoires orbitaux tels que la Station Spatiale Internationale (ISS), une recherche à caractère unique est rendue possible dans des disciplines diverses, mettant à profit les conditions particulières de l’environnement spatial telles que la micropesanteur, les radiations et le vide extrême. Une recherche de haut niveau sur des questions fondamentales en biologie, physique et chimie sera conduite en collaboration avec des scientifiques du monde entier. En même temps, les applications de cette recherche spatiale trouveront leur place avec de nouvelles techniques médicales, des innovations industrielles et les techniques liées à l’environnement, au bénéfice général de l’humanité. Les partenaires de ce projet sont les Etats-Unis, la Russie, le Canada, le Japon et l’Europe par l’intermé- diaire de l’Agence Spatiale Européenne (ESA) fédérant les activités des Agences nationales comme l’Agence française (CNES). Au cours des 15 dernières années, la recherche en Sciences de la Vie et en Sciences Physiques a atteint en Europe une grande maturité se traduisant par une augmentation significative en quantité et qualité des publications internationales, un intérêt croissant de la part de scientifiques non encore impliqués, une coopération transnationale accrue conduisant à des efforts de recherche concertés et cohérents, et à une attention toute particulière des industries ou d’autres institutions à potentiel d’applications. La Station Spatiale Internationale est une immense infrastructure orbitale dans laquelle l’Europe a fortement investi. Son assemblage a commencé en 1999 avec le lancement du premier module Zaria et se poursuivra jusqu’en 2006, le laboratoire scientifique européen Columbus sera amarré à cette structure en 2004. Actuellement, la station est occupée en permanence par un équipage de 3 personnes et l’activité scientifique a commencé pour la communauté scientifique européenne grâce aux accords avec nos partenaires russes et américains. Cependant, sont apparues récemment des difficultés budgétaires chez nos partenaires qui mettent en danger les étapes initialement prévues. Le temps réservé pour l’utilisation scientifique de l’ISS peut se trouver substantiellement réduit si on ne peut assurer que l’équipage sera composé d’au moins 6 personnes dans les années qui viennent. Étant donné les tâches de maintenance et les opérations liées à la construction de l’ISS, un équipage de 3 personnes ne peut assurer une activité scientifique suffisante. La position des partenaires internationaux de l’ISS est donc ferme pour obtenir un engagement de la part de la NASA de placer la recherche scientifique comme l’objectif prioritaire de ces missions en orbite basse sur ISS. Cette résolution européenne est d’autant plus essentielle que l’ISS est une infrastructure de recherche que les Agences Spatiales européennes (ESA et CNES) souhaitent mettre à la disposition de la communauté scientifique dans le cadre de l’Espace Européen de la Recherche qu’entend renforcer la Commission européenne pour toutes les disciplines des Sciences Spatiales et en particulier les sciences de la vie et les sciences physiques, la recherche appliquée, le développement technologique et comme un puissant outil pédagogique ainsi qu’un banc d’essai pour la prochaine étape de l’exploration humaine de l’espace : l’exploration du système solaire.

Un plan européen de recherche pour les Sciences de la Vie a été élaboré par l’ESA pour les 5 années à venir, le programme ELIPS, avec 4 grandes orientations :

explorer la nature, améliorer la santé, innover dans le domaine des techniques et des nouveaux procédés, et prendre soin de l’environnement. Dans le domaine de la biologie, l’accent est mis sur les biotechnologies dans les conditions de micropesanteur (flux de médiateurs transmembranaire et intracellulaire, contrôlant les potentialités cellulaires et leur différenciation, ainsi que les interactions cellule-matrice), la biologie végétale en particulier en ce qui concerne l’expression du gravi tropisme, ainsi que la biologie cellulaire et du développement, spécialement la transduction du signal, l’expression génique et le développement neural. Dans le domaine de la physiologie humaine et animale, l’accent est porté sur les effets de la gravité réduite sur les régulations et la physiologie intégrée des systèmes cardio-vasculaire, respiratoire et sensori-moteur, sur les contraintes de charge nécessaires à une bonne trophicité musculaire et squelettique, et sur le rôle de la gravité dans le large champ des neurosciences allant du contrôle postural et de la locomotion aux processus cognitifs mis en œuvre dans ce nouvel environnement. Dans le domaine de l’exobiologie, la question de l’origine, de l’évolution et de la distribution de la vie est le thème central, et la préparation de l’exploration planétaire humaine se doit de mieux connaître le rôle des radiations, de l’impact de l’isolement dans des environnements générateurs de stress, ainsi que les connaissances scientifiques de base pour l’identification et l’utilisation des ressources in situ . Pour réaliser ces objectifs, l’ESA et les agences spatiales nationales ont coordonné leurs potentiels scientifiques, techniques et opérationnels. Des laboratoires embarqués MFC (Multi-User Facilities for Columbus) sont en cours de développement pour rejoindre l’ISS dans le module scientifique européen Columbus fin 2004. Dans le domaine des Sciences de la Vie, les scientifiques pourront disposer de BIOLAB, de l’EPM (European Physiology Modules) et d’un casier à équipement modulaire (EDR) ; ils pourront avoir accès aux instrumentations développées par nos partenaires américains (HRF Human Research Facility) et par nos partenaires russes. Les appels à expériences sont diffusés à l’échelle internationale, et les comités de sélection sont des instances internationales incluant des représentants experts des grandes institutions de recherche mondiale. Les applications dérivées de cette recherche sont particulièrement intéressantes dans le domaine médical, qu’il s’agisse de la physiopathologie, du développement d’une instrumentation biomédicale adaptée à la prise en charge du patient ambulatoire, qu’il s’agisse de la télémédecine et des interactions à distance sur la santé d’un équipage. Les centres techniques spatiaux sont en cours de regroupement sous forme de réseaux, et les astronautes de différentes nationalités ont été fondus dans un corps unique d’astronautes européens. L’Europe a signé en 1998 des accords privilégiés de coopération avec la NASA et les autres partenaires internationaux pour l’utilisation de l’ISS, et sur l’initiative de la France en particulier, a établi des accords de coopération avec nos partenaires russes donnant ainsi à la communauté scientifique un accès plus rapide et plus diversifié au segment russe de l’ISS. Les missions spatiales peuvent être de courte durée (cela a été le cas de la mission Andromède réalisée par Claudie Haigneré à bord de l’ISS en octobre 2001 pour 10 jours par un accord bilatéral entre le CNES et la Russie, et ce sera le cas de la mission STS 111 de Philippe Perrin sur la Navette américaine en juin 2002), ces missions seront bientôt de longue durée, les astronautes européens séjournant à bord de l’ISS à titre d’équipage principal pour des périodes de 4 à 6 mois. Cette utilisation scientifique de l’ISS sur de longues périodes dans un environnement technique de haut niveau (laboratoires bien équipés dont la configuration est rapidement modulable pour s’adapter aux nouvelles technologies, un haut débit de transmission de données permettant une interaction précise avec les équipes au sol par télésciences, un nombre important d’astronautes donc de sujets d’expérience dans le domaine de la physiologie) donne des possibilités d’expérimentation très améliorées par rapport à ce que l’on peut obtenir lors de missions automatiques. Le laboratoire orbital ISS est non seulement une infrastructure de recherche adaptée à la science du présent dans le cadre du programme ELIPS et des programmes nationaux, mais elle est aussi un avant-poste pour la préparation des ambitieux projets futurs dont s’est dotée l’Europe. Le programme Aurora de l’ESA dans la lignée de la réflexion prospective du CNES, a pour objectif de donner à l’Europe un rôle clé dans les projets d’exploration humaine du système solaire avec une mission humaine sur la planète MARS à l’horizon 2025, comme première étape. Les motivations principales de ce programme sont d’ordre politique visant la compétitivité industrielle européenne et la mobilisation d’un jeune public vers une aventure prestigieuse scientifique, technique et humaniste, élan pour le vingt et unième siècle.

Les motivations scientifiques et technologiques, par leur caractère multidisciplinaire et novateur, concourent à une stratégie européenne d’excellence très mobilisatrice.

Aux frontières des disciplines classiques vont apparaître des thématiques nouvelles, et la préparation de ces missions futures sera génératrice d’applications étendues aussi bien dans le domaine médical, environnemental que technologique pur. En se fixant un objectif à moyen terme, cette recherche spatiale retrouve son profil d’aventure scientifique tout en se plaçant au service des besoins et des désirs de notre société.

 

DISCUSSION

M. Louis AUQUIER

En combien de temps l’ostéoporose provoquée par l’apesanteur s’installe t’elle ? Parvientelle à un plateau ? Quel est le délai du retour à la normale ? Je suppose que des mesures ont été faites aussi sur des animaux ?

Des mesures DEXA ont été réalisées sur les astronautes ayant réalisé des vols de longue durée (6 mois) avant et après le vol, elles témoignent d’une diminution de la densité osseuse de l’ordre de 0,5 à 2 % par mois sur l’axe vertébral et les os porteurs, et d’une récupération post vol pratiquement complète en un laps de temps équivalent au double de la durée de mission. Aucune mesure quantitative n’a pu être réalisée chez l’homme a bord, mais des protocoles de prophylaxie mécanique (exercice physique sous contraintes, stimulation mécanique) plus que médicamenteux sont régulièrement pratiqués. Le problème de la fragilisation osseuse en microgravité reste une des limitations physiologiques des vols de très longue durée destinés à l’exploration planétaire par l’homme. De nombreuses études animales et cellulaires osseuses ont été et sont réalisées lors des missions spatiales (équipe du Pr. Alexandre à St Étienne), et le modèle de décubitus antiorthostatique est aussi utilisé pour tester des protocoles préventifs pharmacologiques.

M. Pierre RONDOT

Comment est réalisé un mouvement sans l’aide de la vue en apesanteur ? À propos des troubles vestibulaires, quelles sont les réactions aux mouvements brusques de la tête ?

Bien sûr, la trajectoire et la cinétique du mouvement du bras pour la préhension d’un objet mobile ou fixe ou pour des tâches de pointage en microgravité doivent être modifiées pour prendre en compte la disparition de l’effet de la force de gravité (travaux des équipes du Pr Berthoz, Collège de France et du Pr Roll à Marseille). Ces perturbations motrices sont évidentes pendant les premières heures de la mission en l’absence de vision, mais très vite l’utilisation du référentiel visuel, la mise en place de cartes spatiales adéquates et la persistance d’un schéma corporel fort permettent à l’astronaute de retrouver une dextérité adaptée. Les mouvements brusques de la tête aussi bien horizontaux que verticaux sont les facteurs déclenchants principaux du « mal de l’espace » qui affecte à des degrés divers près de 50 % des astronautes en début de mission. Même les plus résistants auront soin d’être très vigilants à ces mouvements intempestifs pendant les premières heures de la mission. En général après 48 heures, la sensibilité aux mouvements céphaliques a disparu.

M. Maurice TUBIANA

On est confondu par la capacité d’adaptation de l’organisme à des situations aussi différentes des conditions physiologiques. Est-ce parce qu’il s’agit de sujets jeunes, très sélectionnés et très entraînés ?

La population des astronautes est une population médicalement sélectionnée, avec des critères physiologiques spécifiques (tolérance orthostatique, tolérance aux conflits sen- soriels, tolérance aux facteurs de charge…). Le niveau de condition physique est bon et bien entretenu sans exiger un niveau athlétique trop élevé qui pourrait être un facteur de déconditionnement accru à l’arrivée en microgravité. L’entraînement aux contraintes physiologiques et psychologiques du vol spatial est un élément régulier de la préparation de l’astronaute. On reste cependant tout à fait étonné de la capacité d’adaptation des systèmes physiologiques à un environnement aussi inhabituel et de sa rapidité encore plus immédiate après un premier séjour en microgravité. Cependant l’accès à l’espace « pour tous » n’en est qu’à ses prémices et requiert encore un entraînement spécifique tant que nous ne disposerons pas de moyens technologiques de nouvelle génération.

* Astronaute de l’ESA (European Space Agency). E-mail : claudie.haignere@esa.int

 

Bull. Acad. Natle Méd., 2002, 186, no 4, 793-797, séance du 9 avril 2002